À la chasse aux grands oui

Hier, certitude absolue après quelques jours de doute : je renonce à l’un des cours du soir auxquels je m’étais inscrite la semaine dernière. Un mail au bureau des inscriptions, un mail à mon groupe de travail, un mail aux enseignants : trois petits mails et c’était plié. Facile une fois la décision prise. 

Le cours s’annonçait passionnant, j’allais apprendre plein de choses sur comment on apprend justement, sur différentes modalités pédagogiques à mettre en œuvre, et sur la réflexivité et l’autoformation. Délice d’avance (je peux concevoir, mais en faisant un petit effort quand même, que ça ne procure pas exactement les mêmes sensations chez toi ;). Le cours était entièrement bâti en classe inversée, avec énormément de productions collectives et donc énormément d’heures à y consacrer. Et là, rien qu’à l’idée de programmer les teams et de saturer mon agenda, j’avais la nausée. C’est pas bon signe, m’a dit l’amie A. 

Entre délice et nausée, c’était pas tranché. Le bon moment pour utiliser ma toute nouvelle méthode de choix : un grand oui sinon rien. 

Ce grand oui sinon rien me vient tout droit d’une séance de coaching, starring pêle-mêle : ma super collègue qui se reconnaîtra, une plaque de fer du Moyen-âge, Yoga with Adriene, le son PAF, et « beaucoup beaucoup d’amour » répété à peu près trente-douze fois. Je te refais pas toute la séance – le film sortira bientôt -, en résumé : la condition sine qua non de ce « beaucoup d’amour » pour moi, j’ai décidé que c’était de m’en tenir, au maximum en ce moment, à des grands oui, à ce qui fait oui PAF (ah le voilà) sans explication, au ressenti brut : ça, je veux. Du 100%, du brûlant, exit la tiédeur et les oui-non-mais-tu-vois. 

S’en tenir aux grands oui sinon rien, ça m’a quand même semblé un peu luxe, voire un peu caprice. Et puis… à bien ressentir la chose, c’est au contraire la tiédeur qui m’a paru carrément luxe. Un luxe que, par moments, on ne peut plus se permettre. Il en faut du temps devant soi, de l’énergie en stock et des certitudes sur l’avenir pour laisser les oui-non-mais-tu-vois squatter ses journées !

J’ai pas bazardé d’un revers de main tout ce qui dans ma vie ne passe pas au tamis du grand oui. Il y a quelques réalités qui se règlent pas en trois mails bien tournés, et surtout il y a des coins où on tolère encore assez bien, il faut se l’avouer, la tiédeur. Mais j’ai envie d’être à l’écoute de ça. Je me suis remémoré quelques grands oui du passé, j’ai identifié quelques grands oui du moment, et j’ai décidé de partir avec la curiosité d’une enfant à la chasse aux grands oui, de prêter attention, et priorité, à ce qui dans mes projets, dans mes journées, et jusque dans les petits détails de mon quotidien, fait paf sans équivoque. Et de goûter tout l’espace que ça crée quand j’ai l’audace de laisser les trucs mi-délice mi-nausée sur le bas-côté.

Et toi, c’est quoi tes grands oui du passé et du moment ? Est-ce que ça fait paf ou wa ou ding ou fshh ?

Est-ce qu’il y a au moins un grand oui dans ta journée ? (c’est le oui qui doit être grand, pas la chose faite ou ressentie : moi j’inclus dans mes grands oui du jour ma séance de yoga, et regarder le ciel se lever avec mon café).

C’est quoi le premier oui-non-mais-tu-vois auquel tu pourrais renoncer ?

De battre mon cœur a commencé

J’ai les mains moites, le corps crispé et le cœur qui bat. Je ne vais pas sauter en parachute, ni monter sur scène devant trois mille personnes (pas aujourd’hui en tout cas). Mais c’est pour moi à peu près aussi épique, excitant et terrifiant que ça : j’écris ce premier post.

Depuis des semaines, j’hésite entre six noms de page facebook, deux types de montgolfières, trois polices d’écriture, une dizaine de verts, j’ai fait un nombre indécent de tests sur tinyletter et canva, j’ai re-visionné une vingtaine de vidéos très très bien pour trouver sa voix, son ton, créer sa newsletter, etc., et j’ai rouvert les cinquante-huit google docs où se loge depuis des années (aïe) ma ribambelle d’idées floues pour le jour où, enfin, je m’élancerai. 

Le jour où enfin. 

Tout ça part instantément en fumée alors que j’essaie d’écrire ce premier post. Je ne sais rien. Peu importe la montgolfière, peu importe les teintes de vert, peu importe tout ce que j’ai pu lire, écouter, prévoir, imaginer, mettre en mots-clés, je ne sais plus rien. Il y a un fond blanc et des lettres qui se collent et s’espacent, des mots qui s’enchaînent plus ou moins bien, des phrases qui se créent et surtout, il y a mon cœur qui bat. De peur, mais aussi de joie. Et les deux sont là, s’enlacent comme l’e-dans-l’o de mon cœur qui bat. 

Alors je veux commencer par ce bout-là, cet endroit où peur et joie s’enlacent, se lient, s’allient, inséparables, dès lors qu’on fait ce qui nous tient à cœur. Et te dire, s’il t’arrive aussi de te perdre entre des montgolfières et des google docs, que « le jour où enfin » n’est pas un jour où tu ressens moins de peur que de joie mais un jour où tu choisis de visiter cet endroit, cet e-dans-l’o, où l’on ne sait presque rien à part la chamade et les mains moites. 

J’ai attendu l’eurêka

Pendant des années, j’ai attendu l’eurêka, l’épiphanie, le grand dénouement qui allait me révéler avec précision le quoi, le comment, le pourquoi, avec confettis, feuille de route et mode d’emploi fournis, pour lancer ma boîte. Évidemment, ça n’est jamais venu. Des idées floues, des projections, des fantasmes en veux-tu en voilà, et pas l’ombre d’un chouïa d’action concrète à l’horizon. Résultat : la sensation de faire crever doucement mais sûrement mon petit coeur qui bat.

En janvier dernier, j’ai enfin compris, vraiment, qu’il faudrait faire, commencer, s’y atteler pour espérer y voir plus clair. Et que l’eurêka, s’il existe, ne se trouve pas niché dans un coin de ma tête. Je suis repartie de mon désir le plus simple et le plus ancien : l’envie d’un espace pour écrire, partager. Et pour le lancer de boîte, ça a l’air d’être un sport sympa, on verra.

Comme on ne se refait pas (du jour au lendemain du moins), j’ai tergiversé un mois de plus sur des petits détails et des grosses émotions pour repousser le premier pas.

Et maintenant, c’est parti, j’ouvre cet espace comme on part en voyage, sans savoir où ça va mais avec la curiosité et le goût de l’inconnu, des coups de tête et des coups de cœur.

Discerner la pluie

discerner la pluie
brusquement

tout près
tout autour

des larmes miniatures
des larmes effacées
d’une main sûre

on aurait dit une présence
sans importance

un visage brodé
sans détails

des souvenirs 
sans signature
gommés d’une main sûre


Poème fondu d’après Emily Ruskovich, Idaho (pages 30 et 31)

C’était juste un bus

C’était juste un bus mais j’ai couru pour l’attraper comme si ma vie en dépendait.

Je n’avais plus de métro, plus d’espoir dans les pieds, c’était lui qui me ramènerait au plus près.

Je le connais, il m’est arrivé de le prendre dans un sens. C’était la première fois que j’allais le prendre dans l’autre. L’itinéraire est différent, même si au moment de monter, je ne le sais pas encore.

On démarre à 2 passagers : j’ai l’impression d’être reine dans un carrosse.

Quelques minutes plus tard, on traverse des rues familières. Je souris. Des rues saturées de souvenirs : les fous rires, les larmes aussi, le trop bu, les grandes discussions, les chansons, les danses à tue-tête, le mal au ventre aussi, l’attente devant la bibliothèque, les fous rires, les fous rires à s’écrouler par terre. Je me retrouve plongée 17 ans en arrière. J’ai dû faire le compte, et le chiffre m’a fait un petit peu peur. En l’écrivant, là encore, je ne conçois rien quand j’entends : 17 ans. Des rues où je ne vais plus jamais.

On continue de rouler. Et c’est de plus en plus beau. C’est beau comme un cliché, toutes les lumières, les monuments, les reflets sur l’eau, les ponts, tout s’enchevêtre, on ne sait plus ce qui est vrai tellement c’est beau. Je regarde la ville que j’ai envie de quitter.

Je regarde et je pense, comme une vague, à tout ce qui a changé en 17 ans, tout ce qui a été perdu, écorché, aimé, rêvé, raté, exploré, conquis. Et pour la première fois, je me rends compte que je suis profondément heureuse de tout ce qui s’est passé. Tout. Même le pire. C’est affreux et merveilleux de ressentir ça. Je suis heureuse parce qu’un autre itinéraire, avec d’autres arrêts, ne m’aurait peut-être pas amenée là. Et ce là est carrément mieux que les rues d’il y a dix-sept ans.

C’était juste un bus, et il m’a déposé pas très loin de chez moi.

Ce sera toujours, toujours, mieux que rien

La vérité, c’est que je n’ai pas travaillé. J’avais prévu de consacrer la moitié de ma semaine de congés à réviser en vue des examens qui arrivent fin janvier. Et je n’ai rien fait. Pas même les autres trucs qui me tentaient, à la place. C’était soit ça, soit rien (principe à la con, j’en conviens). J’avais juste un peu le blues, j’ai regardé des films en mangeant des cookies et des clémentines, j’ai fait plein de listes, j’ai changé deux ampoules et j’ai mis le réveil pour rien.

Je me demande si la parole coupée évoquée plus tôt, ça vient pas aussi du fait qu’on a parfois trop parlé et pas assez fait. Les mots ne veulent pas d’un corps en stand-by, d’une vie à l’arrêt.

J-25, le panic monster (Tim Urban) commence à s’agiter, mais c’est encore lointain, plutôt le bruissement d’un animal tapi dans la forêt que le rugissement du fauve à mes oreilles.

Aujourd’hui, je me suis dit : « n’importe quoi, même la plus petite chose, même pas longtemps, ce sera mieux que rien ».

Ce sera mieux que rien.

Ça m’a donné la force de m’y mettre. Je n’ai pas travaillé beaucoup ni très longtemps. Mais j’ai travaillé, et c’était mieux que rien.

C’est souvent que je me mets des objectifs pas possibles, tant d’heures, tant de pages, tant de choses. Tant ! Trop ! Et non seulement, je ne les tiens pas ces objectifs mais je suis convaincue que ce sont eux qui m’intimident dès le départ. Ils sont mal calibrés, mal posés. Je finis par choisir le rien plutôt que l’à moitié-fait (c’est vraiment très très con, j’en conviens).

La perspective de faire tout petit, pas beaucoup, pas trop longtemps, c’était déjà me ramener sur terre, pour faire un pas devant l’autre. C’est une leçon sans cesse apprise, sans cesse oubliée.

Je crois que les mots « mieux que » m’ont fait du bien. Au lieu de penser à tout ce que je n’avais pas fait, à tout ce qui reste à faire et me sentir en retard et en-deçà, j’ai vu du bonus, du plus, matière 1- néant 0.

Quelle que soit la chose qu’on veut faire, du travail, du plaisir à recréer, du soin de soi : n’importe quoi, même le plus petit geste, même pas longtemps. Même ce qui paraît insignifiant. Et ce sera toujours, toujours, sans exception, mieux que rien.

J’ai bien envie de l’afficher en grand dans mon appartement, pour les jours les plus rêches :

Qu’est-ce qui aujourd’hui sera mieux que rien ?

Quand la parole est coupée

Ça fait plusieurs jours que j’ai du mal à parler. Pas seulement à l’écrit, à l’oral aussi. Ça m’arrive parfois, je lutte pour faire la moindre phrase, je cherche des mots, mes mots, comme si je devais les extraire de mille pieds sous terre, les arracher du néant. C’est tout coincé, ça ne circule pas, je peine, même dans une conversation banale lors d’un déjeuner. Des trous noirs, de l’élan stoppé, du dire éclaté en fragments, du dire saccadé, je me sens à la fois l’animal et la bride, la censure et la censurée.

Je ne sais plus alors si le silence est ma parole, ou s’il devient la fuite, l’abandon, une résignation.

Est-ce que ça vous arrive aussi ?

Je me murmure à l’intérieur : if you can’t do it, do it anyway.

Ah tiens ça me fait penser à cette phrase que j’ai lue dans un tout petit livre de Pessoa l’autre jour : « Le poète est celui qui va toujours au-delà de ce qu’il peut faire ».

Quand la parole est coupée comme ça, je suis tellement heureuse de la poésie qui persiste autour. Je suis de plus en plus sûre qu’avec le temps, avec l’âge, je vais me désencombrer de beaucoup de choses et qu’il restera peu d’essentiels, peu d’incontournables, mais que la poésie en fera partie, qu’elle y sera même centrale. À lire, à relire, à écouter, peut-être même à bricoler.

Quand la parole est coupée.

Je crois que le sujet me travaille en ce moment. Pendant les vacances, j’ai eu l’envie soudaine de revoir, pour la énième fois, Le discours d’un roi, j’ai encore, encore, encore été bouleversée. Par la parole coupée. Et par l’écoute qui restaure, qui habilite, qui autorise, qui crée de la place.

Il y a quelques années, j’avais acheté un CD rassemblant des émissions « Radioscopie » de Jacques Chancel. Sur ce disque, une sélection de ses entretiens avec des philosophes. Il leur laisse le temps de parler, ne craint pas les silences et on peut écouter la pensée en train de se faire, en train de cheminer. C’est d’une telle qualité cet espace grand ouvert à l’incertain. On devrait toujours laisser le temps à l’incertain de s’exprimer.

Aujourd’hui, j’y repense car j’ai écouté un entretien radio où la journaliste ne cesse d’interrompre l’auteure qu’elle interviewe. On aimerait l’entendre finir sa phrase, déployer ses mots, continuer sa pensée, on aimerait partager ses silences, mais nope, elle lui coupe systématiquement la parole. Ça m’a insupportée, presque assaillie. Ça m’a pesée sur la poitrine, j’ai senti venir les larmes et la rage. Evidemment, c’est un peu bêta de se mettre dans cet état-là pour un entretien radio. Oui, je crois que le sujet me travaille en ce moment…

Quand la parole est coupée comme ça.

Je me souviens qu’écrire, ce n’est pas l’assurance d’être écouté.e, mais tout de même de parler sans être interrompu.e.

Je me redis combien l’écoute est précieuse, rare, capitale, je veux écouter plus, écouter mieux.

Je me redis qu’il y a bien assez de fil et d’aiguilles, bien assez de poèmes et de beauté, pour recoudre ce qui est coupé.

Je me murmure : If you can’t do it, do it anyway.

D’une aube à l’autre

Trois des cinq poèmes qui composent « Monde » de Philippe Jaccottet dans Poésie 1946-1967.

Poids des pierres, des pensées
Songes et montagnes
n’ont pas même balance
Nous habitons encore un autre monde
Peut-être l’intervalle

Peu m’importe le commencement du monde
Maintenant ses feuilles bougent
maintenant c’est un arbre immense
dont je touche le bois navré
Et la lumière à travers lui
brille de larmes

Accepter ne se peut
comprendre ne se peut
on ne peut pas vouloir accepter ni comprendre
On avance peu à peu
comme un colporteur
d’une aube à l’autre

C’est quoi l’histoire que tu tricotes autour ?

J’ai vu qu’Apollo 13 était sur netflix et j’ai beau l’avoir vu cent fois en VHS, je n’ai pas résisté :

1. il y a tom hanks dedans

2. il y a ed harris dedans

3. ça se passe dans l’espace

Histoire vraie, ils doivent se rendre sur la Lune. Un an après les premiers pas d’Armstrong, tout le monde se fout complètement de cette mission, ça n’a plus rien d’exceptionnel. Ils partent, dans l’indifférence générale. Disons simplement qu’une fois dans l’espace, il se passe un truc.

*ne pas lire la suite si vous ne l’avez jamais vu et que vous l’envisagez, je spoile un peu*

Et au fil du film, ça m’inspire quelques questionnements, alors hop ça peut bien faire un contenu du jour.

– Quelle expérience, quelle aventure, petite ou grande, qui paraît banale pour d’autres, reste incroyable et excitante à tes yeux ? Est-ce que tu as quand même envie de la vivre ou est-ce que tu attends que d’autres soient euphoriques pour toi ?

– A un moment, Ed Harris demande « Qu’est-ce qu’on a sur ce vaisseau qui fonctionne ? ». Pour résoudre un problème, plutôt que de focaliser sur le dysfonctionnement, la chose à réparer, j’aime cette question : qu’est-ce qu’on a qui fonctionne ? Qu’est-ce qu’on a comme ressources à disposition, qu’est-ce qu’on a en état de marche ? Concentrer toute notre attention, toutes nos forces là-dessus pour chercher une solution, plutôt que sur le problème.

– Est-ce qu’il y a quelque chose qui ressemble à un échec, passé ou en cours, et qui était ou sera en fait le succès, l’exploit d’autre chose ? C’est quoi l’histoire que tu tricotes autour : est-ce que c’est l’histoire de ce que tu n’as pas réussi à faire, ou de ce que tu réussis à faire à partir de là ? Où est-ce que tu places le mot : fin ?

Garder l’allant

Austin Kleon n’a pas intitulé son bouquin Start ou Begin. Il l’a appelé Keep Going.

Oui, parce que le vrai grand sujet c’est pas de commencer, c’est de continuer.

Mais « keep going » me paraît beaucoup plus juste que « continuer ». Si on devait le traduire mot à mot et un peu librement, je ne sais pas, ça donnerait peut-être « garder l’allant ». Garder dans le sens aussi de surveiller et d’en prendre soin.

Continuer, ça laisse à penser qu’il n’y a pas de rupture, que les rails sont déjà posés, assemblés, le train est lancé, sans arrêts jusqu’au terminus, qu’on peut s’asseoir et regarder par la fenêtre, le trajet se fera malgré soi. C’est faux. L’allant demande du soin et de la surveillance.

Il s’agit de keep going.

Il s’agit de perpétuel recommencement. C’est ça le plus exigeant. C’est pas de commencer, où le piquant de la nouveauté et la fierté de s’y mettre sont très puissants.

Continuer – à la différence de commencer ou même de terminer – c’est sans gloire, sans applaudissements, même de soi à soi. Tu es simplement en train de continuer, de reprendre ce que tu faisais, d’insister, de recommencer, de refaire, de répéter, de poursuivre. C’est la base, le minimum syndical, ce que tout le monde attend, et tu ne vois pas que l’exploit en fait il est là.

Je repense à Angot et à cette interview où elle parle du travail d’écriture ; elle dit : « Le savoir-faire ne compte pas. Le seul savoir-faire, c’est supporter de ne pas y arriver pendant longtemps. »

J’admire la persévérance. Je ne parle pas d’entêtement, de continuer dans une mauvaise direction coûte que coûte, mais de la ténacité et de la constance, quand on sait qu’on tient quelque chose, que ça nous fait du bien ou que ça vaut le coup et qu’on se fait le gardien de notre allant.

J’apprends dans ce domaine, je suis encore dans les très grands débutants.

Alors je n’ai pas de supers conseils ou recettes à ce propos.

Tout ce qui me vient c’est : est-ce qu’on se félicite assez, soi-même et entre nous, pour tout ce qu’on recommence, tout ce qu’on persévère ?

On applaudit les débuts et les achèvements, est-ce qu’on célèbre assez toutes les heures entre les deux, où s’entremêlent étrangement le flow, le doute, les blocages, les eurêka, les trébuchements, les résultats fluctuants, les nouveaux nouveaux départs, la rage de ne plus savoir comment ni par où, le courage de repartir de plus bas, le kiff des petits pas ?

C’est pourtant là qu’on s’expérimente vraiment. C’est là que ça se passe.

Ce sont des heures, couronnées ou non de succès, qui méritent un peu plus de reconnaissance et d’encouragement. Moi-même, je ne le dis pas assez autour de moi, et je me note aujourd’hui (car joie de ce challenge d’écriture, je ne l’avais jamais réalisé avant cet instant) de féliciter davantage les keep going que je peux voir ici et là.

Et parce qu’il ne s’agit pas de « continuer », on peut chaque jour réajuster, faire un peu différemment si la veille était sans allant ou sans résultats, on peut chaque jour assembler les rails autrement, donner au train une nouvelle direction, ou une nouvelle allure. Recommencer c’est la possibilité renouvelée quotidiennement de ne pas rester dans la continuité. C’est garder le désir et la curiosité pour l’énigme, le mystère de ce qu’on est en train de faire. C’est prendre soin de l’allant, du mouvement.

Je ne sais pas ce que tu es en train de faire ou ce que tu veux recommencer demain ou dans quelques jours, puis chaque jour, mais je tiens à te dire : keep going.

On ne peut pas. Et on écrit.

« Ecrire.
Je ne peux pas.
Personne ne peut.
Il faut le dire : on ne peut pas.
Et on écrit.
(…)

L’écriture, c’est l’inconnu. Avant d’écrire, on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité.
C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps.
(…)
Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait pas, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine.
Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait – on ne le sait qu’après – avant, c’est la question la plus dangereuse qu’on puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi. »

Marguerite Duras, Ecrire, 1993

Tu commences sans savoir

Dans un post intitulé Non-negotiable, Austin Kleon écrit : « It’s not easy to sit down every day with next-to-nothing and try to make something appear. But this portion of our day is non-negotiable. You start out not knowing and go from there. (Remember: It doesn’t have to be good, it just has to exist.)« 

Partir à l’aventure

C’est plutôt magique le commencement. Tellement magique qu’on ne sait pas très bien où ça se situe. Un voyage par exemple, à quel moment est-ce qu’il commence ? Quand on en a l’envie, quand on le rêve, quand on laisse courir ses pensées sur l’atlas ou qu’on zoome sur google maps, quand on achète un guide ou un billet, quand on fait sa valise, quand on ferme la porte de chez soi, quand on s’asseoit dans le train ou dans l’avion, ou dès qu’on marche enfin dans des rues inconnues ?

Idem pour un projet de création ou d’entreprise, c’est quand, c’est quoi, le commencement ?

Dans Comme un avion, Bruno Podalydès filme et interprète un passionné d’aéropostale qui décide d’entreprendre une petite expédition en… kayak. Première partie du film : la découverte fascinée de l’objet, sur internet puis en vrai au déballage du colis, le montage laborieux du kayak dans son salon puis sur le toit de sa maison, le soin pour dresser la liste du matériel à emporter (« oui » dit-il, « j’accorde une grande importance au matos »), le manuel des castors juniors à portée de main, l’excès de zèle pour s’équiper. C’est clairement la meilleure partie du film, avant que le kayak ne flotte sur l’eau, parce que Podalydès est un spécialiste de la préparation, du rêve à matérialiser, des panoplies du commencement. C’était pareil dans Liberté-Oléron, un autre de ses films, où le père de famille en vacances se fantasme capitaine de bateau, fait la folie d’en acheter un, on suit là aussi tous les préparatifs, le matériel, la documentation, le rêve d’enfant et les joies et déboires de l’adulte dans la réalité.

« Dans le jardin familial, j’adorais avec Denis construire des radeaux, donc on posait juste des planches dans le gazon et on y séjournait comme si on était sur le Kon-Tiki, coupés du monde, on se croyait en mer. Et mon plaisir le plus intime, c’était de me mettre sur le bord de la planche et de regarder la fin du radeau, là où on est encore sur le bois, et l’herbe c’était l’océan. Et cette espèce de frontière, l’aventure, intérieure/extérieure, jmsuisdit comment je pourrais raconter ça au cinéma : ce début de l’aventure, le voyage, être chez soi, comme on est chez soi chez Jules Verne dans le sous-marin, et en même temps dans le monde, extérieur. » (Bruno Podalydès dans cette interview ci-dessous)

J’ignore si c’est vraiment le commencement, mais j’aime ces débuts-là, ce moment où le kayak prend soudain toute la place dans notre vie, on l’apprivoise, il nous résiste, on se prépare, on s’apprête, on liste, on se procure, on accumule, tout cet avant d’aller sur l’eau.

Ce goût singulier de s’y mettre un peu, avant de s’y mettre vraiment. Le plaisir de se projeter et de soigner tous les signes de ce qui est à venir.

Je sais aussi que j’aime un peu trop ça. J’ai tendance à fixer le bord du radeau, rêver l’herbe-océan, collectionner des panoplies, ne jamais commencer vraiment.

Mon projet, mon kayak à moi, n’est pas un projet d’écriture mais ce sont les exemples tirés de l’écriture et de la création qui me parlent le plus sur ces sujets du faire et du commencement. Peut-être parce que c’est l’un des domaines où j’expérimente aussi la Résistance (Steven Pressfield, War of art), et où j’apprends, cahin-caha, à lui tenir tête.

Alors pour finir sur le commencement, voici deux ressources de ma panoplie :