Le travail en revue #1

Ce billet fait suite à mise au travail #1.

Lundi dernier, j’ai eu cette idée saugrenue de publier mes objectifs de la semaine, dans l’espoir d’augmenter les chances de faire ce que j’ai dit, et dans l’idée de revenir ici, passer en revue les accomplis et les ressentis, traquer les mouvements et les impasses. 

Nous sommes lundi suivant, et à vrai dire, plusieurs sentiments s’emparent de moi. Avant d’entamer ce billet d’abord, un grand doute sur le format, dois-je revenir explicitement sur chacun de mes objectifs, faire des coches ou des croix puis les commenter, ou bien extraire plutôt quelques enseignements saillants de cette semaine ? En relisant les objectifs ensuite, un étonnement, tressé d’embarras : où sont passées mes heures, qu’ai-fait de mon temps, cette liste d’objectifs ne ressemble pas du tout à la semaine que j’ai vécue, dois-je revenir ici me flageller des engagements non tenus ?

Alors, je te demande un peu d’indulgence en me lisant. J’expérimente cet exercice, je cherche, le format évoluera sûrement. 

Une première pensée : le jour n’est pas le bon. Retracer la semaine écoulée le lundi, c’est déborder, empiéter sur la semaine qui démarre, ça tire en arrière et brouille l’envie de regarder maintenant et devant. Je déplacerai peut-être au samedi ou dimanche.

Maintenant, voyons.

tout en même temps : les études, la recherche d’emploi, la consolidation du projet de stage, le début du bénévolat, les envies d’écrire. Je me sens débordée sans l’être vraiment. En vérité, c’est largement faisable, l’enjeu est de trouver un rythme, de redessiner des contours pour me dédier à chaque chose dans un temps net, circonscrit. Retrouver du séquentiel. Un début et une fin. Puis de nouveau, un début et une fin. Cette semaine, tout semblait superposé, entremêlé, avec des heures qui se chevauchent, des tâches entamées, suspendues pour en intégrer d’autres, reprises, décousues. Un sentiment de ne pas arrêter, et pourtant de ne pas avancer. 

la lecture des textes : le plus efficace pour moi, en comparant deux lectures de textes denses et ardus cette semaine, est de faire une première passe en soulignant et en commentant à la marge, d’une traite, puis d’ouvrir un document et noter, assez rapidement, les points problématiques, les questions, les nœuds, ce que j’identifie comme la matière vivante. Ne pas se laisser un temps infini devant soi, choisir une durée, la réduire, et s’y tenir. Utiliser ce sentiment d’être pressé-e pour aller à l’essentiel, être en tension, engagé-e. Pour éviter de barboter, un œil dessus, la tête ailleurs. 

la discussion sur un texte en petit groupe : un tout autre défi, et je sens que ça coince à cet endroit. Pas une prise de conscience nouvelle, mais la récurrence du problème me surprend. J’en suis encore là. Crispée parfois par le flou des conversations, je suis saisie par l’envie de revenir au silence et à l’écrit. Heureusement, ce n’est pas toujours le cas. La discussion du dimanche compense plutôt bien celle du mercredi. Deux différences peut-être, dimanche nous n’avions rien à produire, et ce n’était pas prescrit. Juste discuter, et juste parce qu’on le voulait. Comme j’ai du mal avec ce qu’on m’impose, il y a des choses qui ne changent pas !

la lecture d’un texte en particulier, et d’ouvrages associés, pour une présentation et mise en discussion le mois prochain : je résiste, je refuse de m’y mettre, et je ne comprenais pas bien pourquoi, avant d’écrire ces quelques lignes ici. J’aime l’auteur, le sujet me passionne, ce qui bloque tient plutôt au contexte : l’horizon de parler de cet auteur et de cette méthodologie dans un petit cercle excessivement critique à son encontre. Je dois chercher un positionnement juste, où je ne chercherai pas à défendre, ou à représenter, car ça n’est pas l’objet. 

la marche, ça tient, quotidien. J’aimerais revenir bientôt aux 10 000 pas, et surtout en marchant, quand j’ai le temps, réveiller mon regard et mon attention, oser prendre des photos, me re-fabriquer étrangère à ma ville, avec la patience et l’étonnement des marches en voyage. La même curiosité.

le yoga, pas une fois. Je sais combien ça me fait du bien, je suis nostalgique d’une période assidue où j’en faisais chaque matin, et parfois même entre le job du jour et les cours du soir, le tapis comme un sas. L’habitude est simplement perdue. Ça va revenir, j’y crois.

les pages du matin en utilisant 750words, et le journal le soir, oh oui ça tient. Et ça me tient. Particulièrement la combinaison des deux, aux écritures et aux allures différentes. J’aimerais toutefois revenir aux pages du matin grattées sur papier.

l’écriture : pas de newsletter, pas de billet de blog hormis quelques réels et la publication des choses aimées, que j’adore agencer. Beaucoup de questionnements (pour changer). Le projet du cœur à l’ouvrage, ce que je cherche à y faire, être utile en acceptant de ne pas l’être. L’envie d’un autre blog (en plus, pas à la place de) sur le contenu de mes études, oui mais comment et quand. La pratique des réels, support d’écriture et de regard sur le quotidien, lâcher prise sur les jours pas faits, et surtout veiller à ne pas écrire un réel pour fuir un autre élan, l’écriture d’un billet, et se plaindre ensuite de ne pas avoir le temps de faire les deux. Ne pas faire du réel un prétexte. Ou bien en faire un pré-texte. 

les blogs : la découverte cette semaine de très nombreux blogs, très actifs, et toute cette vie en ligne, hors réseaux sociaux, tous ces coins de web, personnels, vivants, me mettent en joie. Un point d’attention : la bascule entre le moment où ces découvertes m’inspirent et celui où elles m’inhibent, quand je jalouse le style, l’audience, la régularité, tout. 

Mise au travail #1

Ce week-end, m’est venue l’idée* de publier ici mes objectifs, et surtout d’y revenir ensuite pour dresser un état des lieux, commenté. Une façon de m’engager, d’augmenter les chances de faire ce qui est dit. Une manière aussi de prendre le temps de regarder comment j’ai fait, ce qui marche et ce qui résiste.

En avril 2022, j’ai entamé un journal d’études audio. Chaque matin, j’ouvrais la fonction dictaphone et partageais mes intentions du jour, et chaque soir, je revenais sur les réalités du jour, l’accompli et les ressentis, les faits et le vécu. Et je publiais, quotidiennement. Soutien solide de mes efforts, ce rituel m’a remis le pied à l’étrier, j’ai formidablement bien travaillé.

Je m’interroge sur la fréquence : publier des objectifs annuels, mensuels, hebdomadaires, journaliers ? Ce matin, la fréquence hebdomadaire me semble appropriée : suffisamment régulière pour créer une tension, un mouvement, suffisamment espacée pour avoir le recul et la matière pour commenter. Je m’autorise la possibilité de changer en cours de route.

Je m’interroge aussi sur la nécessité de thématiser cette publication : faut-il restreindre aux objectifs en lien avec mon projet de formation, avec ma recherche d’emploi, avec le soin de soi, avec les pratiques d’écriture ? Je décide que ça n’aurait pas beaucoup de sens de compartimenter et qu’il vaut mieux que la publication soit le reflet de ces tous azimuts, au risque d’être un peu foutoir.

Enfin, je m’interroge sur l’intérêt que ça peut représenter pour celleux qui me liront. Que vaut cette idée ? Est-ce qu’elle ne sert qu’à moi ? Est-ce que cela peut soutenir les efforts et la réflexion d’autres personnes ? Je ne peux pas savoir avant de le faire. Et ma foi, je me fie à mon propre goût, j’aime lire ce genre de choses ailleurs, j’y trouve une impulsion ou un écho. Ce qui n’est pas rien.

*en découvrant le concept du brag document de l’année (vantardoc) via Fanny Cheung.

Objectifs – 2023, Semaine 2

Études
lire les 40 pages de V., jusqu’ici parcourues en diagonales, noter les points essentiels de chaque section, être capable de les restituer
travailler en profondeur les notes du cours du mardi, identifier tes questions restantes
lire le texte à présenter de C., faire une première passe pour cerner les mouvements du texte, les questions, les difficultés
lire le livre de C.
retranscrire les notes du cours du vendredi
contacter l’administration pour clarifier les possibilités du stage

Recherche emploi
chaque jour candidatures, ne pas y passer plus de 2h

Écriture
envoi d’une newsletter
chaque jour un réel à prise rapide
bonus : chaque jour un billet de blog

Soin de soi
chaque jour yoga
chaque jour marche
chaque jour pages du matin, sur papier ou sur 750words

EDIT du 16 janvier 2023 : retour sur ces objectifs, une semaine plus tard, dans le travail en revue #1

Quelques choses apprises

Nous y voilà, le 31. J’ai parlé hier d’un exercice assez classique pour faire un “bilannée”. Je préfère finalement ce mot à celui de bilan qui m’évoque des réunions poussiéreuses et saturées d’affreux powerpoint. Revenons à nos moutons, cet exercice de bilannée consiste à extraire des choses faites, vécues, ce qu’on en a appris. Comme on extrait le jus d’un fruit. Délicieux. Vraiment. Super antidote au risque de prendre les faits pour des faits accomplis, sans vie, bouche bée. Super invitation à regarder ce qu’ils ont semé pour la suite, ce qu’ils ont à nous dire. Les ranimer pour les faire balises de nos sentiers. 

Dans mon bilannée, j’ai donc d’abord listé quelques trucs que je trouvais réussis, dont j’étais plutôt fière, et je me suis demandée ce qui avait permis, facilité ces choses-là. Puis j’ai listé quelques trucs que je trouvais ratés, manqués, dont je n’étais pas très fière, ou frustrée, et je me suis demandée ce qui avait empêché, fait obstacle, ou provoqué ces choses-là.

J’aime lire ce que d’autres ont appris, la façon dont iels explorent leur propre vie, ce qui taraude, ce qui réjouit, et ce qu’iels peuvent en dire. Alors je partage ici, moi aussi, quelques choses apprises cette année : 

n’attends pas d’être prêt-e, d’être préparé-e : j’ai enfin interviewé A., alors que j’en parlais depuis bientôt 3 ans je crois. Si j’ai tant repoussé, c’est parce que j’attendais de savoir précisément le fil rouge de l’entretien, les thèmes à aborder, les questions que j’allais poser, et le format dans lequel je le restituerai. Un jour, j’ai enfin dit, sans rien savoir de tout ça : notons une date dans l’agenda ! Deux heures avant l’interview, je n’avais rien de prêt, je me suis attablée et assez vite j’avais sous les yeux une dizaine de pages de questions (oui, c’est trop). L’interview est faite, et en cours d’édition pour être bientôt publiée (j’ai hâte !). J’ai adoré ce moment. N’attends pas d’être prêt-e. J’ai été très nostalgique cette année de celle que j’étais 10 ans plus tôt, de mes audaces, de mes effervescences, d’un tas de choses faites, et en regardant bien, je me suis rappelée ma technique imparable à l’époque : je disais je le fais avant de savoir comment. 

pars du principe que tu vas y arriver : je me suis lancée seule dans un montage de meubles assez complexe, avec un mode d’emploi qui dit bien qu’il faut être deux, et j’ai craint jusqu’au dernier moment de ne pas pouvoir soulever la bête. Mais je suis partie du principe, dès que j’ai ouvert les cartons, que j’allais y arriver. C’était décidé. J’ai sué, soufflé, pesté, paniqué, pris des photos pour m’auto-féliciter, mais j’y suis arrivée. Et j’ai réalisé à quel point, sans même me le formuler aussi clairement, je décide parfois que je ne vais pas y arriver, que c’est hors de ma portée, hors de mes capacités. Je me demande tout ce qui pourrait exister si je décidais d’emblée que je vais y arriver. 

le dernier coup de collier : c’est une expression bien enracinée dans mes souvenirs d’enfance, donner un coup de collier, fournir cet effort soutenu, sur une période donnée, pour enfin, enfin, venir à bout de ce qu’on a commencé. J’ai entrepris cette année un grand rangement de mes papiers, photos et tous fichiers numériques, vaste chantier, et alors que j’avais presque fini… je me suis écroulée de lassitude, et j’ai laissé tomber. Je ne sais même plus où j’en étais du classement, c’est beaucoup plus dur de s’y remettre que ça ne l’aurait été de continuer et de terminer ! C’est un exemple parmi d’autres : je me vois faire l’effort, le plus dur presque, et c’est juste avant la ligne d’arrivée que je choisis au lieu de parcourir les derniers mètres d’aller poser mes fesses sur le côté. Bon, pour la suite, je tâcherai d’être attentive sur certains projets au dernier coup de collier. Au courage de faire les derniers mètres.

temps morts et pratiques vivantes : ça tourne en boucle, quand j’écris (oh je n’y arriverai pas, je n’y arrive plus, pas comme avant), quand j’étudie (oh je n’arrive plus à travailler autant, comment me discipliner, ça ne reviendra jamais et autres sanglots étouffés d’anxiété) et puis finalement j’écris et j’étudie. Et j’y prends un plaisir inouï. C’est toujours la même histoire, parce que ça n’est qu’une histoire. Ma légende personnelle – quoique je crois la partager avec un bon nombre de personnes -, ce récit dans lequel j’aime me vautrer, qui me fait perdre un temps fou. Oui, ça revient. Oui, je peux écrire de nouveau, c’est dur mais je peux. Oui, je peux étudier de nouveau, lire, rédiger, me discipliner, m’y tenir. L’erreur, vraiment, c’est plutôt d’arrêter. Tous les temps morts dans ces pratiques vivantes qui me font croire que ce qui était possible hier requiert une force surhumaine aujourd’hui. Garder le rythme, garder le lien avec son travail, son écriture, ses projets, soigner ces relations-là aussi. Faire un peu, souvent. Ne pas laisser des temps morts s’installer trop longtemps. Maintenir ses pratiques vivantes. 

tourne la poignée : la peur a pris beaucoup de place, a grignoté du terrain sur ma vie, mon quotidien ; et si, le plus souvent, j’ai réussi à faire ce que j’avais à faire malgré tout, c’est en pensant à ce passage du livre Wild de Cheryl Strayed sur la peur et la puissance (cité ici). Parfois, ces derniers mois, la main sur la poignée de la porte, quand tout mon corps se figeait, je pensais à elle, randonnant seule sur le Pacific Crest Trail, à ce passage de Wild, et je tournais la poignée. J’y allais. La peur prend tous les bouts de terrain que tu lui laisses. Elle s’immisce partout où elle peut. Elle gagne sans se battre, elle gagne où tu ne luttes pas. Tourne la poignée.

Passer à l’action – mode d’emploi 1

Comment arrêter de procrastiner ? Comment faire pour réviser, étudier, écrire, travailler ? Réponse horripilante : faites-le, c’est tout.
Dans cet esprit, voici un mode d’emploi ou tuto de la plus haute sophistication, à lire attentivement, à exécuter avec précaution, chaque étape compte, l’ordre aussi.
Rédigé pour des révisions, quelques ajustements de votre cru – très peu – sont à prévoir pour d’autres réjouissances telles que : faire votre comptabilité, votre ménage,votre CV, vos triple saltos, votre cinquième roman. Faites-le, c’est tout.

S’asseoir, à son bureau, table à manger, toute surface plane. Déplier le bras. Tendre le bras. Attraper le livre qui attend. Le rapprocher de soi. Laisser la couverture nous dévisager. Nous occuper. Nous appeler. Détourner le regard. Tenter d’y échapper. Continuer de scroller. Papillonner. D’onglets en onglets. Du coin de l’oeil. Surveiller le livre. Toujours là. Ouvrir le livre à la page désirée. Coincer le livre de sorte qu’il tienne ouvert. Sentir le moment se rapprocher. Le point de non retour. Fermer un onglet. Un deuxième. Expirer. Boire un peau d’eau. Souffler, soupirer dramatiquement. En faire trop. Se traiter de feignasse. Se demander pardon. Se redresser. Trouver une assise acceptable. Inspirer. Passer la main sur ses yeux, son front. Avec douceur, soutien. Croiser les bras. S’enlacer, se tenir fort, par les omoplates. Inspirer. Expirer. Tourner la tête dans un sens. Puis dans l’autre. Éteindre radio, vidéo, musique, réseaux sociaux. Prêter l’oreille aux autres sons. Eboueurs, voitures, église, enfants, petits oiseaux. Sentir ici, maintenant, que ça peut commencer. Ouvrir le document pour écrire, prendre vos notes, travailler. Placer le curseur au bon endroit. Fermer les derniers onglets récalcitrants. Boire un peu d’eau. Se redresser. Ignorer la peur. Ignorer la flemme. Commencer petit. Commencer un peu. Lancer un chrono de 25 minutes. Pomodoro. Petite tranche de temps. Zut craquer au dernier moment. Ouvrir un mail. Le lire. Repousser de quelques secondes encore. Allez allez. Cette fois c’est bon. Plonger
Lire quelques lignes
Taper quelques mots
Raccrocher les wagons
S’enlacer, se tenir fort
Se dire que c’est possible
Puisque ça y est nous sommes lancé·e·s

Le dictaphone

Journée très productive, comparée aux soixante dernières. Je me remets enfin plus sérieusement aux lectures dans le cadre de mes études, délaissées en m’occupant de ce site à me perdre dans des détails labyrinthiques, et en me faisant de fausses promesses « demain, demain, toujours demain ». En fin de matinée, j’ai ouvert la fonction dictaphone, j’ai lancé à voix haute « journal d’études, jour 1 » et j’ai simplement dit en long et en large (9 minutes, beaucoup trop long, beaucoup trop large) que je m’y remettais, et quel livre j’attrapais. Et je crois que toute la journée, j’ai tenu – malgré la difficulté à me concentrer, les passages ardus du texte, la tentation de plutôt scroller à l’infini sur Twitter – grâce à cet audio que j’avais fait et qui d’une certaine manière m’obligeait. Ce soir, j’ai rouvert le dictaphone, très fière de pouvoir dire « j’ai bien avancé ! » (6 minutes quand même, toujours trop long). Je ne sais pas si je publierai ces audios, ça me paraît inintéressant, mais dans le même temps, je sais aussi combien on peut se sentir seul·e quand il faut avancer et qu’on a du mal, et j’ai trouvé parfois beaucoup de réconfort à lire ou écouter des personnes qui partageaient, jusque dans les moindres détails, leurs tentatives, leurs élans, leurs processus.

Aux antipodes du talent

Je me suis arrêtée net dans la rue. Mon téléphone en main, l’œil rivé sur l’écran, j’ai vu mes résultats et j’ai explosé de joie. Je n’ai pas pu retenir un grand éclat fanfaron, un rire de soulagement, au point d’effrayer un peu je crois les passants autour, et j’ai gardé, en reprenant mon chemin, cette mine radieuse, ce bonheur serré fort contre moi. C’était les résultats des examens du premier semestre, réussis, y compris celui que j’étais si sûre, si sûre d’avoir affreusement crabouillé. Le délice absolu des efforts qui ont payé, l’espoir qui se rapproche de passer en troisième année, le cœur battant, reconnaissant, frémissant. 

Très gentiment, des proches m’ont félicitée quand je leur ai partagé, les jours suivants, la bonne nouvelle. Mais j’ai entendu une fois les mots “douée” et “talent”, et j’ai senti que ça piquait. Vraiment. C’était, sous les mots doux, valorisants, rayer d’un trait tout le travail engagé. Les heures enfermées à dépouiller des textes, à répéter à haute voix, à bloquer les notifications du téléphone, la jubilation de voir enfin les choses s’imbriquer, d’enfin tenir quelque chose, à 23h, au bout d’une journée entière à buter, la peur parfois de perdre pied, d’être absorbée, obsédée au point d’étaler du gel douche, au lieu du shampooing, sur ma tête, au point de lancer de l’eau à chauffer, sans eau dans la casserole, la tentation d’envoyer tout bouler, la beauté chaque matin de s’y remettre.

Ce travail-là, acharné, je le situe à peu près aux antipodes du talent et d’être douée. Je sais bien que ça n’était pas l’intention ni la pensée des personnes qui ont employé ces mots. À dire vrai, je n’en sais rien, peu importe. Ça m’a permis de sentir chez moi un changement profond de regard et d’esprit.

J’ai longtemps été friande de tests, questionnaires, exercices, programmes pour mieux me connaître, mes points forts, ma zone de confort, ma personnalité, mes talents, mes super-pouvoirs. Qu’on me dise qui je suis, qu’on me reconnaisse des qualités intrinsèques, indéniables, des prédispositions, des endroits d’excellence à l’intérieur, pour qu’on me dise quoi faire, où mettre mon énergie, dans quoi je serai la plus douée. Et au fond, j’attendais cela aussi des gens qui m’entouraient. 

Aujourd’hui, je préfère largement qu’on reconnaisse mon travail, dans ses deux versants : ce que j’ai fait, le résultat, et ce que ça m’a demandé, le cheminement. Je préfère largement reconnaître mon envie, mon ardeur, ce qui me tient à cœur. Je préfère largement découvrir que je suis capable de travailler comme ça, et qu’en plus – fabuleux – ça porte ses fruits. Je préfère largement apprendre sur comment j’apprends, affûter mes trucs et astuces pour apprivoiser la flemme, le temps que ça prend, les nœuds dans la tête et dans les doigts. Et peut-être que la prochaine fois, je penserai même à mettre de l’eau dans la casserole.

Tu n’as pas besoin d’être doué·e ou qu’on te le dise.
Fais ce qui te tient à cœur.
Fais-le du mieux que tu peux.
Fais-le vivre.
D’avance, pour ça, tu peux te féliciter et serrer fort ce bonheur-là !

Le blues des projets qui prennent fin

C’est la fin d’un parcours de formation que j’ai entamé en septembre dernier. Le dernier module s’est déroulé lundi et mardi, il ne reste « que » les évaluations.

À l’heure de partir mardi soir, chacun·e résistait à sa façon : en rangeant lentement et soigneusement ses affaires, en ralentissant sa marche dans le couloir, en ouvrant de grandes discussions vouées à durer jusqu’à l’aube, en planifiant déjà les rendez-vous, les retrouvailles, des prochaines semaines et prochains mois.

Les deux jours, comme tout le parcours, avaient été incroyablement denses d’émotions et d’apprentissages. Et s’en aller, tourner cette page, c’était un point dans le temps. Un point qu’on avait envie de faire tout petit, tout insignifiant, ou transformer en trois petits points et « lire la suite ».

Pour clôturer, la conceptrice et formatrice du parcours a mis en place plusieurs choses dont une que j’ai envie de vous partager car je l’emporte avec moi.

Lors du premier module, nous avions répondu, en petits groupes, à ces questions :

-Ce qui sera important pour moi pendant ce « voyage »
-De quoi j’ai besoin, de la part des autres, pour donner le meilleur de moi-même (sic)
-Comment je peux contribuer à son succès
-Ce qui pourrait être difficile pour moi
-Ce qui facilitera mon chemin

puis inscrit nos réponses sur des paperboards.

La formatrice avait conservé les feuilles. Elle les a collées au mur de la salle ce dernier jour de formation et nous a invité.e.s à cocher parmi les réponses ce qui, pour nous, avait été vrai, atteint, vécu.

J’avais adoré prendre le temps de répondre à ces questions lors du premier module, et j’ai adoré prendre le temps de les revisiter lors du dernier.

Dans mon précédent job, j’ai à deux reprises porté des projets qui ont occupé tout mon temps, mon corps et mes pensées, et j’ai souvenir :

– au lancement du projet d’avoir frénétiquement arpenté le web pour savoir par où commencer. Je n’ai pas été déçue : ça déborde d’outils et de bons conseils pour lancer, planifier, structurer. Des rétroplannings, des matrices, des templates de comptes rendus de réunions, des critères et des indicateurs, d’innombrables codes couleur. Presque rien de tout ça ne résiste au réel du travail une fois qu’il est engagé, et on garde dans les archives de ses dossiers pas mal d’excels laissés en friche.

– à la fin du projet d’avoir ressenti un vide immense et vertigineux. Un apéro tapas avec les collègues pour célébrer et puis le lendemain, continuer comme si de rien n’était.

Planifier, on sait faire. Célébrer, on sait faire (même si on ne le fait jamais assez).

Mais il manque souvent un espace, un pas de côté, pour exprimer et nommer tout ce que le projet va représenter pour soi, pour nommer ses attentes et ses besoins, ses ressources et ses défis. Un espace à revisiter quand le projet se termine ou se transforme.

L’exercice de Lynne, je l’emporte donc avec moi pour mes projets en cours et à venir. Pas besoin d’y consacrer trois semaines d’intenses réflexions. Prendre un quart d’heure, une heure, le faire seul·e ou en conversant avec quelqu’un. S’offrir ça.

Et toi, est-ce que tu prends le temps de te poser ces questions-là ? De « te poser » tout court en fait ? En mettant de côté les petits problèmes de syntaxe, est-ce que ces questions te parlent ou est-ce que tu aurais envie de créer tes propres questions ?

Si tu veux partager tout ou partie de tes réponses pour l’un de tes projets, tu peux le faire en commentaire ci-dessous, j’ai hâte de te lire !

À la chasse aux grands oui

Hier, certitude absolue après quelques jours de doute : je renonce à l’un des cours du soir auxquels je m’étais inscrite la semaine dernière. Un mail au bureau des inscriptions, un mail à mon groupe de travail, un mail aux enseignants : trois petits mails et c’était plié. Facile une fois la décision prise. 

Le cours s’annonçait passionnant, j’allais apprendre plein de choses sur comment on apprend justement, sur différentes modalités pédagogiques à mettre en œuvre, et sur la réflexivité et l’autoformation. Délice d’avance (je peux concevoir, mais en faisant un petit effort quand même, que ça ne procure pas exactement les mêmes sensations chez toi ;). Le cours était entièrement bâti en classe inversée, avec énormément de productions collectives et donc énormément d’heures à y consacrer. Et là, rien qu’à l’idée de programmer les teams et de saturer mon agenda, j’avais la nausée. C’est pas bon signe, m’a dit l’amie A. 

Entre délice et nausée, c’était pas tranché. Le bon moment pour utiliser ma toute nouvelle méthode de choix : un grand oui sinon rien. 

Ce grand oui sinon rien me vient tout droit d’une séance de coaching, starring pêle-mêle : ma super collègue qui se reconnaîtra, une plaque de fer du Moyen-âge, Yoga with Adriene, le son PAF, et « beaucoup beaucoup d’amour » répété à peu près trente-douze fois. Je te refais pas toute la séance – le film sortira bientôt -, en résumé : la condition sine qua non de ce « beaucoup d’amour » pour moi, j’ai décidé que c’était de m’en tenir, au maximum en ce moment, à des grands oui, à ce qui fait oui PAF (ah le voilà) sans explication, au ressenti brut : ça, je veux. Du 100%, du brûlant, exit la tiédeur et les oui-non-mais-tu-vois. 

S’en tenir aux grands oui sinon rien, ça m’a quand même semblé un peu luxe, voire un peu caprice. Et puis… à bien ressentir la chose, c’est au contraire la tiédeur qui m’a paru carrément luxe. Un luxe que, par moments, on ne peut plus se permettre. Il en faut du temps devant soi, de l’énergie en stock et des certitudes sur l’avenir pour laisser les oui-non-mais-tu-vois squatter ses journées !

J’ai pas bazardé d’un revers de main tout ce qui dans ma vie ne passe pas au tamis du grand oui. Il y a quelques réalités qui se règlent pas en trois mails bien tournés, et surtout il y a des coins où on tolère encore assez bien, il faut se l’avouer, la tiédeur. Mais j’ai envie d’être à l’écoute de ça. Je me suis remémoré quelques grands oui du passé, j’ai identifié quelques grands oui du moment, et j’ai décidé de partir avec la curiosité d’une enfant à la chasse aux grands oui, de prêter attention, et priorité, à ce qui dans mes projets, dans mes journées, et jusque dans les petits détails de mon quotidien, fait paf sans équivoque. Et de goûter tout l’espace que ça crée quand j’ai l’audace de laisser les trucs mi-délice mi-nausée sur le bas-côté.

Et toi, c’est quoi tes grands oui du passé et du moment ? Est-ce que ça fait paf ou wa ou ding ou fshh ?

Est-ce qu’il y a au moins un grand oui dans ta journée ? (c’est le oui qui doit être grand, pas la chose faite ou ressentie : moi j’inclus dans mes grands oui du jour ma séance de yoga, et regarder le ciel se lever avec mon café).

C’est quoi le premier oui-non-mais-tu-vois auquel tu pourrais renoncer ?

Ce sera toujours, toujours, mieux que rien

La vérité, c’est que je n’ai pas travaillé. J’avais prévu de consacrer la moitié de ma semaine de congés à réviser en vue des examens qui arrivent fin janvier. Et je n’ai rien fait. Pas même les autres trucs qui me tentaient, à la place. C’était soit ça, soit rien (principe à la con, j’en conviens). J’avais juste un peu le blues, j’ai regardé des films en mangeant des cookies et des clémentines, j’ai fait plein de listes, j’ai changé deux ampoules et j’ai mis le réveil pour rien.

Je me demande si la parole coupée évoquée plus tôt, ça vient pas aussi du fait qu’on a parfois trop parlé et pas assez fait. Les mots ne veulent pas d’un corps en stand-by, d’une vie à l’arrêt.

J-25, le panic monster (Tim Urban) commence à s’agiter, mais c’est encore lointain, plutôt le bruissement d’un animal tapi dans la forêt que le rugissement du fauve à mes oreilles.

Aujourd’hui, je me suis dit : « n’importe quoi, même la plus petite chose, même pas longtemps, ce sera mieux que rien ».

Ce sera mieux que rien.

Ça m’a donné la force de m’y mettre. Je n’ai pas travaillé beaucoup ni très longtemps. Mais j’ai travaillé, et c’était mieux que rien.

C’est souvent que je me mets des objectifs pas possibles, tant d’heures, tant de pages, tant de choses. Tant ! Trop ! Et non seulement, je ne les tiens pas ces objectifs mais je suis convaincue que ce sont eux qui m’intimident dès le départ. Ils sont mal calibrés, mal posés. Je finis par choisir le rien plutôt que l’à moitié-fait (c’est vraiment très très con, j’en conviens).

La perspective de faire tout petit, pas beaucoup, pas trop longtemps, c’était déjà me ramener sur terre, pour faire un pas devant l’autre. C’est une leçon sans cesse apprise, sans cesse oubliée.

Je crois que les mots « mieux que » m’ont fait du bien. Au lieu de penser à tout ce que je n’avais pas fait, à tout ce qui reste à faire et me sentir en retard et en-deçà, j’ai vu du bonus, du plus, matière 1- néant 0.

Quelle que soit la chose qu’on veut faire, du travail, du plaisir à recréer, du soin de soi : n’importe quoi, même le plus petit geste, même pas longtemps. Même ce qui paraît insignifiant. Et ce sera toujours, toujours, sans exception, mieux que rien.

J’ai bien envie de l’afficher en grand dans mon appartement, pour les jours les plus rêches :

Qu’est-ce qui aujourd’hui sera mieux que rien ?

Garder l’allant

Austin Kleon n’a pas intitulé son bouquin Start ou Begin. Il l’a appelé Keep Going.

Oui, parce que le vrai grand sujet c’est pas de commencer, c’est de continuer.

Mais « keep going » me paraît beaucoup plus juste que « continuer ». Si on devait le traduire mot à mot et un peu librement, je ne sais pas, ça donnerait peut-être « garder l’allant ». Garder dans le sens aussi de surveiller et d’en prendre soin.

Continuer, ça laisse à penser qu’il n’y a pas de rupture, que les rails sont déjà posés, assemblés, le train est lancé, sans arrêts jusqu’au terminus, qu’on peut s’asseoir et regarder par la fenêtre, le trajet se fera malgré soi. C’est faux. L’allant demande du soin et de la surveillance.

Il s’agit de keep going.

Il s’agit de perpétuel recommencement. C’est ça le plus exigeant. C’est pas de commencer, où le piquant de la nouveauté et la fierté de s’y mettre sont très puissants.

Continuer – à la différence de commencer ou même de terminer – c’est sans gloire, sans applaudissements, même de soi à soi. Tu es simplement en train de continuer, de reprendre ce que tu faisais, d’insister, de recommencer, de refaire, de répéter, de poursuivre. C’est la base, le minimum syndical, ce que tout le monde attend, et tu ne vois pas que l’exploit en fait il est là.

Je repense à Angot et à cette interview où elle parle du travail d’écriture ; elle dit : « Le savoir-faire ne compte pas. Le seul savoir-faire, c’est supporter de ne pas y arriver pendant longtemps. »

J’admire la persévérance. Je ne parle pas d’entêtement, de continuer dans une mauvaise direction coûte que coûte, mais de la ténacité et de la constance, quand on sait qu’on tient quelque chose, que ça nous fait du bien ou que ça vaut le coup et qu’on se fait le gardien de notre allant.

J’apprends dans ce domaine, je suis encore dans les très grands débutants.

Alors je n’ai pas de supers conseils ou recettes à ce propos.

Tout ce qui me vient c’est : est-ce qu’on se félicite assez, soi-même et entre nous, pour tout ce qu’on recommence, tout ce qu’on persévère ?

On applaudit les débuts et les achèvements, est-ce qu’on célèbre assez toutes les heures entre les deux, où s’entremêlent étrangement le flow, le doute, les blocages, les eurêka, les trébuchements, les résultats fluctuants, les nouveaux nouveaux départs, la rage de ne plus savoir comment ni par où, le courage de repartir de plus bas, le kiff des petits pas ?

C’est pourtant là qu’on s’expérimente vraiment. C’est là que ça se passe.

Ce sont des heures, couronnées ou non de succès, qui méritent un peu plus de reconnaissance et d’encouragement. Moi-même, je ne le dis pas assez autour de moi, et je me note aujourd’hui (car joie de ce challenge d’écriture, je ne l’avais jamais réalisé avant cet instant) de féliciter davantage les keep going que je peux voir ici et là.

Et parce qu’il ne s’agit pas de « continuer », on peut chaque jour réajuster, faire un peu différemment si la veille était sans allant ou sans résultats, on peut chaque jour assembler les rails autrement, donner au train une nouvelle direction, ou une nouvelle allure. Recommencer c’est la possibilité renouvelée quotidiennement de ne pas rester dans la continuité. C’est garder le désir et la curiosité pour l’énigme, le mystère de ce qu’on est en train de faire. C’est prendre soin de l’allant, du mouvement.

Je ne sais pas ce que tu es en train de faire ou ce que tu veux recommencer demain ou dans quelques jours, puis chaque jour, mais je tiens à te dire : keep going.