Un livre m’attend. Sur le pouf. Cinq autres m’attendent sur le porte-plantes. Deux autres patientent sur la table de chevet. Ne parlons pas des centaines en sursis dans la billy et sur les étagères. Chaque livre posé attend d’être lu. J’imagine qu’on pourrait faire un film, comme Toy Story, en remplaçant les jouets par des livres et l’enfant devenu grand par n’importe qui souffrant de tsundoku. J’aimerais beaucoup voir les pages de Kafka, Garouste et Levé converser, comploter, échafauder toutes sortes de plans ingénieux pour être enfin tournées. Mais ce ne sont pour l’heure que des livres posés.
Me trotte de plus en plus l’envie d’écrire, ailleurs, sous mon vrai nom, sur ce que j’étudie. Ici, je partage en méta sur mes études, quasi jamais sur ce que j’apprends. Je vois pourtant bien l’utilité d’en parler. Je vois moins bien comment. Et je crains la masse de travail supplémentaire que ça impliquerait. Je m’interroge enfin sur ce cloisonnement des espaces : est-ce viable ? est-ce nécessaire ? J’aime ici mon presque anonymat, la possibilité d’être lue, et de ne pas être lue, de me soustraire au regard des familiers, au devoir-être, au devoir-dire d’une certaine manière, une tentative de liberté. Une tentative, peut-être pas une réussite.
Ce week-end, m’est venue l’idée* de publier ici mes objectifs, et surtout d’y revenir ensuite pour dresser un état des lieux, commenté. Une façon de m’engager, d’augmenter les chances de faire ce qui est dit. Une manière aussi de prendre le temps de regarder comment j’ai fait, ce qui marche et ce qui résiste.
En avril 2022, j’ai entamé un journal d’études audio. Chaque matin, j’ouvrais la fonction dictaphone et partageais mes intentions du jour, et chaque soir, je revenais sur les réalités du jour, l’accompli et les ressentis, les faits et le vécu. Et je publiais, quotidiennement. Soutien solide de mes efforts, ce rituel m’a remis le pied à l’étrier, j’ai formidablement bien travaillé.
Je m’interroge sur la fréquence : publier des objectifs annuels, mensuels, hebdomadaires, journaliers ? Ce matin, la fréquence hebdomadaire me semble appropriée : suffisamment régulière pour créer une tension, un mouvement, suffisamment espacée pour avoir le recul et la matière pour commenter. Je m’autorise la possibilité de changer en cours de route.
Je m’interroge aussi sur la nécessité de thématiser cette publication : faut-il restreindre aux objectifs en lien avec mon projet de formation, avec ma recherche d’emploi, avec le soin de soi, avec les pratiques d’écriture ? Je décide que ça n’aurait pas beaucoup de sens de compartimenter et qu’il vaut mieux que la publication soit le reflet de ces tous azimuts, au risque d’être un peu foutoir.
Enfin, je m’interroge sur l’intérêt que ça peut représenter pour celleux qui me liront. Que vaut cette idée ? Est-ce qu’elle ne sert qu’à moi ? Est-ce que cela peut soutenir les efforts et la réflexion d’autres personnes ? Je ne peux pas savoir avant de le faire. Et ma foi, je me fie à mon propre goût, j’aime lire ce genre de choses ailleurs, j’y trouve une impulsion ou un écho. Ce qui n’est pas rien.
Études lire les 40 pages de V., jusqu’ici parcourues en diagonales, noter les points essentiels de chaque section, être capable de les restituer travailler en profondeur les notes du cours du mardi, identifier tes questions restantes lire le texte à présenter de C., faire une première passe pour cerner les mouvements du texte, les questions, les difficultés lire le livre de C. retranscrire les notes du cours du vendredi contacter l’administration pour clarifier les possibilités du stage
Recherche emploi chaque jour candidatures, ne pas y passer plus de 2h
Écriture envoi d’une newsletter chaque jour un réel à prise rapide bonus : chaque jour un billet de blog
Soin de soi chaque jour yoga chaque jour marche chaque jour pages du matin, sur papier ou sur 750words
EDIT du 16 janvier 2023 : retour sur ces objectifs, une semaine plus tard, dans le travail en revue #1
« Accomplir sa tâche, sans chercher à tricher, à tromper ou à se dérober. Quoi qu’il en coûte. Faire ce à quoi on s’est engagé. Penser à SDG et agir en conséquence. On n’a pas besoin d’entreprendre plus que ce dont on est capable. Apprendre à renoncer, quand le combat est vain. Reconnaître ses défaites. Ne pas toujours être le meilleur. Se pardonner, car personne d’autre ne le fera (ou ne se donnera la peine de le faire). »
« The work likes to be fluid. Fluidity is joyful — if you are having fun you throw things at the page willy-nilly. Having said that, I generally write something, reread it, read it again, reread, read it out loud, read, reread, congratulate myself, castigate myself. Back and forth x 1,000. Phew. The first paragraph. »
It’s weird. I never get a creative block. Everything I do is always a wormhole for another thing I’m interested in. I read so much. I consume so much literature and I do research. I spend so much time at libraries that it’s impossible that I would run out of any sort of desire to reflect on or create something from what I’m constantly reading or interested in.
I see a lot of my creative friends who are going through creative blocks, and it’s usually more from them being concerned about themselves and not their creativity, or concerned about how the world perceives them and not about actually putting out work based on what you’re doing.»
everything I do is always a wormhole for another thing I’m interested in
« Je n’ai pas d’objectif noble, ni de message à transmettre. J’ai un besoin égoïste de collectionneuse. Peu importe le médium s’il permet de capturer au mieux ce que je sens et ce que je ressens. Je n’ai pas peur des accidents dans mon processus, ils expriment le jeu du hasard dans la vie. Les accepter transforme mon travail en pratique spirituelle. »
je n’ai pas peur des accidents
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Marina Foïs, en parlant d’Eric Lartigau, au micro de Totemic (25’15) : « Il croit qu’il parle anglais, mais il parle pas du tout anglais et il est complètement décomplexé. Et un jour pour dire « moi, tu sais, je suis toujours un peu dans le brouillard« , il a dit « you know, I’m always on a little frog« . Ça, moi, ça me fait ma journée.”
J’ai mis le réveil hier soir en pensant je m’y tiendrai, il faut retrouver une organisation, la solidité des journées travaillées, le sens du temps. La douce fierté ce matin d’avoir réussi. Pour autant, se lever ne suffit pas, je traîne une heure radio-café dans la pénombre, le jour enfin se lève et ça suffit. Lumière (bleue). J’écris du journal, j’écris : J’ai beaucoup de choses à faire, beaucoup de retard, par où commencer ? Ai-je besoin d’une todolist ? Peur qu’elle m’effraie. Peut-être malgré tout que cela m’aiderait. Allons bon, je tente, je vais ouvrir leuchtturm – à tes souhaits – pour voir un peu. Heureusement, le journal est là, et me donne un début. Allons bon, je tente, j’ouvre le carnet (bleu), je tourne la page qui abrite mes quelques vœux, j’inscris la date d’aujourd’hui, je liste écrire, rappeler M., lire C., lire V., postuler (au moins 2), retranscrire l’i., l’e., et l’i.s.. Je relis et je dégraisse. En bas de la page, je note à ne pas faire aujourd’hui, en voilà déjà trois qui peuvent attendre. Et je trace un trait, j’isole, je note 1) job 2) rappeler M., rassemblés d’une accolade auprès de laquelle j’écris le + important, souligné avec conviction. J’encadre les deux élus au stabilo, la force du fluo. Aujourd’hui, deux candidatures envoyées, M. rappelée, et quelques fois vu le ciel (bleu).
Aujourd’hui, les petits yeux après une nuit plutôt infernale, que je range volontiers derrière moi, dans les pires souvenirs d’avant 2023. Résolution prise au coucher, au réveil : désormais, je prends les devants, j’organise, je propose, j’invite, je concocte de bons moments, et ne dis plus oui à tout bout de champ, mue par la peur d’être rabat-joie. Je crée ma joie, je n’attends pas. Les petits yeux et le corps pâteux, j’envoie des whatsapp et j’en reçois. Cœur. Cœur. Cœur. Je joue le jeu, je reste là. Je veux marcher, un peu, faire quelques pas, démarrer l’année comme ça : 1 kilomètre 2. Un tour du quartier pour revenir au point de départ : chez soi. Si ça tient toute l’année, chaque jour écrire, marcher, ce sera une révolution.
Très envie d’écrire encore aujourd’hui. Mais j’aimerais aimer ce que j’écris. Je suis à mon bureau, devant l’ordinateur, j’ouvre des onglets, je lis des blogs espérant qu’ils me mettent le pied à l’étrier. Je tente quelques phrases. Vite bazardées. J’ai besoin de plus de Kleon (il occupe sans le savoir toutes mes pensées de fin d’année), et je vais chercher dans ma bibliothèque ses 3 livres. Un chapitre s’intitule “Éloignez-vous de l’écran” : “Observez une personne devant son ordinateur, elle est immobile, elle ne bouge pas. (…) rester assis toute la journée devant un ordinateur peut nous tuer et asphyxier ce que nous faisons”. Je n’ai presque pas marché depuis mon test positif, je suis peu sortie, et je sais que ça n’est pas bon. On écrit presque immobile, mais pour écrire, il faut bouger.
Nous y voilà, le 31. J’ai parlé hier d’un exercice assez classique pour faire un “bilannée”. Je préfère finalement ce mot à celui de bilan qui m’évoque des réunions poussiéreuses et saturées d’affreux powerpoint. Revenons à nos moutons, cet exercice de bilannée consiste à extraire des choses faites, vécues, ce qu’on en a appris. Comme on extrait le jus d’un fruit. Délicieux. Vraiment. Super antidote au risque de prendre les faits pour des faits accomplis, sans vie, bouche bée. Super invitation à regarder ce qu’ils ont semé pour la suite, ce qu’ils ont à nous dire. Les ranimer pour les faire balises de nos sentiers.
Dans mon bilannée, j’ai donc d’abord listé quelques trucs que je trouvais réussis, dont j’étais plutôt fière, et je me suis demandée ce qui avait permis, facilité ces choses-là. Puis j’ai listé quelques trucs que je trouvais ratés, manqués, dont je n’étais pas très fière, ou frustrée, et je me suis demandée ce qui avait empêché, fait obstacle, ou provoqué ces choses-là.
J’aime lire ce que d’autres ont appris, la façon dont iels explorent leur propre vie, ce qui taraude, ce qui réjouit, et ce qu’iels peuvent en dire. Alors je partage ici, moi aussi, quelques choses apprises cette année :
n’attends pas d’être prêt-e, d’être préparé-e : j’ai enfin interviewé A., alors que j’en parlais depuis bientôt 3 ans je crois. Si j’ai tant repoussé, c’est parce que j’attendais de savoir précisément le fil rouge de l’entretien, les thèmes à aborder, les questions que j’allais poser, et le format dans lequel je le restituerai. Un jour, j’ai enfin dit, sans rien savoir de tout ça : notons une date dans l’agenda! Deux heures avant l’interview, je n’avais rien de prêt, je me suis attablée et assez vite j’avais sous les yeux une dizaine de pages de questions (oui, c’est trop). L’interview est faite, et en cours d’édition pour être bientôt publiée (j’ai hâte !). J’ai adoré ce moment. N’attends pas d’être prêt-e. J’ai été très nostalgique cette année de celle que j’étais 10 ans plus tôt, de mes audaces, de mes effervescences, d’un tas de choses faites, et en regardant bien, je me suis rappelée ma technique imparable à l’époque : je disais je le fais avant de savoir comment.
pars du principe que tu vas y arriver : je me suis lancée seule dans un montage de meubles assez complexe, avec un mode d’emploi qui dit bien qu’il faut être deux, et j’ai craint jusqu’au dernier moment de ne pas pouvoir soulever la bête. Mais je suis partie du principe, dès que j’ai ouvert les cartons, que j’allais y arriver. C’était décidé. J’ai sué, soufflé, pesté, paniqué, pris des photos pour m’auto-féliciter, mais j’y suis arrivée. Et j’ai réalisé à quel point, sans même me le formuler aussi clairement, je décide parfois que je ne vais pas y arriver, que c’est hors de ma portée, hors de mes capacités. Je me demande tout ce qui pourrait exister si je décidais d’emblée que je vais y arriver.
le dernier coup de collier : c’est une expression bien enracinée dans mes souvenirs d’enfance, donner un coup de collier, fournir cet effort soutenu, sur une période donnée, pour enfin, enfin, venir à bout de ce qu’on a commencé. J’ai entrepris cette année un grand rangement de mes papiers, photos et tous fichiers numériques, vaste chantier, et alors que j’avais presque fini… je me suis écroulée de lassitude, et j’ai laissé tomber. Je ne sais même plus où j’en étais du classement, c’est beaucoup plus dur de s’y remettre que ça ne l’aurait été de continuer et de terminer ! C’est un exemple parmi d’autres : je me vois faire l’effort, le plus dur presque, et c’est juste avant la ligne d’arrivée que je choisis au lieu de parcourir les derniers mètres d’aller poser mes fesses sur le côté. Bon, pour la suite, je tâcherai d’être attentive sur certains projets au dernier coup de collier. Au courage de faire les derniers mètres.
temps morts et pratiques vivantes : ça tourne en boucle, quand j’écris (oh je n’y arriverai pas, je n’y arrive plus, pas comme avant), quand j’étudie (oh je n’arrive plus à travailler autant, comment me discipliner, ça ne reviendra jamais et autres sanglots étouffés d’anxiété) et puis finalement j’écris et j’étudie. Et j’y prends un plaisir inouï. C’est toujours la même histoire, parce que ça n’est qu’une histoire. Ma légende personnelle – quoique je crois la partager avec un bon nombre de personnes -, ce récit dans lequel j’aime me vautrer, qui me fait perdre un temps fou. Oui, ça revient. Oui, je peux écrire de nouveau, c’est dur mais je peux. Oui, je peux étudier de nouveau, lire, rédiger, me discipliner, m’y tenir. L’erreur, vraiment, c’est plutôt d’arrêter. Tous les temps morts dans ces pratiques vivantes qui me font croire que ce qui était possible hier requiert une force surhumaine aujourd’hui. Garder le rythme, garder le lien avec son travail, son écriture, ses projets, soigner ces relations-là aussi. Faire un peu, souvent. Ne pas laisser des temps morts s’installer trop longtemps. Maintenir ses pratiques vivantes.
tourne la poignée : la peur a pris beaucoup de place, a grignoté du terrain sur ma vie, mon quotidien ; et si, le plus souvent, j’ai réussi à faire ce que j’avais à faire malgré tout, c’est en pensant à ce passage du livre Wild de Cheryl Strayed sur la peur et la puissance (cité ici). Parfois, ces derniers mois, la main sur la poignée de la porte, quand tout mon corps se figeait, je pensais à elle, randonnant seule sur le Pacific Crest Trail, à ce passage de Wild, et je tournais la poignée. J’y allais. La peur prend tous les bouts de terrain que tu lui laisses. Elle s’immisce partout où elle peut. Elle gagne sans se battre, elle gagne où tu ne luttes pas. Tourne la poignée.
Aujourd’hui youpi ! J’ai enfin écrit une newsletter, un billet de blog et publié une cueillette de choses aimées. Après des mois d’absence et de silence, écrire est laborieux. Les idées qu’on pensait nettes atterrissent toutes ratatinées, mal ficelées sur le “papier”, la mélancolie déborde de partout quand on voudrait pourtant passer une onde enjouée, joyeuse, habitée et l’inquiétude surgit de ne plus jamais y arriver. Dans ma newsletter, une phrase que j’ai dite : “je préfère essayer, risquer de faire un truc nul plutôt que rien du tout.”. Je le pensais vraiment, et j’espère m’en souvenir dans les prochains jours.
Quelques choses cueillies qui donnent du cœur à l’ouvrage.
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Ce dialogue dans la série géniale Only murders in the building :
– We don’t want to make a mess of this.
– AH HA !, lean in for the nugget, folks. Are you ready for the nugget ? Embrace the mess. That’s where the good stuff lives.
Embrace the mess.
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William Faulkner : « Écrire, c’est comme craquer une allumette au cœur de la nuit en plein milieu d’un bois. Ce que vous comprenez alors, c’est combien il y a d’obscurité partout. La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mieux mesurer l’épaisseur de l’ombre »
Craquer une allumette.
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Cheryl Strayed dans Wild : « Je savais que si je laissais la peur m’envahir, mon voyage était voué à l’échec. La peur est en grande partie due aux histoires qu’on se raconte, alors j’avais décidé de me raconter autre chose que ce qu’on répète aux femmes. J’avais décidé que je ne courais aucun danger. J’étais forte. Courageuse. Rien ne pourrait me vaincre. M’en tenir à cette histoire était une forme d’autopersuasion, mais, la plupart du temps, ça fonctionnait. Chaque fois que j’entendais un bruit d’origine inconnue ou que je sentais quelque chose d’horrible prendre forme dans mon imagination, je le repoussais. Je ne me laissais tout simplement pas impressionner. La peur engendre la peur. La puissance engendre la puissance. Alors j’avais opté pour la puissance. Et il n’a pas fallu longtemps pour que je cesse réellement d’avoir peur. »
La peur engendre la peur. La puissance engendre la puissance.
« Quand on me demande ce qu’est la poésie par exemple, je n’ai pas de définition très claire mais il me semble que c’est un positionnement. C’est toujours le pas de côté qu’on va faire sur tout type de situation, tout type de sentiment, que ce soit la tristesse ou la joie. Il suffit de faire un tout petit pas de côté pour changer l’angle de vue. Et tout de suite, ça devient un petit peu étrange et un peu plus poétique. Moins personnel aussi. C’est aussi ça pour moi l’enjeu. »
« Je ne joue pas, je dis. Le texte, rien que le texte. C’est la seule façon d’échapper selon moi à la dictature de ce qu’on est, de soi-même, de son corps, de ses défauts et même de ses qualités. S’estimer vachement beau est aussi dangereux que s’estimer nul et moche.La seule façon de se débarrasser de soi, c’est de se missionner pour quelque chose d’autre. Se missionner pour un metteur en scène, c’est dangereux. Se missionner pour un texte, c’est pas dangereux. Il ne peut pas y avoir d’abus avec le texte, le texte il est là. Il a été écrit pour l’humanité, pas spécialement pour toi. En s’oubliant, en se missionnant, c’est là qu’on apparaît. Finalement on apparaît quand on cherche pas à apparaître. »
En s’oubliant, en se missionnant, c’est là qu’on apparaît.
« Un des encombrements les plus importants quand on écrit, c’est soi. Parce qu’on n’est que soi déjà, c’est tout petit. On sait pas grand chose, on sait pas faire grand chose, on a une toute petite vie, on n’en a qu’une. Pfffou qu’est-ce qu’on va faire avec ça ? Et puis surtout on se dit : « Qu’est-ce que je vaux ? Pourquoi j’écris ? Qu’est-ce qui me prend d’être là ? Qu’est-ce qui me prend de prendre la parole ? Pourquoi moi ? Je pourrai faire mieux. Je suis paresseuse. Et ils font quoi les autres pendant ce temps-là ? Ah, ah oui, oh là là c’est mieux. » Tout ça, c’est de la perte de temps. Et parfois oui c’est triste, oui on est un peu triste parfois quand on écrit. Avec la traduction, c’est la joie du mot, c’est la jubilation de l’écriture, et il n’y a pas tout ça. Mais, mais, mais, mais. Parfois, quand on écrit, ça se passe bien. »
Et à la question “Qu’est-ce qui est intraduisible pour vous ?”, Agnès Desarthe répond :
« Rien ! (…) Rien, c’est la même réponse que si je vous répondais tout.(…) C’est parce que tout est intraduisible que rien n’est intraduisible. Traduire c’est voué à l’échec. Un jour on m’a demandé quel était le mot qui définissait le mieux mon activité, et j’avais dit : déception. Quand j’écris, c’est décevant. Quand je fabrique, c’est décevant. Quand je traduis, c’est décevant. La déception, c’est très au coeur de mon métier. C’est impossible ! C’est impossible de traduire. Mais c’est comme dire c’est impossible de connaître l’autre. Est-ce que c’est vraiment une raison pour rester chez soi, tout seul, à moisir ? Au contraire ! Essayons… Puisque c’est impossible. Essayons. Et essayons de toutes nos forces. On peut que aller vers le mieux, puisqu’on part battus. »
Essayons de toutes nos forces. Puisque c’est impossible.
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Joan Didion, dans la préface de son premier recueil d’essais Slouching Towards Bethlehem (1968), citée par Mason Currey dans sa newsletter :
« Je ne sais pas ce que je pourrais vous dire de plus sur ces textes. Je pourrais vous dire que j’ai aimé en faire certains plus que d’autres, mais que tous ont été difficiles à faire et m’ont pris plus de temps qu’ils n’en valaient peut-être la peine ; qu’il y a toujours un moment dans l’écriture d’un texte où je suis assise dans une pièce littéralement tapissée de faux départs et où je n’arrive pas à mettre un mot après l’autre et où j’imagine que j’ai subi une petite attaque cardiaque, me laissant apparemment indemne mais en réalité aphasique. »
L’année se termine et convoque des promesses de nouveau départ, des envies de bilan, d’inventaire, une petite musique de réjouissance et de mélancolie. L’année se termine, on veut pouvoir en saisir quelque chose, s’en faire une idée, en tracer des contours, et esquisser un peu de ces lendemains à venir. Sentir que le temps ne passe pas sans nous, qu’on y peut quelque chose, qu’on en fait quelque chose.
Voici mes outils favoris pour ce passage d’une année à l’autre :
La liste des 100 choses qui ont fait l’année
C’est un rituel d’Austin Kleon. Il dresse une liste de choses qui ont fait son année. J’ai tout de suite aimé l’idée, mais je ne soupçonnais pas la puissance de l’exercice. On peut y mettre tout ce qu’on veut, et on peut bien sûr dépasser le nombre de 100 : la mienne contient des choses faites, des gens, des choses aimées (lues, entendues, vues, goûtées, senties), de courts instants, des bonnes et des mauvaises habitudes, ce qui a pris de la place, ce qui a manqué parfois, des hésitations, des franches décisions, des sensations et sentiments, des achats judicieux, des bêtises qui m’ont fait rire. On pourrait craindre d’être submergé-e de nostalgie ou de regrets, et c’est tout le contraire qui se produit. Il y a l’effort de mémoire, soutenu par des traces à explorer (notes dans les carnets, agenda, favoris internet), et vite remplacé par la surprise des souvenirs oubliés qui rappliquent. Il y a la merveilleuse découverte de ce qui a compté, des nuances de couleur, on peut voir combien l’important se niche aussi dans les détails, dans cet ordinaire, voire infra-ordinaire, qu’on disqualifie trop vite dans les bilans classiques échecs/réussites. La liste des 100 choses qui ont fait l’année est un instrument fabuleux pour révéler l’épaisseur cachée de la vie, pour mettre en relief “ce qui se passe quand il ne se passe rien” comme le nomme Georges Perec. Fais-le, ça fait un bien fou ! Sans parler du plaisir étonné de relire cette liste les années suivantes.
Choses réussies, choses ratées, et choses apprises
Plus classique, mais très efficace. Liste 3 choses réussies, choses dont tu es fier·ère, et note : qu’en as-tu appris, qu’est-ce qui t’a aidé, qu’est-ce qui a permis, facilité ces réussites-là ? Puis liste 3 choses ratées, et note : qu’en as-tu appris, qu’est-ce qui a fait obstacle, qu’est-ce qui a provoqué l’échec, empêché la réussite, l’aboutissement ? À nouveau, le chiffre 3 est une façon de circonscrire l’exercice. Pour ma part, j’y mets plus ou moins de choses selon le besoin. J’ajuste de sorte que le “bilan” me soit vraiment utile. Attention : on ne s’apesantit pas sur une liste sans fin des projets pas finis, des erreurs qu’on a faites, en se tapant sur le bout des doigts, et on se concentre sur ce qu’on a appris de ces expériences. C’est riche d’enseignements ! Prends un quart d’heure, fais-le, ça vaut le coup. Surtout pour pouvoir faire l’exercice suivant.
Trois mots pour l’année à venir
C’est un outil de Cécile Bayard qui propose depuis plusieurs années un challenge pour faire le bilan de l’année passée et fixer ses objectifs de l’année suivante. (L’exercice précédent en est partiellement inspiré). Après avoir fait une sorte de bilan échecs/réussites donc, et avant de travailler ses objectifs, elle propose de se donner un cap pour l’année à venir, des intentions, sous la forme de trois mots, qu’on peut accompagner de trois images. Trois mots, qui nous parlent, qui vont nous guider, éclairer nos nuits, nos doutes, nos tempêtes, qui vont baliser le chemin, et nous rappeler ce qui est important, dans quelle direction on veut aller. Ils pourront changer. Pour l’heure, choisis-en trois. J’ai choisi les miens après avoir fait l’exercice précédent donc, ils sont arrivés vite, ils ont tout de suite porté la chaleur de mots-compagnons, ajustés, adéquats, simples, porteurs, moteurs. Nul besoin de chercher des mots exceptionnels, des mots compliqués, choisis-les, laisse-les te choisir. Je les ai avec moi pour l’année qui commence, à la fois soutien et horizon.
Quelques exemples (je ne les ai pas tous retrouvés) : Pour 2019, j’avais se reconnecter, s’éclater, créer Pour 2021, j’avais cœur, fantaisie, vitalité Pour 2023, j’ai corps, liens, écriture
La liste des 101 désirs
C’est un outil que j’ai essayé ce printemps, et je le trouve plutôt approprié pour débuter la nouvelle année. Je l’ai découvert ici, je t’invite à lire l’article en entier, et particulièrement les règles pour rédiger cette liste de 101 désirs : notamment les formuler en “je veux”, de façon positive, et concrète, éviter les désirs en série, et ne pas demander pour d’autres personnes. Il est préconisé d’écrire d’abord 150 désirs en brouillon, puis d’en choisir 101 et de les écrire au propre, et enfin de les relire chaque jour. Bon, de mon côté, je n’avais pas dépassé 56, je n’ai pas ré-écrit ma liste, et je n’ai pas relu chaque jour mes désirs. Bouh, la mauvaise élève. Mais je suis tentée de recommencer, d’essayer de suivre cette fois les consignes, car le simple fait d’écrire ces 56 désirs, dans les contraintes d’écriture indiquées, avait suscité déjà un énorme regain d’énergie et de détermination, une exploration profonde et surprenante, et la réalisation effectivement assez rapide de plusieurs désirs listés. Essayons ! Je ne sais pas si j’arriverai à 101, sans même parler de 150, mais le plus important je crois sera surtout de relire régulièrement.
La lettre à l’année passée
L’équipe de livementor dans son défi “Planifier et réussir son année” suggère cet exercice : en quelques minutes, écrire une lettre à l’année 2022 (inspiré de la méthode Journal Créatif d’Anne-Marie Jobin). En écriture spontanée, c’est-à-dire le plus vite possible sans réfléchir, sans s’arrêter. Et en écriture superposée, c’est-à-dire en écrivant par-dessus chaque phrase afin de les rendre illisibles. L’objectif est de se libérer, “d’y mettre toutes vos émotions, jugements, ce qui vous dérange, ce qui vous a plu, nourri, etc.”. Puis donner un titre : un mot qui représente cette relation avec l’année passée. J’ai donc mis un chrono de 7 minutes comme suggéré, et j’ai écrit cette lettre en écriture illisible. Hormis le plaisir de l’écriture superposée (et la joie donc de découvrir les techniques d’Anne-Marie Jobin), de savoir que personne ne peut relire, pas même soi, et de pouvoir décharger tout ce qui vient, je n’ai pas ressenti grand-chose avec cet exercice. Peut-être que 7 minutes ne suffisaient pas. Peut-être que les autres exercices cités plus haut avaient déjà fait le job. Je voulais en tout cas te partager cet outil supplémentaire, au cas où il te serait utile.
Raconte-moi tes expériences avec l’un de ces outils !
Et, dis-moi, quels sont tes outils préférés pour finir et commencer l’année ?
Aujourd’hui, il suffirait de tendre les bras, et de taper sur ce clavier. Il suffirait d’essayer. Les idées sont là, ça marine depuis quelques semaines. Ça marine et ça stagne, je me couche en pensant à ce que je rêve d’écrire le lendemain, et chaque lendemain, je n’écris rien. Nous sommes en pleine “dead week” (l’expression est parfaite, relayée par Austin Kleon qui a lu Helena Fitzgerald), le temps s’écoule différemment. Se sentir bonne à rien, et désireuse de tout. La VMC fait un bruit d’enfer, comme une tempête en mer. Il suffirait de tendre les bras, et de plonger.
Des plages mouvantes de presque-sable, sous les arbres, les uns droits, les autres courbés,stratèges, emmêlés, petite forêt dans la rivière endurante, étincelante, toujours vive et claire, entre deux ponts de fer et de pierre,deux ânes gris,patients,et un moulin défense d’entrer. #EspacesCompris
Le divan est plutôt une banquette, d’un rouge profond, avec un coussin pour la tête, et une serviette pour les pieds chaussés. Je m’y installe et je ne sais par quel procédé je choisis ce sujet plutôt qu’un autre pour commencer, quand deux ou trois autres me trottaient encore dans la tête une seconde plus tôt quand j’étais debout juste avant de m’allonger. Je dis quelque chose. Je choisis de dire quelque chose. Je dis aussi que je n’ai rien à dire en société. La voix qui reste là, qui ne part pas, m’invite à distinguer : n’avoir rien à dire et ne pas avoir envie de parler. J’entends et je crois que ça me laisse un peu bouche bée. Je dis des choses encore. C’est l’heure. Je sors le chèque de mon porte-monnaie, lui tends et me voilà déjà dans l’escalier, la rue, le métro. De nouveau debout. Adossée aux portes du wagon, quelques morceaux obsessionnels dans les écouteurs, je laisse résoner cette histoire de rien à dire et pas envie de parler. Ça me travaille mais je n’y comprends rien. Aujourd’hui, le prix à payer, c’est aussi ça.