Je charge sur le site d’anciens contenus, je les relis et les relie entre eux. Au début, jaillit la joie de les retrouver, la fierté même parfois. Puis, une petite pensée familière s’invite, et traîne avec elle son cortège de pensées parasites. Ça ne sert à rien, personne n’a besoin de lire ça. Tu ne seras jamais capable de t’y remettre, d’écrire autant, aussi régulièrement. Et tu ne sais même pas ce que tu veux faire, de quoi tu veux parler. Tiens, précisément, de cela. Finalement, il n’y a que des échos.
Étiquette : écrire-créer
De battre mon cœur a commencé
J’ai les mains moites, le corps crispé et le cœur qui bat. Je ne vais pas sauter en parachute, ni monter sur scène devant trois mille personnes (pas aujourd’hui en tout cas). Mais c’est pour moi à peu près aussi épique, excitant et terrifiant que ça : j’écris ce premier post.
Depuis des semaines, j’hésite entre six noms de page facebook, deux types de montgolfières, trois polices d’écriture, une dizaine de verts, j’ai fait un nombre indécent de tests sur tinyletter et canva, j’ai re-visionné une vingtaine de vidéos très très bien pour trouver sa voix, son ton, créer sa newsletter, etc., et j’ai rouvert les cinquante-huit google docs où se loge depuis des années (aïe) ma ribambelle d’idées floues pour le jour où, enfin, je m’élancerai.
Le jour où enfin.
Tout ça part instantément en fumée alors que j’essaie d’écrire ce premier post. Je ne sais rien. Peu importe la montgolfière, peu importe les teintes de vert, peu importe tout ce que j’ai pu lire, écouter, prévoir, imaginer, mettre en mots-clés, je ne sais plus rien. Il y a un fond blanc et des lettres qui se collent et s’espacent, des mots qui s’enchaînent plus ou moins bien, des phrases qui se créent et surtout, il y a mon cœur qui bat. De peur, mais aussi de joie. Et les deux sont là, s’enlacent comme l’e-dans-l’o de mon cœur qui bat.
Alors je veux commencer par ce bout-là, cet endroit où peur et joie s’enlacent, se lient, s’allient, inséparables, dès lors qu’on fait ce qui nous tient à cœur. Et te dire, s’il t’arrive aussi de te perdre entre des montgolfières et des google docs, que « le jour où enfin » n’est pas un jour où tu ressens moins de peur que de joie mais un jour où tu choisis de visiter cet endroit, cet e-dans-l’o, où l’on ne sait presque rien à part la chamade et les mains moites.
J’ai attendu l’eurêka
Pendant des années, j’ai attendu l’eurêka, l’épiphanie, le grand dénouement qui allait me révéler avec précision le quoi, le comment, le pourquoi, avec confettis, feuille de route et mode d’emploi fournis, pour lancer ma boîte. Évidemment, ça n’est jamais venu. Des idées floues, des projections, des fantasmes en veux-tu en voilà, et pas l’ombre d’un chouïa d’action concrète à l’horizon. Résultat : la sensation de faire crever doucement mais sûrement mon petit coeur qui bat.
En janvier dernier, j’ai enfin compris, vraiment, qu’il faudrait faire, commencer, s’y atteler pour espérer y voir plus clair. Et que l’eurêka, s’il existe, ne se trouve pas niché dans un coin de ma tête. Je suis repartie de mon désir le plus simple et le plus ancien : l’envie d’un espace pour écrire, partager. Et pour le lancer de boîte, ça a l’air d’être un sport sympa, on verra.
Comme on ne se refait pas (du jour au lendemain du moins), j’ai tergiversé un mois de plus sur des petits détails et des grosses émotions pour repousser le premier pas.
Et maintenant, c’est parti, j’ouvre cet espace comme on part en voyage, sans savoir où ça va mais avec la curiosité et le goût de l’inconnu, des coups de tête et des coups de cœur.
Ce sera toujours, toujours, mieux que rien
La vérité, c’est que je n’ai pas travaillé. J’avais prévu de consacrer la moitié de ma semaine de congés à réviser en vue des examens qui arrivent fin janvier. Et je n’ai rien fait. Pas même les autres trucs qui me tentaient, à la place. C’était soit ça, soit rien (principe à la con, j’en conviens). J’avais juste un peu le blues, j’ai regardé des films en mangeant des cookies et des clémentines, j’ai fait plein de listes, j’ai changé deux ampoules et j’ai mis le réveil pour rien.
Je me demande si la parole coupée évoquée plus tôt, ça vient pas aussi du fait qu’on a parfois trop parlé et pas assez fait. Les mots ne veulent pas d’un corps en stand-by, d’une vie à l’arrêt.
J-25, le panic monster (Tim Urban) commence à s’agiter, mais c’est encore lointain, plutôt le bruissement d’un animal tapi dans la forêt que le rugissement du fauve à mes oreilles.
Aujourd’hui, je me suis dit : « n’importe quoi, même la plus petite chose, même pas longtemps, ce sera mieux que rien ».
Ce sera mieux que rien.
Ça m’a donné la force de m’y mettre. Je n’ai pas travaillé beaucoup ni très longtemps. Mais j’ai travaillé, et c’était mieux que rien.
C’est souvent que je me mets des objectifs pas possibles, tant d’heures, tant de pages, tant de choses. Tant ! Trop ! Et non seulement, je ne les tiens pas ces objectifs mais je suis convaincue que ce sont eux qui m’intimident dès le départ. Ils sont mal calibrés, mal posés. Je finis par choisir le rien plutôt que l’à moitié-fait (c’est vraiment très très con, j’en conviens).
La perspective de faire tout petit, pas beaucoup, pas trop longtemps, c’était déjà me ramener sur terre, pour faire un pas devant l’autre. C’est une leçon sans cesse apprise, sans cesse oubliée.
Je crois que les mots « mieux que » m’ont fait du bien. Au lieu de penser à tout ce que je n’avais pas fait, à tout ce qui reste à faire et me sentir en retard et en-deçà, j’ai vu du bonus, du plus, matière 1- néant 0.
Quelle que soit la chose qu’on veut faire, du travail, du plaisir à recréer, du soin de soi : n’importe quoi, même le plus petit geste, même pas longtemps. Même ce qui paraît insignifiant. Et ce sera toujours, toujours, sans exception, mieux que rien.
J’ai bien envie de l’afficher en grand dans mon appartement, pour les jours les plus rêches :
Qu’est-ce qui aujourd’hui sera mieux que rien ?
Quand la parole est coupée
Ça fait plusieurs jours que j’ai du mal à parler. Pas seulement à l’écrit, à l’oral aussi. Ça m’arrive parfois, je lutte pour faire la moindre phrase, je cherche des mots, mes mots, comme si je devais les extraire de mille pieds sous terre, les arracher du néant. C’est tout coincé, ça ne circule pas, je peine, même dans une conversation banale lors d’un déjeuner. Des trous noirs, de l’élan stoppé, du dire éclaté en fragments, du dire saccadé, je me sens à la fois l’animal et la bride, la censure et la censurée.
Je ne sais plus alors si le silence est ma parole, ou s’il devient la fuite, l’abandon, une résignation.
Est-ce que ça vous arrive aussi ?
Je me murmure à l’intérieur : if you can’t do it, do it anyway.
Ah tiens ça me fait penser à cette phrase que j’ai lue dans un tout petit livre de Pessoa l’autre jour : « Le poète est celui qui va toujours au-delà de ce qu’il peut faire ».
Quand la parole est coupée comme ça, je suis tellement heureuse de la poésie qui persiste autour. Je suis de plus en plus sûre qu’avec le temps, avec l’âge, je vais me désencombrer de beaucoup de choses et qu’il restera peu d’essentiels, peu d’incontournables, mais que la poésie en fera partie, qu’elle y sera même centrale. À lire, à relire, à écouter, peut-être même à bricoler.
Quand la parole est coupée.
Je crois que le sujet me travaille en ce moment. Pendant les vacances, j’ai eu l’envie soudaine de revoir, pour la énième fois, Le discours d’un roi, j’ai encore, encore, encore été bouleversée. Par la parole coupée. Et par l’écoute qui restaure, qui habilite, qui autorise, qui crée de la place.
Il y a quelques années, j’avais acheté un CD rassemblant des émissions « Radioscopie » de Jacques Chancel. Sur ce disque, une sélection de ses entretiens avec des philosophes. Il leur laisse le temps de parler, ne craint pas les silences et on peut écouter la pensée en train de se faire, en train de cheminer. C’est d’une telle qualité cet espace grand ouvert à l’incertain. On devrait toujours laisser le temps à l’incertain de s’exprimer.
Aujourd’hui, j’y repense car j’ai écouté un entretien radio où la journaliste ne cesse d’interrompre l’auteure qu’elle interviewe. On aimerait l’entendre finir sa phrase, déployer ses mots, continuer sa pensée, on aimerait partager ses silences, mais nope, elle lui coupe systématiquement la parole. Ça m’a insupportée, presque assaillie. Ça m’a pesée sur la poitrine, j’ai senti venir les larmes et la rage. Evidemment, c’est un peu bêta de se mettre dans cet état-là pour un entretien radio. Oui, je crois que le sujet me travaille en ce moment…
Quand la parole est coupée comme ça.
Je me souviens qu’écrire, ce n’est pas l’assurance d’être écouté.e, mais tout de même de parler sans être interrompu.e.
Je me redis combien l’écoute est précieuse, rare, capitale, je veux écouter plus, écouter mieux.
Je me redis qu’il y a bien assez de fil et d’aiguilles, bien assez de poèmes et de beauté, pour recoudre ce qui est coupé.
Je me murmure : If you can’t do it, do it anyway.
Garder l’allant
Austin Kleon n’a pas intitulé son bouquin Start ou Begin. Il l’a appelé Keep Going.
Oui, parce que le vrai grand sujet c’est pas de commencer, c’est de continuer.
Mais « keep going » me paraît beaucoup plus juste que « continuer ». Si on devait le traduire mot à mot et un peu librement, je ne sais pas, ça donnerait peut-être « garder l’allant ». Garder dans le sens aussi de surveiller et d’en prendre soin.
Continuer, ça laisse à penser qu’il n’y a pas de rupture, que les rails sont déjà posés, assemblés, le train est lancé, sans arrêts jusqu’au terminus, qu’on peut s’asseoir et regarder par la fenêtre, le trajet se fera malgré soi. C’est faux. L’allant demande du soin et de la surveillance.
Il s’agit de keep going.
Il s’agit de perpétuel recommencement. C’est ça le plus exigeant. C’est pas de commencer, où le piquant de la nouveauté et la fierté de s’y mettre sont très puissants.
Continuer – à la différence de commencer ou même de terminer – c’est sans gloire, sans applaudissements, même de soi à soi. Tu es simplement en train de continuer, de reprendre ce que tu faisais, d’insister, de recommencer, de refaire, de répéter, de poursuivre. C’est la base, le minimum syndical, ce que tout le monde attend, et tu ne vois pas que l’exploit en fait il est là.
Je repense à Angot et à cette interview où elle parle du travail d’écriture ; elle dit : « Le savoir-faire ne compte pas. Le seul savoir-faire, c’est supporter de ne pas y arriver pendant longtemps. »
J’admire la persévérance. Je ne parle pas d’entêtement, de continuer dans une mauvaise direction coûte que coûte, mais de la ténacité et de la constance, quand on sait qu’on tient quelque chose, que ça nous fait du bien ou que ça vaut le coup et qu’on se fait le gardien de notre allant.
J’apprends dans ce domaine, je suis encore dans les très grands débutants.
Alors je n’ai pas de supers conseils ou recettes à ce propos.
Tout ce qui me vient c’est : est-ce qu’on se félicite assez, soi-même et entre nous, pour tout ce qu’on recommence, tout ce qu’on persévère ?
On applaudit les débuts et les achèvements, est-ce qu’on célèbre assez toutes les heures entre les deux, où s’entremêlent étrangement le flow, le doute, les blocages, les eurêka, les trébuchements, les résultats fluctuants, les nouveaux nouveaux départs, la rage de ne plus savoir comment ni par où, le courage de repartir de plus bas, le kiff des petits pas ?
C’est pourtant là qu’on s’expérimente vraiment. C’est là que ça se passe.
Ce sont des heures, couronnées ou non de succès, qui méritent un peu plus de reconnaissance et d’encouragement. Moi-même, je ne le dis pas assez autour de moi, et je me note aujourd’hui (car joie de ce challenge d’écriture, je ne l’avais jamais réalisé avant cet instant) de féliciter davantage les keep going que je peux voir ici et là.
Et parce qu’il ne s’agit pas de « continuer », on peut chaque jour réajuster, faire un peu différemment si la veille était sans allant ou sans résultats, on peut chaque jour assembler les rails autrement, donner au train une nouvelle direction, ou une nouvelle allure. Recommencer c’est la possibilité renouvelée quotidiennement de ne pas rester dans la continuité. C’est garder le désir et la curiosité pour l’énigme, le mystère de ce qu’on est en train de faire. C’est prendre soin de l’allant, du mouvement.
Je ne sais pas ce que tu es en train de faire ou ce que tu veux recommencer demain ou dans quelques jours, puis chaque jour, mais je tiens à te dire : keep going.
On ne peut pas. Et on écrit.
« Ecrire.
Je ne peux pas.
Personne ne peut.
Il faut le dire : on ne peut pas.
Et on écrit.
(…)
L’écriture, c’est l’inconnu. Avant d’écrire, on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité.
C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps.
(…)
Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait pas, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine.
Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait – on ne le sait qu’après – avant, c’est la question la plus dangereuse qu’on puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi. »
Marguerite Duras, Ecrire, 1993
Tu commences sans savoir
Dans un post intitulé Non-negotiable, Austin Kleon écrit : « It’s not easy to sit down every day with next-to-nothing and try to make something appear. But this portion of our day is non-negotiable. You start out not knowing and go from there. (Remember: It doesn’t have to be good, it just has to exist.)«
Partir à l’aventure
C’est plutôt magique le commencement. Tellement magique qu’on ne sait pas très bien où ça se situe. Un voyage par exemple, à quel moment est-ce qu’il commence ? Quand on en a l’envie, quand on le rêve, quand on laisse courir ses pensées sur l’atlas ou qu’on zoome sur google maps, quand on achète un guide ou un billet, quand on fait sa valise, quand on ferme la porte de chez soi, quand on s’asseoit dans le train ou dans l’avion, ou dès qu’on marche enfin dans des rues inconnues ?
Idem pour un projet de création ou d’entreprise, c’est quand, c’est quoi, le commencement ?
Dans Comme un avion, Bruno Podalydès filme et interprète un passionné d’aéropostale qui décide d’entreprendre une petite expédition en… kayak. Première partie du film : la découverte fascinée de l’objet, sur internet puis en vrai au déballage du colis, le montage laborieux du kayak dans son salon puis sur le toit de sa maison, le soin pour dresser la liste du matériel à emporter (« oui » dit-il, « j’accorde une grande importance au matos »), le manuel des castors juniors à portée de main, l’excès de zèle pour s’équiper. C’est clairement la meilleure partie du film, avant que le kayak ne flotte sur l’eau, parce que Podalydès est un spécialiste de la préparation, du rêve à matérialiser, des panoplies du commencement. C’était pareil dans Liberté-Oléron, un autre de ses films, où le père de famille en vacances se fantasme capitaine de bateau, fait la folie d’en acheter un, on suit là aussi tous les préparatifs, le matériel, la documentation, le rêve d’enfant et les joies et déboires de l’adulte dans la réalité.
« Dans le jardin familial, j’adorais avec Denis construire des radeaux, donc on posait juste des planches dans le gazon et on y séjournait comme si on était sur le Kon-Tiki, coupés du monde, on se croyait en mer. Et mon plaisir le plus intime, c’était de me mettre sur le bord de la planche et de regarder la fin du radeau, là où on est encore sur le bois, et l’herbe c’était l’océan. Et cette espèce de frontière, l’aventure, intérieure/extérieure, jmsuisdit comment je pourrais raconter ça au cinéma : ce début de l’aventure, le voyage, être chez soi, comme on est chez soi chez Jules Verne dans le sous-marin, et en même temps dans le monde, extérieur. » (Bruno Podalydès dans cette interview ci-dessous)
J’ignore si c’est vraiment le commencement, mais j’aime ces débuts-là, ce moment où le kayak prend soudain toute la place dans notre vie, on l’apprivoise, il nous résiste, on se prépare, on s’apprête, on liste, on se procure, on accumule, tout cet avant d’aller sur l’eau.
Ce goût singulier de s’y mettre un peu, avant de s’y mettre vraiment. Le plaisir de se projeter et de soigner tous les signes de ce qui est à venir.
Je sais aussi que j’aime un peu trop ça. J’ai tendance à fixer le bord du radeau, rêver l’herbe-océan, collectionner des panoplies, ne jamais commencer vraiment.
Mon projet, mon kayak à moi, n’est pas un projet d’écriture mais ce sont les exemples tirés de l’écriture et de la création qui me parlent le plus sur ces sujets du faire et du commencement. Peut-être parce que c’est l’un des domaines où j’expérimente aussi la Résistance (Steven Pressfield, War of art), et où j’apprends, cahin-caha, à lui tenir tête.
Alors pour finir sur le commencement, voici deux ressources de ma panoplie :
Tout ce qui est fait reste à faire
Ça va très vite, ça se fait si facilement… la peur te prend la main et te ramène à bon port, dans des endroits que tu connais bien, ton fauteuil, ta couette, les tâches annexes, l’oubli de soi, le divertissement. Ces lieux où tu ne vis pas ta vie, où demain devient le royaume sans fin de tes promesses.
Peu importe le projet, peu importe où tu en es, c’est très facile de laisser cette peur l’emporter. Et elle prend tous les visages, perfide, rusée, elle te convainc par tous les moyens que cette petite aventure sur les flots, c’est franchement pas une bonne idée. Ton bateau ? Ce n’est qu’une coquille de noix, de qui se moque-t-on. Il fait beau ? Ça ne va pas durer, tempêtes à venir, noyade assurée.
Chez moi du moins, ça va très vite, ça glisse. Je n’y prends pas garde et me voilà, en contrebas, coincée dans le sentiment d’être coincée. Avec l’impression (un exemple au hasard) qu’écrire trois lignes demande l’énergie d’un triathlon.
On attend d’être sauvé.e, d’être touché.e par la grâce de l’inspiration, de la force ou de la motivation. On se demande pourquoi aujourd’hui tout est si laborieux. Et pendant qu’on se pose ce genre de questions, on laisse la peur à la barre, et oh tiens, nous revoilà au port qu’on avait pourtant si joyeusement quitté.
Ça va vraiment très vite. Et ça vient à tout moment. J’insiste : peu importe où tu en es. On n’en est jamais débarrassé.
Il n’y a pas, je le répète, je me le répète, d’amarres larguées une fois pour toutes. Il n’y a pas d’avant/après le courage de commencer, d’avant/après l’élan de faire. Il n’y a pas de mers lointaines, d’eaux hors-la-loi, de nombre de jours dépassé où la peur ne nous trouvera pas.
J’ai entendu mille fois « ce qui est fait n’est plus à faire ». Ça marchait très bien pour les devoirs enfant, ça marche aussi, plus tard, pour la paperasse, les corvées. Allez, allez, ce qui est fait n’est plus à faire, je visualisais des affaires (littéralement) qu’on fait valser derrière soi les unes après les autres. Ça sentait quand même la grosse arnaque vu que les devoirs ça revenait tout le temps, et plus tard la paperasse aussi.
Puis un jour, j’ai lu un livre magnifique (La fin du courage de Cynthia Fleury) qui m’annonce de but en blanc que « tout ce qui est fait reste à faire ».
OK… C’était comme d’apprendre que le père Noël n’existe pas.
Et en même temps que la sidération : le soulagement. On me disait enfin la vérité. On allait pouvoir avancer sur des bases saines.
Oui, tout ce qui est fait reste à faire.
Le courage est pour toujours à renouveler. Il n’est jamais chose faite, jamais derrière soi.
Le choix est chaque jour à réaffirmer.
Le port pour toujours à quitter.
Ça pourrait sembler décourageant, ça ne l’est pas. Le découragement s’installe quand on s’obstine à croire que ça devrait être facile, que parce qu’on l’a fait une fois, on n’aura plus à le faire. Qu’on saura le refaire sans résistance. Qu’un courage, un dépassement prédit mille courages, mille dépassements.
Non, on repart chaque jour à l’aventure. Et les vents sont tantôt favorables, tantôt contraires.
C’est sans fin le commencement.
S’absenter du monde
C’était une des questions d’Augustin Trapenard : « Ça voudrait dire qu’écrire, c’est aussi s’absenter du monde ? »
S’il s’agit du vieux débat, écrire la vie ou la vivre, etc., je ne réponds pas. À une époque, je me les suis posées ces questions-là mais aujourd’hui, elles n’ont plus de sens pour moi.
Et ce challenge me confirme encore plus que
si j’écris, je suis là
si j’écris, je ne m’absente pas
je réponds présente, je prends part, je cohabite.
En revanche, si la question est « de quoi faut-il s’absenter pour écrire ? », là ça m’intéresse.
Deux fois pendant ce challenge, je suis partie plus tôt d’une conversation, d’une soirée pour avoir le temps de rentrer, de m’attabler et de pianoter sur mon clavier, je me suis littéralement absentée du monde pour écrire, oui. Je n’ai rien dit, rien expliqué de mon empressement. Et je partais avec un sourire en coin vers ce rendez-vous secret, car personne ne sait, à part vous si vous me lisez, que je participe à ce défi.
Elizabeth Gilbert dans l’indispensable Comme par magie nous recommande d’entretenir une liaison avec notre créativité : « Sneak off and have an affair with your most creative self. »
« When people are having an affair, they don’t mind losing sleep or missing meals. They will make whatever sacrifices they have to, and blast through any obstacles, in order to be alone with the object of their devotion —because it matters to them.
Let yourself fall in love with your creativity and see what happens. Stop treating it like a tired, old, unhappy marriage (a grind) and start regarding it with the fresh eyes of a passionate lover. Even if you have only 15 minutes a day alone with your creativity, take it. Sneak off and have an affair with your most creative self. Lie to everyone about where you’re actually going on your lunch break. Pretend you’re on a business trip when secretly you’re retreating to paint, or write poetry, or draw up the plans for your organic mushroom farm. Conceal it from your family and friends. Slip away from everyone else at the party and go off to dance alone with your ideas in the dark. Wake yourself up in the middle of the night, to be alone with your inspiration while nobody is watching. You don’t need that sleep right now; you can give it up.
What else are you willing to give up in order to be alone with your beloved? Don’t think of it as burdensome; think of it as sexy. »
Je ne m’en étais pas rendue compte mais ce défi est vraiment devenu cet amant, à qui je consacre du temps, coûte que coûte, parce que pour moi, c’est important. Et je viens quand même de lui poser deux lapins en deux jours à l’amant… Disons-le franchement : je suis pas aussi convaincue qu’Elizabeth sur la partie « You don’t need that sleep right now ». Je veux bien qu’elle développe ce point la prochaine fois, merci d’avance Liz.
Mais c’est vrai, il faut bien filer en douce, s’absenter de quelque chose, d’une soirée, d’une heure de sommeil, du quotidien à traiter, d’autres activités, pour créer ce qu’on veut créer. Choisir quel rendez-vous on ne veut pas surtout pas manquer, quelle place on veut bien s’offrir.
À quoi est-ce qu’on est prêt à renoncer ? De quel monde, de quel espace on va s’absenter ?
La magie d’essayer
Défi 90 jours de contenu – Ce que j’ai appris en écrivant chaque jour :
la magie d’essayer
J’ai horreur de toutes ces fois sans « vrai » contenu, c’est toujours la sensation d’un inachèvement, d’un truc laissé vacant. Parfois, je me dis qu’il vaudrait mieux peut-être ne pas s’acharner, décider d’emblée que rien ne viendra ce soir-là et passer direct à un contenu de rattrapage auquel j’aboutis anyway. Mais ça ne marche pas comme ça. Tout ce qui résiste sur un contenu vient nourrir le prochain, certains mots, certaines idées n’émergent que parce que d’autres ont coulé. Je crois désormais à la magie d’essayer (pas de réussir) quotidennement. Commencer et recommencer, chaque jour, même si l’on ne peut pas chaque jour en voir le bout, l’achèvement.
la facilité
J’avais prévu d’exploiter ce défi, aussi, pour écrire ailleurs des contenus « pros » et pour l’instant, ça ne vient pas. Ca prendrait bien sûr plus de temps, de soin, d’attention. Ici, j’ai choisi en partie la facilité : pas d’enjeu lié à une activité, je peux écrire sur tout et n’importe quoi, sans trop m’interroger sur le ton et la cohérence éditoriale. Je ne sais pas encore si je le ferai finalement. En attendant, je collecte les infos que le défi m’amène, sur ma façon de fonctionner et sur les sujets qui m’obsèdent.
la fatigue
Il arrive que j’attaque mon contenu dans un état de fatigue avancé, et si je parviens à le produire, je me sens systématiquement vivifiée. J’en sors beaucoup moins fatiguée qu’en y entrant (idem pour la plupart de mes cours d’ailleurs). Je trouve ça assez fascinant. A la question « qu’est-ce qui te donne de l’énergie ? », un début de réponse semble donc se profiler.
à la recherche du temps tout court
Je cherche quand même des solutions pour les contenus en semaine, parce que le rythme actuel n’est pas tenable. Il faut que j’explore d’autres formes, d’autres façons de faire.
la surprise
Je suis d’accord avec l’ami Soulages, c’est pas tant une question de plaisir qu’une question de surprise (même si in fine ça se rejoint). Je n’écris pas forcément avec « plaisir » au départ, mais surgit toujours cet étonnement ravi de ce que les mots viennent me dire.
Ta part d’écho
On m’a défiée d’écrire ce vendredi 22, un contenu « sur l’idée qu’il n’y a pas d’idée nouvelle /que tout a déjà été dit, tout en faisant un acrostiche avec l’expression « Nihil novi » (soit en début de phrases ou de paragraphes). »
J’ai dit oui ! Et voici.
Ta part d’écho
N’attends pas, s’il-te-plaît, d’avoir à dire quelque chose de nouveau.
Il y a tout déjà. Tout déjà de fait, tout déjà d’écrit.
Hâte-toi plutôt de transmettre ta part d’écho.
Irréductible, infatigable écho d’entre les mots.
L’idée nouvelle n’existe pas, elle est toujours la question ou la réponse d’une autre. C’est sans importance, car ton désir, lui, est
Nouveau.
On t’attend toi pour venir jouer avec ta voix dans le grand déjà-dit, dans le grand déjà-fait.
Viens voir ici comme les sons et les lumières se réverbèrent,
Il n’y a que des échos, et on attend le tien.
Surprise, oui
Entretien avec le peintre Soulages sur France Culture : ces extraits retranscrits m’inspirent tellement, je les partage sans même avoir pris le temps, je vous avoue, d’écouter l’émission.
Quand on l’interroge sur sa méthode de travail, les mots sont simples, mais le mystère reste entier : « Arriver à l’atelier, et attendre d’oser.(…) »
Sur la notion de plaisir dans son travail, Pierre Soulages répond : « Je ne fonctionne pas comme ça. Surprise, oui. D’ailleurs souvent je m’aperçois que ce que je fais dépasse de beaucoup ce que j’ai voulu faire, et dans le bon sens, dans un sens que je n’aurais peut-être pas imaginé, alors c’est peut-être une satisfaction, oui. »