Passer à l’action – mode d’emploi 1

Comment arrêter de procrastiner ? Comment faire pour réviser, étudier, écrire, travailler ? Réponse horripilante : faites-le, c’est tout.
Dans cet esprit, voici un mode d’emploi ou tuto de la plus haute sophistication, à lire attentivement, à exécuter avec précaution, chaque étape compte, l’ordre aussi.
Rédigé pour des révisions, quelques ajustements de votre cru – très peu – sont à prévoir pour d’autres réjouissances telles que : faire votre comptabilité, votre ménage,votre CV, vos triple saltos, votre cinquième roman. Faites-le, c’est tout.

S’asseoir, à son bureau, table à manger, toute surface plane. Déplier le bras. Tendre le bras. Attraper le livre qui attend. Le rapprocher de soi. Laisser la couverture nous dévisager. Nous occuper. Nous appeler. Détourner le regard. Tenter d’y échapper. Continuer de scroller. Papillonner. D’onglets en onglets. Du coin de l’oeil. Surveiller le livre. Toujours là. Ouvrir le livre à la page désirée. Coincer le livre de sorte qu’il tienne ouvert. Sentir le moment se rapprocher. Le point de non retour. Fermer un onglet. Un deuxième. Expirer. Boire un peau d’eau. Souffler, soupirer dramatiquement. En faire trop. Se traiter de feignasse. Se demander pardon. Se redresser. Trouver une assise acceptable. Inspirer. Passer la main sur ses yeux, son front. Avec douceur, soutien. Croiser les bras. S’enlacer, se tenir fort, par les omoplates. Inspirer. Expirer. Tourner la tête dans un sens. Puis dans l’autre. Éteindre radio, vidéo, musique, réseaux sociaux. Prêter l’oreille aux autres sons. Eboueurs, voitures, église, enfants, petits oiseaux. Sentir ici, maintenant, que ça peut commencer. Ouvrir le document pour écrire, prendre vos notes, travailler. Placer le curseur au bon endroit. Fermer les derniers onglets récalcitrants. Boire un peu d’eau. Se redresser. Ignorer la peur. Ignorer la flemme. Commencer petit. Commencer un peu. Lancer un chrono de 25 minutes. Pomodoro. Petite tranche de temps. Zut craquer au dernier moment. Ouvrir un mail. Le lire. Repousser de quelques secondes encore. Allez allez. Cette fois c’est bon. Plonger
Lire quelques lignes
Taper quelques mots
Raccrocher les wagons
S’enlacer, se tenir fort
Se dire que c’est possible
Puisque ça y est nous sommes lancé·e·s

Aujourd’hui IL FAUT

Temps merveilleux, idéal pour buller au bord de l’eau, quelque part en France où sentir des pins ou du chèvrefeuille, déjeuner d’une tomate basilic, se laisser bercer par les heures et le vent. Mais il faut travailler, rester à Paris, devant l’écran, ouvrir le livre et continuer, envier le soleil par la fenêtre, repousser les douces rêveries, la tentation de prendre un sac à dos et un aller simple vers un ailleurs au goût d’été. IL FAUT l’écrire en grand car en petit, aujourd’hui, ça ne marche pas.

Aujourd’hui table de

Sur mon secrétaire, se bousculent péniblement l’ordinateur, la trousse remplie de piles et de monnaie, le livre à lire, la tasse à ras bord de tisane, les trente carnets à trier, les feuilles en vrac – gribouillages téléphoniques, objectifs “du jour”, notes de réunion, horaires de train. Je rêve d’un bureau immense, grande table de travail, où m’étaler, où à la fois laisser vivre et ordonner le bordel. Depuis mon secrétaire, j’entends l’eau et les pales du lave-vaisselle tourner, tempêter. Je rêve de murs, de pièces, de limites et de frontières, d’un espace pour chaque fonction. Quand j’ai du mal à m’y mettre, je rêve de choses très matérielles comme solutions toutes faites à ma procrastination.

Le dictaphone

Journée très productive, comparée aux soixante dernières. Je me remets enfin plus sérieusement aux lectures dans le cadre de mes études, délaissées en m’occupant de ce site à me perdre dans des détails labyrinthiques, et en me faisant de fausses promesses « demain, demain, toujours demain ». En fin de matinée, j’ai ouvert la fonction dictaphone, j’ai lancé à voix haute « journal d’études, jour 1 » et j’ai simplement dit en long et en large (9 minutes, beaucoup trop long, beaucoup trop large) que je m’y remettais, et quel livre j’attrapais. Et je crois que toute la journée, j’ai tenu – malgré la difficulté à me concentrer, les passages ardus du texte, la tentation de plutôt scroller à l’infini sur Twitter – grâce à cet audio que j’avais fait et qui d’une certaine manière m’obligeait. Ce soir, j’ai rouvert le dictaphone, très fière de pouvoir dire « j’ai bien avancé ! » (6 minutes quand même, toujours trop long). Je ne sais pas si je publierai ces audios, ça me paraît inintéressant, mais dans le même temps, je sais aussi combien on peut se sentir seul·e quand il faut avancer et qu’on a du mal, et j’ai trouvé parfois beaucoup de réconfort à lire ou écouter des personnes qui partageaient, jusque dans les moindres détails, leurs tentatives, leurs élans, leurs processus.

Aux antipodes du talent

Je me suis arrêtée net dans la rue. Mon téléphone en main, l’œil rivé sur l’écran, j’ai vu mes résultats et j’ai explosé de joie. Je n’ai pas pu retenir un grand éclat fanfaron, un rire de soulagement, au point d’effrayer un peu je crois les passants autour, et j’ai gardé, en reprenant mon chemin, cette mine radieuse, ce bonheur serré fort contre moi. C’était les résultats des examens du premier semestre, réussis, y compris celui que j’étais si sûre, si sûre d’avoir affreusement crabouillé. Le délice absolu des efforts qui ont payé, l’espoir qui se rapproche de passer en troisième année, le cœur battant, reconnaissant, frémissant. 

Très gentiment, des proches m’ont félicitée quand je leur ai partagé, les jours suivants, la bonne nouvelle. Mais j’ai entendu une fois les mots “douée” et “talent”, et j’ai senti que ça piquait. Vraiment. C’était, sous les mots doux, valorisants, rayer d’un trait tout le travail engagé. Les heures enfermées à dépouiller des textes, à répéter à haute voix, à bloquer les notifications du téléphone, la jubilation de voir enfin les choses s’imbriquer, d’enfin tenir quelque chose, à 23h, au bout d’une journée entière à buter, la peur parfois de perdre pied, d’être absorbée, obsédée au point d’étaler du gel douche, au lieu du shampooing, sur ma tête, au point de lancer de l’eau à chauffer, sans eau dans la casserole, la tentation d’envoyer tout bouler, la beauté chaque matin de s’y remettre.

Ce travail-là, acharné, je le situe à peu près aux antipodes du talent et d’être douée. Je sais bien que ça n’était pas l’intention ni la pensée des personnes qui ont employé ces mots. À dire vrai, je n’en sais rien, peu importe. Ça m’a permis de sentir chez moi un changement profond de regard et d’esprit.

J’ai longtemps été friande de tests, questionnaires, exercices, programmes pour mieux me connaître, mes points forts, ma zone de confort, ma personnalité, mes talents, mes super-pouvoirs. Qu’on me dise qui je suis, qu’on me reconnaisse des qualités intrinsèques, indéniables, des prédispositions, des endroits d’excellence à l’intérieur, pour qu’on me dise quoi faire, où mettre mon énergie, dans quoi je serai la plus douée. Et au fond, j’attendais cela aussi des gens qui m’entouraient. 

Aujourd’hui, je préfère largement qu’on reconnaisse mon travail, dans ses deux versants : ce que j’ai fait, le résultat, et ce que ça m’a demandé, le cheminement. Je préfère largement reconnaître mon envie, mon ardeur, ce qui me tient à cœur. Je préfère largement découvrir que je suis capable de travailler comme ça, et qu’en plus – fabuleux – ça porte ses fruits. Je préfère largement apprendre sur comment j’apprends, affûter mes trucs et astuces pour apprivoiser la flemme, le temps que ça prend, les nœuds dans la tête et dans les doigts. Et peut-être que la prochaine fois, je penserai même à mettre de l’eau dans la casserole.

Tu n’as pas besoin d’être doué·e ou qu’on te le dise.
Fais ce qui te tient à cœur.
Fais-le du mieux que tu peux.
Fais-le vivre.
D’avance, pour ça, tu peux te féliciter et serrer fort ce bonheur-là !

Aujourd’hui en toc

Aujourd’hui l’intervenante témoigne de son parcours, de sa pratique en tant que salariée, de l’ouverture de son cabinet, des embûches, des écueils, de sa posture, du péril des mots en toc, des marges de manœuvre, des pieds dans la porte pour agir malgré, pour remettre en mouvement la pensée. J’écoute, j’admire, je m’interroge. Je la vois solide, calme et passionnée, humble et assurée en assumant tous ses doutes, et j’ajoute dans mes pas cet horizon-là.

Aujourd’hui facile facile

Aujourd’hui ce serait facile d’ignorer le réveil, de serrer les paupières et la couette. Facile facile oui mais je ne me pose pas la question. Je suis debout dans ma cuisine et j’attrape ce café. Une heure plus tard, je suis dans cette petite salle pleine à craquer, à faire courir le stylo plume sur mon carnet ligné, en laissant des blancs quand c’est allé trop vite, quand je ne sais pas épeler. Déjà vécu cent fois depuis deux ans : ce sentiment délicieux d’être à la fois perdue et au bon endroit.

Le blues des projets qui prennent fin

C’est la fin d’un parcours de formation que j’ai entamé en septembre dernier. Le dernier module s’est déroulé lundi et mardi, il ne reste « que » les évaluations.

À l’heure de partir mardi soir, chacun·e résistait à sa façon : en rangeant lentement et soigneusement ses affaires, en ralentissant sa marche dans le couloir, en ouvrant de grandes discussions vouées à durer jusqu’à l’aube, en planifiant déjà les rendez-vous, les retrouvailles, des prochaines semaines et prochains mois.

Les deux jours, comme tout le parcours, avaient été incroyablement denses d’émotions et d’apprentissages. Et s’en aller, tourner cette page, c’était un point dans le temps. Un point qu’on avait envie de faire tout petit, tout insignifiant, ou transformer en trois petits points et « lire la suite ».

Pour clôturer, la conceptrice et formatrice du parcours a mis en place plusieurs choses dont une que j’ai envie de vous partager car je l’emporte avec moi.

Lors du premier module, nous avions répondu, en petits groupes, à ces questions :

-Ce qui sera important pour moi pendant ce « voyage »
-De quoi j’ai besoin, de la part des autres, pour donner le meilleur de moi-même (sic)
-Comment je peux contribuer à son succès
-Ce qui pourrait être difficile pour moi
-Ce qui facilitera mon chemin

puis inscrit nos réponses sur des paperboards.

La formatrice avait conservé les feuilles. Elle les a collées au mur de la salle ce dernier jour de formation et nous a invité.e.s à cocher parmi les réponses ce qui, pour nous, avait été vrai, atteint, vécu.

J’avais adoré prendre le temps de répondre à ces questions lors du premier module, et j’ai adoré prendre le temps de les revisiter lors du dernier.

Dans mon précédent job, j’ai à deux reprises porté des projets qui ont occupé tout mon temps, mon corps et mes pensées, et j’ai souvenir :

– au lancement du projet d’avoir frénétiquement arpenté le web pour savoir par où commencer. Je n’ai pas été déçue : ça déborde d’outils et de bons conseils pour lancer, planifier, structurer. Des rétroplannings, des matrices, des templates de comptes rendus de réunions, des critères et des indicateurs, d’innombrables codes couleur. Presque rien de tout ça ne résiste au réel du travail une fois qu’il est engagé, et on garde dans les archives de ses dossiers pas mal d’excels laissés en friche.

– à la fin du projet d’avoir ressenti un vide immense et vertigineux. Un apéro tapas avec les collègues pour célébrer et puis le lendemain, continuer comme si de rien n’était.

Planifier, on sait faire. Célébrer, on sait faire (même si on ne le fait jamais assez).

Mais il manque souvent un espace, un pas de côté, pour exprimer et nommer tout ce que le projet va représenter pour soi, pour nommer ses attentes et ses besoins, ses ressources et ses défis. Un espace à revisiter quand le projet se termine ou se transforme.

L’exercice de Lynne, je l’emporte donc avec moi pour mes projets en cours et à venir. Pas besoin d’y consacrer trois semaines d’intenses réflexions. Prendre un quart d’heure, une heure, le faire seul·e ou en conversant avec quelqu’un. S’offrir ça.

Et toi, est-ce que tu prends le temps de te poser ces questions-là ? De « te poser » tout court en fait ? En mettant de côté les petits problèmes de syntaxe, est-ce que ces questions te parlent ou est-ce que tu aurais envie de créer tes propres questions ?

Si tu veux partager tout ou partie de tes réponses pour l’un de tes projets, tu peux le faire en commentaire ci-dessous, j’ai hâte de te lire !

À la chasse aux grands oui

Hier, certitude absolue après quelques jours de doute : je renonce à l’un des cours du soir auxquels je m’étais inscrite la semaine dernière. Un mail au bureau des inscriptions, un mail à mon groupe de travail, un mail aux enseignants : trois petits mails et c’était plié. Facile une fois la décision prise. 

Le cours s’annonçait passionnant, j’allais apprendre plein de choses sur comment on apprend justement, sur différentes modalités pédagogiques à mettre en œuvre, et sur la réflexivité et l’autoformation. Délice d’avance (je peux concevoir, mais en faisant un petit effort quand même, que ça ne procure pas exactement les mêmes sensations chez toi ;). Le cours était entièrement bâti en classe inversée, avec énormément de productions collectives et donc énormément d’heures à y consacrer. Et là, rien qu’à l’idée de programmer les teams et de saturer mon agenda, j’avais la nausée. C’est pas bon signe, m’a dit l’amie A. 

Entre délice et nausée, c’était pas tranché. Le bon moment pour utiliser ma toute nouvelle méthode de choix : un grand oui sinon rien. 

Ce grand oui sinon rien me vient tout droit d’une séance de coaching, starring pêle-mêle : ma super collègue qui se reconnaîtra, une plaque de fer du Moyen-âge, Yoga with Adriene, le son PAF, et « beaucoup beaucoup d’amour » répété à peu près trente-douze fois. Je te refais pas toute la séance – le film sortira bientôt -, en résumé : la condition sine qua non de ce « beaucoup d’amour » pour moi, j’ai décidé que c’était de m’en tenir, au maximum en ce moment, à des grands oui, à ce qui fait oui PAF (ah le voilà) sans explication, au ressenti brut : ça, je veux. Du 100%, du brûlant, exit la tiédeur et les oui-non-mais-tu-vois. 

S’en tenir aux grands oui sinon rien, ça m’a quand même semblé un peu luxe, voire un peu caprice. Et puis… à bien ressentir la chose, c’est au contraire la tiédeur qui m’a paru carrément luxe. Un luxe que, par moments, on ne peut plus se permettre. Il en faut du temps devant soi, de l’énergie en stock et des certitudes sur l’avenir pour laisser les oui-non-mais-tu-vois squatter ses journées !

J’ai pas bazardé d’un revers de main tout ce qui dans ma vie ne passe pas au tamis du grand oui. Il y a quelques réalités qui se règlent pas en trois mails bien tournés, et surtout il y a des coins où on tolère encore assez bien, il faut se l’avouer, la tiédeur. Mais j’ai envie d’être à l’écoute de ça. Je me suis remémoré quelques grands oui du passé, j’ai identifié quelques grands oui du moment, et j’ai décidé de partir avec la curiosité d’une enfant à la chasse aux grands oui, de prêter attention, et priorité, à ce qui dans mes projets, dans mes journées, et jusque dans les petits détails de mon quotidien, fait paf sans équivoque. Et de goûter tout l’espace que ça crée quand j’ai l’audace de laisser les trucs mi-délice mi-nausée sur le bas-côté.

Et toi, c’est quoi tes grands oui du passé et du moment ? Est-ce que ça fait paf ou wa ou ding ou fshh ?

Est-ce qu’il y a au moins un grand oui dans ta journée ? (c’est le oui qui doit être grand, pas la chose faite ou ressentie : moi j’inclus dans mes grands oui du jour ma séance de yoga, et regarder le ciel se lever avec mon café).

C’est quoi le premier oui-non-mais-tu-vois auquel tu pourrais renoncer ?

Ce sera toujours, toujours, mieux que rien

La vérité, c’est que je n’ai pas travaillé. J’avais prévu de consacrer la moitié de ma semaine de congés à réviser en vue des examens qui arrivent fin janvier. Et je n’ai rien fait. Pas même les autres trucs qui me tentaient, à la place. C’était soit ça, soit rien (principe à la con, j’en conviens). J’avais juste un peu le blues, j’ai regardé des films en mangeant des cookies et des clémentines, j’ai fait plein de listes, j’ai changé deux ampoules et j’ai mis le réveil pour rien.

Je me demande si la parole coupée évoquée plus tôt, ça vient pas aussi du fait qu’on a parfois trop parlé et pas assez fait. Les mots ne veulent pas d’un corps en stand-by, d’une vie à l’arrêt.

J-25, le panic monster (Tim Urban) commence à s’agiter, mais c’est encore lointain, plutôt le bruissement d’un animal tapi dans la forêt que le rugissement du fauve à mes oreilles.

Aujourd’hui, je me suis dit : « n’importe quoi, même la plus petite chose, même pas longtemps, ce sera mieux que rien ».

Ce sera mieux que rien.

Ça m’a donné la force de m’y mettre. Je n’ai pas travaillé beaucoup ni très longtemps. Mais j’ai travaillé, et c’était mieux que rien.

C’est souvent que je me mets des objectifs pas possibles, tant d’heures, tant de pages, tant de choses. Tant ! Trop ! Et non seulement, je ne les tiens pas ces objectifs mais je suis convaincue que ce sont eux qui m’intimident dès le départ. Ils sont mal calibrés, mal posés. Je finis par choisir le rien plutôt que l’à moitié-fait (c’est vraiment très très con, j’en conviens).

La perspective de faire tout petit, pas beaucoup, pas trop longtemps, c’était déjà me ramener sur terre, pour faire un pas devant l’autre. C’est une leçon sans cesse apprise, sans cesse oubliée.

Je crois que les mots « mieux que » m’ont fait du bien. Au lieu de penser à tout ce que je n’avais pas fait, à tout ce qui reste à faire et me sentir en retard et en-deçà, j’ai vu du bonus, du plus, matière 1- néant 0.

Quelle que soit la chose qu’on veut faire, du travail, du plaisir à recréer, du soin de soi : n’importe quoi, même le plus petit geste, même pas longtemps. Même ce qui paraît insignifiant. Et ce sera toujours, toujours, sans exception, mieux que rien.

J’ai bien envie de l’afficher en grand dans mon appartement, pour les jours les plus rêches :

Qu’est-ce qui aujourd’hui sera mieux que rien ?

Garder l’allant

Austin Kleon n’a pas intitulé son bouquin Start ou Begin. Il l’a appelé Keep Going.

Oui, parce que le vrai grand sujet c’est pas de commencer, c’est de continuer.

Mais « keep going » me paraît beaucoup plus juste que « continuer ». Si on devait le traduire mot à mot et un peu librement, je ne sais pas, ça donnerait peut-être « garder l’allant ». Garder dans le sens aussi de surveiller et d’en prendre soin.

Continuer, ça laisse à penser qu’il n’y a pas de rupture, que les rails sont déjà posés, assemblés, le train est lancé, sans arrêts jusqu’au terminus, qu’on peut s’asseoir et regarder par la fenêtre, le trajet se fera malgré soi. C’est faux. L’allant demande du soin et de la surveillance.

Il s’agit de keep going.

Il s’agit de perpétuel recommencement. C’est ça le plus exigeant. C’est pas de commencer, où le piquant de la nouveauté et la fierté de s’y mettre sont très puissants.

Continuer – à la différence de commencer ou même de terminer – c’est sans gloire, sans applaudissements, même de soi à soi. Tu es simplement en train de continuer, de reprendre ce que tu faisais, d’insister, de recommencer, de refaire, de répéter, de poursuivre. C’est la base, le minimum syndical, ce que tout le monde attend, et tu ne vois pas que l’exploit en fait il est là.

Je repense à Angot et à cette interview où elle parle du travail d’écriture ; elle dit : « Le savoir-faire ne compte pas. Le seul savoir-faire, c’est supporter de ne pas y arriver pendant longtemps. »

J’admire la persévérance. Je ne parle pas d’entêtement, de continuer dans une mauvaise direction coûte que coûte, mais de la ténacité et de la constance, quand on sait qu’on tient quelque chose, que ça nous fait du bien ou que ça vaut le coup et qu’on se fait le gardien de notre allant.

J’apprends dans ce domaine, je suis encore dans les très grands débutants.

Alors je n’ai pas de supers conseils ou recettes à ce propos.

Tout ce qui me vient c’est : est-ce qu’on se félicite assez, soi-même et entre nous, pour tout ce qu’on recommence, tout ce qu’on persévère ?

On applaudit les débuts et les achèvements, est-ce qu’on célèbre assez toutes les heures entre les deux, où s’entremêlent étrangement le flow, le doute, les blocages, les eurêka, les trébuchements, les résultats fluctuants, les nouveaux nouveaux départs, la rage de ne plus savoir comment ni par où, le courage de repartir de plus bas, le kiff des petits pas ?

C’est pourtant là qu’on s’expérimente vraiment. C’est là que ça se passe.

Ce sont des heures, couronnées ou non de succès, qui méritent un peu plus de reconnaissance et d’encouragement. Moi-même, je ne le dis pas assez autour de moi, et je me note aujourd’hui (car joie de ce challenge d’écriture, je ne l’avais jamais réalisé avant cet instant) de féliciter davantage les keep going que je peux voir ici et là.

Et parce qu’il ne s’agit pas de « continuer », on peut chaque jour réajuster, faire un peu différemment si la veille était sans allant ou sans résultats, on peut chaque jour assembler les rails autrement, donner au train une nouvelle direction, ou une nouvelle allure. Recommencer c’est la possibilité renouvelée quotidiennement de ne pas rester dans la continuité. C’est garder le désir et la curiosité pour l’énigme, le mystère de ce qu’on est en train de faire. C’est prendre soin de l’allant, du mouvement.

Je ne sais pas ce que tu es en train de faire ou ce que tu veux recommencer demain ou dans quelques jours, puis chaque jour, mais je tiens à te dire : keep going.

La quête infinie des cartes enfouies

Ce sont des amoureux de la beauté et du travail bien fait. Ils terminent l’Ecole Boulle, prestigieuse école des métiers d’art et du design, et passent leur dernière année à travailler sur une seule et même pièce. C’est sur cette pièce qu’ils seront jugés pour obtenir leur diplôme. On les voit se débattre avec de la résine qui n’a pas séché, du métal gâché, des problèmes d’angles et de gabarits, faire d’innombrables allers-retours entre leurs espoirs et la réalité. Ils savent et savourent le luxe que c’est de pouvoir passer une année entière sur le même objet.

Documentaire À l’école des mains d’or – à l’école Boulle de Laetitia Agostini (2016, 50min)

Je retire tellement de choses à les regarder et à les écouter. Ça résonne avec toutes mes obsessions pour le travail, le temps, la qualité, l’apprentissage, le rêve et la matière, l’oeuvre qui s’affranchit de l’idée, le geste qui transforme la pensée.

Voici quelques extraits :

« La vitesse je l’acquerrai après, avec l’expérience, moi ce qui m’intéresse c’est d’acquérir de la technique et de savoir faire les choses bien. »

« C‘est le dernier pied. C’est le pied qui est le plus dans l’esprit de mon projet, c’est le pied transparent. Je sais pas vraiment ce que ça va rendre. J’ai fait des rendus 3D avec les effets que ça pourrait faire la résine. Mais bon la 3D, ça reste une 3D, c’est pas la réalité. J’aimerais bien voir dans la réalité ce que ça va faire. »

« C’est l’excellence, vue comme l’expression d’une très grande solidarité, et d’un goût pour l’art et les choses bien faites, pour la qualité… c’est pas quelque chose qui se nourrit de passions troubles, de quelque chose qui aurait à voir avec la vanité. Pas du tout, c’est une excellence qui se nourrit d’une certaine forme d’humilité. »

« La main elle est l’outil qui dirige l’oeil et la pensée ».

« Ce qu’on amène à l’objet, ce qu’on veut y mettre de soi, ça nous amène à nous poser la question : mais qui on est ? qu’est-ce qu’on veut faire passer comme valeurs ? »

« Je sais que j’ai encore des cartes enfouies en moi que j’ai besoin de sortir, pour peut-être avoir le bon jeu ou pas. Mais voilà, je suis pas encore moi-même, il me faut un peu de temps pour dévoiler tout ça. »

Ils sont beaux dans cette quête infinie de leurs cartes enfouies. Je m’inspire de leur ténacité et de leur ingéniosité. J’ai un projet qui pour l’instant ne ressemble à rien, je ne sais pas encore du tout ce que ça va rendre, je vais travailler patiemment la matière et les formes, je vais essayer de m’entourer des meilleurs, et je vais laisser la main guider l’oeil et la pensée.

Le temps qu’il faut

J’ai entamé trois contenus différents ce soir, je ne sais pas par quel bout attraper l’un ni par quel bout lâcher l’autre, ils s’emmêlent, se font des noeuds, les mots sont las. Je jette un oeil en haut à droite de l’écran : 23h01, et là c’est moi qui suis lasse. Je peste : que de temps perdu, tu pourrais avoir déjà terminé si tu t’étais décidée. Dodo, ce serait plié.

« Que de temps perdu ». « Que de temps perdu ». Je m’arrête.

Cette errance-là, quand tu ne sais pas mais que tu essaies, ce n’est pas du temps perdu, c’est le temps qu’il faut.

Les mots qui se font la malle, les phrases qui veulent pas se mettre à l’endroit, et qu’est-ce que je voulais dire déjà : c’est pas du temps perdu, c’est le temps de le faire.

Et ça j’ai l’impression de l’oublier toutes les 2 minutes, façon Dory dans le monde de nemo.

On ne parlera jamais assez du temps que les choses prennent. Je reprends des études cette année, c’est passionnant et excitant, mais parfois comme hier soir : c’est juste le vide sous mes pieds. Le cours était difficile, le prof impatient, je ne comprenais rien, j’avais les larmes aux yeux d’orgueil et de fatigue. J’échangeais des regards SOS détresse avec d’autres qui ne comprenaient pas non plus, et je jalousais férocement ceux qui semblaient avoir une ampoule au-dessus de la tête.

C’est tout bête en fait. Je vais avoir besoin de temps : j’apprends. Est-ce que c’est du temps perdu quand on ne sait pas mais qu’on essaie ?