La pratique des herbes fraîches

Dimanche, matin sous un ciel bleu, chanceux. Semaine ravagée d’effroi, de ruines. Et au milieu des voix du réel, celle de François-Régis Gaudry maintenant à la radio. Au début, c’est incongru, presque indécent, tant de légèreté, ce ton à côté. Avec son invité, il parle de vingt gousses d’ail ; il parle de la pratique des herbes fraîches. Je souris avec ces mots qui touchent ma peau. J’ai besoin d’écouter ça aussi. J’ai besoin ce matin de lire cette autrice sur sa résidence d’écriture, j’ai besoin de regarder ces photos d’arbres et ces illustrations de la famille souris, j’ai besoin de découvrir un poème et un deuxième, j’ai besoin de voir par la fenêtre ce vieil homme s’allonger, une main sous sa tête baignée de soleil pour une sieste, j’ai besoin d’écouter des gens débattre encore de cuisine et de pièces de théâtre. J’ai besoin de la pratique des herbes fraîches. Non pas ignorer le monde, mais continuer de le créer.

Choses aimées 23-21

Our faces: a map of practiced emotions.
Our hands: clues as to how we spend our days.
Where’s my kind?,Veronique.ink

our faces, our hands, our days

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Comment conciliez-vous vie professionnelle et vie privée ? Pas très bien, en toute honnêteté. Je trouve difficile de concilier vie professionnelle et écriture et vie personnelle. Je trouve difficile de m’arrêter avant de m’épuiser, difficile d’écrire tous les jours quand je préférerais prendre du repos, difficile de trouver le temps et l’énergie de tout faire bien.
Le jour où j’admets que je ne suis pas parfaite – Hortense Merisier

le temps et l’énergie de tout faire bien

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People share bits of themselves through writing/art that wouldn’t arch over into typical conversations. That’s why I love personal blogs/zines: the intimacy, the vulnerability, the laid-bare truths.
Connecting through art, Veronique

the intimacy, the vulnerability

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Cette semaine les décisions à prendre, les activités à prioriser, se sont bousculées dans ma vie et plus elles se sont ajoutées, plus j’ai voulu aller vite… et plus j’ai fait des conneries. Conneries qui m’ont demandé de refaire des trajets, de réécrire des textes effacés par mégarde.

Au bout de la 14ème bêtise, la phrase s’est imposée à moi. Celle du détour. Et sa grande. soeur : nature doesn’t hurry, yet everything is accomplished. Je me les répète en boucle, plus ou moins ; avant de t’écrire, oui j’étais à la bourre, mais j’ai pris le temps de fabriquer le début d’un marque page avec des scraps of papers que j’accumule depuis toutes ces années. Déjà me pose ; ce détour m’aide à me tranquilliser.
[sur le marque-page pris en photo, on peut lire : « si tu es pressée, fais un détour »]
Christie dans sa dernière newsletter

si tu es pressée, fais un détour

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Écris quelques mots, 480 signes ou plus tous les jours Note des paroles chopées au vol
Lis pour écrire, écris pour lire
Essaie d’aller voir du côté du journal de Kafka
Marche et perds-toi dans la ville
Marche, observe et écris dans ta tête ou sur ton téléphone
Ecris ce dont tu ne te sais pas dépositaire comme le dit François Bon
N’hésites pas à recopier des extraits de textes aimés Reprends tes notes journalières, donne leur de l’épaisseur, de la hauteur, de la couleur et publies-les sur ton blog sans te soucier de tes lecteur.rices.
Ajoute des photos, des dessins… et trouve ta singularité.
Ouvre ton carnet du lendemain et lance toi sans penser à ce qui précède !
neuf instructions pour son double pour que continue le carnet – Carnet individuel – Isabelle Vauquois

écris, essaie, trouve, marche et perds-toi
sans penser à ce qui ce précède

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What is the most effective “productivity technique” in the world? I don’t think it’s a spreadsheet, a day planner, a time-batching system, or a smartphone app. I think… it’s forgiveness.

Forgive yourself. Forgive yourself for saying “yes” to too many projects. Forgive yourself for getting behind on your emails. For needing an extension to finish that project. For being late, behind, backed up, crushed, buried, whatever your situation may be. Forgive yourself for missing that typo. For disappointing a colleague. For the foolish, irresponsible mistake you made. For whatever horrible “crime” you feel you’ve committed.

You did it. It happened. You learned. Now it’s over. And hopefully you won’t do that again. Meanwhile, punishing and pummeling yourself is not helping you to “work faster,” is it? Self-criticism is not fuel — it’s just a burden. It’s a heavy weight to carry, when your workload is already heavy enough.

Can you extend compassion to yourself, just as you’d extend compassion to a friend?
When your brain is so crammed, so stressed…Alexandra Franzen

forgiveness

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Ce que je découvre de sa vie, je devrais dire ses combats, me bouleverse, je lui demande si je peux, nous nous étreignons, nous ne devrions jamais renoncer à nos besoins de tendresse.

Le terrible blues de la reprise cède à un semblant d’élan retrouvé. Chercher de nouvelles manières de faire, les mettre en œuvre, s’y coller vraiment.
Quitter l’île et rêver (se), Caroline Diaz

nos besoins de tendresse

Des cabanes de phrases

C’est un jour particulier, une date. Est-ce encore un anniversaire ?

Un jour où j’ai l’impression qu’écrire est interdit, que seul le silence est requis. On peut écrire en silence pourtant, c’est drôle comme j’entends le silence étendu à tous les mots qu’ils soit tracés ou dits. Est-ce qu’on se tait quand on écrit ?

J’ai écrit toute la journée malgré tout. Mon journal s’est transformé en pages du matin, du midi, du soir et de l’après-midi. Des minutes. J’ai écrit tout ce que je n’arrivais pas à faire. J’ai écrit tout ce que j’ai réussi à faire. J’ai écrit ce que j’ai lu. J’ai écrit des choses bêtes et des choses importantes et peut-être bêtes aussi. J’ai écrit que je ne ressentais rien. Est-ce qu’on ne ressent rien si on ressent le besoin de l’écrire ?

J’ai commencé un billet pour ici, j’ai imaginé ma prochaine newsletter, je n’ai fait ni l’un ni l’autre. Est-ce qu’imaginer-commencer suffit ?

J’ai découvert cet extrait de Comanche de Caroline Diaz et après ça, j’ai su que je n’avais pas ce courage, pour l’instant, d’écrire. D’aller . Est-ce que ça viendra ?

J’ai relu plusieurs des phrases de Lisa Olivera :
Not rushing toward clarity or meaning might be some kind of medicine.”
“I’ve never been more okay with being lost. Maybe that’s the only way to be.”

J’ai regardé la belle photo d’où elle écrit, et j’ai rêvé de cette cabane dans les arbres.

J’ai repensé à Alice Zeniter qui parle d’”habiter des cabanes de phrases”, en citant Victor Pouchet.

« J’imaginais que je récoltais des mots, que tous ces mots formaient des phrases, et dans ma tête toutes ces phrases formeraient non pas des lignes mais des volumes, des murs de phrases, des cabanes de phrases, des cheminées de phrases où faire des feux pâles dès l’automne, des feux de phrases en bois qui crépitent fort. Et aujourd’hui encore, je reviens souvent dans cette cabane de phrases. Si elle tient bien contre le vent, et si les bûches de phrases brûlent comme il faut, on peut s’y réfugier dans l’hiver quand plus aucun mot ne nous vient et que la forêt nous semble si grande. »
Victor Pouchet, Autoportrait en chevreuil

Si grande.

Choses aimées 23-20

“J’écris ce poème avec de la fumée
Avec du sable avec de l’ombre
Mes mains s’enfoncent dans la neige
Sans jamais rencontrer la terre
Mais tout à coup le vent disperse la poussière
La poussière du poème”
Extrait du poème “Dernier cri” de Christian Bachelin, lu sur https://schabrieres.wordpress.com/

avec du sable avec de l’ombre

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“Danser c’est altérer le vide.
Pourquoi inscrire un mouvement dans le rien ? […] […]
Elle se sent intruse. Depuis toute petite.
Alors elle danse. Il faut qu’elle trace, avec son corps, les lignes qui permettent d’intégrer l’espace. Seule la beauté du mouvement peut la sauver.
C’est sa façon de trouver place dans la vie.”
Extrait de Laver les ombres de Jeanne Benameur, lu sur Grignotages

altérer le vide

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“Tout fait événement
pour qui sait frémir”
Jean Follain, D’après tout, Gallimard, cité dans la lettre l’Intimiste

pour qui sait frémir

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“Boire du thé le matin pour le petit déjeuner à la maison. Et penser que je suis à l’hôtel. Tout est calme. Juste le haché de la pluie sur les cerisiers de Yoshino.
Il faut sortir pendant pendant qu’il pleut.
Les herbes et les mousses sont mouillées. les pèlerins avec leurs parapluies ouverts marchent le long de la rue trop étroipte pour un trottoir. En file indienne.
La porte ouverte du torréfacteur, laisse échapper l’odeur des grains de café.”
Karl sur Carnets de la Grange

il faut sortir pendant qu’il pleut

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“Il n’y avait pas péril immédiat à rester où j’étais. L’appartement était lumière, calme, les oiseaux venaient nombreux s’alimenter aux diverses boules accrochées là et là. Un matin, j’ai pourtant bien entendu cet appel me disant de partir pour chercher cet « abri qui n’épuise point ». — Pas par caprice, par vitalité.”
Anna Urli-Vernenghi sur cet air de rien

par vitalité

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“When we’re young, or the project is going really well, it’s easy to waste the good days. After all, there will be another one tomorrow.
What becomes clear, though, is that good days are precious. When you’re feeling even a little creative, don’t wait. Write it down, roll tape, speak up. When you’re feeling reasonably healthy, go for a walk.
They’re all good days, if we choose.”
Seth Godin sur son blog

don’t wait. write it down. go for a walk

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“If you love what you’re trying to do, it seems like believing in yourself wouldn’t be too much of an issue beyond the standard self-doubt and skeptical inquiry involved in all creative pursuits. There would be no choice other than I really gotta make this. I gotta make this thing, even if it sucks. That’s how I feel about drawing and writing. I gotta make it. I just gotta make it. I can’t concern myself with whether I believe in it or not.”
Anna Fusco dans sa newsletter

even if it sucks

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“What are you spending your time on that doesn’t matter? Why are you spending time on it? How can you stop?
What are you not spending time on that does matter? Why aren’t you spending time on it? How can you start?”
Mark Manson dans sa newsletter

spending time on it

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“Je vois passer beaucoup d’articles sur comment se mettre au travail, comment mener à bien ses projets d’écriture, mais nous avons besoin de silence, j’ai besoin de silence, et ne pas écrire est une bénédiction. Pourquoi faudrait-il produire quand aucune nécessité ne s’impose ? Il en va de l’écriture et des arts comme une fin en soi, alors qu’ils ont pour fonction d’intensifier la vie. Quand je manque d’énergie, je me tais. Je monte sur mon vélo et me perds dans la lumière. Peut-être que je ne suis jamais autant artiste que dans ces moments.”
Extrait du carnet d’avril de Thierry Crouzet

oups !

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“I will say, that if you look at the people in the past who produced great work, a lot of them gave themselves idle time, time to do nothing, time to rest, time to just daydream and “fart around,” as Kurt Vonnegut put it. There’s a tinkering, puttering, playful element to all good creative work. I’m heartened by how many of my creative heroes took a lot of naps, for example, I feel strongly that my laziness and my productivity are deeply connected, somehow. If you need permission, think of how every company has an “R&D” department. You have to give yourself time for research and development! And “Development” might include taking a nap.”
Austin Kleon interviewé par Rob Spillman

my laziness and my productivity are deeply connected

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“Depuis la fin des ateliers, j’ai décidé de me rendre une fois par semaine à la Maison de la poésie, à Paris, quelle que soit la programmation, autant pour soutenir des amis que découvrir des inconnus. Pour me décentrer, m’arrimer : les deux. À poster ces photos de Marilyn prises à l’Actors studio que le mot méthode a fait surgir, je comprends qu’il s’agit aussi de me sentir, comme elle, prise dans un groupe quand j’ai l’impression de piétiner.”
Anne Savelli dans son semainier

me décentrer, m’arrimer. quand j’ai l’impression de piétiner.

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“Chaque lundi matin, lorsque je fais mon bilan de la semaine (lorsque je peux le faire, je viens de recommencer aujourd’hui après plusieurs semaines d’arrêt), une des questions que je me pose est « what are the things that I am looking forward to ? »

Quand je ne sais pas quoi répondre à cette question, je me programme un « petit » artist date – je me le programme de toutes manières, mais là j’essaie d’en programmer un qui m’enchante. Tu sais les artist dates, mes mini aventures en solo, pas loin de là où je me trouve, auxquelles je consacre de une à deux heures par semaine !”
Christie sur maviesansmoi

things I am looking forward to

Je m’y remets

Je m’y remets. J’attrape le tapis violet à portée de main, coincé entre le lit et le bureau. Je le déroule d’un grand geste en travers du salon. Le voici en place, il m’attend, il m’accueille. Je m’y mets, j’y suis.

Cela fait des mois que je n’ai pas fait de yoga. Pendant les confinements, j’avais pris l’habitude d’en faire chaque jour, le matin, grâce au temps gagné sur les transports pour aller travailler, et grâce à la chaîne Yoga with Adriene. J’avais senti mon corps changer, progressivement, délicatement. Un peu plus de souplesse, un sentiment de tonicité et de confiance, un sourire, un confort dans l’inconfort. Il m’arrivait d’en faire deux fois par jour. Puis de temps en temps seulement, puis…plus du tout.

Aujourd’hui, je m’y remets. Et tout tire ! Ma nuque, mes poignets, mes jambes, mes chevilles, mes cuisses. Ça tire, ça pique, et je m’étonne de chaque mouvement. Mon corps redécouvre ses contours et ses capacités. Je m’éprouve. Avec amusement, curiosité.

Et finalement, le jugement reste au bord du tapis. Il n’y a pas de place pour lui et moi. La pratique me protège des pensées les plus dures à mon égard. Je fais, je m’y remets, je suis là. Peu importe la perte d’aisance, la maladresse, le souffle court. Je rencontre mes limites, mon moi d’aujourd’hui, en l’état, et cela suffit à balayer loin les regrets, la nostalgie d’un autre corps et d’autres habitudes.

Oui, la pratique protège, chasse le jugement et choisit la joie.

Je m’y remets. Je m’éprouve. Dans l’effort, le mouvement, l’étonnement.

Et toi, y a-t-il une chose que tu n’as pas fait depuis longtemps et que tu pourrais refaire aujourd’hui ?

Choses aimées 23-18

« Les montagnes semblent transparentes, plus rien n’a d’épaisseur. Tout est comme une vision, une possibilité non encore réalisée. Si l’on veut peindre cela, il faut trouver l’expression qui suggère l’atmosphère, l’effet des couleurs. En aucune façon naturaliste. » Anna-Eva Bergman, 29 juillet 1950, voyage au cap Nord.
Citée par carnetsdevy

tout est comme une vision, une possibilité non encore réalisée

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Je ne sais pas vous, moi je tourne un peu en rond ces temps-ci. Par exemple, j’ai du mal à écrire. Les idées se bousculent, je les note en vrac, mais au moment de mettre tout ça en forme, je suis sec, vidé de toute énergie. J’écris tout de même. Seul chaque matin, avant le lever du jour, dans le bureau face à l’écran de mon ordinateur. Parfois, c’est deux heures pour une phrase, un simple paragraphe.

Comme j’ai un plan assez clair de là où je veux aller, je mesure le chemin encore à parcourir. Il est long. C’est, sous un ciel d’orage, sur un sentier escarpé que j’avance.

Philippe Castelneau, Rien que du bruit

c’est, sous un ciel d’orage, sur un sentier escarpé que j’avance

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The thing about writing and being influenced and living in this world and trying to get some of its weirdness down, is that we’re going to be coming at it from both similar and dissimilar angles from those attempting same. We all get to do it in our own way. And if you’re trying to get it down in your own way, please know that there is room for all of it. Just pour it down out of your paint can and drip it onto the canvas like Jackson Pollock. Or you know, just throw the paint at the canvas or also try just small brushes and many details. But do keep pouring it out of yourself. That’s the best advice I have for right now. Don’t worry if anyone will read it or publish it. Just create your weirdness and keep creating more.
Transactions with Beauty

juste create your weirdness

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“I’m writing about myself looking at paintings.” I told her. “And Sometimes at plants.”
”Is there an audience for that?”
”Im sure there is not.”
”What makes you do it, then?”
”My soul,” I said boldly. I didn’t care how it sounded.
“I am stalking my own soul.”
Amina Cain, Indelicacy, cité par Transactions with Beauty

stalking my own soul

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LE GLISSANT
non je n’ai pas raison
c’est que ma voix qui traine là
à démêler des ombres
des bouts d’insaisissable
et qui joue
ni pour gagner ni pour perdre
mais pour tenir
sur le glissant du monde

Caroline Dufour

sur le glissant du monde

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On peut lire actuellement sur la page 2023 de l’évènement :
“Ne vous arrêtez pas, ne vous arrêtez jamais.”
Ça me questionne beaucoup aussi : c’est correct de s’asseoir faire une pause pour ne pas se brûler, d’accepter la déception de ce qui vient de se produire, de prendre le temps d’aller demander pourquoi est-ce que ça ne s’est pas passé, de libérer ses émotions maladroitement.

David Larlet

faire une pause pour ne pas se brûler

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On croit souvent que les livres tombent du ciel ou qu’ils sont le fruit d’un labeur incessant. À mes yeux, ces deux méthodes, aussi fondées soient-elles, sont inaptes à témoigner de l’aventure. Nous avons besoin d’un bien curieux mélange, celui de la première phrase, de la grâce du ciel et de la terre et de l’ardeur des mains, sans omettre l’acuité du regard et celle des deux oreilles. Oui, sans rire, écrire est un travail à plein temps qui ne nous occupe que quelques heures durant la vie.
Joël Vernet  » Marcher est ma plus belle façon de vivre » ( La Rumeur libre 2021)

Cité par Jardin d’ombres

quelques heures durant la vie

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Les projets se bousculent dans ma tête. Rester concentré. Je sais que cette partie du jour vient tous les jours. Je vis dans le soupir de mon présent. Je dois continuer à avancer. Ne pas voir trop, avoir juste assez.

Boucler les derniers travaux avant de partir en vacances. Programme de nos actions culturelles de juin à décliner sous toutes ses formes. Imprimées et numériques. Lettre d’information, diaporama sur l’écran d’accueil et sur les automates de la bibliothèque. Me voilà déjà fin juin. L’été se profile. Hausse des températures. Le temps me dépasse. Il est temps de partir. Couper les ponts. Vivre nous commence. Les vacances éternelles, dit notre collègue qui part aujourd’hui à la retraite.

Pierre Ménard sur liminaire.fr

je vis dans le soupir de mon présent

Merci les pages du matin

Truth be told, il y a quelques jours, ça n’allait pas très fort. J’étais dans un creux poisseux. Un camion-benne de tristesse. 

Incapable de décider si je dois oui ou non partir cette semaine. Vers un lieu associé à beaucoup de joie, de rires et d’amour, et aussi parfois, ces dernières années, de malaise et d’amertume. Je lutte maintenant pour m’y sentir (chez) moi. Et j’y reviens, sans cesse, malgré tout. J’ai du travail, et peu d’espoir de réussir à le faire une fois là-bas. J’hésite.

Je t’épargne la bouillasse de mes tergiversations. Peu importe finalement. 

J’en parle dans mes pages du matin. 

Premier jour : j’essaie vaguement de déceler ce qui me freine et ce qui me peine. J’y consacre à peine 6 lignes. Et j’étouffe bien vite. J’écris Allez, quelle que soit la décision, tout ira bien. J’essaie de prendre the high road, la grand-route, la tête haute. Je parle d’amour. Et je zappe, zou. 

Le camion-benne bat son plein. 

Deuxième jour: j’explore un peu plus. Je me pose des questions. Qu’est-ce qui a changé ? …. Quoi d’autre ? … Je chouine. J’étale ma plainte, mes doléances. Je réclame justice, réparation. Je me donne de l’espace. Je ne cherche pas l’attitude la plus noble. J’écris des pffff, des points d’exclamation. 

Je déverse mon camion-benne. 

J’écris.

Et les mots viennent enfin me souffler l’important : quand je suis là-bas, mes idées, mes envies meurent (…) Reste connectée à toi, tes idées, tes envies. Faire ton travail. Vivre ta vie. Ne pas te noyer, fuir dans le passé. Faire ma vie et ne pas prendre ce village pour alibi. Poursuivre les envies, les choyer. Le village reprendra sa place. Juste. Il faut que ce lieu – et sa compagnie – reprennent une juste place. Une place dans ma vie. Et non pas à la place de ma vie. 

Je sens mon corps inquiet se rassembler. Se raffermir. Et toute la tristesse se transformer. Non pas disparaître. Se transformer. En clarté.

Je sens mon regard se déplacer. Le problème se renverser. Je vois mieux l’enjeu. 

Je décide que les conditions, les bonnes raisons, pour y aller, tout de suite, ne sont pas réunies.

Je remets au premier plan de mes journées des choses qui comptent pour moi, qui m’aident à faire ma vie.

Je n’exclus pas d’y aller dans les prochains jours. Pour l’heure, je suis là. 

Et je chuchote merci, les pages du matin. Car sans les mots, sans les pages, je n’aurais peut-être jamais senti-compris. “Une place dans ma vie. Et non pas à la place de ma vie”.

Choses aimées 23-17

Do not look outside of yourself for love. The only person who will stay throughout all that, with you, is you.
Love yourself as is. Do not ever demand from yourself another version. Stay with the present version of you, unconditionally.
Do not try to chase away some emotions, to make place for others. Recognize all of them as the jewels that they are.
The result: even as your sad self, you can be loved; even as your furious self, you can be loved.
This is giving yourself a special kind of hug. Only you can give yourself this kind of hug, one that leaves not a single mm of space between the hugger and huggee.
Leave yourself be.
Do not lie to yourself. If you hate yourself, hate yourself instead of pretending you don’t hate yourself. Don’t say something is all right if it isn’t all right. (…)
Suppress nothing. Unconditional love requires a total absence of fear.
Ithaka

Stay with the present version of you, unconditionally.

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Lorsque j’arrive enfin à me lever en me disant « Allez, il est temps de faire des trucs », la première activité que j’entreprends est de lister l’ensemble des tâches que je souhaiterais accomplir. Je pense avoir ratissé la plupart des ressources sur le web qui décrivent comment rédiger une to do list précise et actionnable. J’aimerais toutefois partager une idée que je n’ai pas souvent lue et qui a radicalement changé ma perception des tâches à accomplir : les contextualiser avec les valeurs qui les rendent importantes pour moi.

Écrire une lettre à une amie me rattache à mon clan, passer l’aspirateur rend mon cocon réconfortant, payer mes impôts allège ma charge mentale, regarder un film qu’on m’a conseillé enrichit mon imaginaire, lancer une session de yoga me renforce, me vernir les ongles projette à l’extérieur qui je suis à l’intérieur, … Depuis peu je prends soin de relier chaque élément de ma liste de tâches aux valeurs associées, ce qui diminue drastiquement ma résistance à les compléter puisque je me rappelle du « pourquoi » c’est important pour moi. Cette mise en contexte m’apporte énormément de clarté, de motivation, et une satisfaction plus grande encore de cocher chaque tâche accomplie.
Hypothermia

je prends soin de relier

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J’essaye de ne pas censurer ce qui vient (ni sur la forme, ni dans fond, pour le dire vite, sachant que le dire ainsi n’a pas de sens). Ne pas juger. Ne pas dire : c’est débile, c’est enfantin, c’est mal écrit, encore un personnage de plus, qu’est-ce qu’on va en faire ? Bref, ne pas laisser le surmoi prendre le pouvoir. Le texte est stupide et hétérogène ? Eh oui, ça commence souvent comme ça. Ensuite, on retravaille. J’ai besoin d’avoir l’ensemble de la matière avant la fin de l’année, aussi : en avant !

Comme toujours, c’est peu, ce n’est presque rien. Mais ce peu, ce rien, finissent pas faire 100 pages, au bout d’un moment. Par ailleurs, la résidence à Arromanches m’a appris que, presque malgré moi, sans en avoir vraiment conscience, j’avais dessiné des lignes de force. Y croire. Continuer d’y croire.
Le semainier d’Anne Savelli

Eh oui, ça commence souvent comme ça. Ensuite, on retravaille.

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“I write because I don’t know what I think until I read what I say.” —Flannery O’Connor
Cité par The isolations journal

I write because I don’t know

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You can do hard things.
Be messy and complicated and afraid and show up anyway.

Ces deux phrases de Glennon Doyle m’aident depuis 15 jours, à faire ce que j’ai décidé malgré toutes les appréhensions et les petites voix (Tu vas être nulle ! T’es ridicule ! Qu’est-ce que t’en sais ? T’es folle ou quoi ?) qui tentent de me retenir.
Christie sur maviesansmoi

Be messy and complicated and afraid and show up anyway.

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My favorite kind of blog to read are Daily Bloggers. Just people giving a play-by-play of their lives.
I find it so soothing and relaxing to read. Their interests and daily activities. Listing and pointing to things they’re into, whether it be music (my fav), shows, or sharing thoughts that flit through their minds.
I also like it when they don’t have all the answers, as prescriptive blogs aren’t my jam. The more they write without an overactive filter, the better. It allows me to learn/discover things alongside them.
Veronique.ink

I like when they don’t have all the answers

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« I want to focus on how useful poetry can be in our daily lives. Poetry is one of the few art forms that has breath built right into it. It literally wants us to breathe, to pause for a moment and pay attention to what matters. Whether it’s a tree that we are asked to notice, a moment in time, or a lyrical wonder, it only wants us to listen, to slow down, to notice the mystery and awe of this human life. Perhaps more than ever before, these uncertain times require the humanity that poetry offers. »
Lu sur Violets

notice the mystery

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Des journées à soi comme il est nécessaire d’avoir un lieu à soi pour écrire. Ne rien voir, ne rien faire d’autres. Toute la journée. Corrections du texte écrit, reprises et ajustements. Peut-on parler de présence ? Le travail s’accompagne toujours de musique. Le fait d’écrire et la manière d’écrire. Revenir à l’assaut, mais buter toujours dessus.
Liminaire

Revenir à l’assaut

Choses aimées 23-10

“I wonder what is the point of saying anything at all.
However, simultaneously, this wondering is mixed with the need to say everything right now—otherwise it will be too late.”
Ithaka

the need to say everything right now
otherwise it will be too late

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“Une des choses qui nous permet d’être vivant et de survivre à ce qui nous arrive est la capacité de mettre ce qui nous arrive en récit. La souffrance et le chaos. Et ce qui nous apprend à nous mettre en récit, c’est lire. Parce que vous fonctionnez par imitation. Si vous avez les mots, beaucoup de mots, les phrases, les structures d’histoires, vous allez faire votre histoire, la compléter et l’enrichir, au fur et à mesure, de tout d’ailleurs, de vos lectures et de tout ce qui se va se passer dans l’existence. Et ça, vous l’apprenez en lisant.”
Marie Desplechin dans le podcast Bookmakers

mettre ce qui nous arrive en récit

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“Tout un livre peut provenir d’un seul mot brisé. Le mot est fermé, enveloppé, secret, enfoui : quelque chose doit apparaître de dedans — de l’intérieur du mot et pas du tout de l’intérieur de l’écrivain. Les mots en savent beaucoup plus que nous — mais il faut les prendre avec amour entre ses mains et les porter à son oreille. Les mots sont au sol, incompréhensibles et comme des noyaux. Je les ramasse, j’écoute dedans ; je les brise : apparaît une phrase, une scène, toute la construction respiratoire du livre.”
Valère Novarina, Devant la parole, Le débat avec l’espace (Éditions P.O.L, 1999) cité sur Jardin d’ombres 

les mots en savent beaucoup plus que nous

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“Une promenade sur le lac est prévue la semaine prochaine, voilà qui tombe bien. Pour écrire, nous avons besoin de matérialité, de sensations concrètes, même à avoir tendance à l’oublier, à faire comme si tout venait de soi, comme s’il fallait tout y puiser. Je sais que ces visites au lac sont rares, que c’est une chance — tout comme, pour moi, cette exploration sonore des ateliers des CAP. Tout accueil, pour l’écriture, est une chance.”
Semainier d’Anne Savelli

pour écrire, nous avons besoin de matérialité

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M’attarder parmi les dormeurs ? Si parmi les dormeurs, j’inclus les sédentaires et les flemmards, voilà une préoccupation qui me taraude beaucoup. En quittant le village, j’éprouve vivement la présence de ces deux forces contradictoires : l’envie de marcher et l’appel du foyer. Quand une partie de moi rêve d’aventure, une autre traîne les pieds.
Je crois que cette force qui retient nos envies d’aventure de la même manière que la gravité empêche une fusée de décoller porte un nom : la domestication.
(…)
ce double phénomène qui consiste d’un côté à construire son petit nid douillet, et de l’autre à s’y asservir – à en devenir, littéralement, le domestique. Combien de temps passe-t-on à entretenir nos appartements plutôt qu’à cultiver notre jardin intime ? N’y a-t-il pas, dans la frénésie que nous avons à rajeunir sans cesse nos intérieurs, comme une envie de compenser un vieillissement qui nous échappe ?Un voyage d’hiver

l’envie de marcher et l’appel du foyer

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toucher
à sa fin

vie et mort on ne voit pas bien
laquelle s’accroche à l’autre
comme un lierre

on n’a pas grand-chose à dire
là-dessus même si
on parle pour ne pas laisser
toute la place à la peur
la nuit
Poème d’Antoine Emaz

ne pas laisser toute la place à la peur
la nuit

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“La poésie, késako ?
Et si elle était un passage secret parfois raccourci, parfois détour pour apprendre à se perdre ?”
Thomas Vinau

apprendre à se perdre

La chamade des vieux rêves

Décidément, c’est ma semaine “célébrités” – et tout particulièrement célébrités aimées ! Après Arthur vendredi dernier, je croise Edouard Baer hier. Et aujourd’hui, je prends un thé glacé à côté de Michel Leclerc, co-scénariste, (notamment) de Je suis à vous tout de suite et du Nom des gens, qu’il a réalisé. Je n’ai pas pu m’empêcher, en attendant, et même pendant, mon rendez-vous, d’écouter sa conversation avec les deux personnes qu’il retrouvait. 

Pas pu résister à l’envie de noter, sur mon téléphone et dans ma tête, quelques phrases au vol : 

j’aime filmer le travail, montrer le travail, comment naissent les idées (<3)
(…)
on écrit le scénario, et forcément ça veut dire faire des choix, il y a ce qu’on va raconter, et ce qu’on ne va pas raconter
(…)
on a des personnages avec leurs qualités, et leurs défauts, je crois qu’il n’y a pas de comédie sans les défauts
(…)
on peut inventer des scènes à l’intérieur d’une histoire vraie
(…)
on peut rater

J’entends parler de documentaire, de fiction, de scénario, d’écriture, de questions et de convictions aussi. Mes oreilles en éveil, mon cœur à mille à l’heure.

C’est la chamade des vieux rêves. Écrire, co-réaliser un film. En un peu plus de vingt ans, il y a eu des idées griffonnées sur des carnets, d’autres tapées à la hâte sur des fichiers. Il y a eu un atelier scénario abandonné. Il y a eu, je l’oublie chaque fois, des candidatures réussies pour entrer à la fac dans des masters documentaire – et oui, ça existe ! Et je l’oubliais carrément jusqu’à maintenant en écrivant ces lignes, il y a eu un petit tournage grâce à une amie, des images finalement jamais montées, restées sur des cartes SD. 

Bon, ça revient régulièrement, tous les ans, de nouvelles idées, griffonnées sur de nouveaux carnets, des promesses à moi-même, un jour peut-être, et pourquoi pas cet été, oh et puis finalement.

Le rêve, pas la réalité.

Je n’ai jamais sérieusement fait quoi que ce soit de ce rêve-là, jamais poursuivi l’envie, mais je l’ai gardé toujours près de moi. Je continue de penser qu’un jour, pas peut-être, c’est sûr, j’essaierai. 

Et chose étrange : je le vois de moins en moins comme un rêve concurrent de mes autres projets – en l’occurrence mon autre projet, le principal actuellement, devenir psy du travail, j’ai de plus en plus le sentiment que ces chemins se croisent un peu plus loin, qu’il y a du lien.

En écoutant Michel L. et ses interlocutrices, le mot qui m’est venu : c’est un signe. Je ne crois pas aux signes de l’univers, non. Je crois en revanche au battement du cœur, comme signe, signal de ce qui continue de vivre en soi, des vieux rêves qui ne meurent pas. Aujourd’hui, je n’ai pas pu m’empêcher d’écouter.

Choses aimées 23-09

“non, je pense pas que j’aie des choses à dire, de belles choses qui chatouillent les beaux sentiments, des questions qui soulèvent la poussière des idées reçues, des réponses qui soulagent les angoisses des insomniaques, un message d’une quelconque sagesse à transmettre au monde (…) non, vraiment, je pense pas qu’il vaille encore la peine de tenter quoi que ce soit, tout ce que j’écris est plat, ridicule, absurde, pathétique, ordinaire, ennuyeux, je pense pas qu’il soit utile de continuer, je pense vraiment que je vais m’arrêter là”
bastramu, je pense pas #10

la peine de tenter quoi que ce soit

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“Also, on another note, I’m unsure if continuing to blog is for me anymore. I’ve put a lot of effort into this little site, and it seems to be going nowhere.
I know, I know…blogging should be for yourself first, but…BUT I just don’t know anymore. I guess it’s just one of those days where I feel like my creative pursuits are just a waste of effort, time, and energy.”
Veronique.ink

it seems to be going nowhere

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“Maybe that’s what all these divorces were about. We watch ourselves and our spouses change, and the work is to constantly recall the reasons why you did this in the first place. You mistake the person closest to you for your misery. You think, « Maybe if I excised this thing, I’d be me again. » But you’re not you anymore. You haven’t been you in a long time. And it’s not his fault. It was always going to happen. And what were you gonna do with the fact that time was gonna march on anyway? What were you gonna do with the fact that you couldn’t win this fight. That was the problem. You were not ever going to be young again. You were only at risk for not remembering that this was as good as it would get in every single moment. That you are right now as young as you will ever be again.”
Fleishmann is in trouble, épisode 8

you are right now as young as you will ever be again

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“Sometimes we are so confused and sad that all we can do is glue one thing to another. Use white glue and paper from the trash, glue paper onto paper, glue scraps and bits of fabric, have a tragic movie playing in the background, have a comforting drink nearby, let the thing you are doing be nothing, you are making nothing at all, you are just keeping your hands in motion, putting one thing down and then the next thing down and sometimes crying in between.”
Lynda Barry, citée par Austin Kleon

let the thing you are doing be nothing

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“Stop NOT writing. Just do it, badly. Just write the thing you need or want to write, that you are avoiding. That avoidance is costing you greatly, isometrically, and in general well-being. So can you find one measly hour, to write, badly?”
Anne Lamott citée par advicetowriters.com

stop NOT writing

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“whatever you think is boring or ugly in your photograph today might quite possibly be the most interesting thing about the photograph in the future.
Knowing this, I am inclined to go the other direction and do my best to imperfect my memories: leave in all the things I’m supposed to crop out. (This is why I leave in all the dumb, mundane crap I do every day in my logbook: what I have for lunch, meetings, what I watched on TV, etc.)
I try to remember that I have no idea today exactly what I’ll want to remember about today in the future.”
Austin Kleon

leave in all the dumb, mundane crap
I have no idea what I’ll want to remember

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“Un mot sur mon prochain livre, et je vais à nouveau citer Dylan : “en bonne partie, écrire des chansons consiste à les améliorer”.

C’est la même chose pour l’écriture de romans ! Je vous disais la dernière fois que le premier jet avançait bien. Avant même de l’avoir terminé, me voici parti dans la rédaction d’une nouvelle version. Ne me demandez pas quelle est ma méthode : c’est une horreur et un véritable chaos. Mais, espérons-le, il y aura bien un livre à la fin !

Certains jours, je suis satisfait de ce que j’ai écrit, d’autre fois, je suis face à la page blanche, incapable d’avancer. J’ai une image idéalisée du livre à venir, et je sais que je pourrai au mieux m’en approcher, sans jamais l’atteindre. Souvent, ce qui me touche le plus dans une œuvre, ce sont les imperfections. Je dois m’en souvenir dans mes moments de doute. Et apprendre par cœur cette phrase de Sophie Divry : “le roman trouve son épanouissement dans une certaine impureté.””
 Rien que du bruit #60 de Philippe Castelneau

écrire des chansons consiste à les améliorer

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Ça me fait grand bien de réparer (faire réparer) des choses ; ça me donne de l’espoir, alors que je me sens toute cassée à l’intérieur sans trop savoir comment repriser ça. Courir derrière les escargots. Ralentir. Respirer.
Journal de février (2) d’Amélie Charcosset

l’espoir

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“Hope will find you standing naked in the soft swathes of light that arrive through a 1am window, and it will watch your defences unfold and surrender.
(…)
Hope will propel you forward, out of the familiar space you have occupied for so long and into the great unknown. It will rest it’s hand gently on yours, and listen to the way your breathing betrays your words and reveals your heart; every exhale leaving you clean and ready to start again.”
Sarah Moses

ready to start again

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On parle aussi de pourquoi c’est difficile d’écrire (car toujours ça me revient : bon, en réalité, qu’est-ce qui est si compliqué, dans le fait d’être sur son ordinateur sur un canapé avec une tablette du chocolat pas loin à faire un truc que personne n’attend et dont personne n’a besoin, pourquoi est-ce que ça se révèle si complexe ??), et de pourquoi on le fait quand même.
(…)
Maaï m’écrit qu’elle a fini sa thèse. Je n’arrive à lui répondre qu’une longue ligne de points d’exlamation. Yeeeah. Je me dis que moi, je pourrais au moins essayer de (commencer et) finir ma newsletter (lol). Chose faite. C’est bon, un entourage qui tire vers le haut.
Journal de février (2) d’Amélie Charcosset

je me dis que moi je pourrais au moins essayer

À partir de là

J’adore cet endroit. Le matin, il est surtout peuplé de gens seuls, la plupart avec un journal, un café, de grandes pages dépliées sur le comptoir doré. Une vieille dame drapée de rides et de vêtements noirs gratte sans fin ses tickets de jeu, une femme en pantacourt parcourt le Monde des Livres, un couple, quoi, quinqua ?, lit côte à côte, deux hommes, trentaine, quarantaine, se saluent et commandent sans trop parler, les pieds repliés sous le tabouret, une vieille dame en manteau léopard étale la presse anglaise sur une table pour quatre, puis téléphone en haut parleur avec des mots comme empoisonnement et coloscopie, un vieil homme déboule avec son caddie rouge, et fait tous les efforts du monde pour se glisser, le dos courbé, entre deux tables : non non non ne bougez pas. Un groupe de jeunes filles étrangères s’extrait de la petite pièce du fond pour payer l’addition, j’imagine devant elles toute une journée d’exploration. Paris. Puis je l’aperçois, au fond à gauche, rassembler manteau et sac à dos, se diriger lui aussi vers le comptoir pour payer : le chanteur de Feu! Chatterton, Arthur. Je réprime ma joie de le voir, de le croiser, en vrai, je retiens mon sourire, et tiens fermement ma tasse de café dans laquelle je plonge mon nez, mes yeux, mon corps tout entier. Je fais comme si de rien n’était, et j’ajoute silencieusement Arthur à ma liste étonnante des « célébrités croisées ».

Puis la chaise en face de moi est occupée. L’amie A. me parle de sa semaine étrange, suspendue, de ce qu’elle attend – ce sont ses mots – depuis 15 mois, de ce qui n’arrive pas. Je suis heureuse qu’elle m’en parle, ça n’est pas toujours le cas. On a tort, pour une grossesse, de parler d’attendre un enfant. L’enfant est là. Attendre un enfant c’est autre chose. C’est ce que vit A., et beaucoup d’autres. Ce que je ne feindrai pas de comprendre tout à fait car je n’ai pas ce désir-là. Mais ça ne m’empêche pas de voir et de sentir combien ça peut être pesant, éprouvant. D’attendre un enfant.
L’amie A. m’écoute aussi, parler de mon boulot à temps partiel, du projet de stage qui se concrétise, de mes cours, des écoutes. Elle comprend l’importance de chacune de ces choses pour moi, et je me dis : quelle chance.

J’adore cet endroit. Dans ce café, ce matin, je me sens en sécurité, dans ce café, ce matin, j’aime Paris. J’oublie un moment la peur, dans la rue, de jour, de nuit. J’aimerais que ça disparaisse. J’aimerais revenir à « avant ». Avant, quand j’écrivais dans un carnet merci *lenomdemarue*, si heureuse d’y avoir emménagé. Avant les événements. Mais on ne peut pas revenir à avant. Je me manque ces temps-ci, je repense en boucle à dix ans plus tôt, aux mots que j’écrivais, et à ce que je faisais. Tout était différent. On ne se « récupère »pas, on ne se « retrouve » pas. Certaines choses nous changent définitivement. En bien aussi. Ce n’est même pas la question, en bien en mal. Il n’y a juste pas de retour à la normale car il n’y a pas de normale. Et je ne peux que regarder devant, autour de moi, et prendre la joie. La mosaïque au sol, le pain au chocolat, le Monde des livres sur un comptoir doré, Arthur dans son grand manteau, l’amitié, l’écriture, les matins, le soleil, le café. Je ne peux que créer à partir de là, maintenant, depuis cet endroit. Il n’y a pas de pèlerinage possible, pas de sauvetage. Rien à ressusciter. On ne peut que créer.

Le grand méchant « non »

Tu n’as pas besoin d’aller mal pour dire non. Tu n’as pas besoin de te justifier. Tu n’as pas besoin d’avoir des soucis. Tu n’as pas besoin d’une bonne excuse. 

Ces dernières semaines, j’ai dit non, à plusieurs sollicitations, répétées, et un peu sourdes à mon tout premier non. (Les détails sont pas hyper importants : c’est pour un groupe dans lequel je me suis pas mal investie en 2022). Donc je dis non, pour telle tâche, telle autre, telle autre et telle autre. Gros challenge pour mon muscle atrophié du “non”.

Je me sens quand même un peu obligée de dire que la rentrée est très dense pour enrober le grand méchant “non”. C’est semi-vrai. Ça resterait possible de caler ici ou là les heures pour faire ce qu’on me demande, mais l’enjeu pour moi c’est la dispersion, j’ai déjà trop de balles en l’air, besoin d’alléger, de simplifier. Je dis donc que la rentrée est drôlement chargée. Je sens qu’il me faut une excuse.

J’ai croisé une camarade, elle aussi trop sollicitée, au point d’en être dégoutée. Elle me dit, haletante et énervée : “j’en ai marre, j’ai pas que ça à faire, j’ai trois enfants, le cursus, le boulot… C’est pas ma priorité”. Je lui ai tout de suite répondu, wow wow wow, qu’elle n’avait pas besoin de se justifier, qu’elle avait le droit de ne pas avoir le temps ou l’envie, sans fournir en PJ le détail de son agenda. Car moi, je n’ai pas trois enfants ni un boulot à plein temps, et pour autant je ne veux pas investir mon énergie, mes pensées, mes soirs et matins à cet endroit, précisément, là, maintenant. J’ai le droit ? Faut-il forcément trois enfants pour dire non ?

Quelques jours plus tard, on me re-sollicite pour une autre tâche. Je dis que je ne pourrai pas. Et on me demande “ça va ? tu as des soucis ?”. Sur le fond, c’est gentil je crois. Mais je me demande : faut-il aller mal pour être dispensée, faut-il avoir des soucis pour avoir le droit dire non ? J’ai connu les années avec de très bonnes excuses, les proches malades, les deuils : le joker absolu, la garantie d’un non socialement légitime, sans négociation. Et là, ça va bien. Bon sang, ça va bien, des projets qui mettent en joie, qui mettent la barre haut parfois, et pas de drames autour. 

Pas de drames. J’ai le luxe de choisir à quoi je dédie mon temps. Je me réserve des heures concentrées, le téléphone banni, toute entière dévouée à la tâche que je mets ce jour-là en priorité. Je me réserve aussi des heures vides, des heures qui flânent, des heures rêveuses et paresseuses, et des espaces pour dire oui à ce café, ce dîner, cette balade, ce truc chouette improvisé. Je me réserve des incertitudes, de la place dans le paysage intérieur, de l’horizon devant, des moments où, qui sait, je pourrais bien avoir l’élan d’écrire ici, faire ces choses qui ne servent à rien mais qui font du bien. Pour une fois, dire non parce que ça va. Ça va bien, merci.

Le vrai début

Je n’ai pas eu envie de sortir aujourd’hui. Premier mars, j’ai le sentiment qu’une nouvelle année commence. Peut-être parce que c’est le mois de mon anniversaire, et qu’au fond j’ai toujours associé ce mois au vrai début.

Je n’ai pas eu envie de sortir car je crains le froid, le vent, je renonce au soleil sur mes joues, au plaisir de marcher dehors, les mains dans les poches, l’écharpe mal fichue, avec ou sans but. Merci le plaid gris mousseux qui recouvre mes pieds, merci la société qui me permet de reprendre des études et de payer la chaleur qui monte dans les radiateurs, merci l’eau brûlante sur mes doigts glacés après une cigarette fumée à la fenêtre, merci la machine qui lave mon linge, merci mes trois piles de livres, pour la patience et la promesse.

Le vrai début, ce serait d’écrire quand l’envie est là. Et de se forcer un peu quand l’envie est loin. Ce serait de ressortir le tapis violet, lancer une vidéo d’Adriene pour faire une vingtaine de minutes de yoga et soigner ainsi les douleurs au dos, aux genoux, la faiblesse dans les bras, les cuisses, le souffle et les mollets. Ce serait de reprendre la lecture des livres commencés en août, en décembre, en janvier.

Le vrai début, ce serait de dire merci pour les choses très simples aujourd’hui comme écrire quelques lignes, près du radiateur, les mains sur le clavier, avec ou sans but, un plaid gris mousseux sur les pieds, et devant moi trois piles de livres et un tapis violet.