Ne me dites pas que je suis fragile

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J’ai revu un film qui m’avait bouleversée : Pupille. Si tu ne l’as pas vu, c’est l’histoire d’un enfant né sous X, et du parcours de son adoption.

A la veille de l’adoption, Elodie Bouchez, à qui l’on demande si ça va, répond très assurément, dans un large sourire : « très bien ! » puis ajoute : « Ça vous dérange si je m’allonge un tout petit moment par terre ? ».

Et elle s’allonge un tout petit moment par terre. « Ça va super, je me sens carrément prête, j’ai l’estomac un peu fragile en ce moment. »

Ce n’est pas l’instant le plus intense ou émouvant du film. En revanche, il est à son image, où les personnages sont beaux et forts de leur « fragilité ». Le film n’est pas une ode à la défaillance, il s’agit bien d’être solide, d’être en capacité de. Mais il dit fort aussi qu’il n’y a pas d’émotions qui t’incapaciteraient. Il fait de la vulnérabilité une évidence, quelque chose de posé dès le départ, c’est la matière avec laquelle les gens avancent, dialoguent et travaillent.

Il y a cette femme qui, c’est vrai, est prête, qui va bien, et qui ose dire – parce qu’elle traverse un truc complètement dingue et parce qu’elle sait qu’on ne la juge pas – qu’elle a besoin de s’allonger un tout petit moment par terre. Et le fait.

Et c’est merveilleusement simple et subtil.

Il n’est pas question de gens forts versus gens fragiles.

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Tu l’auras compris, j’ai un peu de mal avec le concept de « fragilité ».

Dans Retour vers le futur, Marty part en vrille dès qu’on l’appelle ‘mauviette’ (« chicken » en VO). Son orgueil est touché, « nobody calls me chicken », il prend des risques inutiles pour démentir son adversaire, et ça le mène systématiquement à sa perte… jusqu’à la fin du troisième film où il sort enfin de ce cercle vicieux, sauve son futur, en ne cédant pas à l’énième provocation qui se présente.

Dans la série Lost, John Locke, lui, part en vrille avec son légendaire (oui, légendaire, il y a des GIFs) : « Don’t tell me what I can’t do ».

Mon talon d’Achille à moi, ce qui me fait partir en vrille (même si c’est sans effets spéciaux américains), c’est quand on me dit que je suis fragile. Je l’ai beaucoup entendu, et je n’ai jamais vraiment compris ce que ça voulait dire. Dans le fond, au coeur de moi, je ne me sens pas fragile, merci bien.

Alors, on peut continuer à s’époumoner comme Locke ou Marty : Don’t tell me I’m fragile, Nobody calls me fragile (tu peux remplacer fragile par le truc qui te fait toi partir en vrille). Et adhérer, dans cette lutte blessée, à une vision simpliste des gens forts versus des gens fragiles.

Ou on peut reconnaître le merveilleusement simple et subtil : se sentir prêt.e et s’allonger un tout petit moment par terre.

Le vent de l’éventuel

Parfois, très rarement à vrai dire, je regarde quelques photos du voyage et en les parcourant, je me demande quelle belle folie m’avait piquée, je me demande si je serais capable aujourd’hui des mêmes audaces, de la même naïveté, du même appétit pour les rencontres inopinées, de la même patience dans ces moments où seule l’incompréhension vous tient compagnie.

André Breton avait cette phrase : « La rue, que je croyais capable de livrer à ma vie ses surprenants détours, la rue avec ses inquiétudes et ses regards, était mon véritable élément : j’y prenais comme nulle part ailleurs le vent de l’éventuel ».

Ce vent de l’éventuel, j’y pense souvent. D’ailleurs, jusqu’à ce soir, j’avais gardé en mémoire « être ouvert au vent de l’éventuel ». Version erronée alors ? ou transformée parce que c’est comme ça que j’ai choisi de m’en souvenir, comme d’un doux conseil pour arpenter la vie.

J’ai très peu écrit pendant ce long voyage. Il reste des carnets gribouillés de prévisions de trajet, d’horaires, de durées, de noms de villes, de gares ferroviaires, routières, de calculs d’argent, de plans, de pensées fugaces, de courtes traductions. Je crois bien que je passais (au moins !) la moitié de mon temps à organiser le voyage en lui-même puisque je n’avais pas d’itinéraire établi. Il reste aussi les mails envoyés aux proches (c’est merveilleux de dire proches quand on est si loin), je profitais de ces correspondances pour écrire vraiment, créer le récit. Je sentais bien qu’il me fallait un destinataire, l’assurance d’être lue pour faire l’effort d’organiser les mots.

J’économise pour repartir, et ce prochain voyage est déjà habité par l’ancien. Tantôt, j’aimerais qu’il soit nouveau, entièrement nouveau, affranchi d’attentes et de nostalgie. Tantôt, j’aimerais revivre un peu du goût du précédent, voyager pour voyager dans le temps. Mais il n’y a pas de train pour nous ramener là d’où l’on vient.

On repart, et on emporte avec soi cette ignorance, cette curiosité, ce désir pour le monde et tous « les suprenants détours ». On reste ouvert, comme nulle part ailleurs, au vent de l’éventuel.

Où est-ce que tu ne te sens pas chez toi ?

J’étais en « déplacement » hier soir et aujourd’hui. (Drôle d’expression d’ailleurs : « être en déplacement »…comme si on nous avait bougé malgré nous sur un échiquier.)

La journée se déroulait dans un très bel endroit, un truc un peu exceptionnel même.

Le concept de ce lieu, c’est que tout est fait pour se sentir chez soi. Bienvenue à la maison, nous dit-on droit dans les yeux à l’arrivée.

Certes, j’y étais pour le boulot, avec sa dose de stress et de je-sais-pas-ce-que-je-suis-en-train-de-faire-je-vais-pleurer-non-ça-va-aller-tiens-bon-pense-aux-arbres-et-à-la-vraie-vie, mais d’hier soir à cet après-midi, je n’ai pas arrêté de me dire justement que je ne me sentais pas « chez moi », pas à ma place, pas là où j’ai envie d’être.

J’avais partagé quelque chose sur ces endroits (pas forcément au sens géographique) où on se sent chez soi.

Bien sûr, il existe aussi des choses, des personnes, des conversations, une atmosphère au milieu desquelles vous vous sentez à l’inverse très très loin de votre foyer, de vos résonances. Où vous vous sentez carrément « en déplacement ».

Je ne sais pas dire précisément à quoi ça tient pour ça non plus. On le sent, c’est tout. L’ennui, c’est que j’y étais pas par hasard, j’ai pas sonné parce qu’il y avait de la lumière. J’ai fait plein de choix qui m’ont menée aujourd’hui jusqu’à cet endroit, j’ai en partie cherché, voulu ce lieu.

À un moment, j’ai cru qu’on pouvait rester longtemps, voire toute une vie, « à côté de soi ». J’ai changé d’avis, on n’est jamais complètement à côté de soi. C’est pas possible.

Les trucs chiants, les trucs qui ne nous ressemblent pas mais qui prennent de la place dans nos vies, c’est un peu de nous aussi. Il y a un peu de moi dans cet endroit où je ne me sens pas chez moi. Et c’était peut-être ça le plus gênant finalement. Je n’ai pas aimé ce miroir de désirs périmés qu’on m’a tendu toute la journée.

J’étais pressée de reprendre le train, ce soulagement pendant le trajet : regarder la nuit tomber sur des centaines de pavillons, imaginer la vie des autres derrière ces fenêtres, voir se dessiner la lune progressivement ; je me sentais en fuite et furieusement libre.

Je suis fan des fuites. Je sais que ce n’est pas un mode de vie, pas un mode d’emploi mais j’ai des souvenirs très grisants de plusieurs moments comme ça où la joie du départ est si forte qu’on en oublie le fait même qu’on ne sait pas où on va.

Là, je craque

Pas de plan serré sur son visage. L’homme est assis sur une chaise, dans un décor sombre et minimal. Il est grand, costaud, soixante-dix ans, peut-être plus. Sympathique, un peu bourru, il raconte son histoire, son point de vue sur et dans l’affaire, le rôle qu’il a joué. Il sait y faire, il a du caractère et le sens du récit. Le genre d’homme qu’on écoute quand il parle.

Soudain, il avale sa voix, le souffle lui manque, les mots aussi, il s’interrompt, esquisse un sourire gêné, reprend péniblement, s’étrangle à nouveau. Puis, c’en est trop. Il baisse la tête et se passe la main sur le regard. On entend ses larmes déborder, sa poitrine se serrer.

Il expire : « c’est dingue…là, je craque. » On le sent étonné. Puis il essuie ses yeux avec ses larges paumes en reniflant lourdement.

« Là, je craque ». Je n’avais jamais relevé cette expression avant ce jour, avant de voir cet homme qui pleure et pense qu’il craque. Est-ce qu’on « craque » quand on pleure ?

Ce n’est pas vraiment de lui que je voulais vous parler mais de ça.

Moi aussi, je l’ai employée cette expression (je craque, je sens que je vais craquer, faut pas craquer, craquaaaage), et elle en dit long sur certaines idées qu’on se fait sur soi, sur la vie et la vulnérabilité.

Bon sang, on ne se fissure pas, on n’explose pas en mille morceaux, on ne se déchire pas, et surtout on n’est pas défaillant dès lors qu’on pleure, crie ou toute autre façon qu’a le corps de mettre en chair nos maux. On n’est pas des feuilles, on n’est pas des noix.

Quand on dit « je craque », on sous-titre instantément « je ne devrais pas ».

On s’envoie un colis piégé. Une sentence déguisée en aveu.

Quel accueil on réserve à nos larmes ?

Est-ce qu’elles interrompent le récit ou est-ce qu’elles en font partie ?

Encore et encore me dépayser

Troisième soir de rien. Je vois passer le train dans la nuit qui n’attend pas, ça marche pas ; je me rappelle que le contenu peut monter du bas vers le haut, ça marche pas ; je me souviens qu’on peut plonger sans savoir nager, ça marche pas. Je me sens saturée de pensées et vide d’inspiration : un cocktail franchement douteux.

Un jour, en brouillon je me suis notée : « On n’écrit pas pour dire qu’on n’a rien à dire. C’est ça l’astuce. Point barre. » Très chère moi, je te trouve bien définitive et tyrannique ! Ce soir, j’écris même si je n’ai rien à dire. C’est pas l’astuce certes, point barre quand même.

Ça fait trois jours que je tourne autour de cette vidéo que j’adore, qui figure au palmarès de mes ressources clés.

Je tourne autour parce que je ne peux pas la commenter. Tout est dit, tout est parfait. L’un de mes plus beaux souvenirs, l’un de mes plus beaux choix, c’est d’être partie seule en voyage plusieurs mois. Rien à voir avec les expéditions d’Isabelle Autissier, mais quand je l’écoute, je revis un peu de ma petite aventure. 

Jour je-ne-sais-pas-combien du défi, je n’ai rien écrit.

J’ai envie d’écouter tout le silence à l’intérieur.

Envie d’encore et encore me dépayser.

Le vautour et le vivant

Je côtoie quelques personnes qui n’ont presque peur de rien, qui n’ont jamais eu de problèmes pour s’affirmer, prendre leur place, faire des choix, décider, qui ont rarement douté de leurs envies et de leurs capacités. Ils ne sont pas nombreux ces gens, je vous l’accorde. Toutefois, pour de vrai, il y en a. Quelques-uns. Je peux apprendre des choses de ces personnes, mais au-delà du plaisir de les fréquenter, leurs histoires ne m’intéressent pas tant que ça.

J’ai souvent eu peur d’être un vautour, accro au drame, à ne m’intéresser qu’aux histoires qui témoignent du doute, des trébuchements et de la vulnérabilité. Je comprends maintenant que j’étais, et suis toujours, en fait captivée par le cheminement en tant que tel, par tous les récits qui me laissent entrevoir des évolutions, des errances, tous les pas francs ou hésitants qu’on peut faire en direction de soi. Peu importe que la leçon soit apprise, la destination atteinte, la difficulté dépassée. Tant mieux si elle l’est ! Mais je vais aimer ton histoire qu’elle le soit ou pas.

Ta photo au sommet du Kilimandjaro ne sera jamais aussi inspirante que le récit de ton ascension. Et même si tu n’avais pas touché le point culminant, je t’écouterais tout aussi avide et fascinée.

Ajoutons que l’histoire inspirante n’exige rien d’aussi exotique ou spectaculaire… peut-être que l’exploit du jour sera pour toi d’apprendre à cuisiner ce gâteau, de faire cette vidéo, d’écrire ce poème, de monter sur un vélo, de passer près du chien qui aboie, de parler de ce que tu fais, de ce que tu vends, de communiquer tes prix, de dire non, de dire oui. Je précise que certaines choses dans cette liste sont à mes yeux tout à fait exotiques et spectaculaires. La preuve que chacun ses embûches et son parcours.

Et ça m’intéresse de savoir tout ce que tu traverses de toi, les sentiers que tu empruntes, les demi-tours, les heures de marche, les heures de rien.

Je ne suis pas un vautour. Le charognard cherche la mort, lui tourne autour, et je me rends compte, grâce à plein de gens formidables qui cheminent alentour, que je ne fais que chercher, obstinément, le vivant.

Au pays des rêves qui ne sont pas les tiens

Voilà ce qui se passe quand tu réalises le fantasme de quelqu’un d’autre au lieu du tien.

J’ai eu mon père au téléphone pendant le week-end. Il voulait savoir comment s’était passée cette première semaine dans mon nouveau boulot, il me demande tout excité « comment c’est cette nouvelle vie ». Je lui précise que c’est pas vraiment une nouvelle vie hein. Je parle du bon accueil qu’on m’a réservé, puis de la fatigue, de la difficulté d’enchaîner les journées au bureau et les soirées en cours. « Ça fait beaucoup, je ne sais pas encore ce que ça va donner. » Je le sens déçu, le ton de sa voix change. Il y a de la compassion, mais pas seulement. « Oui, oui, c’est sûr, ça fait beaucoup. »

Ce job, c’est la classe à ses yeux, je sais qu’il est fier. C’est son fantasme à lui que je suis en train de réaliser. Je le savais en acceptant ce travail, je savais que j’allais exactement là où on m’attend, là où lui m’attend.

C’est son fantasme à lui, et à force de chercher la fierté dans sa voix, c’est devenu mon fantasme à moi. 

Ma « nouvelle vie », c’était pas lundi 4…vraiment pas. C’était plein d’autres moments du calendrier, ces derniers mois tout particulièrement. C’était souvent des choix sans éclat dont personne ne pouvait se réjouir à part moi.

D’ailleurs, personne n’a le devoir de s’en réjouir pour moi (c’est très important ça).

Ma prochaine nouvelle vie, elle va commencer quand je renoncerai à cette chaleur dans ta voix, quand j’arrêterai de séjourner au pays des rêves qui ne sont pas les miens.

J’ai hâte de vous écrire depuis l’autre rive, une carte postale de mon pays.

Personne ne t’attend

Je suis attendue à 9h30 au fond de la cour près de l’escalier E. Je commence un nouveau travail aujourd’hui. Il fait nuit noire dehors, c’est la belle saison. Je me suis levée un peu plus tôt que nécessaire pour pouvoir écrire. Niveau d’émotions au bord de ce premier jour : lave-linge essorage 1600 tours.

C’est un bon job, bon feeling avec les personnes rencontrées au fil du recrutement, bonnes conditions, bonnes missions, bonne réputation.

C’est tout bon.

Sauf que… (parce que la vie serait tellement moins drôle sans contestation).

On dit que l’entrepreneuriat peut parfois être une fuite amère du salariat. L’inverse est vrai aussi : le salariat peut devenir une fuite totale. On s’y réfugie pour éviter tous les regards inquiets, toutes les questions sans réponse. Pour éviter d’aller là où personne ne nous attend.

Il t’en faut du courage, toi qui crées et organises chaque jour ton activité (qu’elle soit entrepreneuriale, artistique ou autre), toi qui portes à bout de bras ton projet. Peut-être qu’aujourd’hui personne ne t’attend à 9h30 au fond de la cour près de l’escalier E, mais tu y vas quand même. Tu n’attends pas qu’on t’attende.

Ce matin, je t’admire plus que jamais.

Où est-ce que tu te sens chez toi ?

Ce soir, je vous partage cette très jolie question qu’on m’a posée l’autre jour : « où est-ce que tu te sens chez toi ? ». La question ne portait pas sur un lieu, un environnement. Elle a surgi dans une conversation sur les activités, les envies, les élans.

J’ai adoré cette question et tout ce qu’elle a provoqué en moi. À peu près la sensation de ce GIF :

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J’avais un peu de mal à verbaliser ma réponse mais à l’intérieur, c’était un feu d’artifice des émotions que j’ai pu ressentir au contact de tel univers, telle personne, telle vision du monde, telle création.

C’est joyeusement mystérieux les raisons pour lesquelles on se sent chez soi. On ne sait pas forcément l’expliquer avec des mots, mais c’est quasi instantané. C’est ta carte aux trésors, ton ciel étoilé.

J’aime aussi le double mouvement que la question permet : un mouvement vers l’intérieur (ce qui palpite en toi) et un mouvement, simultané, vers l’extérieur (toutes ces lumières dans ton paysage). Là où je me sens chez moi m’offre tout autant un refuge, un foyer que des destinations à explorer, des portes à franchir. Des indices pour cheminer.

Et toi, et toi, où est-ce que tu te sens chez toi ?

Trois mots magiques

Ça pèse lourd une pensée sur soi. Que ce soit celle qu’on formule nous-même ou celle qui nous vient d’autour.

Je reviens de plusieurs jours en famille et c’était le festival des lourdes pensées. J’observe tout plein de choses qui n’ont pas encore assez changé dans ma façon d’agir, de réagir, d’interagir. J’assiste aussi à ce jeu cruel et classique qui consiste à s’étiqueter les uns les autres. Untel est plutôt comme ceci, Unetelle est plutôt comme cela.

Tu te définis. On te définit. Et ça a un sale goût de définitif.

Ça me fait l’effet d’être empaillée. Terminé, pas bouger.

Il y a quelques mois, on m’a fait découvrir un outil merveilleux qui m’aide à échapper à cette drôle de taxidermie. Trois mots magiques : pour l’instant.

Exemples absolument pas tirés de la vie réelle : si on me dit « toi tu ne sais pas trop te discipliner pour travailler seule chez toi, c’est pas forcément une bonne idée de te remettre à ton compte », ça devient « j’ai du mal à me discipliner pour travailler seule chez moi, pour l’instant » ; si je me dis « catastrophe, je me vexe encore tellement facilement », ça devient « je me vexe encore tellement facilement, pour l’instant ».

Je suis épatée par le pouvoir du « pour l’instant ».

Ça ouvre la possibilité de la vie et du mouvement.
Ça me permet de regarder devant.
Ça redonne toujours des ailes à mes lourdes pensées.

Il commence à me faire chier mon idéal

J’ai écrit ça un jour sur un papier brouillon, je ne me suis jamais souvenue de quand ça datait ou du contexte duquel cette phrase avait surgi.

Mais c’est vrai sans arrêt, c’est vrai aujourd’hui. Il commence à me faire chier mon idéal.

J’ai cet idéal dans la tête : à quoi devrait ressembler ce que j’écris, ce que je dis, ce que je fais, qui je suis. Et j’ai cette peur dans le coeur : décevoir, toujours être en-dessous, à côté, pas assez. Comme un souffle court.

Petite, je me suis imaginée tout ce que je deviendrai, et c’était beau et c’était grand. J’avais pas de petits rêves, tout allait devoir être époustouflant.

En grandissant, j’ai eu l’impression de passer mon temps à décevoir cette petite fille. Ce que j’écris, ce que je dis, ce que je fais, qui je suis : merde, merde, merde, merde, c’est carrément à des années-lumière de cet idéal soigneusement tissé.

Alors il commence à me faire chier mon idéal.

Mais au lieu de penser à la petite fille que j’étais, un jour j’ai enfin pris le temps de penser à la vieille dame que je pourrais devenir.

La vieille dame, elle vient pas m’emmerder avec des histoires d’idéal. Elle veut juste des histoires. Elle veut pouvoir y songer au coin de feu (oui, je serai une vieille dame dans un conte anglais), s’y blottir avec ce sourire radieux. Celui de la vie vécue. Elle sait qu’on s’est bien amusé, qu’on a essayé, qu’on a appris, qu’on a voyagé, qu’on a savouré. Elle est dense de tout ça. Elle serait tellement déçue si je ne lui laissais à la fin qu’un idéal. Elle s’en fout si c’était pas parfait. C’était.

Alors, j’ai choisi : je préfère décevoir la petite fille plutôt que la vieille dame.

Jouer avec tes défauts et tes difficultés

Aujourd’hui j’ai ouvert la newsletter de women who do stuff et fait une délicieuse découverte : « Jacqui Kenny aka Agoraphobic traveller est agoraphobe et anxieuse. Elle a beaucoup de mal à sortir de son appartement londonien sans faire des crises d’angoisse épuisantes, alors pour voyager, elle se promène sur Google Street View et en tire des clichés magnifiques comme celui pris au Chili depuis son ordinateur. »

J’adore. Je vous partage pas ça pour dire qu’il faut rationaliser ses angoisses, ses blocages et s’y résigner. Du tout, du tout. L’anxiété n’est pas un mode de vie acceptable.

Mais j’adore parce que ça me rappelle deux choses :

– qu’on peut faire des trucs à partir de qui on est maintenant, là où on en est, à cet instant. Qu’il n’y a pas besoin d’attendre d’être « guérie ».

– que nos « défauts » ou difficultés peuvent être des sources incroyables d’inspiration et de création quand on arrête de leur dire ta gueule à longueur de journée et qu’on regarde comment on peut jouer avec au lieu de lutter contre.

Et toi, avec quoi tu pourrais jouer ?