“I have a very complicated ritual about writing. It’s psychologically impossible for me to sit down [and do it], so I have to trick myself. I elaborate a very simple strategy which, at least with me, it works: I put down ideas. And I put them down, usually, already in a relatively elaborate way, like the line of thought already written in full sentences, and so on. So up to a certain point, I’m telling myself: No, I’m not yet writing; I’m just putting down ideas. Then, at a certain point, I tell myself: Everything is already there, now I just have to edit it. So that’s the idea, to split it into two. I put down notes, I edit it. Writing disappears.” Slavoj Žižek cité par Mason Currey
to trick myself
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“In her book, The Creative Habit, Twyla shares that her morning routine was NOT to go to the gym. Instead, it was far more simple: wake up, put on sweats, go outside, hail a cab to the gym.
The thing she is actually trying to do — exercise — was not the thing she committed to do each day. Instead, she focused on getting herself out of her apartment and into a cab. Once she was in the cab and on her way to the gym, the inertia took it from there.
If you focus on the very first steps of the starting line, it can be much easier to just get started.” Shawn Blanc
focus on the very first steps
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“Predetermine the stopping point. When Seinfeld sits down to write, he knows exactly when he’s going to stop writing. Most people sit down to work with an open-ended block of time. “That’s a ridiculous torture to put on a human being’s head,” Seinfeld said… “It’s like if you hire a trainer to get in shape, and you ask, ‘How long is the session?’ And he says, ‘It’s open-ended.’ Forget it. I’m not doing it. » The brain needs rewards, Seinfeld says. « And the reward is: the alarm goes off, and you’re done. » 10 habits and principles, from the writer and comedian Jerry Seinfeld rassemblés par @bpoppenheimer
predetermine the stopping point
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“Hier soir, je n’avais pas complètement envie d’écrire. Je me serais bien laissée engourdir par le feu et peut-être maté une série sur Arte. Et puis, j’ai pensé, Tu es venue là pour écrire, écris au moins sur ton blog. Une journée où j’écris, j’éprouve ce sentiment de quelque chose d’accompli.” Christie sur maviesansmoi
ce sentiment de quelque chose d’accompli
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“Parce que plus on fait, plus on ose. Plus on fait, plus on écoute son intuition. Plus on fait, plus on fait comme on est.” Morgane Sifantus
plus on fait, plus on fait comme on est
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“Writing and painting do not erase my fears. They don’t disappear completely. But translating them into words and watercolors allows me to explore them and to have volition over them, even a sense of wonder at what emerges. I become the handler of my fears, not the handled. This is what I told a dear friend later that morning. A loved one of hers is sick, and they were waiting for test results, and we commiserated over how torturous the waiting is. “I hope you get a chance to write some morning pages, or maybe even paint,” I said. “It doesn’t take away the terror, but it changes its shape.” The isolations journal
it doesn’t take away the terror, but it changes its shape
Nous avons parlé. Je lui parle de la tristesse de voir cette mémoire partir. Il comprend. Il dit qu’il faut vivre chaque jour pleinement. Il dit que l’on doit se lever le matin avec le désir du monde. Car de toutes façons à la fin les choses sont brisées, cassées, pulvérisées. Karl Dubost sur les carnets web de la Grange
« Je veux écrire je veux que mon écriture n’ait pas de sens je veux que mon écriture soit stupide. Mais le langage que j’utilise n’est pas ce que je désire et fabrique. C’est ce qui m’est donné. Le langage est toujours une communauté. Le langage est ce que je sais et c’est mon cri. » Kathy Acker, Don Quichotte, traduit par Laurence Viallet Extrait lu sur la page d’accueil de https://chroniquesdesimposteurs.wordpress.com/
et c’est mon cri
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I have so much writing scattered across myriad notebooks, writing editors, pages, notes, old blogs, the cloud, social media apps, etc.
Do I need all of these containers? Sometimes I feel these various platforms evoke different aspects of myself, affecting my writing.
My private writing is a mish-mash of unfinished thoughts, drawings, ideas for projects, and a disregard for unpretty words or clever sentences. I write fast, unbridled. Copious tangents and rants. Deviant notions and gushing obsessions.
My public writing feels restrained, edited, light, safe, and reined in. Bland? Veronique sur son blog
a disregard for unpretty words or clever sentences
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Keeping too many words private weighs me down, not in the sense that they are depressing, but more symbolically… and almost literally. Private words literally function like weights. They seep through the crust and stay close to my core. They ground me. They anchor me. They keep me from floating away.
Even so, I publish most things instead of keeping them private.
Because, first of all, it’s incredibly difficult to keep private things private. Even though I will of course omit personal details, something will get into the public words. It is near-impossible to keep things separated. Ithaka O sur son blog
keep me from floating away
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L’idée c’est d’avoir un petit carnet toujours avec moi (à cet instant par exemple il touche mon coude droit), dans lequel je note toutes mes idées sous la forme j’aimerais, je pourrais. (…) J’aimerais, je pourrais – no pressure – juste, sonder mon coeur sur ce qu’il désire, sonder mon être sur les forces dont il dispose. Le stylo à la main, prendre la dictée de ce qu’ils ont à me dire – sans me préoccuper du comment, de si je vais le faire, ou pas. Je prends des idées. Je prends des forces. Je prends du courage. Christie sur son blog maviesansmoi
j’aimerais je pourrais
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– On n’épuise pas le réel, son infinie densité, on ne l’épuise pas. – Alors on fait quoi avec la lumière de l’écriture, on le creuse, on y revient, on le regarde sur un autre angle ? – Déjà, on fait ce qu’on peut. Ça, c’est sûr. Je n’ai appris que ça en 25 ans d’écriture. On écrit les livres qu’on peut. Et celui-là me l’a rappelé de façon haute et claire. Marie-Hélène Lafon au micro de Marie Richeux sur France Culture (à environ 28’)
je n’ai appris que ça
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« écrire est souvent refuser d’écrire, refuser de raconter, refuser de se plier à la grande racontade généralisée » ; « écrire : l’art de la juxtaposition, de l’ellipse : un changement : un tournant : un ultime touillage de la marmite pour y racler le fond : une obstination » Edith Msika
A chaque fois, j’oublie. A chaque fois, la vie me dévore et j’oublie de venir écrire. Je me fais happer par toutes les distractions que le monde m’apporte. Je fais la pieuvre, je me lance dans mille projets en même temps. Je monte des projets, j’accompagne, j’écris pour d’autres. Je fonctionne pour le collectif et j’oublie mon dedans. Je cours partout et je n’écoute pas. Je fais des tours, des ronds, des cercles qui finissent toujours pareil. A chaque fois, je reviens ici. (…) A chaque fois, je me rappelle. Qu’il y a quelque chose à l’intérieur qui ne demande qu’à être posé. Ecrit. Que tous les mots qui papillonnent dans ma tête attendent simplement d’être attrapés. Couchés sur du papier. Que c’est ce que j’aime le plus faire et que j’oublie pourtant toujours. Concentrée sur ma carrière, mes projets professionnels, je me coupe de ce qui palpite en dedans. Tout ce qui me fait créer des choses à partir du néant. lu sur le blog murmuration
à chaque fois, j’oublie à chaque fois, je reviens ici
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Je le dis et le re-écris tant que cela est possible pour déculpabiliser certaines thèses têtes candidates au doctorat, un sujet évolue au gré et malgré toute bonne volonté de cohérence et de ligne droite. Certaines thématiques, angles d’approches, intérêts ou hypothèses de recherche sont tels qu’ils sont à domestiquer sur la durée, comme certains chats. (…)
Faites meute avec des enfants aussi perdus que vous.
Trouvez-vous un coin où tatônner dans le noir.
Gardez en tête la Louve anglaise
qui parlait de ses chambres à soi dont on a encore besoin au-delà des espaces dont les cloisons se multiplient autour de nos écrans.
Partez de rien, pensez la déconstruction d’un système pour la fabrique du vôtre, trouvez votre ERRANCE FERTILE. Margot Mellet dans son journal de recherche sur blank.blue
trouvez votre errance fertile
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Instead of crowding your attention with what’s already going viral on the intertubes, focus on the weird stuff. Hunt down the idiosyncratic posts and videos that people are publishing, oftentimes to tiny and niche audiences. It’s decidedly unviral culture — but it’s more likely to plant in your mind the seed of a rare, new idea.
I love the idea of “rewilding your attention”. It puts a name on something I’ve been trying to do for a while now: To stop clicking on the stuff big-tech algorithms push at me.
The metaphor suggests precisely what to do: If you want to have wilder, curiouser thoughts, you have to avoid the industrial monocropping of big-tech feeds. You want an intellectual forest, overgrown with mushrooms and towering weeds and a massive dead log where a family of raccoons has taken up residence. Clive Thompson
focus on the weird stuff
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(en parlant de Louis De Funès) sa manière de fonctionner, sa mauvaise voix est délicieuse, ses défauts sont délicieux. Les défauts, les défauts des hommes, c’est ce qu’il y a de plus intéressant, c’est de ça qu’il faut parler, de nos défauts. Si on met un couvercle sur nos défauts, on se voile la face. La beauté de l’âme n’est pas très intéressante à représenter, les défauts oui. Christian Hecq dans le grand atelier sur France Inter
c’est de ça qu’il faut parler, de nos défauts
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Il décrit l’avancée de son œuvre en deux ou trois mots plats. Il fait un croquis pour montrer sur quel bonhomme il travaille, il trace une flèche et il écrit :
jeudi les cuisses et les flancs vendredi le bras samedi cette tête de mort qui est sur le côté
C’est un rapport d’activité, ça pourrait être chiant à mourir, mais ça m’a passionné. L’art, c’est aussi ça : abattre du boulot, méticuleusement, jour après jour. Antonin Crenn dans son journal
l’art c’est aussi ça : abattre du boulot, méticuleusement, jour après jour
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Que la peinture comme l’écriture ne cessent d’agir sur qui nous sommes, ou pensons être. Que peinture et écriture nous modifient. Non pas une image projetée vers un avenir. Mais plutôt à la façon qu’entreprend le sculpteur, en ôtant peu à peu de la matière pour enfin distinguer la forme. Une question importante qui revient régulièrement lorsque je peins, j’écris, c’est est-ce que le tableau ou le texte n’existe pas déjà en amont. Que ces objets, buts, intentions sont là depuis toujours, et que seules la patience et la régularité dans le travail permettent peu à peu de les distinguer. Patrick Blanchon sur peinturechamanique.blog
seules la patience et la régularité
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Il s’agira, plus exactement, de consacrer 10 minutes (ou moins, bien sûr, mais pas plus !), chaque jour, à rédiger une liste des tâches que nous aurons effectuées, tâches liées à l’écriture et/ou à toute activité rémunérée. Si l’une d’entre nous considère que marcher, nager, cuisiner fait partie de l’écriture, elle l’inscrira dans sa liste.
Chaque jour, nous nous enverrons mutuellement nos listes par mail et je propose que nous programmions ces mails pour qu’ils arrivent à 18h dans nos boîtes respectives, quel que soit le moment où nous avons effectivement écrits, afin de ne pas parasiter nos sommeils respectifs. L’idée est de réussir à écrire et envoyer quotidiennement ses dix minutes. Anne Savelli dans son semainierdu 15 janvier 2023
si l’une d’entre nous considère que marcher, nager, cuisiner fait partie de l’écriture, elle l’inscrira dans sa liste.
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L’écriture, c’est la lutte. Se battre contre ce qu’on sait déjà faire, avancer vers le bancal, le ridicule, le mal foutu, le mal écrit, le mal nommé. Anne Savelli dans son semainier du 22 janvier 2023
se battre contre ce qu’on sait déjà faire
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Je ne prétends pas avoir de solution, ni même de réponse. Je ne prétends pas non plus savoir comment traiter ces questions dans de la fiction, ni avoir les connaissances ou les compétences pour traiter ces questions de manière efficace. En fait, je ne prétends rien du tout, si ce n’est poser des questions. Hortense Merisier sur son blog
je ne prétends rien du tout, si ce n’est poser des questions
Nous y voilà, le 31. J’ai parlé hier d’un exercice assez classique pour faire un “bilannée”. Je préfère finalement ce mot à celui de bilan qui m’évoque des réunions poussiéreuses et saturées d’affreux powerpoint. Revenons à nos moutons, cet exercice de bilannée consiste à extraire des choses faites, vécues, ce qu’on en a appris. Comme on extrait le jus d’un fruit. Délicieux. Vraiment. Super antidote au risque de prendre les faits pour des faits accomplis, sans vie, bouche bée. Super invitation à regarder ce qu’ils ont semé pour la suite, ce qu’ils ont à nous dire. Les ranimer pour les faire balises de nos sentiers.
Dans mon bilannée, j’ai donc d’abord listé quelques trucs que je trouvais réussis, dont j’étais plutôt fière, et je me suis demandée ce qui avait permis, facilité ces choses-là. Puis j’ai listé quelques trucs que je trouvais ratés, manqués, dont je n’étais pas très fière, ou frustrée, et je me suis demandée ce qui avait empêché, fait obstacle, ou provoqué ces choses-là.
J’aime lire ce que d’autres ont appris, la façon dont iels explorent leur propre vie, ce qui taraude, ce qui réjouit, et ce qu’iels peuvent en dire. Alors je partage ici, moi aussi, quelques choses apprises cette année :
n’attends pas d’être prêt-e, d’être préparé-e : j’ai enfin interviewé A., alors que j’en parlais depuis bientôt 3 ans je crois. Si j’ai tant repoussé, c’est parce que j’attendais de savoir précisément le fil rouge de l’entretien, les thèmes à aborder, les questions que j’allais poser, et le format dans lequel je le restituerai. Un jour, j’ai enfin dit, sans rien savoir de tout ça : notons une date dans l’agenda! Deux heures avant l’interview, je n’avais rien de prêt, je me suis attablée et assez vite j’avais sous les yeux une dizaine de pages de questions (oui, c’est trop). L’interview est faite, et en cours d’édition pour être bientôt publiée (j’ai hâte !). J’ai adoré ce moment. N’attends pas d’être prêt-e. J’ai été très nostalgique cette année de celle que j’étais 10 ans plus tôt, de mes audaces, de mes effervescences, d’un tas de choses faites, et en regardant bien, je me suis rappelée ma technique imparable à l’époque : je disais je le fais avant de savoir comment.
pars du principe que tu vas y arriver : je me suis lancée seule dans un montage de meubles assez complexe, avec un mode d’emploi qui dit bien qu’il faut être deux, et j’ai craint jusqu’au dernier moment de ne pas pouvoir soulever la bête. Mais je suis partie du principe, dès que j’ai ouvert les cartons, que j’allais y arriver. C’était décidé. J’ai sué, soufflé, pesté, paniqué, pris des photos pour m’auto-féliciter, mais j’y suis arrivée. Et j’ai réalisé à quel point, sans même me le formuler aussi clairement, je décide parfois que je ne vais pas y arriver, que c’est hors de ma portée, hors de mes capacités. Je me demande tout ce qui pourrait exister si je décidais d’emblée que je vais y arriver.
le dernier coup de collier : c’est une expression bien enracinée dans mes souvenirs d’enfance, donner un coup de collier, fournir cet effort soutenu, sur une période donnée, pour enfin, enfin, venir à bout de ce qu’on a commencé. J’ai entrepris cette année un grand rangement de mes papiers, photos et tous fichiers numériques, vaste chantier, et alors que j’avais presque fini… je me suis écroulée de lassitude, et j’ai laissé tomber. Je ne sais même plus où j’en étais du classement, c’est beaucoup plus dur de s’y remettre que ça ne l’aurait été de continuer et de terminer ! C’est un exemple parmi d’autres : je me vois faire l’effort, le plus dur presque, et c’est juste avant la ligne d’arrivée que je choisis au lieu de parcourir les derniers mètres d’aller poser mes fesses sur le côté. Bon, pour la suite, je tâcherai d’être attentive sur certains projets au dernier coup de collier. Au courage de faire les derniers mètres.
temps morts et pratiques vivantes : ça tourne en boucle, quand j’écris (oh je n’y arriverai pas, je n’y arrive plus, pas comme avant), quand j’étudie (oh je n’arrive plus à travailler autant, comment me discipliner, ça ne reviendra jamais et autres sanglots étouffés d’anxiété) et puis finalement j’écris et j’étudie. Et j’y prends un plaisir inouï. C’est toujours la même histoire, parce que ça n’est qu’une histoire. Ma légende personnelle – quoique je crois la partager avec un bon nombre de personnes -, ce récit dans lequel j’aime me vautrer, qui me fait perdre un temps fou. Oui, ça revient. Oui, je peux écrire de nouveau, c’est dur mais je peux. Oui, je peux étudier de nouveau, lire, rédiger, me discipliner, m’y tenir. L’erreur, vraiment, c’est plutôt d’arrêter. Tous les temps morts dans ces pratiques vivantes qui me font croire que ce qui était possible hier requiert une force surhumaine aujourd’hui. Garder le rythme, garder le lien avec son travail, son écriture, ses projets, soigner ces relations-là aussi. Faire un peu, souvent. Ne pas laisser des temps morts s’installer trop longtemps. Maintenir ses pratiques vivantes.
tourne la poignée : la peur a pris beaucoup de place, a grignoté du terrain sur ma vie, mon quotidien ; et si, le plus souvent, j’ai réussi à faire ce que j’avais à faire malgré tout, c’est en pensant à ce passage du livre Wild de Cheryl Strayed sur la peur et la puissance (cité ici). Parfois, ces derniers mois, la main sur la poignée de la porte, quand tout mon corps se figeait, je pensais à elle, randonnant seule sur le Pacific Crest Trail, à ce passage de Wild, et je tournais la poignée. J’y allais. La peur prend tous les bouts de terrain que tu lui laisses. Elle s’immisce partout où elle peut. Elle gagne sans se battre, elle gagne où tu ne luttes pas. Tourne la poignée.
Quelques choses cueillies qui donnent du cœur à l’ouvrage.
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Ce dialogue dans la série géniale Only murders in the building :
– We don’t want to make a mess of this.
– AH HA !, lean in for the nugget, folks. Are you ready for the nugget ? Embrace the mess. That’s where the good stuff lives.
Embrace the mess.
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William Faulkner : « Écrire, c’est comme craquer une allumette au cœur de la nuit en plein milieu d’un bois. Ce que vous comprenez alors, c’est combien il y a d’obscurité partout. La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mieux mesurer l’épaisseur de l’ombre »
Craquer une allumette.
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Cheryl Strayed dans Wild : « Je savais que si je laissais la peur m’envahir, mon voyage était voué à l’échec. La peur est en grande partie due aux histoires qu’on se raconte, alors j’avais décidé de me raconter autre chose que ce qu’on répète aux femmes. J’avais décidé que je ne courais aucun danger. J’étais forte. Courageuse. Rien ne pourrait me vaincre. M’en tenir à cette histoire était une forme d’autopersuasion, mais, la plupart du temps, ça fonctionnait. Chaque fois que j’entendais un bruit d’origine inconnue ou que je sentais quelque chose d’horrible prendre forme dans mon imagination, je le repoussais. Je ne me laissais tout simplement pas impressionner. La peur engendre la peur. La puissance engendre la puissance. Alors j’avais opté pour la puissance. Et il n’a pas fallu longtemps pour que je cesse réellement d’avoir peur. »
La peur engendre la peur. La puissance engendre la puissance.
« Quand on me demande ce qu’est la poésie par exemple, je n’ai pas de définition très claire mais il me semble que c’est un positionnement. C’est toujours le pas de côté qu’on va faire sur tout type de situation, tout type de sentiment, que ce soit la tristesse ou la joie. Il suffit de faire un tout petit pas de côté pour changer l’angle de vue. Et tout de suite, ça devient un petit peu étrange et un peu plus poétique. Moins personnel aussi. C’est aussi ça pour moi l’enjeu. »
« Je ne joue pas, je dis. Le texte, rien que le texte. C’est la seule façon d’échapper selon moi à la dictature de ce qu’on est, de soi-même, de son corps, de ses défauts et même de ses qualités. S’estimer vachement beau est aussi dangereux que s’estimer nul et moche.La seule façon de se débarrasser de soi, c’est de se missionner pour quelque chose d’autre. Se missionner pour un metteur en scène, c’est dangereux. Se missionner pour un texte, c’est pas dangereux. Il ne peut pas y avoir d’abus avec le texte, le texte il est là. Il a été écrit pour l’humanité, pas spécialement pour toi. En s’oubliant, en se missionnant, c’est là qu’on apparaît. Finalement on apparaît quand on cherche pas à apparaître. »
En s’oubliant, en se missionnant, c’est là qu’on apparaît.
« Un des encombrements les plus importants quand on écrit, c’est soi. Parce qu’on n’est que soi déjà, c’est tout petit. On sait pas grand chose, on sait pas faire grand chose, on a une toute petite vie, on n’en a qu’une. Pfffou qu’est-ce qu’on va faire avec ça ? Et puis surtout on se dit : « Qu’est-ce que je vaux ? Pourquoi j’écris ? Qu’est-ce qui me prend d’être là ? Qu’est-ce qui me prend de prendre la parole ? Pourquoi moi ? Je pourrai faire mieux. Je suis paresseuse. Et ils font quoi les autres pendant ce temps-là ? Ah, ah oui, oh là là c’est mieux. » Tout ça, c’est de la perte de temps. Et parfois oui c’est triste, oui on est un peu triste parfois quand on écrit. Avec la traduction, c’est la joie du mot, c’est la jubilation de l’écriture, et il n’y a pas tout ça. Mais, mais, mais, mais. Parfois, quand on écrit, ça se passe bien. »
Et à la question “Qu’est-ce qui est intraduisible pour vous ?”, Agnès Desarthe répond :
« Rien ! (…) Rien, c’est la même réponse que si je vous répondais tout.(…) C’est parce que tout est intraduisible que rien n’est intraduisible. Traduire c’est voué à l’échec. Un jour on m’a demandé quel était le mot qui définissait le mieux mon activité, et j’avais dit : déception. Quand j’écris, c’est décevant. Quand je fabrique, c’est décevant. Quand je traduis, c’est décevant. La déception, c’est très au coeur de mon métier. C’est impossible ! C’est impossible de traduire. Mais c’est comme dire c’est impossible de connaître l’autre. Est-ce que c’est vraiment une raison pour rester chez soi, tout seul, à moisir ? Au contraire ! Essayons… Puisque c’est impossible. Essayons. Et essayons de toutes nos forces. On peut que aller vers le mieux, puisqu’on part battus. »
Essayons de toutes nos forces. Puisque c’est impossible.
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Joan Didion, dans la préface de son premier recueil d’essais Slouching Towards Bethlehem (1968), citée par Mason Currey dans sa newsletter :
« Je ne sais pas ce que je pourrais vous dire de plus sur ces textes. Je pourrais vous dire que j’ai aimé en faire certains plus que d’autres, mais que tous ont été difficiles à faire et m’ont pris plus de temps qu’ils n’en valaient peut-être la peine ; qu’il y a toujours un moment dans l’écriture d’un texte où je suis assise dans une pièce littéralement tapissée de faux départs et où je n’arrive pas à mettre un mot après l’autre et où j’imagine que j’ai subi une petite attaque cardiaque, me laissant apparemment indemne mais en réalité aphasique. »
L’année se termine et convoque des promesses de nouveau départ, des envies de bilan, d’inventaire, une petite musique de réjouissance et de mélancolie. L’année se termine, on veut pouvoir en saisir quelque chose, s’en faire une idée, en tracer des contours, et esquisser un peu de ces lendemains à venir. Sentir que le temps ne passe pas sans nous, qu’on y peut quelque chose, qu’on en fait quelque chose.
Voici mes outils favoris pour ce passage d’une année à l’autre :
La liste des 100 choses qui ont fait l’année
C’est un rituel d’Austin Kleon. Il dresse une liste de choses qui ont fait son année. J’ai tout de suite aimé l’idée, mais je ne soupçonnais pas la puissance de l’exercice. On peut y mettre tout ce qu’on veut, et on peut bien sûr dépasser le nombre de 100 : la mienne contient des choses faites, des gens, des choses aimées (lues, entendues, vues, goûtées, senties), de courts instants, des bonnes et des mauvaises habitudes, ce qui a pris de la place, ce qui a manqué parfois, des hésitations, des franches décisions, des sensations et sentiments, des achats judicieux, des bêtises qui m’ont fait rire. On pourrait craindre d’être submergé-e de nostalgie ou de regrets, et c’est tout le contraire qui se produit. Il y a l’effort de mémoire, soutenu par des traces à explorer (notes dans les carnets, agenda, favoris internet), et vite remplacé par la surprise des souvenirs oubliés qui rappliquent. Il y a la merveilleuse découverte de ce qui a compté, des nuances de couleur, on peut voir combien l’important se niche aussi dans les détails, dans cet ordinaire, voire infra-ordinaire, qu’on disqualifie trop vite dans les bilans classiques échecs/réussites. La liste des 100 choses qui ont fait l’année est un instrument fabuleux pour révéler l’épaisseur cachée de la vie, pour mettre en relief “ce qui se passe quand il ne se passe rien” comme le nomme Georges Perec. Fais-le, ça fait un bien fou ! Sans parler du plaisir étonné de relire cette liste les années suivantes.
Choses réussies, choses ratées, et choses apprises
Plus classique, mais très efficace. Liste 3 choses réussies, choses dont tu es fier·ère, et note : qu’en as-tu appris, qu’est-ce qui t’a aidé, qu’est-ce qui a permis, facilité ces réussites-là ? Puis liste 3 choses ratées, et note : qu’en as-tu appris, qu’est-ce qui a fait obstacle, qu’est-ce qui a provoqué l’échec, empêché la réussite, l’aboutissement ? À nouveau, le chiffre 3 est une façon de circonscrire l’exercice. Pour ma part, j’y mets plus ou moins de choses selon le besoin. J’ajuste de sorte que le “bilan” me soit vraiment utile. Attention : on ne s’apesantit pas sur une liste sans fin des projets pas finis, des erreurs qu’on a faites, en se tapant sur le bout des doigts, et on se concentre sur ce qu’on a appris de ces expériences. C’est riche d’enseignements ! Prends un quart d’heure, fais-le, ça vaut le coup. Surtout pour pouvoir faire l’exercice suivant.
Trois mots pour l’année à venir
C’est un outil de Cécile Bayard qui propose depuis plusieurs années un challenge pour faire le bilan de l’année passée et fixer ses objectifs de l’année suivante. (L’exercice précédent en est partiellement inspiré). Après avoir fait une sorte de bilan échecs/réussites donc, et avant de travailler ses objectifs, elle propose de se donner un cap pour l’année à venir, des intentions, sous la forme de trois mots, qu’on peut accompagner de trois images. Trois mots, qui nous parlent, qui vont nous guider, éclairer nos nuits, nos doutes, nos tempêtes, qui vont baliser le chemin, et nous rappeler ce qui est important, dans quelle direction on veut aller. Ils pourront changer. Pour l’heure, choisis-en trois. J’ai choisi les miens après avoir fait l’exercice précédent donc, ils sont arrivés vite, ils ont tout de suite porté la chaleur de mots-compagnons, ajustés, adéquats, simples, porteurs, moteurs. Nul besoin de chercher des mots exceptionnels, des mots compliqués, choisis-les, laisse-les te choisir. Je les ai avec moi pour l’année qui commence, à la fois soutien et horizon.
Quelques exemples (je ne les ai pas tous retrouvés) : Pour 2019, j’avais se reconnecter, s’éclater, créer Pour 2021, j’avais cœur, fantaisie, vitalité Pour 2023, j’ai corps, liens, écriture
La liste des 101 désirs
C’est un outil que j’ai essayé ce printemps, et je le trouve plutôt approprié pour débuter la nouvelle année. Je l’ai découvert ici, je t’invite à lire l’article en entier, et particulièrement les règles pour rédiger cette liste de 101 désirs : notamment les formuler en “je veux”, de façon positive, et concrète, éviter les désirs en série, et ne pas demander pour d’autres personnes. Il est préconisé d’écrire d’abord 150 désirs en brouillon, puis d’en choisir 101 et de les écrire au propre, et enfin de les relire chaque jour. Bon, de mon côté, je n’avais pas dépassé 56, je n’ai pas ré-écrit ma liste, et je n’ai pas relu chaque jour mes désirs. Bouh, la mauvaise élève. Mais je suis tentée de recommencer, d’essayer de suivre cette fois les consignes, car le simple fait d’écrire ces 56 désirs, dans les contraintes d’écriture indiquées, avait suscité déjà un énorme regain d’énergie et de détermination, une exploration profonde et surprenante, et la réalisation effectivement assez rapide de plusieurs désirs listés. Essayons ! Je ne sais pas si j’arriverai à 101, sans même parler de 150, mais le plus important je crois sera surtout de relire régulièrement.
La lettre à l’année passée
L’équipe de livementor dans son défi “Planifier et réussir son année” suggère cet exercice : en quelques minutes, écrire une lettre à l’année 2022 (inspiré de la méthode Journal Créatif d’Anne-Marie Jobin). En écriture spontanée, c’est-à-dire le plus vite possible sans réfléchir, sans s’arrêter. Et en écriture superposée, c’est-à-dire en écrivant par-dessus chaque phrase afin de les rendre illisibles. L’objectif est de se libérer, “d’y mettre toutes vos émotions, jugements, ce qui vous dérange, ce qui vous a plu, nourri, etc.”. Puis donner un titre : un mot qui représente cette relation avec l’année passée. J’ai donc mis un chrono de 7 minutes comme suggéré, et j’ai écrit cette lettre en écriture illisible. Hormis le plaisir de l’écriture superposée (et la joie donc de découvrir les techniques d’Anne-Marie Jobin), de savoir que personne ne peut relire, pas même soi, et de pouvoir décharger tout ce qui vient, je n’ai pas ressenti grand-chose avec cet exercice. Peut-être que 7 minutes ne suffisaient pas. Peut-être que les autres exercices cités plus haut avaient déjà fait le job. Je voulais en tout cas te partager cet outil supplémentaire, au cas où il te serait utile.
Raconte-moi tes expériences avec l’un de ces outils !
Et, dis-moi, quels sont tes outils préférés pour finir et commencer l’année ?
De retour d’une semaine à la campagne, où j’ai travaillé quelques heures, par-ci par-là, au milieu des souvenirs et des oiseaux chantants…
Suivie d’un week-end de mariage, où j’ai aussi peu dormi et autant ri autant bu qu’à 22 ans…
Il est temps de remettre sur pied mon quotidien, mon appartement, un plan de travail, un jour après l’autre.
J’ai parfois du mal avec les coupures, même petites. Le temps a pris une autre forme, mon corps d’autres habitudes, il faut revenir, ici, maintenant, regarder devant. Reconstituer, raccommoder, les rituels, les évidences. D’autres choses ont pris de la place, beaucoup de place, c’est comme s’il fallait les pousser, les repousser, pour pouvoir continuer. Refaire sentier.
Évidemment, ça ne marche pas comme ça. Forêt dense.
Tambourinent en boucle des questions sur la petite maison, ce qu’on en fera, qui l’habitera, qui paiera une conversation dans la nuit noire et froide, dans mon silence et quelques larmes l’amour les bons petits plats le bord de la rivière avec mes neveux et mes bouquins les chansons à pied la cueillette du 1er mai l’attente sur le quai, petite pancarte tracée à la hâte, la joie les pages du matin griffonnées en pleine journée quand il a fallu trouver de la force, en déposant, quelque part, ce qui débordait le travail mal assise, mal installée les rires, les câlins, les chassés-croisés le retour à 160km/h sur l’autoroute et les mains moites, ne pas oser dire un peu moins vite, revoir des bâtiments, des gens, du bruit, des sourcils froncés, comment fait-on toute l’année l’étrangeté de l’appartement, à la fois si vide et trop chargé s’apprêter, mariage en vue les rires, les rires tellement la complicité faire rire, bonheur oublié le faire rire et se rappeler l’alcool très triste après le shot qu’il fallait pas prendre, 3h du mat’ je crois au réveil, le tibia tout bleu, je ne me souviens pas la chute me revient quelques heures plus tard, quand petits fours, belle vue, on rit tous de nos visages pâles, grands bâillements et petits yeux
Tambourinent en boucle tous ces moments-là. Ils occupent. Ils ont pris la place de.
Je les mets où, le temps de travailler ?
Je me suis dit ce soir qu’en les écrivant comme ça, taille timbre-poste, taillés à la hâte, à la hache, ils seraient au moins quelque part, consignés, et pourraient me laisser avancer.
Et c’est vrai, ça marche un peu.
Et toi, dis-moi, qu’y a-t-il dans ta forêt, qu’est-ce qui tambourine, quels doutes et merveilles ? ESt-ce qu’écrire t’aide aussi parfois à refaire sentier ?
Hier me hante, je suis rentrée le cœur serré, sans trop savoir pourquoi. La météo du jour aggrave mon cas, il fait si beau, si chaud, il faudrait sortir, profiter, et quelque chose me retient là, me tient mauvaise compagnie. Quand je décide enfin qu’aujourd’hui ne sert à rien, qu’il n’y a rien à cocher, que j’ai le droit, ça va un peu mieux. Je m’offre une série policière danoise, puis le film Deux moi, je laisse le soleil tourner de l’autre côté, aujourd’hui je laisse hier passer.
Hier, certitude absolue après quelques jours de doute : je renonce à l’un des cours du soir auxquels je m’étais inscrite la semaine dernière. Un mail au bureau des inscriptions, un mail à mon groupe de travail, un mail aux enseignants : trois petits mails et c’était plié. Facile une fois la décision prise.
Le cours s’annonçait passionnant, j’allais apprendre plein de choses sur comment on apprend justement, sur différentes modalités pédagogiques à mettre en œuvre, et sur la réflexivité et l’autoformation. Délice d’avance (je peux concevoir, mais en faisant un petit effort quand même, que ça ne procure pas exactement les mêmes sensations chez toi ;). Le cours était entièrement bâti en classe inversée, avec énormément de productions collectives et donc énormément d’heures à y consacrer. Et là, rien qu’à l’idée de programmer les teams et de saturer mon agenda, j’avais la nausée. C’est pas bon signe, m’a dit l’amie A.
Entre délice et nausée, c’était pas tranché. Le bon moment pour utiliser ma toute nouvelle méthode de choix : un grand oui sinon rien.
Ce grand oui sinon rien me vient tout droit d’une séance de coaching, starring pêle-mêle : ma super collègue qui se reconnaîtra, une plaque de fer du Moyen-âge, Yoga with Adriene, le son PAF, et « beaucoup beaucoup d’amour » répété à peu près trente-douze fois. Je te refais pas toute la séance – le film sortira bientôt -, en résumé : la condition sine qua non de ce « beaucoup d’amour » pour moi, j’ai décidé que c’était de m’en tenir, au maximum en ce moment, à des grands oui, à ce qui fait oui PAF (ah le voilà) sans explication, au ressenti brut : ça, je veux. Du 100%, du brûlant, exit la tiédeur et les oui-non-mais-tu-vois.
S’en tenir aux grands oui sinon rien, ça m’a quand même semblé un peu luxe, voire un peu caprice. Et puis… à bien ressentir la chose, c’est au contraire la tiédeur qui m’a paru carrément luxe. Un luxe que, par moments, on ne peut plus se permettre. Il en faut du temps devant soi, de l’énergie en stock et des certitudes sur l’avenir pour laisser les oui-non-mais-tu-vois squatter ses journées !
J’ai pas bazardé d’un revers de main tout ce qui dans ma vie ne passe pas au tamis du grand oui. Il y a quelques réalités qui se règlent pas en trois mails bien tournés, et surtout il y a des coins où on tolère encore assez bien, il faut se l’avouer, la tiédeur. Mais j’ai envie d’être à l’écoute de ça. Je me suis remémoré quelques grands oui du passé, j’ai identifié quelques grands oui du moment, et j’ai décidé de partir avec la curiosité d’une enfant à la chasse aux grands oui, de prêter attention, et priorité, à ce qui dans mes projets, dans mes journées, et jusque dans les petits détails de mon quotidien, fait paf sans équivoque. Et de goûter tout l’espace que ça crée quand j’ai l’audace de laisser les trucs mi-délice mi-nausée sur le bas-côté.
Et toi, c’est quoi tes grands oui du passé et du moment ? Est-ce que ça fait paf ou wa ou ding ou fshh ?
Est-ce qu’il y a au moins un grand oui dans ta journée ? (c’est le oui qui doit être grand, pas la chose faite ou ressentie : moi j’inclus dans mes grands oui du jour ma séance de yoga, et regarder le ciel se lever avec mon café).
C’est quoi le premier oui-non-mais-tu-vois auquel tu pourrais renoncer ?
J’ai les mains moites, le corps crispé et le cœur qui bat. Je ne vais pas sauter en parachute, ni monter sur scène devant trois mille personnes (pas aujourd’hui en tout cas). Mais c’est pour moi à peu près aussi épique, excitant et terrifiant que ça : j’écris ce premier post.
Depuis des semaines, j’hésite entre six noms de page facebook, deux types de montgolfières, trois polices d’écriture, une dizaine de verts, j’ai fait un nombre indécent de tests sur tinyletter et canva, j’ai re-visionné une vingtaine de vidéos très très bien pour trouver sa voix, son ton, créer sa newsletter, etc., et j’ai rouvert les cinquante-huit google docs où se loge depuis des années (aïe) ma ribambelle d’idées floues pour le jour où, enfin, je m’élancerai.
Le jour où enfin.
Tout ça part instantément en fumée alors que j’essaie d’écrire ce premier post. Je ne sais rien. Peu importe la montgolfière, peu importe les teintes de vert, peu importe tout ce que j’ai pu lire, écouter, prévoir, imaginer, mettre en mots-clés, je ne sais plus rien. Il y a un fond blanc et des lettres qui se collent et s’espacent, des mots qui s’enchaînent plus ou moins bien, des phrases qui se créent et surtout, il y a mon cœur qui bat. De peur, mais aussi de joie. Et les deux sont là, s’enlacent comme l’e-dans-l’o de mon cœur qui bat.
Alors je veux commencer par ce bout-là, cet endroit où peur et joie s’enlacent, se lient, s’allient, inséparables, dès lors qu’on fait ce qui nous tient à cœur. Et te dire, s’il t’arrive aussi de te perdre entre des montgolfières et des google docs, que « le jour où enfin » n’est pas un jour où tu ressens moins de peur que de joie mais un jour où tu choisis de visiter cet endroit, cet e-dans-l’o, où l’on ne sait presque rien à part la chamade et les mains moites.
C’était juste un bus mais j’ai couru pour l’attraper comme si ma vie en dépendait.
Je n’avais plus de métro, plus d’espoir dans les pieds, c’était lui qui me ramènerait au plus près.
Je le connais, il m’est arrivé de le prendre dans un sens. C’était la première fois que j’allais le prendre dans l’autre. L’itinéraire est différent, même si au moment de monter, je ne le sais pas encore.
On démarre à 2 passagers : j’ai l’impression d’être reine dans un carrosse.
Quelques minutes plus tard, on traverse des rues familières. Je souris. Des rues saturées de souvenirs : les fous rires, les larmes aussi, le trop bu, les grandes discussions, les chansons, les danses à tue-tête, le mal au ventre aussi, l’attente devant la bibliothèque, les fous rires, les fous rires à s’écrouler par terre. Je me retrouve plongée 17 ans en arrière. J’ai dû faire le compte, et le chiffre m’a fait un petit peu peur. En l’écrivant, là encore, je ne conçois rien quand j’entends : 17 ans. Des rues où je ne vais plus jamais.
On continue de rouler. Et c’est de plus en plus beau. C’est beau comme un cliché, toutes les lumières, les monuments, les reflets sur l’eau, les ponts, tout s’enchevêtre, on ne sait plus ce qui est vrai tellement c’est beau. Je regarde la ville que j’ai envie de quitter.
Je regarde et je pense, comme une vague, à tout ce qui a changé en 17 ans, tout ce qui a été perdu, écorché, aimé, rêvé, raté, exploré, conquis. Et pour la première fois, je me rends compte que je suis profondément heureuse de tout ce qui s’est passé. Tout. Même le pire. C’est affreux et merveilleux de ressentir ça. Je suis heureuse parce qu’un autre itinéraire, avec d’autres arrêts, ne m’aurait peut-être pas amenée là. Et ce là est carrément mieux que les rues d’il y a dix-sept ans.
C’était juste un bus, et il m’a déposé pas très loin de chez moi.
Ça fait plusieurs jours que j’ai du mal à parler. Pas seulement à l’écrit, à l’oral aussi. Ça m’arrive parfois, je lutte pour faire la moindre phrase, je cherche des mots, mes mots, comme si je devais les extraire de mille pieds sous terre, les arracher du néant. C’est tout coincé, ça ne circule pas, je peine, même dans une conversation banale lors d’un déjeuner. Des trous noirs, de l’élan stoppé, du dire éclaté en fragments, du dire saccadé, je me sens à la fois l’animal et la bride, la censure et la censurée.
Je ne sais plus alors si le silence est ma parole, ou s’il devient la fuite, l’abandon, une résignation.
Est-ce que ça vous arrive aussi ?
Je me murmure à l’intérieur : if you can’t do it, do it anyway.
Ah tiens ça me fait penser à cette phrase que j’ai lue dans un tout petit livre de Pessoa l’autre jour : « Le poète est celui qui va toujours au-delà de ce qu’il peut faire ».
Quand la parole est coupée comme ça, je suis tellement heureuse de la poésie qui persiste autour. Je suis de plus en plus sûre qu’avec le temps, avec l’âge, je vais me désencombrer de beaucoup de choses et qu’il restera peu d’essentiels, peu d’incontournables, mais que la poésie en fera partie, qu’elle y sera même centrale. À lire, à relire, à écouter, peut-être même à bricoler.
Quand la parole est coupée.
Je crois que le sujet me travaille en ce moment. Pendant les vacances, j’ai eu l’envie soudaine de revoir, pour la énième fois, Le discours d’un roi, j’ai encore, encore, encore été bouleversée. Par la parole coupée. Et par l’écoute qui restaure, qui habilite, qui autorise, qui crée de la place.
Il y a quelques années, j’avais acheté un CD rassemblant des émissions « Radioscopie » de Jacques Chancel. Sur ce disque, une sélection de ses entretiens avec des philosophes. Il leur laisse le temps de parler, ne craint pas les silences et on peut écouter la pensée en train de se faire, en train de cheminer. C’est d’une telle qualité cet espace grand ouvert à l’incertain. On devrait toujours laisser le temps à l’incertain de s’exprimer.
Aujourd’hui, j’y repense car j’ai écouté un entretien radio où la journaliste ne cesse d’interrompre l’auteure qu’elle interviewe. On aimerait l’entendre finir sa phrase, déployer ses mots, continuer sa pensée, on aimerait partager ses silences, mais nope, elle lui coupe systématiquement la parole. Ça m’a insupportée, presque assaillie. Ça m’a pesée sur la poitrine, j’ai senti venir les larmes et la rage. Evidemment, c’est un peu bêta de se mettre dans cet état-là pour un entretien radio. Oui, je crois que le sujet me travaille en ce moment…
Quand la parole est coupée comme ça.
Je me souviens qu’écrire, ce n’est pas l’assurance d’être écouté.e, mais tout de même de parler sans être interrompu.e.
Je me redis combien l’écoute est précieuse, rare, capitale, je veux écouter plus, écouter mieux.
Je me redis qu’il y a bien assez de fil et d’aiguilles, bien assez de poèmes et de beauté, pour recoudre ce qui est coupé.
Austin Kleon n’a pas intitulé son bouquin Start ou Begin. Il l’a appelé Keep Going.
Oui, parce que le vrai grand sujet c’est pas de commencer, c’est de continuer.
Mais « keep going » me paraît beaucoup plus juste que « continuer ». Si on devait le traduire mot à mot et un peu librement, je ne sais pas, ça donnerait peut-être « garder l’allant ». Garder dans le sens aussi de surveiller et d’en prendre soin.
Continuer, ça laisse à penser qu’il n’y a pas de rupture, que les rails sont déjà posés, assemblés, le train est lancé, sans arrêts jusqu’au terminus, qu’on peut s’asseoir et regarder par la fenêtre, le trajet se fera malgré soi. C’est faux. L’allant demande du soin et de la surveillance.
Il s’agit de keep going.
Il s’agit de perpétuel recommencement. C’est ça le plus exigeant. C’est pas de commencer, où le piquant de la nouveauté et la fierté de s’y mettre sont très puissants.
Continuer – à la différence de commencer ou même de terminer – c’est sans gloire, sans applaudissements, même de soi à soi. Tu es simplement en train de continuer, de reprendre ce que tu faisais, d’insister, de recommencer, de refaire, de répéter, de poursuivre. C’est la base, le minimum syndical, ce que tout le monde attend, et tu ne vois pas que l’exploit en fait il est là.
J’admire la persévérance. Je ne parle pas d’entêtement, de continuer dans une mauvaise direction coûte que coûte, mais de la ténacité et de la constance, quand on sait qu’on tient quelque chose, que ça nous fait du bien ou que ça vaut le coup et qu’on se fait le gardien de notre allant.
J’apprends dans ce domaine, je suis encore dans les très grands débutants.
Alors je n’ai pas de supers conseils ou recettes à ce propos.
Tout ce qui me vient c’est : est-ce qu’on se félicite assez, soi-même et entre nous, pour tout ce qu’on recommence, tout ce qu’on persévère ?
On applaudit les débuts et les achèvements, est-ce qu’on célèbre assez toutes les heures entre les deux, où s’entremêlent étrangement le flow, le doute, les blocages, les eurêka, les trébuchements, les résultats fluctuants, les nouveaux nouveaux départs, la rage de ne plus savoir comment ni par où, le courage de repartir de plus bas, le kiff des petits pas ?
C’est pourtant là qu’on s’expérimente vraiment. C’est là que ça se passe.
Ce sont des heures, couronnées ou non de succès, qui méritent un peu plus de reconnaissance et d’encouragement. Moi-même, je ne le dis pas assez autour de moi, et je me note aujourd’hui (car joie de ce challenge d’écriture, je ne l’avais jamais réalisé avant cet instant) de féliciter davantage les keep going que je peux voir ici et là.
Et parce qu’il ne s’agit pas de « continuer », on peut chaque jour réajuster, faire un peu différemment si la veille était sans allant ou sans résultats, on peut chaque jour assembler les rails autrement, donner au train une nouvelle direction, ou une nouvelle allure. Recommencer c’est la possibilité renouvelée quotidiennement de ne pas rester dans la continuité. C’est garder le désir et la curiosité pour l’énigme, le mystère de ce qu’on est en train de faire. C’est prendre soin de l’allant, du mouvement.
Je ne sais pas ce que tu es en train de faire ou ce que tu veux recommencer demain ou dans quelques jours, puis chaque jour, mais je tiens à te dire : keep going.
lundi – l’impatience A l’arrivée, scruter le jardin, examiner l’arbre planté deux mois plus tôt. Est-ce qu’il a grandi, est-ce qu’il a pu s’étoffer ? non. Il est si frêle, trop discret. On ne le voit que parce qu’on sait qu’il est là. Cette impatience de le voir pousser.
mardi – la chaleur Se laisser porter par les rires et la chaleur des appareils à raclette, parler un peu, pouvoir se taire aussi par-dessous les fortes voix, déceler sur un visage vieillissant l’air facétieux de l’enfant.
mercredi – le corps humain Après la bûche, après le coucher du soleil manqué toute la journée, prendre un des livres déposés sous le sapin des enfants et se poser des questions sur la nature, l’espace, l’histoire, le corps humain. S’étonner ensemble et joyeusement de tout ce qu’on ne sait pas, de tout ce qu’on apprend.
jeudi – l’ombre Se taire par-dessous la forte voix, se demander comment prendre place, comment faire avec le simple soi, comment être là sans se sentir dans l’ombre de.
vendredi – les lumières Prendre un train qui circule, revenir au point de départ. Loin de l’arbre qui pousse. Là où les lumières de la ville éteignent les nuits étoilées. Compter sur demain pour l’élan.
samedi – les recommencements Penser au 28 décembre de l’année d’avant, penser fièrement à la décision prise ce jour-là, aux jours parcourus, célébrer sans bruit, sans éclat mais célébrer quand même les recommencements, les arbres qui poussent lentement.