Candide

Que faire de notre vulnérabilité ?
Qu’est-ce que la littérature ?
Qu’est-ce que la philosophie antique ?
La méthode, comment l’acquérir, comment l’enseigner ?
Etes-vous indispensable ?
Aimez-vous Brahms…
Toutes les réponses aux questions que vous ne vous êtes jamais posées


Poème de titres, c’est-à-dire réalisé avec les titres de livres de ma bibliothèque.

L’urgence de croire aux fauves

Je suis tombée sur cette critique du livre Croire aux fauves .

C’est le récit d’une anthropologue, mordue au visage par un ours en Russie en 2015.

À la lecture de l’article, j’ai ressenti l’urgence de lire ce livre. Je me suis précipitée le week-end dernier dans ma librairie, c’est assez rare que j’y entre en sachant ce que je cherche. J’ai passé la porte, parcouru du regard le présentoir des dernières parutions francophones : le livre est repéré, je l’attrape et passe en caisse. Je n’ai fait qu’un survol des autres présentoirs, quand d’ordinaire je me promène dans cette petite pièce une bonne demi-heure.

L’urgence d’avoir ce livre.

Et je l’ai commencé dès que je suis rentrée.

La même urgence en le lisant, c’est son écriture qui veut ça. Ça semble vital pour elle de nous raconter ce qui est arrivé, le face-à-face avec l’animal, les âmes mélangées, le sang mêlé, et surtout les soins subis, la convalescence imposée après la blessure. Ça semble vital, et urgent. Ça ne traîne pas, on dirait qu’elle écrit comme si elle voulait aussi vite vite témoigner ou déposer hors d’elle tout en sachant que c’est impossible. 

Ça me plaît bien jusqu’ici.

Ça fait plusieurs mois, le printemps je crois, que je n’ai pas fini un seul bouquin. Ah si une BD et un livre de dév perso à l’automne si mon souvenir est bon. Ça me manque beaucoup de ne plus lire, ou plutôt de ne plus savoir finir une lecture. Je reviens encore et toujours à ça : la question de la place qu’on fait, du temps qu’on laisse, pour qu’une histoire se fasse ou nous soit contée.

Si je n’écris pas trop longtemps ce soir, je vais pouvoir revenir au livre, lui faire une petite place avant de m’endormir, plonger dans ce récit à la fois du réel et mystique, je vais pouvoir croire aux fauves.

« Il n’a pas voulu te tuer, il a voulu te marquer. Maintenant tu es miedka, celle qui vit entre les mondes. Le mot évène miedka est employé pour désigner les personnes « marquées par l’ours », qui ont survécu à la rencontre. Ce terme renvoie à l’idée que la personne qui porte ce nom est désormais moitié humaine, moitié ours. »

Nastassja Martin, Croire aux fauves, 2019

Le vent de l’éventuel

Parfois, très rarement à vrai dire, je regarde quelques photos du voyage et en les parcourant, je me demande quelle belle folie m’avait piquée, je me demande si je serais capable aujourd’hui des mêmes audaces, de la même naïveté, du même appétit pour les rencontres inopinées, de la même patience dans ces moments où seule l’incompréhension vous tient compagnie.

André Breton avait cette phrase : « La rue, que je croyais capable de livrer à ma vie ses surprenants détours, la rue avec ses inquiétudes et ses regards, était mon véritable élément : j’y prenais comme nulle part ailleurs le vent de l’éventuel ».

Ce vent de l’éventuel, j’y pense souvent. D’ailleurs, jusqu’à ce soir, j’avais gardé en mémoire « être ouvert au vent de l’éventuel ». Version erronée alors ? ou transformée parce que c’est comme ça que j’ai choisi de m’en souvenir, comme d’un doux conseil pour arpenter la vie.

J’ai très peu écrit pendant ce long voyage. Il reste des carnets gribouillés de prévisions de trajet, d’horaires, de durées, de noms de villes, de gares ferroviaires, routières, de calculs d’argent, de plans, de pensées fugaces, de courtes traductions. Je crois bien que je passais (au moins !) la moitié de mon temps à organiser le voyage en lui-même puisque je n’avais pas d’itinéraire établi. Il reste aussi les mails envoyés aux proches (c’est merveilleux de dire proches quand on est si loin), je profitais de ces correspondances pour écrire vraiment, créer le récit. Je sentais bien qu’il me fallait un destinataire, l’assurance d’être lue pour faire l’effort d’organiser les mots.

J’économise pour repartir, et ce prochain voyage est déjà habité par l’ancien. Tantôt, j’aimerais qu’il soit nouveau, entièrement nouveau, affranchi d’attentes et de nostalgie. Tantôt, j’aimerais revivre un peu du goût du précédent, voyager pour voyager dans le temps. Mais il n’y a pas de train pour nous ramener là d’où l’on vient.

On repart, et on emporte avec soi cette ignorance, cette curiosité, ce désir pour le monde et tous « les suprenants détours ». On reste ouvert, comme nulle part ailleurs, au vent de l’éventuel.

Ils ont tous raison

Ils ont tous raison
Vivre fatigue

Comment vivre
Comme par magie
Comme un roman
D’autres vies que la mienne

Courir les rues. Battre la campagne. Fendre les flots

Vivre de paysage
Maintenant
Loin de tous rivages


Poème de titres, c’est-à-dire réalisé avec les titres de livres de ma bibliothèque.

Ce qu’est le succès pour toi

J’adore Solange te parle/Ina Mihalache. Elle publie des podcasts pour ses « parapluies » (celleux qui la soutiennent financièrement sur Patreon). Il y a presque un an, elle parlait d’un questionnaire envoyé par le fondateur de cette plateforme de financement, le musicien Jack Conte. L’une des demandes était de « définir ce qu’est le succès pour toi, et surtout pas ce que tu penses que c’est pour les autres« . Elle a répondu : « être soutenue par une communauté, des institutions, et un réseau d’autres créateurs d’une façon qui inspire un flot continu et bizarrement complexe et fertile de productions et de feedback. »

La question est banale, on l’a entendue mille fois, je continue malgré tout de penser que c’est une question importante. Dans le podcast, elle partageait surtout la joie d’avoir été capable de formuler sa réponse (au point qu’elle en avait fait une capture d’écran). Je comprends sa joie ! C’est loin d’être facile de poser des mots sur ça. D’ailleurs, les termes qu’elle choisit m’intriguent beaucoup. C’est plus aride que la façon dont elle s’exprime d’habitude, et dans le même temps je trouve ça très imagé. Je vois des liens autour d’elle comme des longes de trapéziste ; et des vagues, des vagues, des vagues, la mer qui s’éloigne et revient sans cesse. Je sens le risque et le réconfort main dans la main dans sa définition du succès.

Si les mots sont si difficiles à trouver, c’est parce que des critères personnels (j’insiste sur personnels) du succès, bah c’est pas si facile à saisir et à affirmer. Ça demande de retirer pas mal de couches de représentations qu’on a du « succès » (rien que le mot « succès », c’est dix kilomètres d’images qu’on a dans la tête), de soulever des tonnes de il faudrait et je dois, de jeter quelques rêves moisis à la poubelle, de regarder un peu plus à l’intérieur qu’autour.

Ça fait partie des choses sur lesquelles je travaille en ce moment : définir ce qu’est le succès pour moi.

J’en suis pas au stade de structurer une phrase comme Ina/Solange ou de faire du trapèze au-dessus de l’océan, mais ça bouge, ça bouge bien. C’est vraiment très chouette, tout simplement. Je suis heureuse de sentir certains critères s’effacer doucement, et d’autres s’allumer, même timidement.

L’enjeu, on est bien d’accord, c’est pas de faire cette phrase, cette définition, c’est pas de répondre à un questionnaire.

Je me suis amusée à regarder les origines et les voisins de « succès » et de « réussite ». Il est question d’issue, de processus, d’avancer, d’aller hors de, de faire suite à.

L’enjeu, c’est bien ça.

Où est-ce que tu ne te sens pas chez toi ?

J’étais en « déplacement » hier soir et aujourd’hui. (Drôle d’expression d’ailleurs : « être en déplacement »…comme si on nous avait bougé malgré nous sur un échiquier.)

La journée se déroulait dans un très bel endroit, un truc un peu exceptionnel même.

Le concept de ce lieu, c’est que tout est fait pour se sentir chez soi. Bienvenue à la maison, nous dit-on droit dans les yeux à l’arrivée.

Certes, j’y étais pour le boulot, avec sa dose de stress et de je-sais-pas-ce-que-je-suis-en-train-de-faire-je-vais-pleurer-non-ça-va-aller-tiens-bon-pense-aux-arbres-et-à-la-vraie-vie, mais d’hier soir à cet après-midi, je n’ai pas arrêté de me dire justement que je ne me sentais pas « chez moi », pas à ma place, pas là où j’ai envie d’être.

J’avais partagé quelque chose sur ces endroits (pas forcément au sens géographique) où on se sent chez soi.

Bien sûr, il existe aussi des choses, des personnes, des conversations, une atmosphère au milieu desquelles vous vous sentez à l’inverse très très loin de votre foyer, de vos résonances. Où vous vous sentez carrément « en déplacement ».

Je ne sais pas dire précisément à quoi ça tient pour ça non plus. On le sent, c’est tout. L’ennui, c’est que j’y étais pas par hasard, j’ai pas sonné parce qu’il y avait de la lumière. J’ai fait plein de choix qui m’ont menée aujourd’hui jusqu’à cet endroit, j’ai en partie cherché, voulu ce lieu.

À un moment, j’ai cru qu’on pouvait rester longtemps, voire toute une vie, « à côté de soi ». J’ai changé d’avis, on n’est jamais complètement à côté de soi. C’est pas possible.

Les trucs chiants, les trucs qui ne nous ressemblent pas mais qui prennent de la place dans nos vies, c’est un peu de nous aussi. Il y a un peu de moi dans cet endroit où je ne me sens pas chez moi. Et c’était peut-être ça le plus gênant finalement. Je n’ai pas aimé ce miroir de désirs périmés qu’on m’a tendu toute la journée.

J’étais pressée de reprendre le train, ce soulagement pendant le trajet : regarder la nuit tomber sur des centaines de pavillons, imaginer la vie des autres derrière ces fenêtres, voir se dessiner la lune progressivement ; je me sentais en fuite et furieusement libre.

Je suis fan des fuites. Je sais que ce n’est pas un mode de vie, pas un mode d’emploi mais j’ai des souvenirs très grisants de plusieurs moments comme ça où la joie du départ est si forte qu’on en oublie le fait même qu’on ne sait pas où on va.

S’absenter du monde

C’était une des questions d’Augustin Trapenard : « Ça voudrait dire qu’écrire, c’est aussi s’absenter du monde ? »

S’il s’agit du vieux débat, écrire la vie ou la vivre, etc., je ne réponds pas. À une époque, je me les suis posées ces questions-là mais aujourd’hui, elles n’ont plus de sens pour moi.

Et ce challenge me confirme encore plus que

si j’écris, je suis là

si j’écris, je ne m’absente pas

je réponds présente, je prends part, je cohabite.

En revanche, si la question est « de quoi faut-il s’absenter pour écrire ? », là ça m’intéresse.

Deux fois pendant ce challenge, je suis partie plus tôt d’une conversation, d’une soirée pour avoir le temps de rentrer, de m’attabler et de pianoter sur mon clavier, je me suis littéralement absentée du monde pour écrire, oui. Je n’ai rien dit, rien expliqué de mon empressement. Et je partais avec un sourire en coin vers ce rendez-vous secret, car personne ne sait, à part vous si vous me lisez, que je participe à ce défi.

Elizabeth Gilbert dans l’indispensable Comme par magie nous recommande d’entretenir une liaison avec notre créativité : « Sneak off and have an affair with your most creative self. »

« When people are having an affair, they don’t mind losing sleep or missing meals. They will make whatever sacrifices they have to, and blast through any obstacles, in order to be alone with the object of their devotion —because it matters to them.

Let yourself fall in love with your creativity and see what happens. Stop treating it like a tired, old, unhappy marriage (a grind) and start regarding it with the fresh eyes of a passionate lover. Even if you have only 15 minutes a day alone with your creativity, take it. Sneak off and have an affair with your most creative self. Lie to everyone about where you’re actually going on your lunch break. Pretend you’re on a business trip when secretly you’re retreating to paint, or write poetry, or draw up the plans for your organic mushroom farm. Conceal it from your family and friends. Slip away from everyone else at the party and go off to dance alone with your ideas in the dark. Wake yourself up in the middle of the night, to be alone with your inspiration while nobody is watching. You don’t need that sleep right now; you can give it up.

What else are you willing to give up in order to be alone with your beloved? Don’t think of it as burdensome; think of it as sexy. »

Je ne m’en étais pas rendue compte mais ce défi est vraiment devenu cet amant, à qui je consacre du temps, coûte que coûte, parce que pour moi, c’est important. Et je viens quand même de lui poser deux lapins en deux jours à l’amant… Disons-le franchement : je suis pas aussi convaincue qu’Elizabeth sur la partie « You don’t need that sleep right now ». Je veux bien qu’elle développe ce point la prochaine fois, merci d’avance Liz.

Mais c’est vrai, il faut bien filer en douce, s’absenter de quelque chose, d’une soirée, d’une heure de sommeil, du quotidien à traiter, d’autres activités, pour créer ce qu’on veut créer. Choisir quel rendez-vous on ne veut pas surtout pas manquer, quelle place on veut bien s’offrir.

À quoi est-ce qu’on est prêt à renoncer ? De quel monde, de quel espace on va s’absenter ?

Une vie digne d’être racontée

Wikipédia encore, encore. Je tombe au hasard sur un botaniste qui aurait dû, par loyauté familiale, faire médecine mais qui a choisi l’amour des voyages et des plantes, puis sur un archéologue britannique qui a passé sa vie à faire des fouilles en Turquie et a publié un Journal écrit pendant un voyage en Asie mineure. Parenthèse : j’adore la simplicité factuelle, presque plate, de ce type de titres, comme cette Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, en total contraste avec la promesse d’exceptionnel et d’exotisme qu’ils portent malgré eux.

Je n’ai pas approfondi la question Wikipédia, sur quels critères décide-t-on qu’une fiche mérite d’exister. Pourtant, c’est vraiment un sujet pile dans mes dadas. Je creuserai. Mais qu’est-ce qui fait qu’une vie est jugée digne d’être racontée ?

Je rêve ce soir d’un alter-wikipédia rempli de vies anonymes, de personnes dont la vie n’a jamais débordé vers le domaine public, et dont l’existence est pourtant ponctuée de virages, d’élans, d’inertie et d’inattendu.

On me dira, ça existe déjà, c’est tout l’internet qui n’est composé que de ça, explore tous les blogs, facebook et instagram et tu l’auras ton alter-wikipédia.

Mais c’est pas ça. Je ne parle pas du récit qu’on fait, soi, de sa vie, mais de la façon dont on décide qu’une vie devient récit.

Qu’est-ce qui fait d’une vie une histoire ? Est-ce que c’est le chaos traversé, les rencontres étincelantes, la douleur surmontée, les belles surprises, les choix courageux ou les projets contrariés ? Est-ce que la joie ou les doutes peuvent se raconter ? Est-ce qu’il faut des dates précises et des références ? Est-ce qu’il faut des traces écrites : s’il en manque, relever des courriers, des listes de course, des faire-part ? Qu’est-ce qui fait d’une vie une histoire ?

Est-ce qu’il ne s’agit pas seulement de l’écouter ?

J’avais proposé ça à S., je lui avais dit On va interviewer tous les êtres humains de la planète, on n’aura jamais fini avant de mourir mais on aura commencé.

La magie d’essayer

Défi 90 jours de contenu – Ce que j’ai appris en écrivant chaque jour :

la magie d’essayer

J’ai horreur de toutes ces fois sans « vrai » contenu, c’est toujours la sensation d’un inachèvement, d’un truc laissé vacant. Parfois, je me dis qu’il vaudrait mieux peut-être ne pas s’acharner, décider d’emblée que rien ne viendra ce soir-là et passer direct à un contenu de rattrapage auquel j’aboutis anyway. Mais ça ne marche pas comme ça. Tout ce qui résiste sur un contenu vient nourrir le prochain, certains mots, certaines idées n’émergent que parce que d’autres ont coulé. Je crois désormais à la magie d’essayer (pas de réussir) quotidennement. Commencer et recommencer, chaque jour, même si l’on ne peut pas chaque jour en voir le bout, l’achèvement.

la facilité

J’avais prévu d’exploiter ce défi, aussi, pour écrire ailleurs des contenus « pros » et pour l’instant, ça ne vient pas. Ca prendrait bien sûr plus de temps, de soin, d’attention. Ici, j’ai choisi en partie la facilité : pas d’enjeu lié à une activité, je peux écrire sur tout et n’importe quoi, sans trop m’interroger sur le ton et la cohérence éditoriale. Je ne sais pas encore si je le ferai finalement. En attendant, je collecte les infos que le défi m’amène, sur ma façon de fonctionner et sur les sujets qui m’obsèdent.

la fatigue

Il arrive que j’attaque mon contenu dans un état de fatigue avancé, et si je parviens à le produire, je me sens systématiquement vivifiée. J’en sors beaucoup moins fatiguée qu’en y entrant (idem pour la plupart de mes cours d’ailleurs). Je trouve ça assez fascinant. A la question « qu’est-ce qui te donne de l’énergie ? », un début de réponse semble donc se profiler.

à la recherche du temps tout court

Je cherche quand même des solutions pour les contenus en semaine, parce que le rythme actuel n’est pas tenable. Il faut que j’explore d’autres formes, d’autres façons de faire.

la surprise

Je suis d’accord avec l’ami Soulages, c’est pas tant une question de plaisir qu’une question de surprise (même si in fine ça se rejoint). Je n’écris pas forcément avec « plaisir » au départ, mais surgit toujours cet étonnement ravi de ce que les mots viennent me dire. 

Ta part d’écho

On m’a défiée d’écrire ce vendredi 22, un contenu « sur l’idée qu’il n’y a pas d’idée nouvelle /que tout a déjà été dit, tout en faisant un acrostiche avec l’expression « Nihil novi » (soit en début de phrases ou de paragraphes). »

J’ai dit oui ! Et voici.


Ta part d’écho

N’attends pas, s’il-te-plaît, d’avoir à dire quelque chose de nouveau.

Il y a tout déjà. Tout déjà de fait, tout déjà d’écrit.

Hâte-toi plutôt de transmettre ta part d’écho.

Irréductible, infatigable écho d’entre les mots.

L’idée nouvelle n’existe pas, elle est toujours la question ou la réponse d’une autre. C’est sans importance, car ton désir, lui, est

Nouveau.

On t’attend toi pour venir jouer avec ta voix dans le grand déjà-dit, dans le grand déjà-fait.

Viens voir ici comme les sons et les lumières se réverbèrent,

Il n’y a que des échos, et on attend le tien.

Surprise, oui

Entretien avec le peintre Soulages sur France Culture : ces extraits retranscrits m’inspirent tellement, je les partage sans même avoir pris le temps, je vous avoue, d’écouter l’émission.

Quand on l’interroge sur sa méthode de travail, les mots sont simples, mais le mystère reste entier : « Arriver à l’atelier, et attendre d’oser.(…) »

Sur la notion de plaisir dans son travail, Pierre Soulages répond : « Je ne fonctionne pas comme ça. Surprise, oui. D’ailleurs souvent je m’aperçois que ce que je fais dépasse de beaucoup ce que j’ai voulu faire, et dans le bon sens, dans un sens que je n’aurais peut-être pas imaginé, alors c’est peut-être une satisfaction, oui. »

Là, je craque

Pas de plan serré sur son visage. L’homme est assis sur une chaise, dans un décor sombre et minimal. Il est grand, costaud, soixante-dix ans, peut-être plus. Sympathique, un peu bourru, il raconte son histoire, son point de vue sur et dans l’affaire, le rôle qu’il a joué. Il sait y faire, il a du caractère et le sens du récit. Le genre d’homme qu’on écoute quand il parle.

Soudain, il avale sa voix, le souffle lui manque, les mots aussi, il s’interrompt, esquisse un sourire gêné, reprend péniblement, s’étrangle à nouveau. Puis, c’en est trop. Il baisse la tête et se passe la main sur le regard. On entend ses larmes déborder, sa poitrine se serrer.

Il expire : « c’est dingue…là, je craque. » On le sent étonné. Puis il essuie ses yeux avec ses larges paumes en reniflant lourdement.

« Là, je craque ». Je n’avais jamais relevé cette expression avant ce jour, avant de voir cet homme qui pleure et pense qu’il craque. Est-ce qu’on « craque » quand on pleure ?

Ce n’est pas vraiment de lui que je voulais vous parler mais de ça.

Moi aussi, je l’ai employée cette expression (je craque, je sens que je vais craquer, faut pas craquer, craquaaaage), et elle en dit long sur certaines idées qu’on se fait sur soi, sur la vie et la vulnérabilité.

Bon sang, on ne se fissure pas, on n’explose pas en mille morceaux, on ne se déchire pas, et surtout on n’est pas défaillant dès lors qu’on pleure, crie ou toute autre façon qu’a le corps de mettre en chair nos maux. On n’est pas des feuilles, on n’est pas des noix.

Quand on dit « je craque », on sous-titre instantément « je ne devrais pas ».

On s’envoie un colis piégé. Une sentence déguisée en aveu.

Quel accueil on réserve à nos larmes ?

Est-ce qu’elles interrompent le récit ou est-ce qu’elles en font partie ?

Vasteville

J’ai rejoué à Wikipédia, donne-moi une idée de contenu. L’article au hasard : Vasteville. Je ne sais pas bien quoi en faire sincèrement mais je vis un bonheur très simple de découvrir ce très beau nom de Vasteville.

C’est tout près de la pointe finale du Cotentin.

Autour, on y trouve paraît-il des ruisseaux nommés « De Bival », « Du Val Tolle » et « Des Noës ». Je dis paraît-il parce que j’ai envie d’aller vérifier sur place maintenant que je suis envoûtée.

Vasteville, ça viendrait de l’ancien normand -vast, -wast : des terres en jachère ou en friche (merci wikimanche, et je te découvre toi aussi ce soir). Vasteville m’évoquait simplement l’étendue, la promesse des grands espaces. Les dunes et la mer. Finalement, ça me plaît de ne pas savoir si ça désigne la jachère ou la friche. Un repos travaillé ou un repos d’abandon.

Un homme appelé Jean Fleury y est né en 1816. Professeur, rédacteur, il est parti vivre en Russie en 1857, prendre un poste de gouverneur et il y est resté pour enseigner. On ne sait pas trop pourquoi, d’où vient cette histoire de gouverneur. Et en combien de temps a-t-il fait le trajet, c’était récent le train, est-ce qu’il a pris le train, à quoi ressemblait Saint-Pétersbourg à cette époque-là, qu’a-t-il pensé, senti en arrivant là-bas, qu’a-t-il pensé, senti en revenant en France 35 ans plus tard.

Il écrivait des poèmes, dont celui-ci :

« Que l’ombre y soit touffue et que l’herbe y gazonne,
Que le pinson y chante et la mouche y bourdonne,
Qu’on entende les cris des oiseaux querelleurs.
Loin des prés odorants, loin des coteaux fertiles,
J’ai vécu de longs jours exilé dans les villes,
Laissez-moi m’endormir au doux parfum des fleurs. »