Allure libre

Merci l’article « au hasard » (des guillemets parce que j’ai passé les 3 premiers) de Wikipédia ! Je suis enchantée de ma découverte du soir.

Paris-Brest-Paris ou Paris-Brest et retour, c’est une course cycliste créée en 1891. L’homme qui a remporté la première édition, Charles Terront, a roulé sans dormir pendant 71 heures (!) pour parcourir ces 1200 km. Le deuxième n’arrive que huit heures après lui, et des centaines terminent des jours plus tard, « en s’arrêtant dans des auberges pour la nuit ». La performance de Terront m’épate complètement. Je regarde des photos et dessins de lui, cherchant à percer du regard le secret de cet homme. C’est lui là ci-dessous. C’est rigolo, en creusant, je découvre des sites de passionnés de cyclisme, des portraits de « l’homme-coureur », l’engouement de la foule à l’époque pour l’exploit et pour le vélo, ça m’emmène là où je n’avais pas du tout prévu d’aller ce soir (j’ai déjà dit que j’aimais quand même vachement internet ?).

Bref, passons Terront, ma grande découverte du soir est à venir.

En 1931, il y a sur cette course Paris-Brest-Paris, en plus des 28 coureurs, 150 « touristes » inscrits : 64, allure libre et 91, audax.

Je ne connaissais pas avant ce soir ces expressions : allure libre et audax. Ça a l’air connu pourtant, moi je découvre.

Allure libre : c’est beau, et ça va, je comprends, enfin je déduis.

Audax : allez zou, une autre fiche wikipédia !

Alors, c’est quoi ? « L’audax se définit comme une épreuve de régularité et d’endurance, à allure imposée conduite et contrôlée par des capitaines de routes régulant la vitesse du groupe. » Elle est de 20 à 25 km/h pour les cyclistes, 6 à 6,5 km/h pour les marcheurs. Si ça vous intéresse pour les rameurs ou skieurs de fond, il y a des allures contrôlées là aussi.

D’où ça vient ? « Le 12 juin 1897, 12 cyclistes italiens tentaient à vélo le raid Rome-Naples (230 km), entre le lever et le coucher du soleil. Neuf réussirent, leur tentative fut qualifiée d’audacieuse (« Audax » : traduction latine du qualificatif audacieux). Ceci donna lieu à de nombreuses sorties en groupe et contribua ainsi à la naissance du mouvement cyclotouriste.« 

La devise Audax ? « Partir ensemble, arriver ensemble : L’Audax, ce n’est pas seulement pratiquer un exercice physique d’endurance, car la formule exclut toute notion de compétition. C’est aussi et surtout le pratiquer ensemble de manière solidaire, les plus forts aidant les autres à atteindre le but.« 

Euh…vous me voyez venir, non ? Je pense à ce challenge d’écriture quotidienne, à cette épreuve de régularité et d’endurance, à allure contrôlée. Un contenu par jour, il arrive que ce soit difficile. Parfois, c’est le manque d’idées, parfois le manque de temps, parfois le manque d’envie, franchement. Mais en découvrant le terme audax ce soir, je me rappelle qu’on part ensemble, qu’on arrive ensemble, que l’audace se cultive collectivement.

Et c’est pareil au-delà de ce défi d’écriture,

  • qu’est-ce qu’on peut faire à « allure libre » ?
  • qu’est-ce qui fonctionnera mieux « audax » ?
  • qu’est-ce qui nous donnera suffisamment d’énergie si on s’essoufle un peu entre Rome et Naples ?

Allure libre, c’est doux à mes oreilles, doux à lire. Il y a des choses que je peux courir de cette façon-là. En revanche, cette fois, j’avais besoin d’audax.

Une vie digne d’être racontée

Wikipédia encore, encore. Je tombe au hasard sur un botaniste qui aurait dû, par loyauté familiale, faire médecine mais qui a choisi l’amour des voyages et des plantes, puis sur un archéologue britannique qui a passé sa vie à faire des fouilles en Turquie et a publié un Journal écrit pendant un voyage en Asie mineure. Parenthèse : j’adore la simplicité factuelle, presque plate, de ce type de titres, comme cette Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, en total contraste avec la promesse d’exceptionnel et d’exotisme qu’ils portent malgré eux.

Je n’ai pas approfondi la question Wikipédia, sur quels critères décide-t-on qu’une fiche mérite d’exister. Pourtant, c’est vraiment un sujet pile dans mes dadas. Je creuserai. Mais qu’est-ce qui fait qu’une vie est jugée digne d’être racontée ?

Je rêve ce soir d’un alter-wikipédia rempli de vies anonymes, de personnes dont la vie n’a jamais débordé vers le domaine public, et dont l’existence est pourtant ponctuée de virages, d’élans, d’inertie et d’inattendu.

On me dira, ça existe déjà, c’est tout l’internet qui n’est composé que de ça, explore tous les blogs, facebook et instagram et tu l’auras ton alter-wikipédia.

Mais c’est pas ça. Je ne parle pas du récit qu’on fait, soi, de sa vie, mais de la façon dont on décide qu’une vie devient récit.

Qu’est-ce qui fait d’une vie une histoire ? Est-ce que c’est le chaos traversé, les rencontres étincelantes, la douleur surmontée, les belles surprises, les choix courageux ou les projets contrariés ? Est-ce que la joie ou les doutes peuvent se raconter ? Est-ce qu’il faut des dates précises et des références ? Est-ce qu’il faut des traces écrites : s’il en manque, relever des courriers, des listes de course, des faire-part ? Qu’est-ce qui fait d’une vie une histoire ?

Est-ce qu’il ne s’agit pas seulement de l’écouter ?

J’avais proposé ça à S., je lui avais dit On va interviewer tous les êtres humains de la planète, on n’aura jamais fini avant de mourir mais on aura commencé.

Vasteville

J’ai rejoué à Wikipédia, donne-moi une idée de contenu. L’article au hasard : Vasteville. Je ne sais pas bien quoi en faire sincèrement mais je vis un bonheur très simple de découvrir ce très beau nom de Vasteville.

C’est tout près de la pointe finale du Cotentin.

Autour, on y trouve paraît-il des ruisseaux nommés « De Bival », « Du Val Tolle » et « Des Noës ». Je dis paraît-il parce que j’ai envie d’aller vérifier sur place maintenant que je suis envoûtée.

Vasteville, ça viendrait de l’ancien normand -vast, -wast : des terres en jachère ou en friche (merci wikimanche, et je te découvre toi aussi ce soir). Vasteville m’évoquait simplement l’étendue, la promesse des grands espaces. Les dunes et la mer. Finalement, ça me plaît de ne pas savoir si ça désigne la jachère ou la friche. Un repos travaillé ou un repos d’abandon.

Un homme appelé Jean Fleury y est né en 1816. Professeur, rédacteur, il est parti vivre en Russie en 1857, prendre un poste de gouverneur et il y est resté pour enseigner. On ne sait pas trop pourquoi, d’où vient cette histoire de gouverneur. Et en combien de temps a-t-il fait le trajet, c’était récent le train, est-ce qu’il a pris le train, à quoi ressemblait Saint-Pétersbourg à cette époque-là, qu’a-t-il pensé, senti en arrivant là-bas, qu’a-t-il pensé, senti en revenant en France 35 ans plus tard.

Il écrivait des poèmes, dont celui-ci :

« Que l’ombre y soit touffue et que l’herbe y gazonne,
Que le pinson y chante et la mouche y bourdonne,
Qu’on entende les cris des oiseaux querelleurs.
Loin des prés odorants, loin des coteaux fertiles,
J’ai vécu de longs jours exilé dans les villes,
Laissez-moi m’endormir au doux parfum des fleurs. »

Un train dans la nuit

J’ai eu ma période Truffaut. J’avais vu et revu beaucoup de ses films, pas tous mais pas mal quand même. En cherchant une idée pour le contenu du jour, je suis allée sur wikipédia et j’ai cliqué sur « article au hasard » (en haut à gauche, si jamais toi aussi tu veux jouer à ça, attention c’est addictif). Wiki me sort la fiche d’un film, j’ai pensé au cinéma (oui j’ai l’esprit fulgurant comme ça). Et j’ai repensé à ce fameux passage dans La nuit américaine de l’ami Truffaut :

« Ecoute Alphonse, viens, tu vas rentrer dans ta chambre, tu vas relire le scénario, tu vas travailler un petit peu, et tu vas essayer de dormir. Demain, c’est le travail, et le travail est plus important. (…) Je sais, il y a la vie privée, mais la vie privée elle est boiteuse pour tout le monde. Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse, il n’y a pas d’embouteillages dans les films, il n’y a pas de temps mort, les films avancent comme des trains tu comprends, comme des trains dans la nuit. Les gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans le travail, dans notre travail de cinéma. Salut Alphonse, je compte sur toi.« 

Je vous mets la vidéo pour le plaisir d’écouter Truffaut, son timbre et son débit, et de voir Léaud en robe de chambre.

Je me souviens encore de l’émotion la première fois que j’ai entendu ça. Je devais avoir 14 ou 15 ans, mes rêves étaient peuplés de cinéma. Je réécoute cet extrait, et je le trouve toujours très puissant. La nuit américaine, c’est un film sur la fabrication d’un film, jour après jour, qui se fait malgré les mélodrames qui gravitent autour, c’est un film sur le travail, l’artisanat, sur un rêve qui persévère dans la matière.

Et j’aime cette idée de l’ouvrage (que ce soit un film, un livre ou tout projet que tu entreprends) qui avance inéluctablement comme un train dans la nuit.

Qui fend l’obscurité et qui n’attend pas la vie. Qui ne peut pas attendre que tout le monde soit prêt, disposé ou confiant.

Cet ouvrage qui te dit calmement, fermement : demain, c’est le travail et je compte sur toi.

Ce défi, c’est l’un de mes trains dans la nuit. Il faudra écrire quelque chose même si personne n’est là pour le lire, même s’il n’y a pas assez de temps, même si on ne sait pas par où commencer. Il faudra écrire parfois un peu malgré soi, coûte que coûte. Parce que ça n’attend pas.