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Merci les pages du matin

Truth be told, il y a quelques jours, ça n’allait pas très fort. J’étais dans un creux poisseux. Un camion-benne de tristesse. 

Incapable de décider si je dois oui ou non partir cette semaine. Vers un lieu associé à beaucoup de joie, de rires et d’amour, et aussi parfois, ces dernières années, de malaise et d’amertume. Je lutte maintenant pour m’y sentir (chez) moi. Et j’y reviens, sans cesse, malgré tout. J’ai du travail, et peu d’espoir de réussir à le faire une fois là-bas. J’hésite.

Je t’épargne la bouillasse de mes tergiversations. Peu importe finalement. 

J’en parle dans mes pages du matin. 

Premier jour : j’essaie vaguement de déceler ce qui me freine et ce qui me peine. J’y consacre à peine 6 lignes. Et j’étouffe bien vite. J’écris Allez, quelle que soit la décision, tout ira bien. J’essaie de prendre the high road, la grand-route, la tête haute. Je parle d’amour. Et je zappe, zou. 

Le camion-benne bat son plein. 

Deuxième jour: j’explore un peu plus. Je me pose des questions. Qu’est-ce qui a changé ? …. Quoi d’autre ? … Je chouine. J’étale ma plainte, mes doléances. Je réclame justice, réparation. Je me donne de l’espace. Je ne cherche pas l’attitude la plus noble. J’écris des pffff, des points d’exclamation. 

Je déverse mon camion-benne. 

J’écris.

Et les mots viennent enfin me souffler l’important : quand je suis là-bas, mes idées, mes envies meurent (…) Reste connectée à toi, tes idées, tes envies. Faire ton travail. Vivre ta vie. Ne pas te noyer, fuir dans le passé. Faire ma vie et ne pas prendre ce village pour alibi. Poursuivre les envies, les choyer. Le village reprendra sa place. Juste. Il faut que ce lieu – et sa compagnie – reprennent une juste place. Une place dans ma vie. Et non pas à la place de ma vie. 

Je sens mon corps inquiet se rassembler. Se raffermir. Et toute la tristesse se transformer. Non pas disparaître. Se transformer. En clarté.

Je sens mon regard se déplacer. Le problème se renverser. Je vois mieux l’enjeu. 

Je décide que les conditions, les bonnes raisons, pour y aller, tout de suite, ne sont pas réunies.

Je remets au premier plan de mes journées des choses qui comptent pour moi, qui m’aident à faire ma vie.

Je n’exclus pas d’y aller dans les prochains jours. Pour l’heure, je suis là. 

Et je chuchote merci, les pages du matin. Car sans les mots, sans les pages, je n’aurais peut-être jamais senti-compris. “Une place dans ma vie. Et non pas à la place de ma vie”.

Carnet libre

Faisons comme si je n’avais pas délaissé le blog depuis le mois de mars. Faisons comme si. Merci d’être là et de supporter les hauts, les bas, les parfois là, souvent pas.

Parmi les joies simples des dernières semaines, il y a mon nouveau carnet.

J’ai suivi un atelier « Carnet d’idées » qui préconise notamment de n’utiliser qu’un seul carnet. Un carnet unique, où tout se suit dans l’ordre chronologique. Même si les « entrées » n’ont rien à voir les unes avec les autres. On enchaîne, on juxtapose, on avance, on laisse venir, on titre, on date, on contextualise, et on fera si on peut un index. Et on a un objet qu’on va pouvoir feuilleter, re-feuilleter, annoter, explorer. Où on va pouvoir puiser.

Disposant alors de 4 ou 5 carnets actifs entamés, j’ai trouvé le concept très très pertinent. Les jours suivants, j’ai programmé un détour chez Rougier & Plé, et pris mon temps devant l’immense rayon des carnets de dessin. Passé le moment où je me suis sentie noyée devant tous les choix possibles, prête à boire la tasse de mon indécision, j’ai tranché pour le carnet…parfait.

Noir, simple, à la couverture pas lisse, épais, capable de tenir presque à plat une fois ouvert, des pages consistantes, un peu granuleuses, avec un dos me permettant d’y écrire mois-année-mois-année dessus quand il sera terminé. Sans lignes, comme l’atelier le recommande, pour garder plus de liberté sur la page. Une révolution pour moi qui ne jure depuis des années que par des carnets lignés. Et sans numéros de page, je réalise soudain, feignasseforever, que ce n’est quand même pas très compliqué de les ajouter manuellement au fur et à mesure.

J’en ai acheté deux, et je les ai glissés, très fière de moi – il m’en faut peu -, dans mon gros sac à dos ce jour-là. Le lendemain, j’ai commencé ce carnet baptisé « Carnet libre ». Tandis que je traçais en première page de grosses lettres au bic et stabilo, je sentais un large sourire se dessiner sur mon visage. Une petite voix jugeait : qu’est-ce que c’est laid, et ça sert à rien…franchement, Claire, les adultes ne font pas ça. Une autre petite voix s’extasiait. J’avais à nouveau 7 ou 8 ans, tenant mon premier journal à cadenas entre mes mains. J’ai refermé le Carnet libre après avoir écrit quelques lignes, et je l’ai serré contre moi, contre ma joue, comme un cadeau de Noël inespéré. J’avais à nouveau 7 ou 8 ans.

Depuis j’y note un peu tout, des bouts de journal – sans renoncer à mon journal tapé sur ordi -, des bouts de conversation, des citations, des inspirations, des étonnements, des to-do, mon best-of du mois, des pensées furtives, des listes de « j’aimerais », des plaisirs et des chagrins, tout ce qui veut exister.

D’avoir un espace, précis, où recueillir et récolter… eh bah…ça fait du bien !

Un lieu à la lisière du dehors et du dedans, plus tout à fait à l’intérieur de moi, pas tout à fait encore à l’extérieur. Au seuil de soi, au bord du monde.

Ajustements : au début, j’ai pensé que j’y ferai mes pages du matin, mais j’ai senti dès le premier essai que ça n’était pas le bon endroit. Pour les PM, je prends soit mon ordi soit un autre cahier, ligné cette fois. Et bien sûr, pour mes gros « projets » ou « activités », j’ai d’autres carnets : un carnet pour mon stage, un carnet pour les écoutes, et des carnets pour mes cours. Le carnet unique c’est pour…tout le reste ! Un beau vrac organisé. Comme le dit l’atelier, « creative chaos in chronological order ».

Voilà. J’ai un nouveau carnet. Il m’a procuré une joie simple et immense à la fois. Des retrouvailles avec ce plaisir oublié, cette légèreté solennelle du carnet à soi, de la vie joueuse, curieuse.

Quelques jours plus tard, je terminais enfin Libérez votre créativité de Julia Cameron (va savoir pourquoi, le livre m’était tombé des mains il y a quelques années, versus Big Magic que j’ai déjà relu 2 fois). J’y lis ce passage :

« La meilleure façon d’amener notre enfant artiste au travail, c’est de considérer le travail comme un jeu. La peinture, c’est un truc génial. C’est amusant d’avoir soixante crayons taillés. De nombreux écrivains n’utilisent pas l’ordinateur parce qu’ils préfèrent entendre le cliquetis réconfortant, sympathique, de la puissante machine à écrire qui avance, tel un poney au trot. Pour bien travailler, de nombreux artistes ont résolu leur espace de travail en le concevant comme un espace de jeu : des murals de dinosaures, des jouets de bazar, de minuscules miniatures de lumières de Noël, des monstres en papier mâché, des cristaux suspendus, des brins de feuille, un aquarium… »

Le même sourire, la même joie simple m’est remontée au visage en lisant ces mots : « c’est amusant d’avoir soixante crayons taillés ». Oui ! Puis en lisant « tel un poney au trot ». Oui !

Je me suis rappelée le plaisir quelques fois d’écrire avec la vieille machine à écrire à sortir délicatement de sa belle sacoche grise argentée. J’ai téléchargé une application sur mon ordi, « Loud Typer », qui imite le bruit d’une machine à écrire. Je ne l’active pas tout le temps. Mais quand je l’active, je me délecte du son affolé des barres à caractère dès que je tape au clavier, et de la petite cloche du retour chariot dès que je tape sur ENTER.

J’ai un nouveau carnet. Je suis curieuse de tout ce qu’il y aura dedans. J’ai à nouveau 7 ou 8 ans. Je m’amuse bien. Et les adultes ne font pas ça.

P.S. : Quelques heures plus tard, je re-découvrais ce générateur de mots aléatoires. Et voici le tout premier binôme de mots qu’il m’a proposé :

Choses aimées 23-17

Do not look outside of yourself for love. The only person who will stay throughout all that, with you, is you.
Love yourself as is. Do not ever demand from yourself another version. Stay with the present version of you, unconditionally.
Do not try to chase away some emotions, to make place for others. Recognize all of them as the jewels that they are.
The result: even as your sad self, you can be loved; even as your furious self, you can be loved.
This is giving yourself a special kind of hug. Only you can give yourself this kind of hug, one that leaves not a single mm of space between the hugger and huggee.
Leave yourself be.
Do not lie to yourself. If you hate yourself, hate yourself instead of pretending you don’t hate yourself. Don’t say something is all right if it isn’t all right. (…)
Suppress nothing. Unconditional love requires a total absence of fear.
Ithaka

Stay with the present version of you, unconditionally.

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Lorsque j’arrive enfin à me lever en me disant « Allez, il est temps de faire des trucs », la première activité que j’entreprends est de lister l’ensemble des tâches que je souhaiterais accomplir. Je pense avoir ratissé la plupart des ressources sur le web qui décrivent comment rédiger une to do list précise et actionnable. J’aimerais toutefois partager une idée que je n’ai pas souvent lue et qui a radicalement changé ma perception des tâches à accomplir : les contextualiser avec les valeurs qui les rendent importantes pour moi.

Écrire une lettre à une amie me rattache à mon clan, passer l’aspirateur rend mon cocon réconfortant, payer mes impôts allège ma charge mentale, regarder un film qu’on m’a conseillé enrichit mon imaginaire, lancer une session de yoga me renforce, me vernir les ongles projette à l’extérieur qui je suis à l’intérieur, … Depuis peu je prends soin de relier chaque élément de ma liste de tâches aux valeurs associées, ce qui diminue drastiquement ma résistance à les compléter puisque je me rappelle du « pourquoi » c’est important pour moi. Cette mise en contexte m’apporte énormément de clarté, de motivation, et une satisfaction plus grande encore de cocher chaque tâche accomplie.
Hypothermia

je prends soin de relier

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J’essaye de ne pas censurer ce qui vient (ni sur la forme, ni dans fond, pour le dire vite, sachant que le dire ainsi n’a pas de sens). Ne pas juger. Ne pas dire : c’est débile, c’est enfantin, c’est mal écrit, encore un personnage de plus, qu’est-ce qu’on va en faire ? Bref, ne pas laisser le surmoi prendre le pouvoir. Le texte est stupide et hétérogène ? Eh oui, ça commence souvent comme ça. Ensuite, on retravaille. J’ai besoin d’avoir l’ensemble de la matière avant la fin de l’année, aussi : en avant !

Comme toujours, c’est peu, ce n’est presque rien. Mais ce peu, ce rien, finissent pas faire 100 pages, au bout d’un moment. Par ailleurs, la résidence à Arromanches m’a appris que, presque malgré moi, sans en avoir vraiment conscience, j’avais dessiné des lignes de force. Y croire. Continuer d’y croire.
Le semainier d’Anne Savelli

Eh oui, ça commence souvent comme ça. Ensuite, on retravaille.

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“I write because I don’t know what I think until I read what I say.” —Flannery O’Connor
Cité par The isolations journal

I write because I don’t know

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You can do hard things.
Be messy and complicated and afraid and show up anyway.

Ces deux phrases de Glennon Doyle m’aident depuis 15 jours, à faire ce que j’ai décidé malgré toutes les appréhensions et les petites voix (Tu vas être nulle ! T’es ridicule ! Qu’est-ce que t’en sais ? T’es folle ou quoi ?) qui tentent de me retenir.
Christie sur maviesansmoi

Be messy and complicated and afraid and show up anyway.

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My favorite kind of blog to read are Daily Bloggers. Just people giving a play-by-play of their lives.
I find it so soothing and relaxing to read. Their interests and daily activities. Listing and pointing to things they’re into, whether it be music (my fav), shows, or sharing thoughts that flit through their minds.
I also like it when they don’t have all the answers, as prescriptive blogs aren’t my jam. The more they write without an overactive filter, the better. It allows me to learn/discover things alongside them.
Veronique.ink

I like when they don’t have all the answers

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« I want to focus on how useful poetry can be in our daily lives. Poetry is one of the few art forms that has breath built right into it. It literally wants us to breathe, to pause for a moment and pay attention to what matters. Whether it’s a tree that we are asked to notice, a moment in time, or a lyrical wonder, it only wants us to listen, to slow down, to notice the mystery and awe of this human life. Perhaps more than ever before, these uncertain times require the humanity that poetry offers. »
Lu sur Violets

notice the mystery

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Des journées à soi comme il est nécessaire d’avoir un lieu à soi pour écrire. Ne rien voir, ne rien faire d’autres. Toute la journée. Corrections du texte écrit, reprises et ajustements. Peut-on parler de présence ? Le travail s’accompagne toujours de musique. Le fait d’écrire et la manière d’écrire. Revenir à l’assaut, mais buter toujours dessus.
Liminaire

Revenir à l’assaut

Entre les jours

Capture écran de Les lieux de Marguerite Duras partie II

Dans Les lieux de Marguerite Duras de Michelle Porte (1976), à partir de 49′ :

« C’est sans doute l’état que j’essaie de rejoindre quand j’écris. Un état d’écoute extrêmement intense. Les gens vous disent qu’on est là dans la concentration quand on écrit. J’ai le sentiment d’être dans l’extrême déconcentration. Il y a des choses que je ne reconnais pas dans ce que j’écris donc elles me viennent bien d’ailleurs. Je ne suis pas seule à écrire quand j’écris, mais ça je le sais. La prétention c’est de croire qu’on est seul devant sa feuille alors que tout vous arrive de tous les côtés. Evidemment les temps sont différents, ça vous arrive de plus ou moins loin. Ça vous arrive de vous, ça vous arrive d’un autre, peu importe : ça vous arrive de l’extérieur. Ce qui vous arrive dessus, dans l’écrit, c’est sans doute la masse du vécu si on peut dire tout simplement. Mais cette masse du vécu non inventorié, non rationalisé, et dans une sorte de désordre qui est tous les jours un désordre originel. On est hanté par son vécu, mais il faut le laisser faire. « 
(…)

« Elle est hantée comme un lieu hanté. C’est ça, Lol V. Stein. c’est quelqu’un qui chaque jour se souvient de tout pour la première fois, et ce « tout » se répète chaque jour, elle s’en souvient chaque jour pour la première fois, comme s’il y avait entre les jours de Lol V. Stein. des gouffres insondables d’oubli. Elle ne s’habitue pas à la mémoire, ni à l’oubli d’ailleurs. »

Choses aimées 23-10

“I wonder what is the point of saying anything at all.
However, simultaneously, this wondering is mixed with the need to say everything right now—otherwise it will be too late.”
Ithaka

the need to say everything right now
otherwise it will be too late

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“Une des choses qui nous permet d’être vivant et de survivre à ce qui nous arrive est la capacité de mettre ce qui nous arrive en récit. La souffrance et le chaos. Et ce qui nous apprend à nous mettre en récit, c’est lire. Parce que vous fonctionnez par imitation. Si vous avez les mots, beaucoup de mots, les phrases, les structures d’histoires, vous allez faire votre histoire, la compléter et l’enrichir, au fur et à mesure, de tout d’ailleurs, de vos lectures et de tout ce qui se va se passer dans l’existence. Et ça, vous l’apprenez en lisant.”
Marie Desplechin dans le podcast Bookmakers

mettre ce qui nous arrive en récit

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“Tout un livre peut provenir d’un seul mot brisé. Le mot est fermé, enveloppé, secret, enfoui : quelque chose doit apparaître de dedans — de l’intérieur du mot et pas du tout de l’intérieur de l’écrivain. Les mots en savent beaucoup plus que nous — mais il faut les prendre avec amour entre ses mains et les porter à son oreille. Les mots sont au sol, incompréhensibles et comme des noyaux. Je les ramasse, j’écoute dedans ; je les brise : apparaît une phrase, une scène, toute la construction respiratoire du livre.”
Valère Novarina, Devant la parole, Le débat avec l’espace (Éditions P.O.L, 1999) cité sur Jardin d’ombres 

les mots en savent beaucoup plus que nous

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“Une promenade sur le lac est prévue la semaine prochaine, voilà qui tombe bien. Pour écrire, nous avons besoin de matérialité, de sensations concrètes, même à avoir tendance à l’oublier, à faire comme si tout venait de soi, comme s’il fallait tout y puiser. Je sais que ces visites au lac sont rares, que c’est une chance — tout comme, pour moi, cette exploration sonore des ateliers des CAP. Tout accueil, pour l’écriture, est une chance.”
Semainier d’Anne Savelli

pour écrire, nous avons besoin de matérialité

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M’attarder parmi les dormeurs ? Si parmi les dormeurs, j’inclus les sédentaires et les flemmards, voilà une préoccupation qui me taraude beaucoup. En quittant le village, j’éprouve vivement la présence de ces deux forces contradictoires : l’envie de marcher et l’appel du foyer. Quand une partie de moi rêve d’aventure, une autre traîne les pieds.
Je crois que cette force qui retient nos envies d’aventure de la même manière que la gravité empêche une fusée de décoller porte un nom : la domestication.
(…)
ce double phénomène qui consiste d’un côté à construire son petit nid douillet, et de l’autre à s’y asservir – à en devenir, littéralement, le domestique. Combien de temps passe-t-on à entretenir nos appartements plutôt qu’à cultiver notre jardin intime ? N’y a-t-il pas, dans la frénésie que nous avons à rajeunir sans cesse nos intérieurs, comme une envie de compenser un vieillissement qui nous échappe ?Un voyage d’hiver

l’envie de marcher et l’appel du foyer

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toucher
à sa fin

vie et mort on ne voit pas bien
laquelle s’accroche à l’autre
comme un lierre

on n’a pas grand-chose à dire
là-dessus même si
on parle pour ne pas laisser
toute la place à la peur
la nuit
Poème d’Antoine Emaz

ne pas laisser toute la place à la peur
la nuit

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“La poésie, késako ?
Et si elle était un passage secret parfois raccourci, parfois détour pour apprendre à se perdre ?”
Thomas Vinau

apprendre à se perdre

La chamade des vieux rêves

Décidément, c’est ma semaine “célébrités” – et tout particulièrement célébrités aimées ! Après Arthur vendredi dernier, je croise Edouard Baer hier. Et aujourd’hui, je prends un thé glacé à côté de Michel Leclerc, co-scénariste, (notamment) de Je suis à vous tout de suite et du Nom des gens, qu’il a réalisé. Je n’ai pas pu m’empêcher, en attendant, et même pendant, mon rendez-vous, d’écouter sa conversation avec les deux personnes qu’il retrouvait. 

Pas pu résister à l’envie de noter, sur mon téléphone et dans ma tête, quelques phrases au vol : 

j’aime filmer le travail, montrer le travail, comment naissent les idées (<3)
(…)
on écrit le scénario, et forcément ça veut dire faire des choix, il y a ce qu’on va raconter, et ce qu’on ne va pas raconter
(…)
on a des personnages avec leurs qualités, et leurs défauts, je crois qu’il n’y a pas de comédie sans les défauts
(…)
on peut inventer des scènes à l’intérieur d’une histoire vraie
(…)
on peut rater

J’entends parler de documentaire, de fiction, de scénario, d’écriture, de questions et de convictions aussi. Mes oreilles en éveil, mon cœur à mille à l’heure.

C’est la chamade des vieux rêves. Écrire, co-réaliser un film. En un peu plus de vingt ans, il y a eu des idées griffonnées sur des carnets, d’autres tapées à la hâte sur des fichiers. Il y a eu un atelier scénario abandonné. Il y a eu, je l’oublie chaque fois, des candidatures réussies pour entrer à la fac dans des masters documentaire – et oui, ça existe ! Et je l’oubliais carrément jusqu’à maintenant en écrivant ces lignes, il y a eu un petit tournage grâce à une amie, des images finalement jamais montées, restées sur des cartes SD. 

Bon, ça revient régulièrement, tous les ans, de nouvelles idées, griffonnées sur de nouveaux carnets, des promesses à moi-même, un jour peut-être, et pourquoi pas cet été, oh et puis finalement.

Le rêve, pas la réalité.

Je n’ai jamais sérieusement fait quoi que ce soit de ce rêve-là, jamais poursuivi l’envie, mais je l’ai gardé toujours près de moi. Je continue de penser qu’un jour, pas peut-être, c’est sûr, j’essaierai. 

Et chose étrange : je le vois de moins en moins comme un rêve concurrent de mes autres projets – en l’occurrence mon autre projet, le principal actuellement, devenir psy du travail, j’ai de plus en plus le sentiment que ces chemins se croisent un peu plus loin, qu’il y a du lien.

En écoutant Michel L. et ses interlocutrices, le mot qui m’est venu : c’est un signe. Je ne crois pas aux signes de l’univers, non. Je crois en revanche au battement du cœur, comme signe, signal de ce qui continue de vivre en soi, des vieux rêves qui ne meurent pas. Aujourd’hui, je n’ai pas pu m’empêcher d’écouter.

L’astuce des jours perdus

Je n’arrive pas à travailler. Je m’agace. 

Je n’aime pas les rendez-vous en plein milieu dans l’agenda. Rendez-vous à 11h, la matinée est tronquée, alors que c’est mon moment préféré, et j’ai le plus grand mal à me remobiliser l’après-midi, après déjeuner. Ça sent la journée perdue.

La to-do list est pourtant bien dodue. Par quoi commencer ? Tout paraît urgent. Autant dire que rien ne l’est. Des livres sinon ? Quitte à ne pas travailler, autant bien employer mon temps. Lequel attraper ? Tous paraissent tentants. Ridicule d’être figée comme ça, comme si n’importe quel choix serait le mauvais. 

La dernière fois que je me suis sentie comme ça, c’était pendant les vacances de Noël, et j’avais trouvé un joli remède à ma léthargie, inspirée du collage au lancer de dés d’Anne-Marie Jobin

J’avais numéroté 6 tâches de travail, et 6 activités de détente.
Puis je lançais le dé, en décidant d’avance si ce serait pour le travail ou la détente.
“2” : c’est parti, je m’attèle à la tâche n°2.
Je relance le dé pour décider combien de temps j’y passerai.
“4” : c’est parti, je m’attèle à la tâche n°2 pendant 40 minutes.
Quand les 40 minutes sont écoulées, je lance le dé pour m’attribuer une activité de détente, et savoir combien de temps j’y passerai.
Rien de contractuel, hein : si finalement, dans un bon élan, je me sens de passer 120 minutes au lieu de 40 sur une tâche, let’s.

Je reconnais que c’est vraiment l’astuce ultime des jours perdus. Des jours où les désirs, la volonté, et le sens des priorités ont l’air d’avoir déménagé sans prévenir sur la planète d’à côté.
Où on veut tellement tout faire en même temps, qu’on ne peut plus rien faire.
Où on regarde médusé-e l’heure tourner, et la confiance en soi se rouler en boule sous le canapé.

Une astuce pour les jours comme ça.
Une astuce que je crie pas trop sur tous les toits.
Sauf là. Au cas où ça pourrait servir à quelqu’un d’autre que moi.
Au cas où ça pourrait me servir à moi.
Un dé pour l’indécise, lancer pour s’élancer.

Roll the dice.

P.S.: Et chouette bonus de l’astuce, il se peut que tu te surprennes à murmurer tandis que le dé roule « trois, trois, faites que ça tombe sur trois ». Bonne nouvelle ! C’est qu’au fond, tu n’as pas besoin du dé, tu sais très bien ce par quoi tu préfères commencer.

Dare-dare

Ce soir, j’ai tenté un poème fondu à partir des pages 30 et 31 du livre le plus près de moi : un bouquin de psycho du travail (what else). Je ne suis pas convaincue des arrangements que je fais. On y trouve sur ces deux pages de jolis mots pourtant : il y a coeur, voyageur, travail, plaisir, courage, habitudes, errer, parler, transformer, engourdi, samedi. J’y reviendrai sûrement.

Je réalise ce soir que les deux auteurs qu’on étudie le plus dans mon cursus adoooorent citer des écrivains. (Sur cette page 30, c’est un dialogue de Duras qui y passe). Extase suprême quand les passions comme ça s’entremêlent !

Allez, trois choses chouettes aujourd’hui :

– regarder le jardinier travailler dans la très belle cour d’honneur du lieu où je bosse en ce moment. J’aimerais pouvoir nommer les plantes, arbres et arbustes qui sont là mais à part des cerisiers pas encore en fleur, je peux juste dire que je les aime sans les connaître. Je regarde donc le jardinier, et j’admire les gestes, le soin, ce qu’il faut doser de force et de délicatesse.

– rentrer et m’attaquer dare-dare à ce document à préparer pour jeudi, dans le cadre d’un de mes cours : je n’ai même pas eu le temps de me dire fais-le, je le faisais. Plutôt rare et joyeux quand il n’y a presque aucun écart entre l’intention et l’action. Effort strictement dactylo, zéro intello, mais ouf, quand même, c’est fait, c’est propre.

– marcher 35 minutes aller, en montée, 30 minutes retour, en descente, vu qu’il n’y avait pas de métro – et tant mieux ! – , tenir ferme l’écharpe, sentir la vie dans mes jambes, longer le PL, savourer les verts, gris, roses des arbres et des fleurs – là encore oups je ne saurais rien nommer, mais ça n’empêche pas d’aimer.

D’essayer vraiment

Toute la journée, au boulot, j’ai pensé ce soir ce soir je pourrai lire, écrire, transcrire. vivement ! patience !

Me voilà rentrée et je n’ai plus envie de rien. Sauf peut-être manger des granolas. J’allume quelques lampes dans l’appart tout gris, et je m’enfouis dans le plaid et l’oubli. Alors que je veux taper sur mon clavier pour chercher un abri avec du son et des images, un film, une série, quelque chose de familier que je pourrais voir sans regarder, je sens mes mains trembler. Légèrement. Est-ce que c’est le froid ? Ou est-ce que ce sont les milliers de CTRL+C, CTRL+V, CTRL+S, clic gauche, clic droit, qui ont eu raison de mes doigts ? J’ai des centaines de lignes excel dans les yeux, elles défilent blanches, vertes, inarrêtables, infatigables, elles m’attendent, car je reviens demain.

Hébétée.
Abrutie.
Me voilà bien.

Il me faut un peu de temps, 2 décas et 3 granolas, pour me rappeler.
Ce que je voulais publier. Et comme ça tombe à pic.

Aujourd’hui, je voulais dire quelque chose de très simple. Récemment, je chouinais intérieurement à propos du cœur à l’ouvrage, chépa quoi faire, chépa quoi écrire, la newsletter, le blog, et à quoi bon après tout, et pfiou, et ça vient pas, etc.- un moment rare, car je ne suis bien sûr d’ordinaire et de la tête aux pieds, que joie, bonheur, félicité.

Et je me suis regardée, droit dans ma mauvaise foi : mais oh qu’est-ce que tu fais concrètement ? est-ce que tu essaies vraiment ? quel temps, quelle énergie, quel effort, quel soin tu y mets ?
La réponse devait se trouver à la pointe de mes souliers car c’est là que mes yeux, rendus à l’évidence, se sont baissés.
Je n’essaie pas.
Je ne m’y investis pas.
J’attends que ça me tombe dessus. La bonne idée, la bonne phrase, la cohérence, la grâce, la régularité.
Je viens, je vois que rien ne me tombe dessus, je repars.
Je n’essaie pas vraiment.
Je n’ai pas vraiment essayé.

Mon temps, mon énergie, mes efforts, j’ai choisi de les mettre ailleurs.
J’ai pensé que cet endroit devrait se faire tout seul, s’offrir à moi, clé en main, charmante demeure où poser mes fesses et manger tranquillement des granolas, où des centaines de lignes de texte défileraient inarrêtables, infatigables, sans y mettre une goutte d’ardeur, où les mots, les idées n’auraient qu’à se CTRL+C, CTRL+V depuis la source magique de ma créativité.
Fondée sur un pareil postulat, autant dire que la charmante demeure se transforme vite en maison-témoin.

Oui, la vie est super simple parfois.
Quand tu n’essaies pas, il se passe rien.

Alors ce soir, quand je me suis entendue, un biscuit craquant sous la dent, dire que je n’avais plus envie de rien, pas même d’écrire, je me suis rappelée que ça se jouait là, exactement là. C’est à ce moment précis où tu as une super excuse, la fatigue d’une journée abrutissante, et aucune obligation de le faire, qu’écrire est la seule chose à faire. Et ça ressemblerait à ça d’essayer vraiment.

Choses aimées 23-09

“non, je pense pas que j’aie des choses à dire, de belles choses qui chatouillent les beaux sentiments, des questions qui soulèvent la poussière des idées reçues, des réponses qui soulagent les angoisses des insomniaques, un message d’une quelconque sagesse à transmettre au monde (…) non, vraiment, je pense pas qu’il vaille encore la peine de tenter quoi que ce soit, tout ce que j’écris est plat, ridicule, absurde, pathétique, ordinaire, ennuyeux, je pense pas qu’il soit utile de continuer, je pense vraiment que je vais m’arrêter là”
bastramu, je pense pas #10

la peine de tenter quoi que ce soit

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“Also, on another note, I’m unsure if continuing to blog is for me anymore. I’ve put a lot of effort into this little site, and it seems to be going nowhere.
I know, I know…blogging should be for yourself first, but…BUT I just don’t know anymore. I guess it’s just one of those days where I feel like my creative pursuits are just a waste of effort, time, and energy.”
Veronique.ink

it seems to be going nowhere

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“Maybe that’s what all these divorces were about. We watch ourselves and our spouses change, and the work is to constantly recall the reasons why you did this in the first place. You mistake the person closest to you for your misery. You think, « Maybe if I excised this thing, I’d be me again. » But you’re not you anymore. You haven’t been you in a long time. And it’s not his fault. It was always going to happen. And what were you gonna do with the fact that time was gonna march on anyway? What were you gonna do with the fact that you couldn’t win this fight. That was the problem. You were not ever going to be young again. You were only at risk for not remembering that this was as good as it would get in every single moment. That you are right now as young as you will ever be again.”
Fleishmann is in trouble, épisode 8

you are right now as young as you will ever be again

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“Sometimes we are so confused and sad that all we can do is glue one thing to another. Use white glue and paper from the trash, glue paper onto paper, glue scraps and bits of fabric, have a tragic movie playing in the background, have a comforting drink nearby, let the thing you are doing be nothing, you are making nothing at all, you are just keeping your hands in motion, putting one thing down and then the next thing down and sometimes crying in between.”
Lynda Barry, citée par Austin Kleon

let the thing you are doing be nothing

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“Stop NOT writing. Just do it, badly. Just write the thing you need or want to write, that you are avoiding. That avoidance is costing you greatly, isometrically, and in general well-being. So can you find one measly hour, to write, badly?”
Anne Lamott citée par advicetowriters.com

stop NOT writing

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“whatever you think is boring or ugly in your photograph today might quite possibly be the most interesting thing about the photograph in the future.
Knowing this, I am inclined to go the other direction and do my best to imperfect my memories: leave in all the things I’m supposed to crop out. (This is why I leave in all the dumb, mundane crap I do every day in my logbook: what I have for lunch, meetings, what I watched on TV, etc.)
I try to remember that I have no idea today exactly what I’ll want to remember about today in the future.”
Austin Kleon

leave in all the dumb, mundane crap
I have no idea what I’ll want to remember

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“Un mot sur mon prochain livre, et je vais à nouveau citer Dylan : “en bonne partie, écrire des chansons consiste à les améliorer”.

C’est la même chose pour l’écriture de romans ! Je vous disais la dernière fois que le premier jet avançait bien. Avant même de l’avoir terminé, me voici parti dans la rédaction d’une nouvelle version. Ne me demandez pas quelle est ma méthode : c’est une horreur et un véritable chaos. Mais, espérons-le, il y aura bien un livre à la fin !

Certains jours, je suis satisfait de ce que j’ai écrit, d’autre fois, je suis face à la page blanche, incapable d’avancer. J’ai une image idéalisée du livre à venir, et je sais que je pourrai au mieux m’en approcher, sans jamais l’atteindre. Souvent, ce qui me touche le plus dans une œuvre, ce sont les imperfections. Je dois m’en souvenir dans mes moments de doute. Et apprendre par cœur cette phrase de Sophie Divry : “le roman trouve son épanouissement dans une certaine impureté.””
 Rien que du bruit #60 de Philippe Castelneau

écrire des chansons consiste à les améliorer

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Ça me fait grand bien de réparer (faire réparer) des choses ; ça me donne de l’espoir, alors que je me sens toute cassée à l’intérieur sans trop savoir comment repriser ça. Courir derrière les escargots. Ralentir. Respirer.
Journal de février (2) d’Amélie Charcosset

l’espoir

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“Hope will find you standing naked in the soft swathes of light that arrive through a 1am window, and it will watch your defences unfold and surrender.
(…)
Hope will propel you forward, out of the familiar space you have occupied for so long and into the great unknown. It will rest it’s hand gently on yours, and listen to the way your breathing betrays your words and reveals your heart; every exhale leaving you clean and ready to start again.”
Sarah Moses

ready to start again

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On parle aussi de pourquoi c’est difficile d’écrire (car toujours ça me revient : bon, en réalité, qu’est-ce qui est si compliqué, dans le fait d’être sur son ordinateur sur un canapé avec une tablette du chocolat pas loin à faire un truc que personne n’attend et dont personne n’a besoin, pourquoi est-ce que ça se révèle si complexe ??), et de pourquoi on le fait quand même.
(…)
Maaï m’écrit qu’elle a fini sa thèse. Je n’arrive à lui répondre qu’une longue ligne de points d’exlamation. Yeeeah. Je me dis que moi, je pourrais au moins essayer de (commencer et) finir ma newsletter (lol). Chose faite. C’est bon, un entourage qui tire vers le haut.
Journal de février (2) d’Amélie Charcosset

je me dis que moi je pourrais au moins essayer

À partir de là

J’adore cet endroit. Le matin, il est surtout peuplé de gens seuls, la plupart avec un journal, un café, de grandes pages dépliées sur le comptoir doré. Une vieille dame drapée de rides et de vêtements noirs gratte sans fin ses tickets de jeu, une femme en pantacourt parcourt le Monde des Livres, un couple, quoi, quinqua ?, lit côte à côte, deux hommes, trentaine, quarantaine, se saluent et commandent sans trop parler, les pieds repliés sous le tabouret, une vieille dame en manteau léopard étale la presse anglaise sur une table pour quatre, puis téléphone en haut parleur avec des mots comme empoisonnement et coloscopie, un vieil homme déboule avec son caddie rouge, et fait tous les efforts du monde pour se glisser, le dos courbé, entre deux tables : non non non ne bougez pas. Un groupe de jeunes filles étrangères s’extrait de la petite pièce du fond pour payer l’addition, j’imagine devant elles toute une journée d’exploration. Paris. Puis je l’aperçois, au fond à gauche, rassembler manteau et sac à dos, se diriger lui aussi vers le comptoir pour payer : le chanteur de Feu! Chatterton, Arthur. Je réprime ma joie de le voir, de le croiser, en vrai, je retiens mon sourire, et tiens fermement ma tasse de café dans laquelle je plonge mon nez, mes yeux, mon corps tout entier. Je fais comme si de rien n’était, et j’ajoute silencieusement Arthur à ma liste étonnante des « célébrités croisées ».

Puis la chaise en face de moi est occupée. L’amie A. me parle de sa semaine étrange, suspendue, de ce qu’elle attend – ce sont ses mots – depuis 15 mois, de ce qui n’arrive pas. Je suis heureuse qu’elle m’en parle, ça n’est pas toujours le cas. On a tort, pour une grossesse, de parler d’attendre un enfant. L’enfant est là. Attendre un enfant c’est autre chose. C’est ce que vit A., et beaucoup d’autres. Ce que je ne feindrai pas de comprendre tout à fait car je n’ai pas ce désir-là. Mais ça ne m’empêche pas de voir et de sentir combien ça peut être pesant, éprouvant. D’attendre un enfant.
L’amie A. m’écoute aussi, parler de mon boulot à temps partiel, du projet de stage qui se concrétise, de mes cours, des écoutes. Elle comprend l’importance de chacune de ces choses pour moi, et je me dis : quelle chance.

J’adore cet endroit. Dans ce café, ce matin, je me sens en sécurité, dans ce café, ce matin, j’aime Paris. J’oublie un moment la peur, dans la rue, de jour, de nuit. J’aimerais que ça disparaisse. J’aimerais revenir à « avant ». Avant, quand j’écrivais dans un carnet merci *lenomdemarue*, si heureuse d’y avoir emménagé. Avant les événements. Mais on ne peut pas revenir à avant. Je me manque ces temps-ci, je repense en boucle à dix ans plus tôt, aux mots que j’écrivais, et à ce que je faisais. Tout était différent. On ne se « récupère »pas, on ne se « retrouve » pas. Certaines choses nous changent définitivement. En bien aussi. Ce n’est même pas la question, en bien en mal. Il n’y a juste pas de retour à la normale car il n’y a pas de normale. Et je ne peux que regarder devant, autour de moi, et prendre la joie. La mosaïque au sol, le pain au chocolat, le Monde des livres sur un comptoir doré, Arthur dans son grand manteau, l’amitié, l’écriture, les matins, le soleil, le café. Je ne peux que créer à partir de là, maintenant, depuis cet endroit. Il n’y a pas de pèlerinage possible, pas de sauvetage. Rien à ressusciter. On ne peut que créer.

Le grand méchant « non »

Tu n’as pas besoin d’aller mal pour dire non. Tu n’as pas besoin de te justifier. Tu n’as pas besoin d’avoir des soucis. Tu n’as pas besoin d’une bonne excuse. 

Ces dernières semaines, j’ai dit non, à plusieurs sollicitations, répétées, et un peu sourdes à mon tout premier non. (Les détails sont pas hyper importants : c’est pour un groupe dans lequel je me suis pas mal investie en 2022). Donc je dis non, pour telle tâche, telle autre, telle autre et telle autre. Gros challenge pour mon muscle atrophié du “non”.

Je me sens quand même un peu obligée de dire que la rentrée est très dense pour enrober le grand méchant “non”. C’est semi-vrai. Ça resterait possible de caler ici ou là les heures pour faire ce qu’on me demande, mais l’enjeu pour moi c’est la dispersion, j’ai déjà trop de balles en l’air, besoin d’alléger, de simplifier. Je dis donc que la rentrée est drôlement chargée. Je sens qu’il me faut une excuse.

J’ai croisé une camarade, elle aussi trop sollicitée, au point d’en être dégoutée. Elle me dit, haletante et énervée : “j’en ai marre, j’ai pas que ça à faire, j’ai trois enfants, le cursus, le boulot… C’est pas ma priorité”. Je lui ai tout de suite répondu, wow wow wow, qu’elle n’avait pas besoin de se justifier, qu’elle avait le droit de ne pas avoir le temps ou l’envie, sans fournir en PJ le détail de son agenda. Car moi, je n’ai pas trois enfants ni un boulot à plein temps, et pour autant je ne veux pas investir mon énergie, mes pensées, mes soirs et matins à cet endroit, précisément, là, maintenant. J’ai le droit ? Faut-il forcément trois enfants pour dire non ?

Quelques jours plus tard, on me re-sollicite pour une autre tâche. Je dis que je ne pourrai pas. Et on me demande “ça va ? tu as des soucis ?”. Sur le fond, c’est gentil je crois. Mais je me demande : faut-il aller mal pour être dispensée, faut-il avoir des soucis pour avoir le droit dire non ? J’ai connu les années avec de très bonnes excuses, les proches malades, les deuils : le joker absolu, la garantie d’un non socialement légitime, sans négociation. Et là, ça va bien. Bon sang, ça va bien, des projets qui mettent en joie, qui mettent la barre haut parfois, et pas de drames autour. 

Pas de drames. J’ai le luxe de choisir à quoi je dédie mon temps. Je me réserve des heures concentrées, le téléphone banni, toute entière dévouée à la tâche que je mets ce jour-là en priorité. Je me réserve aussi des heures vides, des heures qui flânent, des heures rêveuses et paresseuses, et des espaces pour dire oui à ce café, ce dîner, cette balade, ce truc chouette improvisé. Je me réserve des incertitudes, de la place dans le paysage intérieur, de l’horizon devant, des moments où, qui sait, je pourrais bien avoir l’élan d’écrire ici, faire ces choses qui ne servent à rien mais qui font du bien. Pour une fois, dire non parce que ça va. Ça va bien, merci.

Le vrai début

Je n’ai pas eu envie de sortir aujourd’hui. Premier mars, j’ai le sentiment qu’une nouvelle année commence. Peut-être parce que c’est le mois de mon anniversaire, et qu’au fond j’ai toujours associé ce mois au vrai début.

Je n’ai pas eu envie de sortir car je crains le froid, le vent, je renonce au soleil sur mes joues, au plaisir de marcher dehors, les mains dans les poches, l’écharpe mal fichue, avec ou sans but. Merci le plaid gris mousseux qui recouvre mes pieds, merci la société qui me permet de reprendre des études et de payer la chaleur qui monte dans les radiateurs, merci l’eau brûlante sur mes doigts glacés après une cigarette fumée à la fenêtre, merci la machine qui lave mon linge, merci mes trois piles de livres, pour la patience et la promesse.

Le vrai début, ce serait d’écrire quand l’envie est là. Et de se forcer un peu quand l’envie est loin. Ce serait de ressortir le tapis violet, lancer une vidéo d’Adriene pour faire une vingtaine de minutes de yoga et soigner ainsi les douleurs au dos, aux genoux, la faiblesse dans les bras, les cuisses, le souffle et les mollets. Ce serait de reprendre la lecture des livres commencés en août, en décembre, en janvier.

Le vrai début, ce serait de dire merci pour les choses très simples aujourd’hui comme écrire quelques lignes, près du radiateur, les mains sur le clavier, avec ou sans but, un plaid gris mousseux sur les pieds, et devant moi trois piles de livres et un tapis violet.

Choses aimées 23-08

“I have a very complicated ritual about writing. It’s psychologically impossible for me to sit down [and do it], so I have to trick myself. I elaborate a very simple strategy which, at least with me, it works: I put down ideas. And I put them down, usually, already in a relatively elaborate way, like the line of thought already written in full sentences, and so on. So up to a certain point, I’m telling myself: No, I’m not yet writing; I’m just putting down ideas. Then, at a certain point, I tell myself: Everything is already there, now I just have to edit it. So that’s the idea, to split it into two. I put down notes, I edit it. Writing disappears.”
Slavoj Žižek cité par Mason Currey

to trick myself

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“In her book, The Creative Habit, Twyla shares that her morning routine was NOT to go to the gym. Instead, it was far more simple: wake up, put on sweats, go outside, hail a cab to the gym.

The thing she is actually trying to do — exercise — was not the thing she committed to do each day. Instead, she focused on getting herself out of her apartment and into a cab. Once she was in the cab and on her way to the gym, the inertia took it from there.

If you focus on the very first steps of the starting line, it can be much easier to just get started.”
Shawn Blanc

focus on the very first steps

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“Predetermine the stopping point. When Seinfeld sits down to write, he knows exactly when he’s going to stop writing. Most people sit down to work with an open-ended block of time. “That’s a ridiculous torture to put on a human being’s head,” Seinfeld said… “It’s like if you hire a trainer to get in shape, and you ask, ‘How long is the session?’ And he says, ‘It’s open-ended.’ Forget it. I’m not doing it. » The brain needs rewards, Seinfeld says. « And the reward is: the alarm goes off, and you’re done. »
10 habits and principles, from the writer and comedian Jerry Seinfeld rassemblés par @bpoppenheimer

predetermine the stopping point

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“Hier soir, je n’avais pas complètement envie d’écrire. Je me serais bien laissée engourdir par le feu et peut-être maté une série sur Arte. Et puis, j’ai pensé, Tu es venue là pour écrire, écris au moins sur ton blog. Une journée où j’écris, j’éprouve ce sentiment de quelque chose d’accompli.”
Christie sur maviesansmoi

ce sentiment de quelque chose d’accompli

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“Parce que plus on fait, plus on ose. Plus on fait, plus on écoute son intuition. Plus on fait, plus on fait comme on est.” 
Morgane Sifantus

plus on fait, plus on fait comme on est

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“Writing and painting do not erase my fears. They don’t disappear completely. But translating them into words and watercolors allows me to explore them and to have volition over them, even a sense of wonder at what emerges. I become the handler of my fears, not the handled. This is what I told a dear friend later that morning. A loved one of hers is sick, and they were waiting for test results, and we commiserated over how torturous the waiting is. “I hope you get a chance to write some morning pages, or maybe even paint,” I said. “It doesn’t take away the terror, but it changes its shape.”
The isolations journal

it doesn’t take away the terror, but it changes its shape