Mercred’incipit – Ici ça va

« Ici ça va. La maison n’est pas toute neuve mais elle est propre et les plafonds sont hauts. Au moment où Ema a ouvert la porte grinçante, dont le bois humide avait gonflé autour des gonds et de la serrure, il y a eu comme un grand silence de poussière et de souvenirs. Les tomettes usées du sol, les toiles d’araignée qui voilent les fenêtres, l’odeur de renfermé, je ne sais pas pourquoi j’ai ressenti de la tendresse pour cet endroit. C’est plutôt bon signe. Il faudra se l’approprier bien sûr, reconstruire quelque chose, mais une fois que nous aurons tout installé, je pense que nous ne serons pas trop mal. C’est toujours mieux qu’avant. Et puis il y a la lumière. Omniprésente. On dirait parfois qu’elle monte de la terre. Avec le bruit de la rivière. Qui lui sert d’escalier. »

Ici ça va, Thomas Vinau, Alma éditeur, 2012

Incipit d’une lecture en cours, chaque mercredi, sur une idée de la Bibliothèque Roz

Mercred’incipit – Vraiment peindre

« Catherine Grenier : Commençons au tout début. Quel est le premier dessin que vous ayez fait dont vous vous souvenez?

Gérard Garouste : Le premier dessin dont je suis fier, c’est un avion dessiné en perspective. À l’école, j’ai eu des handicaps : je suis dyslexique et ça m’a toujours posé des problèmes vis-à-vis de mes études. Faire une addition, une division, m’angoissait terriblement. Mes parents s’inquiétaient de mon niveau d’intelligence, mais les maîtresses d’école leur disaient : « Non, je vous assure, il est intelligent, mais il est toujours dans la lune. » La seule chose qui me faisait exister par rapport à la maîtresse et à mes copains, c’était le dessin. Tous les enfants dessinent, mais je dessinais plus qu’eux, parce que pour moi c’était une question de survie. Le dessin me permettait d’avoir une identité. Eux, ils avaient des bonnes notes ; moi, j’existais par la qualité de mes dessins, donc je faisais plus d’efforts. Je ne crois pas du tout au don, c’est plutôt comme quelqu’un qui se noie et qui bouge les bras pour flotter. Pour moi, le dessin c’était ça et c’est le début de tout, car toute ma vie est basée là-dessus. »

Vraiment peindre, Gérard Garouste avec Catherine Grenier, Editions du Seuil, 2021

Incipit d’une lecture en cours, sur une idée de la Bibliothèque Roz

Mercred’incipit – Penser/Classer

La bibliothèque Roz propose de citer les premières phrases de sa lecture en cours. J’adore l’idée de son mercred’incipit, et voilà une douce façon de revenir par ici. C’est parti, même si on est déjà jeudi et que le livre est maintenant fini !

Penser classer de Perec

« Notes sur ce que je cherche

Si je tente de définir ce que j’ai cherché à faire depuis que j’ai commencé à écrire, la première idée qui me vient à l’esprit est que je n’ai jamais écrit deux livres semblables, que je n’ai jamais eu envie de répéter dans un livre une formule, un système ou une manière élaborés dans un livre précédent.

Cette versatilité systématique a plusieurs fois dérouté certains critiques soucieux de retrouver d’un livre à l’autre la « patte » de l’écrivain ; et sans doute a-t-elle aussi décontenancé quelques-uns de mes lecteurs. Elle m’a valu la réputation d’être une sorte d’ordinateur, une machine à produire des textes. Pour ma part, je me comparerais plutôt à un paysan qui cultiverait plusieurs champs ; dans l’un il ferait des betteraves, dans un autre de la luzerne, dans un troisième du mais, etc. De la même manière, les livres que j’ai écrits se rattachent à quatre champs différents, quatre modes d’interrogation qui posent peut-être en fin de compte la même question, mais la posent selon des perspectives particulières correspondant chaque fois pour moi à un autre type de travail littéraire. »

Penser/Classer de Georges Perec, 1985, 2003