Entretien avec Amélie Charcosset, autrice et animatrice d'ateliers d'écriture

“Le temps de découvrir ce qu’on veut dire”- Entretien avec Amélie Charcosset 2/3

J’ai connu Amélie via un groupe facebook d’entrepreneur-e-s. J’ai découvert et adoré ses posts, son écriture, son groupe de poésie Fondu.e.s de fondus, sa newsletter, ses formidables ateliers d’écriture et programmes d’écriture en autonomie, puis son très beau roman et ses coulisses d’écriture sur Tipeee, et le plaisir de nos longues conversations zoom, whatsapp ou parisiennes quand ses trains la font, bien malgré elle, passer par ici. 

Amélie Charcosset est autrice, animatrice d’ateliers d’écriture et enseignante de Français Langue Étrangère. Elle a publié son premier roman Je ne suis pas née ce matin en 2021, et elle est en train d’écrire le deuxième. Ah oui, et elle vit en Suisse, quand elle n’est pas (ce qui arrive souvent) en travadrouille ou en autorésidence d’écriture.

L’interview est composée de 3 parties. Le premier épisode est accessible ici, et le troisième là.

Et voici le deuxième épisode qui parle du vertige d’écrire un nouveau roman, de travail, de beaucoup de travail, de doutes et de magie, du NaNoWriMo, d’autorésidences, de réécriture et d’un rythme à soi.

Prends un fruit ou des biscuits, tes cliques, tes claques, et ton carnet : bonne écoute et/ou bonne lecture !

L’épisode 2 version audio

Disponible aussi sur soundcloud

L’épisode 2 version texte (et petits audios)

Le travail en train de se faire

Une des choses que j’adore chez toi, c’est le fait que tu partages beaucoup le travail en train de se faire, donc tous tes processus de création et de décision, alors que ce soit via ta newsletter, via tes posts sur Tipeee, via ton blog : qu’est-ce que ça te permet, à toi, de faire ces partages sur le travail en train de se faire ? Et qu’est-ce que toi, tu aimes là-dedans ?

Alors, déjà, je le fais parce que j’adore lire ça chez les autres. Je me dis que si je le fais, peut-être que ça motivera d’autres gens à le faire aussi ! Parce que je trouve ça passionnant, fascinant.

Je le fais aussi de manière très égoïste parce c’est très motivant pour moi, ça me fait avancer. Pendant un temps, je pensais “le vrai écrivain” (déjà, forcément au masculin, à cette époque j’utilisais pas d’autres mots que “écrivain”), le vrai écrivain n’a besoin de personne, le vrai écrivain ne montre son texte que quand il est publié, et si ton manuscrit avait eu besoin du travail d’un éditeur, c’est vraiment que ton bouquin, ça n’allait pas. Evidemment, tout ça j’ai déconstruit. On parlait d’idées fausses, ça en fait partie aussi. Un texte est nourri de plein de choses, de plein de rencontres, de plein d’avis de plein de gens. Enfin “évidemment” ! Pour moi, en tout cas. Y a peut-être des gens qui cachent jusqu’à la version finale, mais moi j’ai vraiment accepté que le texte n’en était pas moins valable que s’il avait été fait uniquement par soi. Pour Je ne suis pas née ce matin [son premier roman], j’avais envoyé une trame détaillée à des ami-e-s en leur demandant leur avis, et une amie m’avait raconté qu’elle avait accompagné sa grand-mère en fin de vie et qu’une des choses qui l’avaient touchée super fort, c’était de lui avoir limé les ongles à ce moment-là et d’avoir eu cette relation au toucher, au fait de prendre soin. J’avais trouvé ça hyper beau, hyper fort, et c’est une chose à laquelle j’avais pas du tout pensé. Et je lui ai pris cette idée ! J’ai cette scène où Hannah lime les ongles de Margaux. À un moment, je me suis dit que cette idée n’était pas à moi, et subrepticement, que le livre n’était pas mon livre, c’était en réalité mon livre et le livre de ma pote qui m’a raconté que… Et en fait, j’adore ce passage et je crois que ce passage ajoute à leur relation, et qu’il a sa place dans le texte. Et donc, je raconte aussi le processus du travail en cours parce que le travail en cours s’enrichit beaucoup des échanges.

Sur Tipeee, je suis beaucoup plus vulnérable (dans le sens où c’est plus à l’instant T), que dans la newsletter où c’est souvent après avoir eu le temps de digérer les trucs. Mes newsletters commencent par “il y a quelque” temps”, “il y a six mois”, ça y est j’ai traversé, et c’est derrière ! Sur Tipeee, il y a vraiment plus de “en ce moment, c’est ça…”, en ce moment, c’est la lutte, en ce moment, c’est la joie, souvent c’est les deux en même temps. Parce que c’est une plus petite communauté, et je sais que les gens sont hyper bienveillants. Sur ma newsletter aussi, mais c’est pas le même espace.

Et puis, une autre raison, liée à une autre idée fausse, assez répandue : celle du talent ! « Il y a des gens qui auraient du talent et d’autres qui n’en auraient pas. Et seuls les gens qui ont du talent auraient intérêt à écrire, etc. » Je me rends bien compte, comme on dit, que c’est 5% de talent, 95% de travail. Et montrer le processus, c’est aussi montrer ça : c’est montrer tout ce par quoi on passe. Et c’est rigolo, sur Tipeee, un des commentaires qui revient souvent, c’est la persévérance. La première fois que j’ai lu ça, j’ai pensé : ah bon ? Et en fait, je réalise que : si. Régulièrement, je pars quelques jours pour écrire. Les gens demandent si c’était bien les vacances, et en fait, ben c’était pas des vacances, j’étais en train d’écrire. Et oui, c’est du boulot, oui !

Et enfin, une dernière raison, hyper pragmatique. C’est Austin Kleon qui encourage à partager ses processus de création (et lui le fait et c’est une de mes inspirations) si tu veux construire une communauté, avec des gens qui te lisent… Moi, vu mon temps d’écriture, si je ne partage des trucs que quand j’ai des romans finis, ça va être chaud ! Les gens, ils vont avoir le temps de m’oublier ! Tous les dix ans : “hey, j’ai un nouveau livre” ! Et donc, très pragmatiquement, c’est aussi pour garder le lien avec des gens qui ont aimé un texte, qui ont envie de suivre ce qui se passe, et de savoir ce qui se passera après.

Écrire le deuxième roman

Est-ce qu’il y a des endroits où t’as encore et toujours l’impression de repartir de zéro, d’être perpétuellement débutante ?

Pour écrire un livre, j’ai clairement l’impression de repartir de zéro. Recommencer un livre, je trouve que c’est vertigineux. Comment ai-je pu même réussir à le faire une fois ? C’est insurmontable. Mais bon, il y a quand même une partie de soi qui l’a fait, donc… ça doit être surmontable… quelque part.

Je voulais te demander justement : quelle différence pour toi entre écrire le premier livre et le deuxième livre ? Qu’est-ce que tu tires de cette expérience du premier pour le deuxième ?

Je pense, c’est le fait de voir que j’ai pu le faire une fois. Il y a quelque chose en moi qui fait que j’en ai fini un ! Après, quand tu te lances dans le premier, tu sais pas en fait, comment ça va être. C’est un peu juste l’excitation du truc. Puis, quand tu te lances dans le deuxième, bah, pfiou, tu sais… à quel point ça a été long, les montagnes russes de doute, de moments d’inaction, d’envies d’abandonner, d’à-quoi-bon, d’incertitudes, de “ça tient pas la route”, tout ça ! Régulièrement, je me demande pourquoi on fait ça. Et en fait, je vois. On en parlait la dernière fois : quand j’arrive à vraiment me mettre dedans, la magie de l’écriture, elle revient hyper vite, et du coup c’est hyper jouissif. C’est ça que je viens chercher ! Mais quand tu dé-zoomes un peu et que tu regardes tout le chemin, pfou… c’est quand même beaucoup de faire ça. Après, il y a plein de choses dans la vie qui sont “beaucoup”, que plein de gens font et que moi, je pourrais pas faire. Ça reste une condition très privilégiée, en tout cas la façon dont moi je le vis. Là, je te parle depuis une maison écologique où je passe 4 jours toute seule, au milieu des nuages : il y a pire comme setup.

Je ne suis pas née ce matin, c’était le premier roman que j’écrivais seule. Avant, j’avais quand même écrit d’autres choses qui ont été publiées, dont une nouvelle mais franchement, je ne me souviens même pas de l’écriture. C’était une nouvelle, c’est allé assez vite. J’ai pas du tout l’impression d’avoir traversé ces doutes-là, de cette manière-là. Le fait peut-être que c’était une commande même si j’étais très libre. La contrainte, c’était une nouvelle sous forme épistolaire et qui parlait de voyage, donc mes thématiques entrent assez facilement dans ces contraintes-là. J’ai pas trouvé ça douloureux, plein de doutes. Et le projet que j’avais fait avant, Nous sommes tous des faiseurs de ciel, un livre-boîte avec une photographe,  il y a quand même eu des moments où on savait pas trop, et c’était difficile, mais peut-être que le fait que ce soit de la co-création, ça m’a semblé assez léger. Et puis ça a duré moins longtemps, ça s’est moins étiré dans le temps. Mais, pareil, c’était une commande, qui colle à mes sujets. Il y a peut-être quelque chose de différent dans le fait de faire venir quelque chose directement de soi.

Et, en plus, dans ma façon de fonctionner, c’est un processus où je ne sais pas encore ce que c’est avant de l’écrire. Ça prend beaucoup de temps de découvrir ce qu’on veut dire, et c’est pas toujours très agréable de se rendre compte de ce qu’on veut dire, on n’a pas forcément envie de travailler ça. Et en même temps, je sais qu’écrire, c’est ma façon de traverser les choses, de répondre à mes questions, et de grandir. C’est pour ça, aussi, que je le fais.

Et je rajoute une question, sur la différence entre le premier et le deuxième, c’est que, là finalement, il y a presque le poids de l’expérience du premier qui est plus un frein qu’un facilitateur pour l’écriture du deuxième parce qu’il y a ce souvenir du temps que ça prend, de l’énergie, du courage, de la persévérance que ça demande ! T’as plus cette innocence de la première fois. Mais en même temps, il y a ce souvenir de l’avoir réussi, qui peut être un facilitateur. Est-ce qu’il y a d’autres choses que ce souvenir mystérieux d’avoir réussi qui peuvent être des appuis aujourd’hui pour l’écriture du deuxième ?

Oui, typiquement, je me souviens du moment où j’ai trouvé la fin du texte, une fin avec laquelle j’avais lutté pendant hyper longtemps parce que je voyais trois options et aucune ne me convenait, je butais sur ces trois-là, je n’en voyais aucune autre possible. Soit une happy end, soit une fin méga triste, soit une fin où on ne sait pas et on laisse le lecteur deviner, et je trouvais ça horrible de faire ça, et pas du tout fair de la part de l’auteur-e. Je me disais, j’ai pas envie d’une happy end, même si j’aime beaucoup les fins heureuses, mais là je voyais pas comment la faire sans que ça fasse cheesy, niais. Je voulais pas écrire un truc triste parce que tout est déjà triste et mon but n’est pas d’écrire un truc qui enfonce les lecteurs et lectrices. Mon but c’est aussi d’écrire des livres qui… bon, qui aident à vivre, c’est peut-être un peu prétentieux mais il y a quand même un peu cette idée-là. En tout cas, qui accompagnent, pas qui enfoncent. J’arrivais pas à voir d’autres options, j’ai lutté avec cette idée de fin pendant super longtemps. Et quand j’ai trouvé… j’ai hyper envie de revivre un truc comme ça ! Et d’ailleurs on le revit à plein de moments dans une autre mesure dans l’écriture. Les moments où il y a des liens qui se font au-delà de soi. Il y a vraiment un truc de magie, comme si les pièces s’emboîtaient, et je me dis “Han ! Mais évidemment, que ça, ça va avec ça !”, alors que je l’avais pas vu avant. Et je trouve ça trop bon !

L’autre truc qui me vient, c’est sur les retours que j’ai eus. C’est pas sur l’écriture, mais c’est aussi un appui de voir qu’il y a des gens que cette histoire a accompagnés, j’ai eu des récits qui m’ont beaucoup touchée sur ce que le texte avait pu faire pour eux, avec cette idée que la fiction est parfois très proche du réel. Parce que c’est une histoire de fiction pour moi, ces deux amies dont une dans le coma, et des gens qui avaient vécu ce genre de choses m’ont écrit. C’était fort pour moi de lire qu’ils avaient pu se retrouver là-dedans et panser aussi des choses pour eux.

Tout ça, oui, me donne envie d’écrire celui que j’écris maintenant. De me dire qu’au-delà du fait de m’aider moi à traverser des choses, peut-être qu’il pourra aussi aider… Aider, c’est un grand mot, je sais pas… peut-être, qui “accompagne”. Qui accompagne un peu…

Après je pense aussi à l’émulation, de faire lire d’autres personnes, de retravailler avec les commentaires des autres, de reprendre un texte, et de chercher. La recherche aussi je crois ! Parce que j’ai eu plusieurs relectures avec des retours que j’entendais et que pour autant, je ne savais pas comment appliquer au texte, au moment où je les recevais. Ce qui est normal en fait : il faut du temps. Il y a cette période-là, la recherche ! Comment est-ce que j’intègre ce qu’on m’a dit, est-ce que j’intègre ce qu’on m’a dit, est-ce que je sens que c’est juste, ou est-ce qu’en fait non ? Tous ces choix-là. Comment tu viens ciseler la langue pour être au plus près de ce que tu veux dire. J’ai adoré ce travail de ré-écriture finale ! J’ai vachement lutté pour trouver l’entrée dans le texte, mais une fois que j’ai trouvé mon “truc”, j’ai vraiment aimé en fait. J’ai hâte de quand j’en serai là. Pour l’instant, j’en suis pas là.

Mais je suis moins “dans le dur” qu’il y a un an, où je me disais “non non non je veux pas écrire là-dessus, non non non non non” et c’était pas très constructif. Là, ok j’écris sur l’inceste, ok c’est dur, ok là c’est le moment pas très agréable où je dois écrire telle scène. Et en même temps, mon énergie, elle est dirigée dans une direction. Avant, quand le sujet était là mais que je n’y allais pas, j’étais beaucoup plus tiraillée ! Donc oui, c’est dur, mais en même temps, c’est moins dur qu’il y a un an.

Et dans ta façon d’organiser ton écriture, est-ce qu’il y a des choses que tu tires de l’expérience du premier ? Par exemple, les autorésidences, elles ont commencé pendant le premier, non ?

Les autorésidences, elles ont commencé pour le deuxième mais par contre les résidences avec des amies, oui, ça a commencé pendant le premier. Et clairement, c’est les résidences avec les amies qui m’ont fait dire à un moment : pourquoi je fais pas plus ça ? Ces moments-là sont tellement précieux. À un moment, je faisais une formation sur mon entreprise et mon modèle économique, avec toutes ces questions bateau, « qu’est-ce que tu ferais si tu n’avais pas à te soucier de l’argent ? », bah je crois que j’irais écrire dans des lieux, pas chez moi, toute seule quelques jours. Le fait de le formuler m’a fait prendre conscience que je pouvais le faire ! Je pouvais réorganiser mon budget, réorganiser une partie de mon temps pour faire ça. La graine, c’était vraiment les résidences avec les amies.

Ce que j’ai appris aussi, c’est que je découvre le texte au fur et à mesure qu’il s‘écrit. Et du coup dans Je ne suis pas née ce matin, il y a des morceaux que j’ai écrits, je pense, avec des propositions d’ateliers. Et pour le coup, pour le texte en cours, j’ai beaucoup écrit via des propositions d’atelier, créées par moi-même la plupart du temps – c’est un excellent subterfuge de mon propre cerveau !

Le NaNoWriMo : la fausse mauvaise idée

Et pour le premier, il y a deux fois où j’ai participé au NaNoWriMo. J’ai pas fait jusqu’au bout mais ça m’a permis d’accumuler pas mal de matière. Le NaNoWriMo, c’est un challenge d’écriture, où on écrit 50 000 mots au mois de novembre. Ce qui fait beaucoup de mots. Et donc à chaque fois, j’ai pas fait 50 000, mais j’ai quand même accumulé de la matière en faisant 20 000 ou 16 000. De la matière que j’ai énormément coupée mais qui m’a permis de poser certains jalons dans le texte.

Mais justement, j’avais écrit tellement de texte inutile pour Je ne suis pas née ce matin via le Nano, je me suis dit pour le texte en cours “je vais plus faire ça, je veux plus faire le Nano, je vais juste écrire des trucs où les mots seront directement pensés”. Dans le Nano, l’idée c’est : t’amasses des mots et tu vois après. Et j’ai tellement dû couper ! J’ai ré-écrit plusieurs fois, pour enlever, enlever, enlever. À un moment, j’ai pensé que c’était contre-productif de faire le Nano.

Du coup, dans le deuxième livre, je me suis un peu lancée en mode : je vais pas faire le Nano, chaque phrase va être réfléchie dès le début, comme ça j’aurai beaucoup moins à couper, etc. Ça n’a pas du tout marché ! En fait, ça m’a plus freiné qu’autre chose. Comme je savais pas encore ce que je voulais dire, bah… ciseler chaque phrase c’était un peu compliqué. Ça m’a pris du temps… justement parce que je me disais : je vais apprendre de mon expérience du premier. Peut-être que pour le troisième, j’aurai appris ça ! Alors, j’ai pas refait le Nano, mais par contre je m’autorise plus à écrire des choses où je sais pas où ça va et peut-être qu’il n’y a rien que j’en tirerai.

Ça fait vraiment écho à un truc qu’on voit en psycho du langage en ce moment : dire quelque chose c’est ouvrir la possibilité de dire autre chose, c’est-à-dire que c’est un point de départ pour pouvoir sauter dessus, ajouter. On le sait intuitivement, parce que quand on parle, une fois qu’on a dit quelque chose, c’est un nouveau point de départ pour aller ailleurs. On a fait un bout de chemin, et d’autres chemins s’ouvrent, qui ne se seraient pas ouverts si on n’avait pas dit cette première chose. Et du coup, dans l’écriture, ce que tu décris sur ton expérience d’avoir osé écrire de la matière, même si finalement elle est pas restée, bah c’était toujours de la matière pour pouvoir en créer d’autre derrière. Et oui, c’est précieux ! S’autoriser ces choses qui vont peut-être pas rester mais qui sont des chemins pour d’autres chemins.

Carrément, et ce que tu dis, ça me fait penser qu’écrire ce premier livre, il permet aussi que le deuxième puisse être écrit en fait !

Déjà dans le premier, ça a réparé des choses pour moi d’écrire ce texte, mais je pense que j’aurais pas pu… enfin, le sujet que j’aborde maintenant, il était hors de mon champ de… pas de conception mais de… possibilité d’accès.

Et c’est hyper tard finalement que j’ai fait le lien, par exemple, que ces deux textes parlaient de la mémoire. Dans le premier, c’est comment deux personnes ont vécu la même chose et quand une personne n’est pas là pour raconter ce qu’elle a vécu, comment tu te fais des films tout seul dans ta tête. Et le deuxième, c’est aussi là-dessus, c’est sur la remontée des souvenirs, qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui ne l’est pas, qu’est-ce qui est déformé. Je vois que je peux écrire ça parce que j’ai déjà déblayé un peu ce sujet dans le premier, même si c’est sur un sujet plus difficile encore cette fois.

Ce que tu dis, de dire quelque chose c’est ouvrir la possibilité de dire autre chose, ça me parle vraiment aussi pour ça ! Et du coup, il y a aussi cette curiosité : qu’est-ce que ce sera, le livre d’après ? C’est quoi le champ auquel pour l’instant je suis incapable de penser parce que, juste, ça n’existe pas encore dans ma tête ou dans mon univers, ou alors de façon très inconsciente. Là, ça existait, mais ça n’affleurait pas.

S’autoriser les autorésidences

Avant qu’on lance l’enregistrement, tu disais que d’autorésidence en autorésidence, tu faisais des ajustements, en observant ton fonctionnement, des ajustements sur ta façon d’habiter cette autorésidence, ta façon d’y travailler.  Est-ce qu’il y a des choses que tu peux partager là-dessus ?

Oui, déjà le lieu de l’autorésidence, j’ai testé des choses en village, plutôt hameau, et des choses plus en ville. Je vois que la ville, à l’endroit où j’en suis du texte, ça me convient pas du tout, j’ai pas du tout envie de ça. J’ai plus envie d’être toute seule quelque part, paumée. Même si ça demande un peu plus de logistique.

J’ai fait une ou deux fois chez des amis, qui faisaient autre chose, qui étaient eux dans leur quotidien. J’étais hyper contente de les voir mais assez rapidement, je me suis dit que c’était plus un moment où j’allais voir mes amis qu’un moment où j’allais travailler sur mon texte. Ce que j’aime dans les autorésidences, c’est de pouvoir composer juste avec moi, et de pas devoir suivre un rythme. C’est ça le luxe du truc ! Si je veux manger à deux heures du mat’ parce que j’ai écrit toute la soirée – bon ça m’est jamais arrivé mais admettons -, ou de manger à 15h parce qu’avant je suis absorbée dans un truc, ou si je veux me remettre à écrire à 21h,  c’est possible !

Il y a plusieurs autorésidences où mon amoureux m’a rejoint pour le week-end, et plusieurs fois j’ai trouvé difficile de l’accueillir dans un espace où j’avais été toute seule et où j’avais écrit. Sachant qu’on ne parle pas beaucoup de mon travail d’écriture entre nous, parce qu’il aime pas les histoires tristes, alors c’est un peu difficile de lui parler de mon texte. C’est pas l’endroit où on se retrouve trop, mais il est hyper soutenant sur les autorésidences, et sur mon travail en général, mais il y a d’autres ami-e-s avec qui je parle beaucoup plus de mon texte par exemple. À la fois, j’étais très contente de finir l’autorésidence sur un week-end ensemble, et à la fois, j’ai trouvé que c’était pas si simple. Et donc, une fois, j’ai essayé de venir un jour plus tôt pour avoir un jour de plus et qu’il me rejoigne quand même à la fin de la semaine. J’ai trouvé que c’était mieux déjà, avoir eu un jour de plus me laissait vraiment de l’espace supplémentaire. Cette fois-là, par exemple, il m’a demandé s’il pouvait me rejoindre samedi et je lui ai dit non. J’ai un peu culpabilisé de lui dire non et en fait… pas très longtemps. Je sentais que j’avais envie de préserver ce temps-là et je trouve chouette qu’on puisse se dire ça aussi, et que ça puisse être entendu. Il a dit “ok, bah une autre fois”. C’est précieux.

Un autre truc, c’est pas tant sur l’organisation mais c’est sur l’autorisation en fait de ces autorésidences. Je vois à quel point quand j’en parle, plein de gens sont fascinés par le truc, toi et d’autres gens. Une copine notamment l’autre jour m’a envoyé un message : “regarde, je suis dans le train, je pars en autorésidence, devine grâce à qui ?” Je trouve génial que ça puisse semer des graines. Ça reste un luxe immense et je me sens extrêmement privilégiée de pouvoir faire ça, mais il y aussi un côté où (comme je disais tout à l’heure quand t’as pas encore accès à ce champ qu’est le sujet du prochain livre) : quand l’idée m’est venue qu’en fait je pourrais partir toute seule si je voulais, ensuite ça a été très simple de le faire. Mais j’y avais juste pas pensé. On n’apprend pas trop à prendre du temps pour soi, surtout quand on est socialisée en tant que femme, on est toujours à la disposition pour les autres. Et on est toujours pressé-e quand on est entrepreneur-e, on est toujours censé-e bosser 60h/semaine. Bon, moi, ça me parle pas du tout ! Juste me dire : oui, si je veux, je peux partir, me poser dans un lieu. Pas forcément payant. Il y a les échanges de maison, le groupe facebook “un endroit pour écrire” où des auteur-e-s quand iels sont pas là laissent leur appart.

Et s’ouvrir la possibilité fait venir des opportunités : moi, du coup, il y a des gens qui me disent, “ah en fait, si tu veux, j’ai tel lieu”. Mais c’est parce que je dis que je cherche souvent des lieux pour aller écrire que du coup, il y a des choses qui se passent ! Et ça, je trouve ça magique. Par exemple, au mois de septembre, je suis partie 8 jours, parce que c’était un lieu qu’on me prêtait, et que je pouvais me permettre du coup de partir aussi longtemps. Je vois que le fait d’en parler, ça ouvre des possibilités auxquelles j’aurais pas pensé avant.

Tu vois, c’est aussi ce qu’on disait sur l’histoire du processus, de pourquoi on documente le travail, bah c’est aussi parce qu’en parler ça peut aussi ouvrir des portes vers d’autres choses ! Au-delà de finir de réaliser le projet. C’est pas toujours simple. Ça peut être vulnérable. Mais c’est des belles choses à faire en tout cas. Quand on en a l’énergie ! Non mais c’est vrai. Faut pas que ça devienne une injonction : partager à tout prix, dire à tout prix nos projets alors qu’ils sont tout tremblotants et que ça nous fait complètement flipper. L’idée c’est pas de rajouter de ce qu’il faudrait faire. On a assez de ça. Je trouve que c’est des moments aussi… il y a des moments où on a plus l’énergie de passer ce coup de fil qui pendant 3 semaines nous a coûté…

Très d’accord et très précieux que tu précises effectivement de pas en faire un “il faut” de cette idée-là, qui est une chose chouette quand on le sent, quand on le peut, que c’est dommage de s’en priver s’il y a vraiment l’envie et l’énergie. De se censurer, ce serait bien dommage. Mais que ça ne devienne pas une obligation, un truc à rajouter sur la to-do list (…) Oui…  oui… ça ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde.

Parfait !

Merci Amélie !

Et maintenant ? Tu peux écouter-lire l’épisode 1. Et l’épisode 3, déjà mis en ligne !

Pour suivre ses ateliers, te procurer son roman et t’abonner à sa newsletter  : https://ameliecharcosset.com/ et pour lire ses coulisses d’écriture : https://fr.tipeee.com/ameliecharcosset

Crédit photo : Nirine Arnold

Une réflexion sur « “Le temps de découvrir ce qu’on veut dire”- Entretien avec Amélie Charcosset 2/3 »

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