« Catherine Grenier : Commençons au tout début. Quel est le premier dessin que vous ayez fait dont vous vous souvenez?
Gérard Garouste : Le premier dessin dont je suis fier, c’est un avion dessiné en perspective. À l’école, j’ai eu des handicaps : je suis dyslexique et ça m’a toujours posé des problèmes vis-à-vis de mes études. Faire une addition, une division, m’angoissait terriblement. Mes parents s’inquiétaient de mon niveau d’intelligence, mais les maîtresses d’école leur disaient : « Non, je vous assure, il est intelligent, mais il est toujours dans la lune. » La seule chose qui me faisait exister par rapport à la maîtresse et à mes copains, c’était le dessin. Tous les enfants dessinent, mais je dessinais plus qu’eux, parce que pour moi c’était une question de survie. Le dessin me permettait d’avoir une identité. Eux, ils avaient des bonnes notes ; moi, j’existais par la qualité de mes dessins, donc je faisais plus d’efforts. Je ne crois pas du tout au don, c’est plutôt comme quelqu’un qui se noie et qui bouge les bras pour flotter. Pour moi, le dessin c’était ça et c’est le début de tout, car toute ma vie est basée là-dessus. »
Vraiment peindre, Gérard Garouste avec Catherine Grenier, Editions du Seuil, 2021
Si je tente de définir ce que j’ai cherché à faire depuis que j’ai commencé à écrire, la première idée qui me vient à l’esprit est que je n’ai jamais écrit deux livres semblables, que je n’ai jamais eu envie de répéter dans un livre une formule, un système ou une manière élaborés dans un livre précédent.
Cette versatilité systématique a plusieurs fois dérouté certains critiques soucieux de retrouver d’un livre à l’autre la « patte » de l’écrivain ; et sans doute a-t-elle aussi décontenancé quelques-uns de mes lecteurs. Elle m’a valu la réputation d’être une sorte d’ordinateur, une machine à produire des textes. Pour ma part, je me comparerais plutôt à un paysan qui cultiverait plusieurs champs ; dans l’un il ferait des betteraves, dans un autre de la luzerne, dans un troisième du mais, etc. De la même manière, les livres que j’ai écrits se rattachent à quatre champs différents, quatre modes d’interrogation qui posent peut-être en fin de compte la même question, mais la posent selon des perspectives particulières correspondant chaque fois pour moi à un autre type de travail littéraire. »
Comment conciliez-vous vie professionnelle et vie privée ? Pas très bien, en toute honnêteté. Je trouve difficile de concilier vie professionnelle et écriture et vie personnelle. Je trouve difficile de m’arrêter avant de m’épuiser, difficile d’écrire tous les jours quand je préférerais prendre du repos, difficile de trouver le temps et l’énergie de tout faire bien. Le jour où j’admets que je ne suis pas parfaite – Hortense Merisier
le temps et l’énergie de tout faire bien
///
People share bits of themselves through writing/art that wouldn’t arch over into typical conversations. That’s why I love personal blogs/zines: the intimacy, the vulnerability, the laid-bare truths. Connecting through art, Veronique
the intimacy, the vulnerability
///
Cette semaine les décisions à prendre, les activités à prioriser, se sont bousculées dans ma vie et plus elles se sont ajoutées, plus j’ai voulu aller vite… et plus j’ai fait des conneries. Conneries qui m’ont demandé de refaire des trajets, de réécrire des textes effacés par mégarde.
Au bout de la 14ème bêtise, la phrase s’est imposée à moi. Celle du détour. Et sa grande. soeur : nature doesn’t hurry, yet everything is accomplished. Je me les répète en boucle, plus ou moins ; avant de t’écrire, oui j’étais à la bourre, mais j’ai pris le temps de fabriquer le début d’un marque page avec des scraps of papers que j’accumule depuis toutes ces années. Déjà me pose ; ce détour m’aide à me tranquilliser. [sur le marque-page pris en photo, on peut lire : « si tu es pressée, fais un détour »] Christie dans sa dernière newsletter
si tu es pressée, fais un détour
///
Écris quelques mots, 480 signes ou plus tous les jours Note des paroles chopées au vol Lis pour écrire, écris pour lire Essaie d’aller voir du côté du journal de Kafka Marche et perds-toi dans la ville Marche, observe et écris dans ta tête ou sur ton téléphone Ecris ce dont tu ne te sais pas dépositaire comme le dit François Bon N’hésites pas à recopier des extraits de textes aimés Reprends tes notes journalières, donne leur de l’épaisseur, de la hauteur, de la couleur et publies-les sur ton blog sans te soucier de tes lecteur.rices. Ajoute des photos, des dessins… et trouve ta singularité. Ouvre ton carnet du lendemain et lance toi sans penser à ce qui précède ! neuf instructions pour son double pour que continue le carnet – Carnet individuel – Isabelle Vauquois
écris, essaie, trouve, marche et perds-toi sans penser à ce qui ce précède
///
What is the most effective “productivity technique” in the world? I don’t think it’s a spreadsheet, a day planner, a time-batching system, or a smartphone app. I think… it’s forgiveness.
Forgive yourself. Forgive yourself for saying “yes” to too many projects. Forgive yourself for getting behind on your emails. For needing an extension to finish that project. For being late, behind, backed up, crushed, buried, whatever your situation may be. Forgive yourself for missing that typo. For disappointing a colleague. For the foolish, irresponsible mistake you made. For whatever horrible “crime” you feel you’ve committed.
You did it. It happened. You learned. Now it’s over. And hopefully you won’t do that again. Meanwhile, punishing and pummeling yourself is not helping you to “work faster,” is it? Self-criticism is not fuel — it’s just a burden. It’s a heavy weight to carry, when your workload is already heavy enough.
Ce que je découvre de sa vie, je devrais dire ses combats, me bouleverse, je lui demande si je peux, nous nous étreignons, nous ne devrions jamais renoncer à nos besoins de tendresse.
Le terrible blues de la reprise cède à un semblant d’élan retrouvé. Chercher de nouvelles manières de faire, les mettre en œuvre, s’y coller vraiment. Quitter l’île et rêver (se), Caroline Diaz
Je viens d’écouter un webinaire en direct d’Emilie Doré intitulé “Pourquoi réussit-on sa thèse ?”. La première question serait plutôt : mais pourquoi diable se tanquer sur zoom un vendredi bleu soleil pour suivre un tel webinaire alors même qu’on ne fait pas de thèse ? Oui, c’est un premier sujet qui mérite éclaircissement.
Je prends tout. Tout ce qui m’aide à travailler, tout de suite maintenant et/ou dans la durée. Et parmi mes ressources favorites, il y a les témoignages des valeureuses et valeureux doctorant·e·s, et les conseils qui leur sont destiné·e·s. J’avais ainsi beaucoup apprécié la conférence de Geneviève Belleville “Assieds-toi et écris ta thèse” et le vlog de thèse de Manon Bril. En reprise d’études depuis un bon moment – et pour encore un long moment -, je glane dans tous les recoins du web ce qui m’aide à lire, à écrire, à tenir, à trouver mon plaisir, ma méthode et ma persévérance.
Nous sommes vendredi et, après un charmant déjeuner, je décide donc de me connecter pour écouter religieusement “Pourquoi réussit-on sa thèse ?”. Très bon webinaire où beaucoup de mises en garde et de conseils font écho à mon expérience actuelle.
Un point en particulier retentit à mes oreilles : continuer de vivre sa vie, ne pas opposer la thèse et la vie. Emilie Doré rappelle qu’il est fréquent de remettre à l’après-thèse les grands projets de vie, et de sacrifier radicalement les loisirs, les temps avec ses proches, les temps pour prendre soin de soi, en se disant : “après, je serai heureux·se !”. Mais c’est bancal et très risqué : d’abord parce que ces temps qu’on sacrifie sont essentiels, nous donnent de l’énergie aussi pour “la thèse” (on va remplacer par “le projet”), et ensuite parce que le mode de fonctionnement mis en place pour le projet va perdurer quand celui-ci sera terminé. Si on a tourné le dos à beaucoup de choses, elles ne vont pas comme par magie se réinstaller ensuite dans notre vie. Alors oui, placer le projet en haut de ses priorités, faire des ajustements nécessaires par rapport à d’autres activités, mais, dit-elle, surtout pas de sacrifice, on cherche un équilibre.
Quelque chose sonnait terriblement juste pour moi. Je ne me suis pas dit “je serai heureuse après”, car je suis heureuse de cette reprise d’études. Mais fréquemment je retombe dans ce gouffre de certitudes : je ne peux pas m’offrir ce moment de détente, je ne peux pas voir mes ami-e-s, je ne peux pas aller au ciné, je ne peux quand même pas partir en vacances, alors que l’année n’est pas terminée, que je n’ai pas tout validé ! (ce qui n’empêche pas du tout de procrastiner à mort, des heures de ni-travail, ni-détente, avec la culpabilité qui va bien, c’est presque comme si on travaillait puisqu’on pense qu’on devrait travailler, et vous me remettrez trois coups de fouet avec ça).
Oui, sans trop m’en rendre compte, j’ai opposé mes études et la vie. Et je sens bien ces dernières semaines que la fatigue s’accumule, la fatigue aussi de ces dernières années, et que je suis sur le fil. Ce mode de fonctionnement – en effet ça fonctionne, j’ai pu valider, avec des résultats dont je suis très fière, chaque semestre – touche ses limites. Me ressourcer ne peut pas se présenter une fois l’an. Mon expérience d’ailleurs m’apprend qu’une fois que tout est “validé”, quand vient l’été, même partir en vacances devient compliqué. Deux étés déjà que je me trouve un peu désemparée, l’énergie en berne, incapable de programmer quoi que ce soit, l’impression d’avoir absolument tout donné et de ne plus rien pouvoir décider, initier.
Je suis plutôt contente car depuis quelque temps, j’essaie de faire plus de place aux sorties, aux promenades, aux ami-e-s, à l’écriture, prendre soin, maintenant pas plus tard. Reste l’enjeu malgré tout : de bien dire oui à ce qui donne des forces, de l’entrain, ce qui requinque, restaure, nourrit, et réussir à dire non là où c’est trop coûteux, trop énergivore, quand ce ne sont pas les bonnes personnes au bon moment.
Il y a une chose que je n’ai pas réussi à faire : partir. M’autoriser l’escapade, un aller-retour pour voir la mer, des arbres. Être ailleurs. Ça résiste fort ! Partir alors que mes dossiers ne sont pas rendus ? Que j’ai 3 deadlines dans les 2 prochains mois et pris énormément de retard ? Oui, là, ça tempête sévèrement. Comme si je n’avais le droit qu’après.
Est-ce qu’après avoir écrit ça justement, je m’autoriserai enfin à partir sans attendre d’avoir terminé ?
J’avance, j’avance, ça fait du bien ! Je vois ma liste d’articles lus s’étoffer. Même si c’est trop peu, et pas assez vite, c’est toujours toujours mieux que rien.
Dans Zotero, où je rassemble ce qui est à lire, pour limiter mes efforts et mes tourments, je prends simplement les ressources dans l’ordre chronologique d’ajout. Ça me repose la tête de ne pas avoir à décider par quoi commencer. Pas de tergiversations, ma spécialité ! Et plaisir collatéral : j’aime assez découvrir au fur et à mesure quelle sera ma prochaine lecture, à chaque fois me laisser surprendre, j’ai l’impression d’ouvrir un calendrier de l’avent. (J’exagère bien sûr : rien ne bat le chocolat.)
J’ai créé l’autre jour un système de notes qui me va bien pour l’instant. J’utilise enfin réellement l’outil Notion – qui jusqu’ici ne m’avait pas convaincue, du tout. Tous les templates me semblaient diaboliquement complexes.
Cette fois, j’ai juste créé une page du nom de mon cours. J’y consigne mes notes de lecture, et surtout mes “cailloux”, c’est-à-dire des notes que je me laisse après chaque session de travail (une nouvelle pratique que j’aime beaucoup). Dans des encadrés verts, ce sont des observations sur la méthode, des réflexions en cours, pensées-liens-questions sur mon sujet, et des indications éventuelles pour une prochaine session.
Rien de parfait, ni mon système de notes, ni mon rythme… Mais le temps d’écrire ce billet, le marteau-piqueur dans la rue s’est arrêté et moi je peux continuer d’avancer.
Des pensées pour tous nos pas, toutes nos tentatives, chacun-e, chaque jour. Toutes les manières qu’on a d’avancer, même (et surtout) invisibles, insaisissables, dans les interstices de ce qu’on donne à voir.
C’est un jour particulier, une date. Est-ce encore un anniversaire ?
Un jour où j’ai l’impression qu’écrire est interdit, que seul le silence est requis. On peut écrire en silence pourtant, c’est drôle comme j’entends le silence étendu à tous les mots qu’ils soit tracés ou dits. Est-ce qu’on se tait quand on écrit ?
J’ai écrit toute la journée malgré tout. Mon journal s’est transformé en pages du matin, du midi, du soir et de l’après-midi. Des minutes. J’ai écrit tout ce que je n’arrivais pas à faire. J’ai écrit tout ce que j’ai réussi à faire. J’ai écrit ce que j’ai lu. J’ai écrit des choses bêtes et des choses importantes et peut-être bêtes aussi. J’ai écrit que je ne ressentais rien. Est-ce qu’on ne ressent rien si on ressent le besoin de l’écrire ?
J’ai commencé un billet pour ici, j’ai imaginé ma prochaine newsletter, je n’ai fait ni l’un ni l’autre. Est-ce qu’imaginer-commencer suffit ?
J’ai découvert cet extrait de Comanche de Caroline Diaz et après ça, j’ai su que je n’avais pas ce courage, pour l’instant, d’écrire. D’aller là. Est-ce que ça viendra ?
J’ai relu plusieurs des phrases de Lisa Olivera : “Not rushing toward clarity or meaning might be some kind of medicine.” “I’ve never been more okay with being lost. Maybe that’s the only way to be.”
J’ai regardé la belle photo d’où elle écrit, et j’ai rêvé de cette cabane dans les arbres.
J’ai repensé à Alice Zeniter qui parle d’”habiter des cabanes de phrases”, en citant Victor Pouchet.
« J’imaginais que je récoltais des mots, que tous ces mots formaient des phrases, et dans ma tête toutes ces phrases formeraient non pas des lignes mais des volumes, des murs de phrases, des cabanes de phrases, des cheminées de phrases où faire des feux pâles dès l’automne, des feux de phrases en bois qui crépitent fort. Et aujourd’hui encore, je reviens souvent dans cette cabane de phrases. Si elle tient bien contre le vent, et si les bûches de phrases brûlent comme il faut, on peut s’y réfugier dans l’hiver quand plus aucun mot ne nous vient et que la forêt nous semble si grande. » Victor Pouchet, Autoportrait en chevreuil
“J’écris ce poème avec de la fumée Avec du sable avec de l’ombre Mes mains s’enfoncent dans la neige Sans jamais rencontrer la terre Mais tout à coup le vent disperse la poussière La poussière du poème” Extrait du poème “Dernier cri” de Christian Bachelin, lu sur https://schabrieres.wordpress.com/
avec du sable avec de l’ombre
///
“Danser c’est altérer le vide. Pourquoi inscrire un mouvement dans le rien ? […] […] Elle se sent intruse. Depuis toute petite. Alors elle danse. Il faut qu’elle trace, avec son corps, les lignes qui permettent d’intégrer l’espace. Seule la beauté du mouvement peut la sauver. C’est sa façon de trouver place dans la vie.” Extrait de Laver les ombres de Jeanne Benameur, lu sur Grignotages
altérer le vide
///
“Tout fait événement pour qui sait frémir” Jean Follain, D’après tout, Gallimard, cité dans la lettre l’Intimiste
pour qui sait frémir
///
“Boire du thé le matin pour le petit déjeuner à la maison. Et penser que je suis à l’hôtel. Tout est calme. Juste le haché de la pluie sur les cerisiers de Yoshino. Il faut sortir pendant pendant qu’il pleut. Les herbes et les mousses sont mouillées. les pèlerins avec leurs parapluies ouverts marchent le long de la rue trop étroipte pour un trottoir. En file indienne. La porte ouverte du torréfacteur, laisse échapper l’odeur des grains de café.” Karl sur Carnets de la Grange
il faut sortir pendant qu’il pleut
///
“Il n’y avait pas péril immédiat à rester où j’étais. L’appartement était lumière, calme, les oiseaux venaient nombreux s’alimenter aux diverses boules accrochées là et là. Un matin, j’ai pourtant bien entendu cet appel me disant de partir pour chercher cet « abri qui n’épuise point ». — Pas par caprice, par vitalité.” Anna Urli-Vernenghi sur cet air de rien
par vitalité
///
“When we’re young, or the project is going really well, it’s easy to waste the good days. After all, there will be another one tomorrow. What becomes clear, though, is that good days are precious. When you’re feeling even a little creative, don’t wait. Write it down, roll tape, speak up. When you’re feeling reasonably healthy, go for a walk. They’re all good days, if we choose.” Seth Godin sur son blog
don’t wait. write it down. go for a walk
///
“If you love what you’re trying to do, it seems like believing in yourself wouldn’t be too much of an issue beyond the standard self-doubt and skeptical inquiry involved in all creative pursuits. There would be no choice other than I really gotta make this. I gotta make this thing, even if it sucks. That’s how I feel about drawing and writing. I gotta make it. I just gotta make it. I can’t concern myself with whether I believe in it or not.” Anna Fusco dans sa newsletter
even if it sucks
///
“What are you spending your time on that doesn’t matter? Why are you spending time on it? How can you stop? What are you not spending time on that does matter? Why aren’t you spending time on it? How can you start?” Mark Manson dans sa newsletter
spending time on it
///
“Je vois passer beaucoup d’articles sur comment se mettre au travail, comment mener à bien ses projets d’écriture, mais nous avons besoin de silence, j’ai besoin de silence, et ne pas écrire est une bénédiction. Pourquoi faudrait-il produire quand aucune nécessité ne s’impose ? Il en va de l’écriture et des arts comme une fin en soi, alors qu’ils ont pour fonction d’intensifier la vie. Quand je manque d’énergie, je me tais. Je monte sur mon vélo et me perds dans la lumière. Peut-être que je ne suis jamais autant artiste que dans ces moments.” Extrait du carnet d’avril de Thierry Crouzet
oups !
///
“I will say, that if you look at the people in the past who produced great work, a lot of them gave themselves idle time, time to do nothing, time to rest, time to just daydream and “fart around,” as Kurt Vonnegut put it. There’s a tinkering, puttering, playful element to all good creative work. I’m heartened by how many of my creative heroes took a lot of naps, for example, I feel strongly that my laziness and my productivity are deeply connected, somehow. If you need permission, think of how every company has an “R&D” department. You have to give yourself time for research and development! And “Development” might include taking a nap.” Austin Kleon interviewé par Rob Spillman
my laziness and my productivity are deeply connected
///
“Depuis la fin des ateliers, j’ai décidé de me rendre une fois par semaine à la Maison de la poésie, à Paris, quelle que soit la programmation, autant pour soutenir des amis que découvrir des inconnus. Pour me décentrer, m’arrimer : les deux. À poster ces photos de Marilyn prises à l’Actors studio que le mot méthode a fait surgir, je comprends qu’il s’agit aussi de me sentir, comme elle, prise dans un groupe quand j’ai l’impression de piétiner.” Anne Savelli dans son semainier
me décentrer, m’arrimer. quand j’ai l’impression de piétiner.
///
“Chaque lundi matin, lorsque je fais mon bilan de la semaine (lorsque je peux le faire, je viens de recommencer aujourd’hui après plusieurs semaines d’arrêt), une des questions que je me pose est « what are the things that I am looking forward to ? »
Quand je ne sais pas quoi répondre à cette question, je me programme un « petit » artist date – je me le programme de toutes manières, mais là j’essaie d’en programmer un qui m’enchante. Tu sais les artist dates, mes mini aventures en solo, pas loin de là où je me trouve, auxquelles je consacre de une à deux heures par semaine !” Christie sur maviesansmoi
D’accord, le yoga. Mon corps me revient. Je cultive l’amour et l’étonnement, au risque des courbatures et de l’essoufflement.
D’accord, un poème. Les mots réclament. J’écoute cet appel, cet élan, au risque des ombres et de l’incandescent.
D’accord, d’accord, mais j’ai 246 références bibliographiques collectées depuis mars dans Zotero (un outil qui permet de…collecter des références bibliographiques : articles, chapitres de livres, livres, etc. et que j’utilise en ce moment pour un écrit à rendre fin juillet dans le cadre de mes études). Elles sont toutes dans mon dossier non lu. Par non lu, il faut comprendre rapidement parcourues, vaguement annotées parfois, puis délaissées pour rebondir et ouvrir 30 ressources supplémentaires. Bref, non lues donc.
J’ai réussi l’autre jour à en lire une en profondeur, victoire, j’ai pu créer un dossier lu et y glisser fièrement cette unique référence. Wooo.
Le choc est visuel : 246 documents d’un côté, un seul de l’autre. Terrible vision de la montagne qui m’attend. Dans un immense brouillard de découragement.
Oui, je bloque. Et je passe mes jours-ci à mener l’enquête intérieure : que se passe-t-il ? de quoi mon cœur bat ? où est la difficulté ? où est l’envie ? Hmm, l’enquête m’inquiète, et n’amène rien de bon. La crise est sérieuse, profonde. Mais je ne crois pas qu’elle se résoudra en restant plantée là, une loupe à la main, à scruter, sourcils en l’air, mes 246 pièces à convictions.
Aujourd’hui, un bon soleil, une jolie sortie, publier les choses aimées… et surtout surtout surtout exfiltrer d’urgence quelques références du dossier non lu.
Et je viens le dire ici pour former un engagement. Augmenter les chances de succès de l’opération exfiltration. Au risque de.
Je m’y remets. J’attrape le tapis violet à portée de main, coincé entre le lit et le bureau. Je le déroule d’un grand geste en travers du salon. Le voici en place, il m’attend, il m’accueille. Je m’y mets, j’y suis.
Cela fait des mois que je n’ai pas fait de yoga. Pendant les confinements, j’avais pris l’habitude d’en faire chaque jour, le matin, grâce au temps gagné sur les transports pour aller travailler, et grâce à la chaîne Yoga with Adriene. J’avais senti mon corps changer, progressivement, délicatement. Un peu plus de souplesse, un sentiment de tonicité et de confiance, un sourire, un confort dans l’inconfort. Il m’arrivait d’en faire deux fois par jour. Puis de temps en temps seulement, puis…plus du tout.
Aujourd’hui, je m’y remets. Et tout tire ! Ma nuque, mes poignets, mes jambes, mes chevilles, mes cuisses. Ça tire, ça pique, et je m’étonne de chaque mouvement. Mon corps redécouvre ses contours et ses capacités. Je m’éprouve. Avec amusement, curiosité.
Et finalement, le jugement reste au bord du tapis. Il n’y a pas de place pour lui et moi. La pratique me protège des pensées les plus dures à mon égard. Je fais, je m’y remets, je suis là. Peu importe la perte d’aisance, la maladresse, le souffle court. Je rencontre mes limites, mon moi d’aujourd’hui, en l’état, et cela suffit à balayer loin les regrets, la nostalgie d’un autre corps et d’autres habitudes.
Oui, la pratique protège, chasse le jugement et choisit la joie.
Je m’y remets. Je m’éprouve. Dans l’effort, le mouvement, l’étonnement.
Et toi, y a-t-il une chose que tu n’as pas fait depuis longtemps et que tu pourrais refaire aujourd’hui ?
Amélie Charcosset est autrice, animatrice d’ateliers d’écriture et enseignante de Français Langue Étrangère. Elle a publié son premier roman Je ne suis pas née ce matin en 2021, et elle est en train d’écrire le deuxième. Ah oui, et elle vit en Suisse, quand elle n’est pas (ce qui arrive souvent) en travadrouille ou en autorésidence d’écriture.
Et voici le troisième et dernier épisode, qui parle de curiosité, d’espace, de temps, de regarder différemment, de groupe, de CNV, et de cadres, qu’on crée, qu’on tient (ou pas), et qu’on fait évoluer !
Pas d’audio complet cette fois-ci. Certains passages sont dispos en audio, d’autres pas.
Prends ton temps, ta place, une chaise longue, un crayon et du papier pour noter tes phrases préférées et tes éclairs de génie, et bonne lecture et/ou bonne écoute !
Comment ta pratique d’enseignante a nourri ta pratique d’animatrice d’ateliers et vice versa ? Derrière “pratique”, je mets beaucoup de choses : c’est les questions que tu t’es posées, de posture, de cadre. Comment chaque activité a nourri l’autre ?
Alors déjà c’est rigolo, parce qu’il y a beaucoup de gens qui parlent de mes ateliers en disant mes “cours d’écriture”. Et à chaque fois, quelque chose se tend en moi, et en même temps, je ne les engueule pas parce que ce sont peut-être de futurs potentiels clients (rires) ! Je sens qu’il y a des gens qui arrivent avec cette impression que c’est un cours, et je dépense beaucoup d’énergie à déconstruire ça, et à expliquer que par ailleurs je donne des cours et que, vraiment, c’est pas du tout pareil. Dans les cours de Français Langue Étrangère, oui parfois j’ai raison et les étudiants ont tort, tout bêtement parce que j’enseigne une langue et que du coup, y a des règles, des choses qui sont correctes et des choses qui ne le sont pas (même s’il y a plein de choses entre les deux qui se discutent). Et ça, en atelier d’écriture, ça n’arrive pas !
Là où l’animation d’ateliers a nourri ma pratique enseignante, c’est dans le fait de laisser beaucoup de place à la créativité dans mes cours, de faire écrire les gens et de leur montrer qu’ils peuvent faire des choses avec les moyens qu’ils ont, et qu’ils peuvent être surpris eux-mêmes. Basé sur la bienveillance et la confiance et le fait que, moi, je crois tellement en eux, qu’au bout d’un moment, c’est comme si ça les contaminait ! J’ose espérer que les gens ont aussi de la confiance en eux d’eux-mêmes, mais je crois qu’être encouragé-e est hyper important. Je vois en tout cas comment ça marche sur moi, et c’est aussi ce que j’expérimente sur les autres. Arf, “sur les autres”… bref, tu comprends. Je prends soin des gens aussi, c’est comme les canapés !
Ce que, de l’animation, j’ai pris pour l’enseignement, c’est donc la question de la posture, le fait de faire participer les gens, de partir aussi de ce qu’ils savent eux, plutôt que de transmettre quelque chose de manière verticale, sans avoir conscience de où sont les personnes en face de moi. L’idée est de construire en fonction de ce qu’elles savent et de ce qui les entoure, de leur cadre justement.
Et de l’enseignement vers l’animation, il y a vraiment la question de la vulgarisation et de la pédagogie, et du progressif. En FLE, il y a toujours cette idée de « par quoi tu démarres, quel est l’échauffement, comment tu amènes un point de grammaire, par quel document… », et ça a vraiment imprégné mes façons de préparer les ateliers . Je dirais donc le fait d’y aller progressivement, de vulgariser beaucoup. Je me suis rendu compte que les peurs des apprenants en FLE sont les mêmes que celles des gens en atelier qui parlent français : le fait d’avoir peur de faire des fautes, de pas avoir d’idées, de pas avoir d’imagination, c’est pareil ! Les outils que j’utilise en FLE, je peux les utiliser, en les adaptant, quand j’anime des ateliers d’écriture. C’est le même genre de dynamiques !
L’enseignement a aussi nourri ma capacité à tenir un cadre de temps en atelier. Quand t’as des étudiants face à toi, quand c’est l’heure, ils s’en vont ! Tu peux pas les retenir. Et je vois aussi comment des périodes courtes, ça peut dynamiser des cours et j’amène aussi beaucoup ça dans les ateliers.
Au moment d’enregistrer cette interview, Amélie lançait une nouvelle offre : l’Espace de curiosité, un temps de prise de recul sur sa pratique d’animateur-trice d’ateliers d’écriture.
Cet Espace de curiosité, c’est une première, c’est une nouvelle offre, qu’est-ce qui t’a donné l’impulsion de te lancer dans cette proposition ?
Alors, j’ai pas les idées moi, mais souvent quelqu’un me souffle un truc du genre “tu voudrais pas faire ça ?” et là par contre, je démarre au quart de tour. C’est arrivé avec toi sur L’étincelle. J’avais l’idée de faire un programme en ligne mais j’étais tétanisée et je savais pas ce qu’il y avait dedans. Et tu m’as appelée en disant : “si, moi j’ai une idée très précise, voilà ce que tu pourrais faire”, “et je veux l’acheter”. Et du coup, je l’ai fait ! Et j’ai adoré. Je suis partie de ton idée en tout cas pour le faire.
L’Espace de curiosité, c’est la même chose. Je racontais une expérience à une amie, et elle m’a dit “toi, tu voudrais pas animer un espace comme ça, entre pairs ?”. Au début, ma première réaction a été “Euh, ouais, nan, je sais pas”. Et en même temps, je sentais très fort que j’avais grave envie. Je sais pas à quoi c’est dû. Si c’est que je m’autorise pas à rêver un peu grand, et que du coup j’ai la chance d’avoir des supers ami-e-s qui voient mon potentiel et qui me disent “toi, tu pourrais faire un truc comme ça ?”. C’est comme si ça me donnait l’autorisation. Donc, je vais tout faire pour garder mes amies parce que c’est hyper précieux. Les amitiés, c’est vraiment mon système de soutien +++.
Tout ça pour dire que l’idée n’est pas venue directement via moi mais par une amie qui m’a suggéré de proposer un espace d’échanges entre pairs. J’avais déjà proposé des espaces d’échanges entre pairs, entrepreneur-e-s en fait, et dans un cadre gratuit, puisqu’on était au sein d’une coopérative, où j’ai animé des séances de co-développement, d’échanges de pratiques. Là, c’est de faire ça pour les animateurs-trices d’ateliers d’écriture, donc sur mon cœur de métier. Et c’est payant, parce que c’est une offre.
Et qu’est-ce qui a pu te freiner et comment tu as surmonté ces freins ?
Ce qui m’a freiné, c’est un syndrôme de l’imposteur maximal ! Notamment parce que les termes que j’avais en tête, c’était : « analyse de la pratique », et « co-développement ». Qui sont des choses que j’associe à la médecine et à la psychologie, et je ne suis ni médecin ni psy. Et aussi le fait de proposer quelque chose de payant, parce qu’en soi, je trouverais aussi cool que ces espaces-là existent de manière gratuite et accessible. Ce sont les 2 principales choses qui m’ont freinées.
Comment j’ai contourné ça ? En parlant avec des gens qui m’ont montré que je n’étais pas obligée de dire “analyse de la pratique” ou “co-développement”, et que d’ailleurs on n’allait pas faire que ça dans cet espace. Et si je ne suis ni médecin, ni psy, j’oubliais par contre que je m’étais formée à la gouvernance partagée, à la facilitation, à la communication non violente, à l’animation d’ateliers d’écriture, à plein de trucs qui faisaient que je pouvais complètement tenir un espace d’échanges de pratiques. Que j’avais plein d’autres compétences qui faisaient que j’étais légitime pour ouvrir et tenir le cadre de cet espace-là. Je crois ! Après, on verra la semaine prochaine !
L’autre truc, c’était aussi une discussion par rapport au nom. Trouver un nom qui me convienne, où j’ai pas l’impression de m’approprier un truc sur lequel je me sentirais pas légitime. Dans l’analyse de la pratique, par exemple, il faut que les propos soient étayés par beaucoup de références théoriques. Que je n’ai pas. Je suis pas hyper forte en théorie, j’ai une théorie… comment dire… empirique. Je lis beaucoup mais j’ai tendance à oublier. Trouver le nom, ça m’a permis de me dire… tu vois, “Espace de curiosité”, je me sens très à l’aise de tenir le cadre d’un espace de curiosité entre animateurs et animatrices d’ateliers d’écriture.
Ah, en trouvant le “nom” ! Au départ j’ai pensé que tu disais le “non”. Parce qu’au final, tu as réussi aussi à trouver ce que ça allait être en assumant ce que ça n’allait pas être. C’était aussi en repoussant ce que ça n’allait pas être que tu peux être à l’aise avec ce que tu proposes.
Oui, et ça pour le coup, c’est aussi que ça s’est construit par rapport à une expérience avec d’autres pairs dont j’attendais beaucoup et qui a été décevante pour moi. C’est ça que je débriefais en en parlant à cette amie qui m’a donné l’idée. J’avais l’impression qu’on était resté dans un espace tout petit par rapport à ce qui aurait pu se passer. J’étais frustrée, et j’avais l’impression que le cadre proposé ne m’allait pas. Du coup, je voyais clairement ce que moi j’avais envie de faire. Parfois, je me trouve hyper exigeante avec les formations que je suis, je trouve ça chiant, et en même temps ça me donne aussi des idées sur des choses que j’ai envie de faire et sur lesquelles j’avais pas encore mis de lumière.
Quels sont justement les problèmes de cadre que tu as pu identifier, au fil de tes expériences, en tant que formatrice et animatrice et en tant que participante à des formations ou ateliers ?
En fait, il y a un biais de la formation, que moi-même j’ai parfois, et avec lequel je me débats : quand tu travailles avec des gens qui sont eux-mêmes dans l’accompagnement, l’enseignement, la formation, tu te dis que tout ce que tu vas leur proposer, ils vont déjà connaître. J’ai ce biais quand je donne des formations à des enseignants de Français langue maternelle : je me dis qu’ils connaissent déjà tout. Si bien que j’ai l’impression que je dois aller vite. Et je vais pas prendre le temps comme je le fais d’habitude de poser les bases, poser mon cadre, de donner la définition que je mets derrière les choses dont on parle.
C’est une erreur que je peux faire de vouloir aller trop vite, de vouloir aller directement aux trucs « intéressants ». Sauf que non ! Parce que ce qui permet, pour moi, qu’une formation se passe bien, c’est qu’on sache ensemble d’où on part, et de quoi on parle. Donc, même s’il y a des outils qu’ils ont déjà utilisés, ma façon de les utiliser, d’en parler, ma façon de les adapter en fonction du niveau, tout ça va pouvoir leur donner aussi des billes. Et eux vont avoir l’espace de dire comment eux les utilisent. Je sais que c’est un truc auquel il faut que je fasse gaffe : “ok, Amélie, il y a peut-être des trucs qu’ils connaissent déjà, mais tu vas quand même prendre le temps, et aller moins vite”.
Typiquement, ça m’est arrivé à la dernière formation que j’ai donnée. C’était très drôle, parce que c’était vraiment un pied de nez à moi-même. J’ai eu cet empressement, en me disant “ah c’est des profs, faut vraiment que je leur donne de la matière, rapidement”. Donc je suis allée un peu vite sur mon cadre. Et par exemple, j’ai pas re-précisé les horaires. Et en fait… bah, on avait des horaires différents sur nos convocations ! Moi j’avais jusqu’à 17h30 et certains participants avaient jusqu’à 17h. Du coup, à 17h, moi j’avais pas du tout fini, il me restait une demi-heure, j’ai vu des gens qui commençaient un peu à ranger, à s’agiter. J’ai fini la formation avec la moitié des gens ! Et c’était très désagréable. À la fois pour eux, parce qu’ils avaient pas la fin d’une formation pensée dans sa globalité, et pour moi, parce c’est pas très agréable quand d’un coup, ton groupe est divisé par deux !
En sortant de là, je me suis dit : “Mais, Amélie, enfin ! vraiment ! Si tu avais besoin encore d’une preuve qu’il faut passer du temps sur ton cadre et que ce n’est pas du temps perdu : la voilà !”
Et en tant que participante ?
Et en tant que participante, j’observe la même chose quand l’intervenant-e de la formation part du présupposé que les participant-e-s connaissent déjà ce dont on parle / ce qu’on fait, et qu’il ou elle ne prend pas le temps de définir les termes, de poser le cadre. Dans ces cas-là, j’ai l’impression de ne pas savoir où je mets les pieds ! Quand je viens en formation, j’ai envie qu’on me dise : on va faire ça, puis ça et ça, et m’approprier ce cadre-là. Si on nous laisse plein de possibilités, et qu’on doit choisir ce qu’on veut faire, sans façon de décider vraiment, ça ne me parle pas du tout ! Du coup seuls ceux qui ont un avis, ou qui sont moins timides, vont prendre la parole… Je trouve que c’est une perte de temps. Et que ça crée du flottement. Et moi j’aime pas le flottement. En formation. C’est aussi un côté un peu contrôlant.
Et bah je suis en désaccord avec cette idée que de ne pas aimer le flottement, ça veut dire être hyper contrôlant. Moi, j’y vois au contraire un savoir-faire du rythme. Le flottement, c’est aussi un moment où tu laisses filer le rythme. Il est pas question de dire aux gens, de façon militaire, on fait ça et ça va se jouer en deux phrases puis on passera à ça, ça, ça. C’est le goût du rythme, qui est crucial dans l’animation, que ce soit de formations ou d’ateliers. Il y a quelque chose de la musique à ce moment-là. Le flottement, c’est comme si l’orchestre déraillait complètement. C’est le vécu que j’ai en tout cas, et ça peut être très désagréable.
En communication non violente (CNV), il y a un besoin qui me parle tellement fort, c’est : “préservation du temps, de l’énergie et des ressources”. Pour moi, ce besoin, il est criant tout le temps ! Dès que je suis dans un endroit, par exemple une réunion sans objectif clair, où j’ai l’impression qu’on me mange du temps, ça me rend dingo ! En formation, si je ne vois pas où on va, je n’y arrive pas.
Et toujours sur la question du flottement, si on nous demande par exemple, en tant que participant-e, de réagir à des situations, de faire des retours à une personne, il faut qu’on ait assez d’infos sur le type de réactions et de retours attendus de notre part. Je crois que c’est une chose que j’ai beaucoup apprise en CNV, et en coaching. Pour cette préservation du temps, de l’énergie et des ressources, de quel genre de retours cette personne a-t-elle besoin pour que ce soit ajusté ? Faire des retours, c’est pas simple. Donc si on peut faire des retours un peu ciblés par rapport aux besoins de la personne, franchement, ça arrange tout le monde. Se prendre des retours qu’on n’a pas sollicités, c’est hyper désagréable, et ça sert à rien. Car on peut soit mal les prendre, soit ne pas les entendre. Et pour la personne qui fait des retours, ça demande du temps, de l’énergie, etc. Alors les faire quand on sait que c’est pas ce que la personne veut, ou que c’est à côté de la plaque, ça sert à rien. Si je ne sais pas ce qu’on attend de moi, et qu’on sollicite mon retour, ma réaction, comme j’ai peur de mal faire, je fais pas ! C’est important, parmi les éléments de cadrage, d’avoir des objectifs clairs.
J’en parlais avec une amie l’autre jour, on se faisait la réflexion que comme on était un peu des obsédées du cadre, finalement on créait plein d’espaces qu’on cadrait nous-mêmes pour que les choses s’y passent bien ! Et c’est vrai. Par exemple j’organise des soirées “Filles avec un cerveau (chacune)” alors que ce serait difficile pour moi d’aller à ce genre de soirées organisées par d’autres. Et toutes les personnes qui viennent me disent qu’elles sont hyper introverties, hyper stressées mais qu’elles savent que ça va bien se passer. Je trouve que c’est un super beau cadeau qu’on me dise ça ! Effectivement, c’est des supers soirées, on passe de supers moments, parce qu’il y a un cadre qui fait qu’on va directement aller dans de l’authenticité, et dans de l’intime si on veut, il n’y aura pas de jugement, et ça va faire du bien en fait. On mange bien, et ça fait du bon au cœur en même temps.
Tu parles d’endroits où on va pouvoir être authentiques, être intimes, si on veut, sans jugement, et j’aime bien ce paradoxe : pour pouvoir avoir cette étendue de liberté, pour pouvoir se sentir super libres, pour qu’émergent de soi des choses inattendues, il faut en fait beaucoup de cadrage ! On pourrait penser que c’est l’inverse, spontanément. Je pense que c’est peut-être l’erreur que certains font. En voulant laisser beaucoup de champ libre, de penser qu’il faut peu jalonner, peu baliser, peu cadrer en fait, car sinon on étoufferait quelque chose. Mais j’ai vraiment l’impression qu’au contraire, parce que c’est bien cadré, c’est pas étouffant, et il y a 10 fois plus de liberté. C’est quelque chose d’hyper ténu, d’équilibriste. C’est de la dentelle. Et je pense que ça fait partie des choses que tu arrives à faire. J’ai pas vraiment de question là, je déblatère…
En fait, c’est hyper intéressant parce que ça me fait penser à ta première question sur la façon dont ma pratique d’animatrice d’ateliers a nourri ma pratique d’enseignement. Et là ce qui me vient évidemment, c’est l’OuLiPo (l’Ouvroir de Littérature Potentielle). Les premiers ateliers que j’ai animés, c’était dans le cadre d’un festival de poésie oulipienne, même si mes ateliers étaient pas, en soi, oulipiens. J’ai participé à beaucoup d’ateliers oulipiens. Et même si mes ateliers ne le sont pas, j’ai gardé ce truc de la contrainte qui libère la créativité ! Alors pas aussi fort que dans l’OuLiPo, quand il s’agit d’écrire des livres sans la lettre “e” pour reprendre l’exemple le plus connu, mais j’ai gardé ce truc d’avoir une forme, contrainte, au sein de laquelle les gens vont pouvoir exprimer leur créativité. Pour moi, c’est une base de l’atelier d’écriture. Et c’est pour ça que je fais écrire les gens en 12 minutes, en 15 minutes, en 9 minutes. On en parlait encore hier soir en atelier : ça permet vraiment de faire taire les voix qui jugent, et de démarrer quelque chose. De passer à l’action ! Je pense que le cadre, et la contrainte (dans l’emploi littéraire du mot), ces balises-là, elles sont hyper importantes pour que les gens n’aient pas à se soucier de ça.
Je vois en tant que participante, quand le cadre n’est pas posé, ou mal posé, que j’ai trop de questions à résoudre dans ma tête pour pouvoir me concentrer sur ce qu’on est venus faire. Il n’y a plus d’espace pour ça. Pour moi, le cadre, c’est résoudre les questions des gens, pour qu’ils puissent se concentrer sur ce pour quoi ils sont là.
C’est un super résumé. C’est vraiment ce que tu portes, toi, pour que d’autres n’aient pas à le porter, c’est une façon de les libérer pour qu’ils mettent leur énergie là où c’est important de la mettre.
Mais on en parlait avec mon amoureux qui a fait une expérience que je trouve intéressante, et vers laquelle j’aimerais bien me diriger dans certains contextes. C’est le fait d’être co-responsables du cadre. Il me parlait d’une expérience du Travail qui Relie. Une fois le cadre posé, chacun-e est responsable du cadre, et chacun-e est responsable de dire quand quelque chose ne va pas. Je sens que je gagnerais à faire plus ça. Un de mes défauts, ça peut être de vouloir trop porter pour les autres. Et de me sentir responsable de leur bien-être. Et typiquement, on apprend en CNV qu’on n’est pas responsable des émotions des autres. Nous, on peut tenir un cadre, mais après c’est à chacun-e de… Et je trouve que de le formuler, de dire que chacun-e est co-responsable du cadre, c’est intéressant et c’est une chose que j’ai pas encore beaucoup expérimentée. Je le ferai peut-être à la prochaine soirée “Filles avec un cerveau (chacune)”. En formation, j’ai pas encore eu l’opportunité de dire ça. Peut-être que je le ferai dans l’Espace de curiosité.
Oui ! Et pour moi, ça fait partie du cadre. Ça peut faire partie du cadre que d’inviter les gens à s’en saisir. Et à nouveau, beaucoup de finesse parce qu’il faut savoir clairement : quelle est la contribution qu’on leur demande ? Ça se nomme, ça se dit.
Oui, je vois que ça peut être fait de manière très simple. En début d’année, dans mon groupe de pratique de CNV, la formatrice nous a dit : voilà ce qui est important pour moi qu’il y ait dans le cadre (bienveillance, etc.). On a discuté des mots pour voir si on était d’accord avec eux, et elle nous a demandé s’il y avait des mots qu’on voulait ajouter. Mais ça, c’est une co-construction du cadre. Je trouve que c’est encore différent de dire qu’on est co-responsables du cadre…
Et je me rends compte qu’en atelier maintenant, notamment en ligne, je leur dis : faites tout ce qu’il faut pour que vous vous sentiez bien. Par exemple, vous pouvez ne pas écrire si ça vous fait plus de bien qu’écrire. Oui, l’idée c’est de redonner du pouvoir aux gens.
Oui, et c’est en ça je trouve que dans tes expériences du cadre, comment tu l’ajustes, comment tu y réfléchis, on n’est pas dans quelque chose de contrôlant ! Puisque le but du cadre, c’est de donner du pouvoir aux gens, de leur laisser le bon espace.
Quelles autres choses sont importantes pour toi dans les cadres que tu crées, les ateliers d’écriture, l’Espace de curiosité, les formations ? Les choses auxquelles tu veux être attentive, ce qui fait pour toi partie d’un bon cadre ?
Je crois que le truc le plus important, c’est de parler en “je”. Mon expérience est valable pour moi, et c’est tout. Dans les ateliers, c’est un peu moins pertinent, mais dans des espaces de formation et d’échanges de pratique, c’est hyper important de pas transformer les choses en injonction (si ça a marché pour moi, ça marchera pour toi). Dans les formulations, il y a une subtilité entre le partage de ma propre expérience et l’injonction de : il faut que tu fasses comme ça, t’as qu’à faire comme ça.
Et ça va avec : l’écoute et la bienveillance. C’est ce que j’adore dans le co-développement, les exercices d’écoute, où la personne te raconte quelque chose et tu ne peux pas répondre pendant tout ce temps-là. Je trouve très intéressant ce que ça permet à l’autre, d’être entendu-e, sans être interrompu, et à soi aussi de voir comment ça peut s’agiter dans notre tête (“oh faut que je pense à lui dire ça, ça, ça !”, “oh mais là je veux réagir comme ci, comme ça !”). Souvent l’intention est hyper bienveillante. Mais ça apprend à laisser de l’espace, et du temps.
Le cadre aussi, c’est par rapport au temps et au rythme. De prendre soin d’arriver ensemble, d’atterrir ensemble, et de clôturer. J’ai besoin de savoir comment les gens repartent, avec quoi ils repartent, j’ai besoin que le groupe existe à l’instant T même si les gens ne se connaissent pas. Quand je dis “j’ai besoin”, enfin, c’est surtout que je vois que c’est ça qui marche ! Souvent, il y a cette idée que les tours de parole pour se présenter, ça prend du temps, ça prend trop de temps. Alors oui, un tour de parole pas cadré où des gens se lancent pour 45’, c’est très chiant et c’est pas simple à cadrer… mais c’est une chose sur laquelle je refuse de négocier. Parce que ça permet tellement de faire groupe. Ça dépend évidemment de la façon dont c’est fait. Mais il y a tellement moyen de créer du groupe à cet endroit-là. Et quand on se retrouve pour une formation ou un atelier, c’est aussi ce qu’on vient chercher : le groupe ! Sinon on fait un accompagnement individuel, des formations sur internet… Et si on vient chercher du groupe, il faut… enfin “il faut”… moi je veux en tout cas créer du groupe.
Et créer du groupe, pour moi, c’est créer un espace où les gens se sentent de parler s’ils en ont envie, et où leur parole est la bienvenue et entendue, et où ce sera horizontal. C’est pas moi qui viens délivrer des trucs. Même en formation, où, oui, je partage mon expérience, je cherche surtout des espaces qui permettent aux participant-e-s de partager leurs expériences. C’est intéressant de trouver comment valoriser ça. L’horizontalité, c’est dire que mon expérience ne vaut pas plus que celle des participant-e-s.
Le cadre, c’est aussi re-souligner la responsabilité, la souveraineté de chacun-e par rapport à ses besoins, ses émotions. C’est extrêmement empouvoirant pour les autres et reposant pour soi, de ne pas prendre en charge les besoins des autres, ni leurs émotions.
Et autre ingrédient du cadre : c’est la confidentialité de ce qui s’y passe ! Je pense notamment à l’Espace de curiosité et à un accompagnement de groupe sur plusieurs mois que je proposais. La confidentialité par rapport aux projets des autres. Un jour, dans le groupe facebook d’un de mes programmes en ligne, où les gens pouvaient partager leurs textes, une personne m’avait écrit pour me dire que ça la stressait de poster dans le groupe, ne sachant pas ce que les textes deviendraient, ni qui était dans ce groupe. On en a discuté, je lui ai demandé ce qui lui permettrait d’être à l’aise – si elle avait envie de poster ses textes, car je sentais que c’était quand même une envie qu’elle exprimait, même si quelque chose la freinait. Et en fait, on a juste rajouté dans le cadre, que j’avais déjà posté, que les textes appartenaient aux auteur-e-s, et que tout partage en dehors du groupe nécessitait leur accord. À partir de là, elle a posté ses textes. J’avais trouvé ça super qu’elle l’exprime, justement, et qu’on trouve une solution. Solution qui était en fait très simple à mettre en œuvre ! Oui, ça me paraissait évident, mais c’était pas nommé.
Et sur la confidentialité, ma formatrice de CNV dit un truc très chouette. Elle trouve que c’est hyper dur à tenir. Quand il s’est passé un truc, dans un groupe de pratique, où chacun-e amène des situations, et quand tu rentres chez toi, c’est très humain d’avoir envie d’en parler. D’abord, je trouve chouette qu’elle formule ça. Moi, ça m’arrive très souvent d’avoir envie de partager ce que j’ai vécu dans ce cadre. Et ce qu’elle propose, elle, c’est qu’on puisse en parler, sans qu’on puisse reconnaître la personne qui a évoqué la situation bien sûr, et il faut imaginer que la personne dont on parle pourrait être juste à côté de nous et devrait être complètement ok avec tout ce qu’on dit. Je trouve que c’est un bon entre-deux, pour pouvoir re-partager des choses qui se sont passées tout en préservant l’anonymat de la personne. Juste parce que c’est une expérience humaine de partager, et que ces partages peuvent nourrir d’autres discussions. Et ça implique, à nouveau, de parler en “je”.
Merci pour ça, très précieux ! Et ça fait vraiment écho à des choses pour moi, dans un des groupes de ma formation, où il y a un besoin de partager mais un enjeu de comment on en parle en dehors puisqu’on peut pas trop en parler non plus… Il faut être très délicat avec ça mais on sait pas trop comment. J’aime beaucoup là cette idée d’imaginer la personne à côté de soi.
Est-ce que tu peux nous parler des difficultés de “tenir le cadre” ? Comment tu tiens quand ça tient plus trop, quand ça chancelle ? Comment tu re-cadres ?
Oui, je trouve ça hyper dur ! Comme dans la vie en général. Dire les choses une fois, c’est pas forcément simple, et les re-dire parce que ce qu’on a dit n’a pas été respecté… arf.
Je trouve ça dur de re-cadrer. Les deux choses qui me permettent de le faire : c’est déjà de poser le cadre au début. C’est quelque chose que je ne faisais pas avant. Dans mes ateliers d’écriture, il n’y a pas de retours sur les textes. Je trouve que c’est pas l’endroit, à nouveau pour la préservation des ressources, du temps et de l’énergie dont on parlait. Si une personne veut retravailler son texte, c’est pas le moment, à chaud, après une écriture en quinze minutes, de recevoir des retours, au sein d’un groupe. Je suis pas confortable avec ça, ce serait super difficile d’être juste. Donc je ne fais pas de retours, si ce n’est souligner une expression qui m’a plu ou touchée. Et pendant longtemps, j’ai pas assumé ça. J’avais l’impression qu’il fallait dans un atelier d’écriture qu’il y ait des retours… Pourtant, il n’y en avait jamais, dans aucun des ateliers auxquels je participais. Je sais pas pourquoi, j’avais quand même l’impression que les autres faisaient des retours et moi pas. Du coup, quand j’avais de nouvelles personnes en atelier, j’étais hyper stressée quand venait le moment de la lecture des textes. Je me disais : les gens vont se rendre compte qu’il n’y a pas de retours, ça va être horrible, ils vont se lever en claquant la porte. Bref ! Et j’en parlais avec ma coloc’ de l’époque qui animait aussi des ateliers, qui m’a dit : pourquoi tu n’en parles pas dans ton cadre ? Et moi j’étais là : « Mon quoi ? ». Ahem. Voilà, c’est pour dire que j’ai quand même bien évolué sur la notion de cadre. Bon, c’était il y a 11 ans.
Cette discussion m’a permis de commencer à mettre un cadre, à expliquer comment ça allait fonctionner et pourquoi je faisais les choses comme je les faisais. Pas pour justifier, mais pour définir ce que je mets derrière l’idée d’atelier d’écriture, et ce que ça implique, notamment le fait qu’il n’y a pas de retours. Donc ce qui m’aide à tenir le cadre, c’est déjà de l’avoir posé au début. Par exemple, dans certains contextes, je peux dire : on va veiller à ce que chacun-e ait de l’espace de parole. Ou au contraire, si par exemple on n’a qu’une heure pour du co-développement, je préviens que je vais être hyper cadrante sur le temps parce qu’on en a peu, et que, du coup, je pourrai interrompre. Et à ce moment-là, ces préambules ne visent personne. Ça vise le groupe, ça englobe tout le monde. Et c’est pour le bon déroulé, au bénéfice du groupe. Et je trouve ça tellement plus facile, après, si quelqu’un sort du cadre, de dire : “comme je l’ai dit au début, là, je vais être chiante sur le temps, est-ce que tu peux juste finir ta phrase ?”. C’est beaucoup plus simple que si on n’a rien dit au début, et qu’il y a une personne qui prend plein de place et qu’il faut lui dire “excuse-moi, là, faudrait… faudrait… que tu termines”. Le cadre au début, c’est quelque chose de général, que tout le monde a entendu, et je demande à ce moment-là s’il y a des questions, s’il y a besoin d’ajouter autre chose. Tout le monde a en fait accepté. C’est beaucoup plus facile de faire ensuite un rappel à ça.
Et la deuxième chose qui m’aide, c’est de reconnecter au groupe et à l’objectif du groupe. Au lieu de me dire que c’est pas cool pour la personne, de craindre de la blesser, qu’elle le prenne mal (car je peux être vite dans ces pensées-là), me rappeler que je suis garante du bon fonctionnement du groupe. J’estime que ce bon fonctionnement du groupe passe par telle et telle chose, et alors je peux re-cadrer avec cette intention en tête, plutôt que de me dire que je vais blesser quelqu’un.
Après, tu sais jamais comment les autres vivent quelque chose… Parfois, tu peux te dire qu’une personne prend beaucoup trop de place, que le temps de parole n’est pas équitable, et finalement, à la clôture, des gens disent “ah j’ai adoré les interventions de cette personne”. Ça, c’est la magie de l’humain ! Ça m’est déjà arrivé de penser qu’il aurait fallu que je re-cadre à fond, et finalement, ce qui s’est passé était bénéfique pour le groupe. Ça questionne énormément.
Une troisième chose qui me vient. C’est un retour qu’on m’avait fait qui m’avait beaucoup touchée. C’était dans un accompagnement de groupe sur trois mois. Chaque personne avait un projet de texte, on faisait des temps ensemble qui étaient mi-ateliers d’écriture, mi-réflexions sur le processus, il y avait parfois des lectures de texte, parfois des temps d’échange. Et une participant-e qui m’avait fait un retour trop beau. Elle m’avait dit : “en fait, j’ai l’impression qu’avec toi, il y a toujours le temps pour que chaque personne ait le temps dont elle a besoin, même si ça semble sortir de ce que, toi, tu avais prévu, et à la fin, on a quand même l’imrpession de faire ce que tu avais prévu, sans avoir speedé.” J’étais très touchée que ce soit fluide pour elle. C’est un vrai truc. L’idée, c’est d’être flexible dans les propositions que j’ai prévues : par exemple, un truc prévu en 10 étapes (une même étape qui se répète), je sais que je peux le faire en 7, une proposition d’écriture sur 15 minutes, je sais que je peux raccourcir ou allonger le temps, il se passera d’autres choses. J’étais très contente de son retour parce que, pour moi, le temps, c’est un vrai enjeu de rythme. Je me prends beaucoup la tête sur “où vont aller les choses”, et “combien de temps ça va prendre”. Du coup, c’était très précieux pour moi qu’une personne me fasse ce retour qu’elle avait l’impression de toujours avoir le temps qu’il lui fallait. Vu l’énergie que je mets là-dedans, c’est cool que ça puisse être ressenti comme ça ! C’est le truc qui me stresse, la gestion du temps.
C’est ce que je trouve intéressant aussi dans l’Espace de curiosité que tu proposes, parce que c’est aussi la possibilité de mettre en mots des choses incorporées, qui finissent peut-être par être des habitudes un peu silencieuses, pas pensées, et qui font la richesse des pratiques et des choix de chacun-e.
Et pour revenir justement à cet Espace de curiosité, qu’est-ce qui t’appelait autant dans le terme de “curiosité” ? Quel lien tu fais entre ce mot et ce que tu comptes proposer ?
Je crois que ce que j’aime bien dans la curiosité, c’est qu’il n’y a pas de jugement. Par exemple, analyse de la pratique, c’est hyper intéressant comme processus, mais il y a l’idée qu’on amène des problématiques présentes pour soi et on va travailler dessus. Ça peut être intimidant. C’est hyper vulnérable en fait. Du coup, dans le terme de curiosité, ça pose qu’il s’est passé quelque chose, que c’est pas « bien » ou « mal » – la question, c’est pas “oh là là, je me suis planté”. Il s’est passé quelque chose, et à l’instant T, on a une façon de le regarder et de le raconter, et on va pouvoir aller le regarder autrement, du fait justement d’être plusieurs à le regarder en même temps. Et plusieurs, avec chacun-e des expériences différentes, un parcours différent, des références différentes. Liées à l’animation d’ateliers d’écriture, ou pas. C’est aussi des parcours de vie différents.
J’aime cette idée qu’il se passe un truc pas agréable, et plutôt que de le juger, est-ce que je peux juste regarder ce que c’est, et me dire “ah tiens, ok, t’es là, t’es pas hyper agréable. Qu’est-ce qui se passe si je te laisse juste être là ? Est-ce que d’un coup, je peux pencher la tête pour te regarder un peu différemment ?”. C’est beaucoup plus doux.
Et puis, curiosité, il y a un côté un peu mystérieux, excitant. Je l’ai vu dans l’atelier “Boîtes”, on avait des boîtes qu’on n’avait pas le droit d’ouvrir et on avait trop envie de savoir ce qu’il y avait dedans ! C’est aussi la curiosité dans ce sens-là : qu’est-ce qu’il y a là ? C’est quoi, ce truc ? C’est ce que j’aime dans la prise de recul… On est souvent la tête dans le guidon, et l’idée c’est de dézoomer un peu, de dire “ok il s’est passé ça, et du coup : quoi ?”.
Amélie Charcosset est autrice, animatrice d’ateliers d’écriture et enseignante de Français Langue Étrangère. Elle a publié son premier roman Je ne suis pas née ce matin en 2021, et elle est en train d’écrire le deuxième. Ah oui, et elle vit en Suisse, quand elle n’est pas (ce qui arrive souvent) en travadrouille ou en autorésidence d’écriture.
Et voici le deuxième épisode qui parle du vertige d’écrire un nouveau roman, de travail, de beaucoup de travail, de doutes et de magie, du NaNoWriMo, d’autorésidences, de réécriture et d’un rythme à soi.
Prends un fruit ou des biscuits, tes cliques, tes claques, et ton carnet : bonne écoute et/ou bonne lecture !
Une des choses que j’adore chez toi, c’est le fait que tu partages beaucoup le travail en train de se faire, donc tous tes processus de création et de décision, alors que ce soit via ta newsletter, via tes posts sur Tipeee, via ton blog : qu’est-ce que ça te permet, à toi, de faire ces partages sur le travail en train de se faire ? Et qu’est-ce que toi, tu aimes là-dedans ?
Alors, déjà, je le fais parce que j’adore lire ça chez les autres. Je me dis que si je le fais, peut-être que ça motivera d’autres gens à le faire aussi ! Parce que je trouve ça passionnant, fascinant.
Je le fais aussi de manière très égoïste parce c’est très motivant pour moi, ça me fait avancer. Pendant un temps, je pensais “le vrai écrivain” (déjà, forcément au masculin, à cette époque j’utilisais pas d’autres mots que “écrivain”), le vrai écrivain n’a besoin de personne, le vrai écrivain ne montre son texte que quand il est publié, et si ton manuscrit avait eu besoin du travail d’un éditeur, c’est vraiment que ton bouquin, ça n’allait pas. Evidemment, tout ça j’ai déconstruit. On parlait d’idées fausses, ça en fait partie aussi. Un texte est nourri de plein de choses, de plein de rencontres, de plein d’avis de plein de gens. Enfin “évidemment” ! Pour moi, en tout cas. Y a peut-être des gens qui cachent jusqu’à la version finale, mais moi j’ai vraiment accepté que le texte n’en était pas moins valable que s’il avait été fait uniquement par soi. Pour Je ne suis pas née ce matin [son premier roman], j’avais envoyé une trame détaillée à des ami-e-s en leur demandant leur avis, et une amie m’avait raconté qu’elle avait accompagné sa grand-mère en fin de vie et qu’une des choses qui l’avaient touchée super fort, c’était de lui avoir limé les ongles à ce moment-là et d’avoir eu cette relation au toucher, au fait de prendre soin. J’avais trouvé ça hyper beau, hyper fort, et c’est une chose à laquelle j’avais pas du tout pensé. Et je lui ai pris cette idée ! J’ai cette scène où Hannah lime les ongles de Margaux. À un moment, je me suis dit que cette idée n’était pas à moi, et subrepticement, que le livre n’était pas mon livre, c’était en réalité mon livre et le livre de ma pote qui m’a raconté que… Et en fait, j’adore ce passage et je crois que ce passage ajoute à leur relation, et qu’il a sa place dans le texte. Et donc, je raconte aussi le processus du travail en cours parce que le travail en cours s’enrichit beaucoup des échanges.
Sur Tipeee, je suis beaucoup plus vulnérable (dans le sens où c’est plus à l’instant T), que dans la newsletter où c’est souvent après avoir eu le temps de digérer les trucs. Mes newsletters commencent par “il y a quelque” temps”, “il y a six mois”, ça y est j’ai traversé, et c’est derrière ! Sur Tipeee, il y a vraiment plus de “en ce moment, c’est ça…”, en ce moment, c’est la lutte, en ce moment, c’est la joie, souvent c’est les deux en même temps. Parce que c’est une plus petite communauté, et je sais que les gens sont hyper bienveillants. Sur ma newsletter aussi, mais c’est pas le même espace.
Et puis, une autre raison, liée à une autre idée fausse, assez répandue : celle du talent ! « Il y a des gens qui auraient du talent et d’autres qui n’en auraient pas. Et seuls les gens qui ont du talent auraient intérêt à écrire, etc. » Je me rends bien compte, comme on dit, que c’est 5% de talent, 95% de travail. Et montrer le processus, c’est aussi montrer ça : c’est montrer tout ce par quoi on passe. Et c’est rigolo, sur Tipeee, un des commentaires qui revient souvent, c’est la persévérance. La première fois que j’ai lu ça, j’ai pensé : ah bon ? Et en fait, je réalise que : si. Régulièrement, je pars quelques jours pour écrire. Les gens demandent si c’était bien les vacances, et en fait, ben c’était pas des vacances, j’étais en train d’écrire. Et oui, c’est du boulot, oui !
Et enfin, une dernière raison, hyper pragmatique. C’est Austin Kleon qui encourage à partager ses processus de création (et lui le fait et c’est une de mes inspirations) si tu veux construire une communauté, avec des gens qui te lisent… Moi, vu mon temps d’écriture, si je ne partage des trucs que quand j’ai des romans finis, ça va être chaud ! Les gens, ils vont avoir le temps de m’oublier ! Tous les dix ans : “hey, j’ai un nouveau livre” ! Et donc, très pragmatiquement, c’est aussi pour garder le lien avec des gens qui ont aimé un texte, qui ont envie de suivre ce qui se passe, et de savoir ce qui se passera après.
Écrire le deuxième roman
Est-ce qu’il y a des endroits où t’as encore et toujours l’impression de repartir de zéro, d’être perpétuellement débutante ?
Pour écrire un livre, j’ai clairement l’impression de repartir de zéro. Recommencer un livre, je trouve que c’est vertigineux. Comment ai-je pu même réussir à le faire une fois ? C’est insurmontable. Mais bon, il y a quand même une partie de soi qui l’a fait, donc… ça doit être surmontable… quelque part.
Je voulais te demander justement : quelle différence pour toi entre écrire le premier livre et le deuxième livre ? Qu’est-ce que tu tires de cette expérience du premier pour le deuxième ?
Je pense, c’est le fait de voir que j’ai pu le faire une fois. Il y a quelque chose en moi qui fait que j’en ai fini un ! Après, quand tu te lances dans le premier, tu sais pas en fait, comment ça va être. C’est un peu juste l’excitation du truc. Puis, quand tu te lances dans le deuxième, bah, pfiou, tu sais… à quel point ça a été long, les montagnes russes de doute, de moments d’inaction, d’envies d’abandonner, d’à-quoi-bon, d’incertitudes, de “ça tient pas la route”, tout ça ! Régulièrement, je me demande pourquoi on fait ça. Et en fait, je vois. On en parlait la dernière fois : quand j’arrive à vraiment me mettre dedans, la magie de l’écriture, elle revient hyper vite, et du coup c’est hyper jouissif. C’est ça que je viens chercher ! Mais quand tu dé-zoomes un peu et que tu regardes tout le chemin, pfou… c’est quand même beaucoup de faire ça. Après, il y a plein de choses dans la vie qui sont “beaucoup”, que plein de gens font et que moi, je pourrais pas faire. Ça reste une condition très privilégiée, en tout cas la façon dont moi je le vis. Là, je te parle depuis une maison écologique où je passe 4 jours toute seule, au milieu des nuages : il y a pire comme setup.
Je ne suis pas née ce matin, c’était le premier roman que j’écrivais seule. Avant, j’avais quand même écrit d’autres choses qui ont été publiées, dont une nouvelle mais franchement, je ne me souviens même pas de l’écriture. C’était une nouvelle, c’est allé assez vite. J’ai pas du tout l’impression d’avoir traversé ces doutes-là, de cette manière-là. Le fait peut-être que c’était une commande même si j’étais très libre. La contrainte, c’était une nouvelle sous forme épistolaire et qui parlait de voyage, donc mes thématiques entrent assez facilement dans ces contraintes-là. J’ai pas trouvé ça douloureux, plein de doutes. Et le projet que j’avais fait avant, Nous sommes tous des faiseurs de ciel, un livre-boîte avec une photographe, il y a quand même eu des moments où on savait pas trop, et c’était difficile, mais peut-être que le fait que ce soit de la co-création, ça m’a semblé assez léger. Et puis ça a duré moins longtemps, ça s’est moins étiré dans le temps. Mais, pareil, c’était une commande, qui colle à mes sujets. Il y a peut-être quelque chose de différent dans le fait de faire venir quelque chose directement de soi.
Et, en plus, dans ma façon de fonctionner, c’est un processus où je ne sais pas encore ce que c’est avant de l’écrire. Ça prend beaucoup de temps de découvrir ce qu’on veut dire, et c’est pas toujours très agréable de se rendre compte de ce qu’on veut dire, on n’a pas forcément envie de travailler ça. Et en même temps, je sais qu’écrire, c’est ma façon de traverser les choses, de répondre à mes questions, et de grandir. C’est pour ça, aussi, que je le fais.
Et je rajoute une question, sur la différence entre le premier et le deuxième, c’est que, là finalement, il y a presque le poids de l’expérience du premier qui est plus un frein qu’un facilitateur pour l’écriture du deuxième parce qu’il y a ce souvenir du temps que ça prend, de l’énergie, du courage, de la persévérance que ça demande ! T’as plus cette innocence de la première fois. Mais en même temps, il y a ce souvenir de l’avoir réussi, qui peut être un facilitateur. Est-ce qu’il y a d’autres choses que ce souvenir mystérieux d’avoir réussi qui peuvent être des appuis aujourd’hui pour l’écriture du deuxième ?
Oui, typiquement, je me souviens du moment où j’ai trouvé la fin du texte, une fin avec laquelle j’avais lutté pendant hyper longtemps parce que je voyais trois options et aucune ne me convenait, je butais sur ces trois-là, je n’en voyais aucune autre possible. Soit une happy end, soit une fin méga triste, soit une fin où on ne sait pas et on laisse le lecteur deviner, et je trouvais ça horrible de faire ça, et pas du tout fair de la part de l’auteur-e. Je me disais, j’ai pas envie d’une happy end, même si j’aime beaucoup les fins heureuses, mais là je voyais pas comment la faire sans que ça fasse cheesy, niais. Je voulais pas écrire un truc triste parce que tout est déjà triste et mon but n’est pas d’écrire un truc qui enfonce les lecteurs et lectrices. Mon but c’est aussi d’écrire des livres qui… bon, qui aident à vivre, c’est peut-être un peu prétentieux mais il y a quand même un peu cette idée-là. En tout cas, qui accompagnent, pas qui enfoncent. J’arrivais pas à voir d’autres options, j’ai lutté avec cette idée de fin pendant super longtemps. Et quand j’ai trouvé… j’ai hyper envie de revivre un truc comme ça ! Et d’ailleurs on le revit à plein de moments dans une autre mesure dans l’écriture. Les moments où il y a des liens qui se font au-delà de soi. Il y a vraiment un truc de magie, comme si les pièces s’emboîtaient, et je me dis “Han ! Mais évidemment, que ça, ça va avec ça !”, alors que je l’avais pas vu avant. Et je trouve ça trop bon !
L’autre truc qui me vient, c’est sur les retours que j’ai eus. C’est pas sur l’écriture, mais c’est aussi un appui de voir qu’il y a des gens que cette histoire a accompagnés, j’ai eu des récits qui m’ont beaucoup touchée sur ce que le texte avait pu faire pour eux, avec cette idée que la fiction est parfois très proche du réel. Parce que c’est une histoire de fiction pour moi, ces deux amies dont une dans le coma, et des gens qui avaient vécu ce genre de choses m’ont écrit. C’était fort pour moi de lire qu’ils avaient pu se retrouver là-dedans et panser aussi des choses pour eux.
Tout ça, oui, me donne envie d’écrire celui que j’écris maintenant. De me dire qu’au-delà du fait de m’aider moi à traverser des choses, peut-être qu’il pourra aussi aider… Aider, c’est un grand mot, je sais pas… peut-être, qui “accompagne”. Qui accompagne un peu…
Après je pense aussi à l’émulation, de faire lire d’autres personnes, de retravailler avec les commentaires des autres, de reprendre un texte, et de chercher. La recherche aussi je crois ! Parce que j’ai eu plusieurs relectures avec des retours que j’entendais et que pour autant, je ne savais pas comment appliquer au texte, au moment où je les recevais. Ce qui est normal en fait : il faut du temps. Il y a cette période-là, la recherche ! Comment est-ce que j’intègre ce qu’on m’a dit, est-ce que j’intègre ce qu’on m’a dit, est-ce que je sens que c’est juste, ou est-ce qu’en fait non ? Tous ces choix-là. Comment tu viens ciseler la langue pour être au plus près de ce que tu veux dire. J’ai adoré ce travail de ré-écriture finale ! J’ai vachement lutté pour trouver l’entrée dans le texte, mais une fois que j’ai trouvé mon “truc”, j’ai vraiment aimé en fait. J’ai hâte de quand j’en serai là. Pour l’instant, j’en suis pas là.
Mais je suis moins “dans le dur” qu’il y a un an, où je me disais “non non non je veux pas écrire là-dessus, non non non non non” et c’était pas très constructif. Là, ok j’écris sur l’inceste, ok c’est dur, ok là c’est le moment pas très agréable où je dois écrire telle scène. Et en même temps, mon énergie, elle est dirigée dans une direction. Avant, quand le sujet était là mais que je n’y allais pas, j’étais beaucoup plus tiraillée ! Donc oui, c’est dur, mais en même temps, c’est moins dur qu’il y a un an.
Et dans ta façon d’organiser ton écriture, est-ce qu’il y a des choses que tu tires de l’expérience du premier ? Par exemple, les autorésidences, elles ont commencé pendant le premier, non ?
Les autorésidences, elles ont commencé pour le deuxième mais par contre les résidences avec des amies, oui, ça a commencé pendant le premier. Et clairement, c’est les résidences avec les amies qui m’ont fait dire à un moment : pourquoi je fais pas plus ça ? Ces moments-là sont tellement précieux. À un moment, je faisais une formation sur mon entreprise et mon modèle économique, avec toutes ces questions bateau, « qu’est-ce que tu ferais si tu n’avais pas à te soucier de l’argent ? », bah je crois que j’irais écrire dans des lieux, pas chez moi, toute seule quelques jours. Le fait de le formuler m’a fait prendre conscience que je pouvais le faire ! Je pouvais réorganiser mon budget, réorganiser une partie de mon temps pour faire ça. La graine, c’était vraiment les résidences avec les amies.
Ce que j’ai appris aussi, c’est que je découvre le texte au fur et à mesure qu’il s‘écrit. Et du coup dans Je ne suis pas née ce matin, il y a des morceaux que j’ai écrits, je pense, avec des propositions d’ateliers. Et pour le coup, pour le texte en cours, j’ai beaucoup écrit via des propositions d’atelier, créées par moi-même la plupart du temps – c’est un excellent subterfuge de mon propre cerveau !
Le NaNoWriMo : la fausse mauvaise idée
Et pour le premier, il y a deux fois où j’ai participé au NaNoWriMo. J’ai pas fait jusqu’au bout mais ça m’a permis d’accumuler pas mal de matière. Le NaNoWriMo, c’est un challenge d’écriture, où on écrit 50 000 mots au mois de novembre. Ce qui fait beaucoup de mots. Et donc à chaque fois, j’ai pas fait 50 000, mais j’ai quand même accumulé de la matière en faisant 20 000 ou 16 000. De la matière que j’ai énormément coupée mais qui m’a permis de poser certains jalons dans le texte.
Mais justement, j’avais écrit tellement de texte inutile pour Je ne suis pas née ce matin via le Nano, je me suis dit pour le texte en cours “je vais plus faire ça, je veux plus faire le Nano, je vais juste écrire des trucs où les mots seront directement pensés”. Dans le Nano, l’idée c’est : t’amasses des mots et tu vois après. Et j’ai tellement dû couper ! J’ai ré-écrit plusieurs fois, pour enlever, enlever, enlever. À un moment, j’ai pensé que c’était contre-productif de faire le Nano.
Du coup, dans le deuxième livre, je me suis un peu lancée en mode : je vais pas faire le Nano, chaque phrase va être réfléchie dès le début, comme ça j’aurai beaucoup moins à couper, etc. Ça n’a pas du tout marché ! En fait, ça m’a plus freiné qu’autre chose. Comme je savais pas encore ce que je voulais dire, bah… ciseler chaque phrase c’était un peu compliqué. Ça m’a pris du temps… justement parce que je me disais : je vais apprendre de mon expérience du premier. Peut-être que pour le troisième, j’aurai appris ça ! Alors, j’ai pas refait le Nano, mais par contre je m’autorise plus à écrire des choses où je sais pas où ça va et peut-être qu’il n’y a rien que j’en tirerai.
Ça fait vraiment écho à un truc qu’on voit en psycho du langage en ce moment : dire quelque chose c’est ouvrir la possibilité de dire autre chose, c’est-à-dire que c’est un point de départ pour pouvoir sauter dessus, ajouter. On le sait intuitivement, parce que quand on parle, une fois qu’on a dit quelque chose, c’est un nouveau point de départ pour aller ailleurs. On a fait un bout de chemin, et d’autres chemins s’ouvrent, qui ne se seraient pas ouverts si on n’avait pas dit cette première chose. Et du coup, dans l’écriture, ce que tu décris sur ton expérience d’avoir osé écrire de la matière, même si finalement elle est pas restée, bah c’était toujours de la matière pour pouvoir en créer d’autre derrière. Et oui, c’est précieux ! S’autoriser ces choses qui vont peut-être pas rester mais qui sont des chemins pour d’autres chemins.
Carrément, et ce que tu dis, ça me fait penser qu’écrire ce premier livre, il permet aussi que le deuxième puisse être écrit en fait !
Déjà dans le premier, ça a réparé des choses pour moi d’écrire ce texte, mais je pense que j’aurais pas pu… enfin, le sujet que j’aborde maintenant, il était hors de mon champ de… pas de conception mais de… possibilité d’accès.
Et c’est hyper tard finalement que j’ai fait le lien, par exemple, que ces deux textes parlaient de la mémoire. Dans le premier, c’est comment deux personnes ont vécu la même chose et quand une personne n’est pas là pour raconter ce qu’elle a vécu, comment tu te fais des films tout seul dans ta tête. Et le deuxième, c’est aussi là-dessus, c’est sur la remontée des souvenirs, qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui ne l’est pas, qu’est-ce qui est déformé. Je vois que je peux écrire ça parce que j’ai déjà déblayé un peu ce sujet dans le premier, même si c’est sur un sujet plus difficile encore cette fois.
Ce que tu dis, de dire quelque chose c’est ouvrir la possibilité de dire autre chose, ça me parle vraiment aussi pour ça ! Et du coup, il y a aussi cette curiosité : qu’est-ce que ce sera, le livre d’après ? C’est quoi le champ auquel pour l’instant je suis incapable de penser parce que, juste, ça n’existe pas encore dans ma tête ou dans mon univers, ou alors de façon très inconsciente. Là, ça existait, mais ça n’affleurait pas.
S’autoriser les autorésidences
Avant qu’on lance l’enregistrement, tu disais que d’autorésidence en autorésidence, tu faisais des ajustements, en observant ton fonctionnement, des ajustements sur ta façon d’habiter cette autorésidence, ta façon d’y travailler. Est-ce qu’il y a des choses que tu peux partager là-dessus ?
Oui, déjà le lieu de l’autorésidence, j’ai testé des choses en village, plutôt hameau, et des choses plus en ville. Je vois que la ville, à l’endroit où j’en suis du texte, ça me convient pas du tout, j’ai pas du tout envie de ça. J’ai plus envie d’être toute seule quelque part, paumée. Même si ça demande un peu plus de logistique.
J’ai fait une ou deux fois chez des amis, qui faisaient autre chose, qui étaient eux dans leur quotidien. J’étais hyper contente de les voir mais assez rapidement, je me suis dit que c’était plus un moment où j’allais voir mes amis qu’un moment où j’allais travailler sur mon texte. Ce que j’aime dans les autorésidences, c’est de pouvoir composer juste avec moi, et de pas devoir suivre un rythme. C’est ça le luxe du truc ! Si je veux manger à deux heures du mat’ parce que j’ai écrit toute la soirée – bon ça m’est jamais arrivé mais admettons -, ou de manger à 15h parce qu’avant je suis absorbée dans un truc, ou si je veux me remettre à écrire à 21h, c’est possible !
Il y a plusieurs autorésidences où mon amoureux m’a rejoint pour le week-end, et plusieurs fois j’ai trouvé difficile de l’accueillir dans un espace où j’avais été toute seule et où j’avais écrit. Sachant qu’on ne parle pas beaucoup de mon travail d’écriture entre nous, parce qu’il aime pas les histoires tristes, alors c’est un peu difficile de lui parler de mon texte. C’est pas l’endroit où on se retrouve trop, mais il est hyper soutenant sur les autorésidences, et sur mon travail en général, mais il y a d’autres ami-e-s avec qui je parle beaucoup plus de mon texte par exemple. À la fois, j’étais très contente de finir l’autorésidence sur un week-end ensemble, et à la fois, j’ai trouvé que c’était pas si simple. Et donc, une fois, j’ai essayé de venir un jour plus tôt pour avoir un jour de plus et qu’il me rejoigne quand même à la fin de la semaine. J’ai trouvé que c’était mieux déjà, avoir eu un jour de plus me laissait vraiment de l’espace supplémentaire. Cette fois-là, par exemple, il m’a demandé s’il pouvait me rejoindre samedi et je lui ai dit non. J’ai un peu culpabilisé de lui dire non et en fait… pas très longtemps. Je sentais que j’avais envie de préserver ce temps-là et je trouve chouette qu’on puisse se dire ça aussi, et que ça puisse être entendu. Il a dit “ok, bah une autre fois”. C’est précieux.
Un autre truc, c’est pas tant sur l’organisation mais c’est sur l’autorisation en fait de ces autorésidences. Je vois à quel point quand j’en parle, plein de gens sont fascinés par le truc, toi et d’autres gens. Une copine notamment l’autre jour m’a envoyé un message : “regarde, je suis dans le train, je pars en autorésidence, devine grâce à qui ?” Je trouve génial que ça puisse semer des graines. Ça reste un luxe immense et je me sens extrêmement privilégiée de pouvoir faire ça, mais il y aussi un côté où (comme je disais tout à l’heure quand t’as pas encore accès à ce champ qu’est le sujet du prochain livre) : quand l’idée m’est venue qu’en fait je pourrais partir toute seule si je voulais, ensuite ça a été très simple de le faire. Mais j’y avais juste pas pensé. On n’apprend pas trop à prendre du temps pour soi, surtout quand on est socialisée en tant que femme, on est toujours à la disposition pour les autres. Et on est toujours pressé-e quand on est entrepreneur-e, on est toujours censé-e bosser 60h/semaine. Bon, moi, ça me parle pas du tout ! Juste me dire : oui, si je veux, je peux partir, me poser dans un lieu. Pas forcément payant. Il y a les échanges de maison, le groupe facebook “un endroit pour écrire” où des auteur-e-s quand iels sont pas là laissent leur appart.
Et s’ouvrir la possibilité fait venir des opportunités : moi, du coup, il y a des gens qui me disent, “ah en fait, si tu veux, j’ai tel lieu”. Mais c’est parce que je dis que je cherche souvent des lieux pour aller écrire que du coup, il y a des choses qui se passent ! Et ça, je trouve ça magique. Par exemple, au mois de septembre, je suis partie 8 jours, parce que c’était un lieu qu’on me prêtait, et que je pouvais me permettre du coup de partir aussi longtemps. Je vois que le fait d’en parler, ça ouvre des possibilités auxquelles j’aurais pas pensé avant.
Tu vois, c’est aussi ce qu’on disait sur l’histoire du processus, de pourquoi on documente le travail, bah c’est aussi parce qu’en parler ça peut aussi ouvrir des portes vers d’autres choses ! Au-delà de finir de réaliser le projet. C’est pas toujours simple. Ça peut être vulnérable. Mais c’est des belles choses à faire en tout cas. Quand on en a l’énergie ! Non mais c’est vrai. Faut pas que ça devienne une injonction : partager à tout prix, dire à tout prix nos projets alors qu’ils sont tout tremblotants et que ça nous fait complètement flipper. L’idée c’est pas de rajouter de ce qu’il faudrait faire. On a assez de ça. Je trouve que c’est des moments aussi… il y a des moments où on a plus l’énergie de passer ce coup de fil qui pendant 3 semaines nous a coûté…
Très d’accord et très précieux que tu précises effectivement de pas en faire un “il faut” de cette idée-là, qui est une chose chouette quand on le sent, quand on le peut, que c’est dommage de s’en priver s’il y a vraiment l’envie et l’énergie. De se censurer, ce serait bien dommage. Mais que ça ne devienne pas une obligation, un truc à rajouter sur la to-do list (…) Oui… oui… ça ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde.
« Les montagnes semblent transparentes, plus rien n’a d’épaisseur. Tout est comme une vision, une possibilité non encore réalisée. Si l’on veut peindre cela, il faut trouver l’expression qui suggère l’atmosphère, l’effet des couleurs. En aucune façon naturaliste. » Anna-Eva Bergman, 29 juillet 1950, voyage au cap Nord. Citée par carnetsdevy
tout est comme une vision, une possibilité non encore réalisée
///
Je ne sais pas vous, moi je tourne un peu en rond ces temps-ci. Par exemple, j’ai du mal à écrire. Les idées se bousculent, je les note en vrac, mais au moment de mettre tout ça en forme, je suis sec, vidé de toute énergie. J’écris tout de même. Seul chaque matin, avant le lever du jour, dans le bureau face à l’écran de mon ordinateur. Parfois, c’est deux heures pour une phrase, un simple paragraphe.
Comme j’ai un plan assez clair de là où je veux aller, je mesure le chemin encore à parcourir. Il est long. C’est, sous un ciel d’orage, sur un sentier escarpé que j’avance.
c’est, sous un ciel d’orage, sur un sentier escarpé que j’avance
///
The thing about writing and being influenced and living in this world and trying to get some of its weirdness down, is that we’re going to be coming at it from both similar and dissimilar angles from those attempting same. We all get to do it in our own way. And if you’re trying to get it down in your own way, please know that there is room for all of it. Just pour it down out of your paint can and drip it onto the canvas like Jackson Pollock. Or you know, just throw the paint at the canvas or also try just small brushes and many details. But do keep pouring it out of yourself. That’s the best advice I have for right now. Don’t worry if anyone will read it or publish it. Just create your weirdness and keep creating more. Transactions with Beauty
juste create your weirdness
///
“I’m writing about myself looking at paintings.” I told her. “And Sometimes at plants.” ”Is there an audience for that?” ”Im sure there is not.” ”What makes you do it, then?” ”My soul,” I said boldly. I didn’t care how it sounded. “I am stalking my own soul.” Amina Cain, Indelicacy, cité par Transactions with Beauty
stalking my own soul
///
LE GLISSANT non je n’ai pas raison c’est que ma voix qui traine là à démêler des ombres des bouts d’insaisissable et qui joue ni pour gagner ni pour perdre mais pour tenir sur le glissant du monde
On peut lire actuellement sur la page 2023 de l’évènement : “Ne vous arrêtez pas, ne vous arrêtez jamais.” Ça me questionne beaucoup aussi : c’est correct de s’asseoir faire une pause pour ne pas se brûler, d’accepter la déception de ce qui vient de se produire, de prendre le temps d’aller demander pourquoi est-ce que ça ne s’est pas passé, de libérer ses émotions maladroitement.
On croit souvent que les livres tombent du ciel ou qu’ils sont le fruit d’un labeur incessant. À mes yeux, ces deux méthodes, aussi fondées soient-elles, sont inaptes à témoigner de l’aventure. Nous avons besoin d’un bien curieux mélange, celui de la première phrase, de la grâce du ciel et de la terre et de l’ardeur des mains, sans omettre l’acuité du regard et celle des deux oreilles. Oui, sans rire, écrire est un travail à plein temps qui ne nous occupe que quelques heures durant la vie. Joël Vernet » Marcher est ma plus belle façon de vivre » ( La Rumeur libre 2021)
Les projets se bousculent dans ma tête. Rester concentré. Je sais que cette partie du jour vient tous les jours. Je vis dans le soupir de mon présent. Je dois continuer à avancer. Ne pas voir trop, avoir juste assez.
Boucler les derniers travaux avant de partir en vacances. Programme de nos actions culturelles de juin à décliner sous toutes ses formes. Imprimées et numériques. Lettre d’information, diaporama sur l’écran d’accueil et sur les automates de la bibliothèque. Me voilà déjà fin juin. L’été se profile. Hausse des températures. Le temps me dépasse. Il est temps de partir. Couper les ponts. Vivre nous commence. Les vacances éternelles, dit notre collègue qui part aujourd’hui à la retraite.
Amélie Charcosset est autrice, animatrice d’ateliers d’écriture et enseignante de Français Langue Étrangère. Elle a publié son premier roman Je ne suis pas née ce matin en 2021, et elle est en train d’écrire le deuxième. Ah oui, et elle vit en Suisse, quand elle n’est pas (ce qui arrive souvent) en travadrouille ou en autorésidence d’écriture.
Voici le premier épisode, qui parle d’écriture et de créativité, de compta et de canapés, de courage et de comparaison, de voyage à vélo et d’entrepreneuriat, de lumière, d’autocâlin et d’amitié.
Prends une tisane ou du champagne, et peut-être un jour de RTT : bonne écoute et/ou bonne lecture !
L’épisode 1 version audio
L’épisode 1 version texte (et petits audios)
C’est une interview sur tes thèmes d’atelier. Première question autour du thème “Boîtes”. Ça m’a évoqué, entre autres choses, les boîtes à idées. Comment tu fais quand tu as l’impression de ne pas avoir d’idées, que ce soit pour ta newsletter, ou pour continuer ton roman ? Est-ce que ça arrive d’abord : un peu, souvent ?
Ça m’arrive souvent, surtout pour la newsletter, et dans ce cas-là, je commence en général à écrire “je n’ai pas d’idées, j’en ai marre, qu’est-ce que je vais écrire, je sais pas quoi écrire”. Puis, pour la newsletter, je commence à raconter ma semaine et à un moment, il y a un truc saillant qui m’apparaît, soit quelque chose dont j’ai pris conscience, soit un truc que j’ai découvert et que j’ai envie de partager, plutôt culturel, soit une rencontre que j’ai faite. Vu que la newsletter s’appuie toujours sur ce qui se passe de vivant pour moi, parfois un peu à retardement, il y a cette idée de commencer à raconter comme si j’écrivais mon journal, pour en sortir ensuite ce qui pourrait être intéressant pour d’autres.
Et pour le roman, c’est un peu le même principe. Je réfléchis à ce que j’ai pu vivre que ma narratrice pourrait vivre aussi, et du coup je lui attribue et je démarre comme ça.
Deuxième question autour d’un autre thème qui est “Dedans-Dehors” : comment l’un et l’autre nourrissent ta créativité ?
Quand je me vois “dehors”, c’est sur mon vélo en train de pédaler sans but précis, il y a quelque chose qui s’apaise dedans. Qui permet au dedans de se déposer. Je suis un peu moins dans ma tête, c’est moins étroit. Le dehors nourrit ma créativité parce qu’il permet de décanter des choses, d’arrêter d’être en boucle. Et le “dedans”, c’est tout l’espace où je lis, où j’écoute des podcasts, où je dors, où je rêve, où je cuisine, et tout ça c’est des choses qui nourrissent ma créativité, me permettent de faire des liens, d’entretenir des relations entre les idées qui se baladent dans ma tête.
Sur le thème “Courage”, c’est quel courage, ça mobilise quel(s) courage(s) chez toi, d’écrire ?
Pour l’instant, je sais pas encore lequel mais ça en mobilise beaucoup ! C’est une belle question. Je lisais hier quelqu’un qui racontait que c’était tellement difficile d’écrire, et je me disais “oh oui oui oui, c’est vrai”. Et puis cette personne disait “mais bon je continue parce que j’aime trop cette stimulation intellectuelle, j’aime trop ce que ça fait, réfléchir aux liens dans l’histoire, à la structure, à ce qui se passe et découvrir les personnages”, et oui, c’est vrai aussi ! Évidemment, il y a une forme de courage qui est le courage de plonger en soi, de plonger dans la matière, de faire des trucs qui ne servent à rien (je prends plein de pincettes pour dire ça, mais j’ai quand même parfois cet “à quoi bon ?” qui me rattrape). En même temps, c’est aussi le courage de prendre le temps de la lenteur, dans un monde qui n’a pas trop le temps pour ça. Quand je vois le temps que ça me prend d’écrire un livre… pfiou…
Toujours sur le thème “Courage”, ça mobilise quel(s) courage(s) chez toi d’être entrepreneure ? Est-ce que ça te demande de dépasser des choses ?
C’est une question qui me challenge en ce moment, alors qu’être entrepreneure a toujours été, non pas simple mais de l’ordre de l’évidence. Bon, au début, j’étais indépendante parce que c’était le seul statut pour bosser dans le lieu où je travaillais. Mais je me suis appropriée cette identité et je l’adore. Mais en ce moment, je trouve ça dur. Je crois que ce qui est dur et le courage que ça demande, c’est de constater qu’un modèle qui a fonctionné pour moi à un moment ne fonctionne plus aussi bien, et qu’il y a des choses à modifier ou à ré-inventer alors que, moi, ces modèles, ils continuent de m’aller. Ça demande du courage d’accepter de changer des choses, sans savoir bien quoi, ni comment – alors qu’on les aime bien comme elles sont -, parce qu’elles ne produisent plus les résultats escomptés.
Et sinon, même s’il y a aussi beaucoup de joie, ça demande du courage de tester des trucs et que ça prenne pas, d’exposer ce qu’on a envie de faire et que les gens n’accrochent pas, des gens qu’on respecte, qu’on admire, qu’on apprécie. Ça demande du courage de se vendre, de vendre des prestations, d’affirmer des prix et de les défendre, de prendre conscience de sa valeur, de la valeur de ce qu’on propose. Ça demande du courage de faire de la compta !
Et ça demande du courage d’aller chercher des ressources pour nous aider, de ne pas rester seule, d’assumer d’avoir besoin d’aide pour certains trucs, de nos pairs, d’autres entrepreneur-e-s, y compris d’autres domaines.
Et moi ça me va très bien, mais quand j’en parle à l’extérieur, j’ai l’impression que c’est ça aussi que les gens trouvent courageux : c’est de décider pour soi-même. Je me lève, j’organise ma journée comme je veux, je travaille d’où je veux, si j’aime pas une offre, je peux l’arrêter (mais faut que j’en crée une nouvelle) : cette liberté-là. Je me dis toujours que je pourrais pas être salariée, mais souvent les gens me disent que c’est ça qui est courageux chez l’entrepreneur-e.
On part sur un autre thème : “les autres”. Beaucoup d’auteur-e-s parlent de la solitude dans le travail d’écriture, et c’est une chose qu’on ne ressent pas beaucoup en te lisant. Sans doute parce que tu as mis en place beaucoup de dispositifs pour ne pas être seule dans l’écriture, même s’il y a des phases solitaires. Quel est ton rapport aux autres et à la solitude, et notamment dans l’écriture ?
J’ai besoin d’être seule pour me ressourcer, je fais partie de la team introvertie. Mais la solitude est aussi une chose dans laquelle je peux me noyer… noyer c’est peut-être un peu fort… errer. Et ça rejoint ce que je disais avant sur le fait de demander de l’aide, de demander des contacts. C’est pas toujours simple mais j’ai vraiment appris à le faire. Et notamment, oui, dans l’écriture. Mon écriture, depuis longtemps, est très liée aux ateliers, donc à un espace où il y a des gens, d’autres personnes avec qui la partager. Et aujourd’hui, oui j’ai mis en place, comme tu dis, plein de dispositifs pour ne pas vivre cette solitude de l’écriture. Pour qu’elle soit choisie quand elle est là. Que ce soit pas là par défaut. Oui, j’ai des temps où je pars écrire toute seule quelques jours et qui me font un bien fou, mais parce que ce sont des moments choisis, où je sais que je vais être seule, tout en sachant que je peux faire appel justement à telle personne ou à tel cadre si jamais ça ne va pas.
Toujours sur le thème “les autres”, j’ai une autre question : est-ce que tu es humaine ? Est-ce qu’il t’arrive de te comparer aux autres, et de ressentir parfois, oh grands dieux, de la jalousie ? Si oui, de qui, de quoi, et qu’est-ce que tu fais de ça ? Comment tu te dépatouilles, toi, avec ça (si ça t’arrive, si tu es humaine) ?
Alors ça m’arrive hyper souvent, c’est drôle que tu sembles en douter ! De qui je suis jalouse ? Pfff… Je suis jalouse des gens qui ont écrit et publié des livres avant 30 ans. Mais la frontière est assez ténue : Clémentine Beauvais par exemple a 33 ans et a publié 35 bouquins, et je l’adore, je n’ai pas une once de jalousie envers elle. D’autres gens, qui ont publié avant 30 ans, ça m’agace beaucoup plus et je ne sais pas encore exactement la différence. [NDLR : Oh dommage, une partie de l’enregistrement a disparu. Censure ? Problème technique ? Nul ne sait.]. Ça c’était la première partie de ta question, de qui es-tu jalouse. Je crois que t’avais une partie : comment je m’en sors. Bah tu vois en m’en entendant parler… je ne m’en sors pas ! Alors, et comment je m’en sors ? J’essaie de pas trop être sur Instagram. Du coup j’y suis mais seulement en consommation. Mais c’est encore pire en fait, je viens juste lire ce que font les autres. C’est vraiment ce truc des réseaux sociaux où tu vois tout ce que font les autres et toi tu fais rien puisque t’as décidé de plus communiquer sur les réseaux.
Ce que je fais sinon…franchement, pas grand chose… J’ai rien de très convaincant. J’ai une boîte à compliments sur mon ordinateur, j’y range des captures d’écran de jolis mots que je reçois, que ce soit en retour de mon roman, ou à la fin des ateliers. J’en fais des copies, je les mets dans cette boîte numérique. Et parfois, je les lis. C’est pas tant quand je suis jalouse… c’est plus quand je me sens franchement nulle et inutile dans le monde que je reparcours ces phrases-là. Ça aide un peu.
[ERRATUM : en relisant l’entretien, Amélie précise qu’il s’agit d’une « boîte à confiance » et non d’une « boîte à compliments »]
On va vers les “Lucioles” : quelles sont tes plus grandes sources de lumière quand tu erres, quand tu doutes ?
Le premier truc qui me vient, c’est la tendresse. Je suis une grande fan de câlins. Le deuxième, c’est l’amitié. Et ça va ensemble mais amitiés féminines, parce que j’ai principalement des amies femmes. Et à nouveau : les livres !
C’est déjà un bon trio je trouve.
Sur le thème “Illusions” : quelles idées fausses tu avais, et qui se sont déconstruites au fil des années, sur l’écriture, sur la créativité, sur l’entrepreneuriat, ou sur toi-même ?
Ah, on peut faire 2h d’interview juste sur cette question ! J’ai l’impression que c’est un truc immense et que j’ai 60 000 réponses à te donner, mais par laquelle commencer ?
Une chose : ça m’a pris du temps d’accepter qu’on pouvait travailler dans des métiers créatifs / artistiques, et vouloir gagner sa vie, correctement, et gagner sa vie correctement. J’ai l’impression que c’est assez bien accepté et répandu que les deux ne sont pas compatibles. Ça me gave. Et ça me pose plein de questions et de débats intérieurs. Mais je vois aussi ce qu’il y a à déconstruire là-dedans pour pouvoir vivre aussi de ce qu’on aime faire et de ce qu’on fait.
Une autre idée fausse : je pensais, en écrivant mon premier roman, que j’avais ce livre-là à écrire et que probablement après je n’aurais rien d’autre, que j’aurais écrit tout ce que j’avais à écrire. Et finalement, assez rapidement, autre chose est venu. Pas tout de suite de manière claire. Des images qui ont commencé à se pointer. Et ce que j’ai découvert, c’est que le fait de vivre ajoute de la matière à ce qu’on a à écrire. Cette peur-là de ne plus avoir de choses à raconter après, je ne sais pas si elle a disparu… En tout cas, elle s’est atténuée. Même si je vois plein de liens entre le texte que j’écris maintenant et le roman précédent, je vois aussi que c’est un autre livre.
Sur la créativité, il y a beaucoup de choses qui ont bougé depuis longtemps. Que je vois souvent avec les participant-e-s aux ateliers. On a des images très figées de la créativité, et de ce à quoi devrait ressembler le travail d’écriture. Et notamment l’idée de choses très longues, avec une notion de sérieux, très appuyé, et d’effort. Je vais rien nier de tout ça, j’en ai parlé tout à l’heure, dans le sens où, oui, l’écriture est un processus long, que le livre que j’écris me demande beaucoup, me prend beaucoup d’énergie. Et à la fois, ce que je propose dans les ateliers, c’est de casser ça, et de permettre aux gens de découvrir qu’en 3 minutes, en 6 minutes, en 12 minutes, on écrit, il se passe des choses, il y a déjà des choses qui naissent, et que souvent la peur vient du fantasme, et de l’inaction. Quand on n’agit pas, on a tout le temps de penser. Et quand on agit, tout de suite le cerveau peut se ré-adapter à ce qui est en train de se passer concrètement, à l’instant T. Dans les ateliers, les personnes disent souvent qu’elles ne pensaient pas pouvoir écrire en si peu de temps, qu’elles sont surprises de voir ce qui s’est passé en 4 ou 8 minutes. J’adore quand on découvre des personnages. Quelqu’un qui dit “ah bah t’étais là, toi ?” en parlant d’un personnage qui n’existait pas quinze minutes plus tôt. Je trouve ça génial ! C’est ce à quoi j’ai envie de reconnecter les gens, les gens qui ont peur que la créativité, ce ne soit pas pour eux. Je pense que la créativité, elle est pour tout le monde, et accessible à tout le monde, c’est juste que c’est un muscle. C’est comme quand on fait du sport, on découvre des muscles qu’on pensait pas avoir. Là, c’est un peu pareil, il y a des trucs qui tirent le lendemain, et on se dit “ah tiens mais il y a un truc ici !”. Ça, c’est la créativité, quand on l’a jamais trop prise en compte avant !
Ce qui me fait penser à une autre idée fausse que j’avais : pendant extrêmement longtemps, j’étais persuadée que moi j’étais pas créative, alors qu’on me renvoyait quand même beaucoup le contraire. C’est parce que j’avais une définition très limitée de la créativité, qui était :
1) être très à l’aise dans tout ce qui est manuel, loisirs créatifs. Ça, pour moi : galère et inintérêt conséquent ! J’aime faire des collages mais sinon, c’est pas trop mon truc.
et 2) pour être créatif, je me disais qu’il fallait avoir mille idées à la seconde. En fait, moi j’ai pas du tout mille idées à la seconde. J’ai des idées qui prennent leur temps. Alors, parfois j’ai une idée comme ça, et en général, je n’en ai qu’une ! Je me disais du coup que j’étais pas créative. Ça a été du chemin de défaire ça, et d’embrasser les différentes formes de créativité que chacun-e a, et de pouvoir développer ça.
Alors, c’est pas tout à fait un thème d’atelier, c’est le nom d’un de tes programmes : “Matin Crayon”, et donc une question là-dessus, très pratique, sur ta façon de faire, c’est quoi pour toi les meilleurs espaces et temps pour écrire ? De quoi tu as besoin pour créer, quelles sont tes habitudes par rapport à ça ?
Je crois que je suis plutôt du matin. Je dis “je crois” parce que je suis dans un rythme de vie, comme je disais tout à l’heure, où j’ai pas forcément besoin de me lever tôt, et j’ai un amoureux qui est plutôt lève-tard, et il se trouve que mon bureau est juste à côté du lit. C’est assez fréquent que je commence la journée avec une forme de frustration parce que j’aimerais être à mon bureau plus tôt, et que je n’y suis pas. Du coup, je commence un peu dans le canapé. J’ai l’impression que ça ne me met pas vraiment dans l’élan. Quand je suis en autorésidence, toute seule, dans des espaces où je ne dois composer avec personne d’autre, je dirais que je suis plutôt du matin. J’écris souvent sur le canapé – enfin, sur mon ordinateur mais assise dans le canapé, parce que je respecte les canapés des airbnb !
Par contre, dans le roman que j’écris et avec lequel j’ai parfois l’impression d’entretenir une vraie lutte, je me suis aperçue qu’il y avait des passages dans lesquels j’arrivais à aller quand j’étais sur le point de m’endormir en fait, où il y avait quelque chose qui lâchait : t’as envie d’aller dormir, vas-y lâche ce truc qui est difficile à écrire et tu verras après. Du coup, il y a des scènes assez clés que j’ai écrites plutôt très tard. Donc pas du tout dans mes habitudes.
Et j’adorerais dire que j’aime écrire dans les cafés, mais en vrai j’arrive pas trop à me concentrer dans les cafés. Quand j’y vais, c ‘est plutôt pour faire des mails ou de la compta. Parce que la compta c’est tellement chiant, faut bien un café pour faire passer le truc !
À partir du nom d’un autre de tes programmes “L’étincelle” : tu écris ton 2e roman en ce moment, à quoi ça tient selon toi ces moments où ça fait des étincelles, où tu tiens quelque chose et te dis “ah oui là, c’est ça, c’est bon” ! Qu’est-ce qu’il y a dedans à ce moment-là ?
Je crois que ces moments-là, c’est quand l’écriture prend le pas sur ma tête. Il y a tout ce qu’on veut faire, tout ce qu’on projette de faire, tout ce qu’on décide de faire. Puis il y a les moments où l’écriture elle fait “Coucou ! Et si on faisait plutôt ça ?”. Ou bien quand deux trucs étaient pas du tout liés, et d’un coup, l’écriture en une phrase relie les deux, et tu te dis “ah mais oui, en fait… trop bien !”. Je crois que c’est ça : quand je suis surprise moi-même. L’étincelle, c’est cette surprise, cet étonnement. Et ce que je trouve absolument magique dans l’écriture, c’est que parfois je bouine sur le truc, j’ai du mal à m’y mettre, je procrastine à mort, et quand j’arrive à m’y mettre, ça prend genre 10 minutes avant qu’il y ait ce truc, c’est hyper rapide en fait ! Parfois oui, je galère 4 heures sur cinq phrases, mais quand même régulièrement, revient le plaisir de l’écriture, ce “ah mais en fait ce truc auquel j’avais pensé, il pourrait aller là”. Ou bien, moi, je joue beaucoup sur les sonorités proches entre les mots et c’est souvent qu’une idée me vient parce qu’elle est associée de manière phonétique à autre chose, et je me dis que c’est trop bien ce lien entre ces deux mots, c’est chouette ce qu’on va pouvoir en faire. J’ai l’impression que cet accès-là, il est rapide. Alors c’est peut-être parce que j’ai bouiné quatre heures avant, mais à chaque fois je me dis “bah ! franchement, t’aurais pu t’y mettre plus tôt !”. Voilà de quoi est faite l’étincelle.
5 mots qui qualifient ta relation à l’écriture en ce moment, aujourd’hui ou cette semaine, sur un présent très proche ?
Intimidante. Ample. Je cherche mes mots, je vois ce que je veux dire mais je cherche les mots qui disent ça. Incarnée. Et il y a quelque chose en contraste avec intimidante, quelque chose de ce qu’on disait tout à l’heure sur l’étincelle. Là j’ai réussi à contourner un blocage, à trouver une façon d’avancer dans un endroit où j’avais pas trop envie d’aller, donc il y a une forme de joie, de trouver… Il y a un peu une idée de corps-à-corps avec l’écriture quand même, dans ce que ça peut avoir de beau et de tendre, et aussi de violent. Surtout au vu des thèmes que je traite. Oui, voilà, corps-à-corps, ça fait trois d’un coup.
4 choses que tu as faites ou qui se sont passées en cette année 2022 et qui ont compté pour toi, et desquelles tu as peut-être appris des choses ?
J’ai fait un voyage à vélo toute seule, et ça m’a appris que j’en étais capable, et que ma façon de m’organiser était aussi valable que des façons que pourraient avoir d’autres gens. J’avais un peu oublié ça, je m’étais beaucoup reposée sur la façon d’organiser de mon amoureux, tout en me disant que je ne savais pas faire vu que je ne fais absolument pas comme lui. Voyager à vélo sans lui m’a permis de me rendre compte que ma façon de faire était tout aussi valable.
J’ai repris une thérapie. Qu’est-ce que ça m’a appris ? Beaucoup de choses. Ça m’a appris que les sujets qu’on croit avoir traités ne sont jamais tout à fait terminés. Je ne sais pas si c’est une bonne chose ! Et ça m’a appris que des parts de moi n’avaient pas été écoutées depuis longtemps. Voilà… processus en cours.
Qu’est-ce que j’ai fait d’autre ? J’ai refait mon site internet – enfin j’ai fait refaire mon site internet serait beaucoup plus juste. Ça m’a appris que mon positionnement s’était beaucoup affirmé depuis deux, trois ans, et que j’avais plus de finesse dans ma façon de dire et de faire. Et c’est assez drôle parce que quand je retombe sur des documents aux couleurs de mon ancien site, ça me paraît hyper criard, alors que j’ai adoré ce site et ces couleurs. Mais quand je les vois, j’ai vraiment l’impression que j’étais une enfant. Je suis beaucoup plus à l’aise aujourd’hui avec les couleurs du nouveau site.
Et 4 : [NDLR : Oups, encore une partie de l’enregistrement disparue.]
3 objets qui te mettent en joie ou symbolisent quelque chose d’important pour toi ? Idéalement des objets qui sont autour de toi.
Alors, le premier, c’est déjà un objet en trois parties. Ce sont trois figurines Lego, trois femmes. C’est mon amoureux qui me les a ramenées des Pays-Bas, où il les a fabriquées. Quand il me les a données, il m’a dit “C’est quoi leur point commun ?”. J’ai dit : “C’est des femmes”. Il a dit : “Oui, et puis elles portent toutes du violet, c’est des militantes de la grève féministe”. J’aime bien les avoir, là.
Le deuxième, c’est une petite poupée que ma grand-mère m’a offerte, en me disant “C’est ta poupée d’écriture, pour t’accompagner quand tu écris”. Ça m’a hyper touchée et émue. Du coup, elle est là sur mon bureau pour m’accompagner quand j’écris. C’est assez rigolo, parce que selon l’orientation dans laquelle je la mets, je peux vraiment avoir l’impression qu’elle me regarde. Genre, là, elle me regarde : ok, ok, je m’y mets.
La dernière chose, c’est une sérigraphie de Solange te parle, en duo avec Samuel Eckert. Je l’aime beaucoup. C’est une personne, de dos, il y a écrit autocâlin, et on voit juste ses mains qui accrochent son dos. Quand on écrit, et dans la vie en fait, qu’on écrive ou pas, c’est important cette idée d’autocâlin, d’autoempathie, et d’autocompassion. Je crois pas du tout que ce soit quelque chose d’égoïste et d’individualiste. Et moi, ça m’aide beaucoup d’avoir ça pas loin. Quand je fais des visios, je le vois, elle est derrière moi. Dans le texte que j’écris, il y a plein de moments où je me dis “passe pas en force, et là c’est ok d’avoir besoin d’un autocâlin”.
2 questions que tu pourrais te poser à toi-même en ce moment ?
De quoi as-tu vraiment envie ? Et qu’est-ce que tu peux faire pour t’aider à traverser les prochaines turbulences ?
Et 1 : si tu devais choisir une seule façon de dire ce que tu fais, une seule façon de te présenter ?
Je pars du présupposé que les histoires en chacun, chacune, peuvent aider à mieux vivre le monde.