Les 366 réels à prise rapide sont un exercice de style proposé par Cécile Bonifas et Sébastien Onze dans 120 défis d’écriture pour écrire sa vie. Ecrire chaque jour, sur le vif, moins de 100 mots à partir d’une proposition donnée pour chaque date du calendrier. Interdit d’inventer des événements ou de se référer à une journée antérieure. La liste des propositions est facile à trouver (tapez « 366 réels à prise rapide » sur votre minitel). Toutes commencent par « aujourd’hui ».
Je me suis lancée dans cet exercice le 28 février 2022, voici mes « aujourd’hui » du plus récent au plus ancien de l’année 2022. Sur le vif signifie que j’ai écrit le réel le jour prévu. Sur le tard signifie que je l’ai écrit…en retard. Dis-moi si tu y joues aussi – j’adorerais te lire – via les commentaires en bas de page ou en me contactant directement.
Pour 2023, tu retrouveras les réels à prise rapide à cet endroit.
Aujourd’hui ce qui demeure immobile
31 décembre 2022 – sur le vif
Très envie d’écrire encore aujourd’hui. Mais j’aimerais aimer ce que j’écris. Je suis à mon bureau, devant l’ordinateur, j’ouvre des onglets, je lis des blogs espérant qu’ils me mettent le pied à l’étrier. Je tente quelques phrases. Vite bazardées. J’ai besoin de plus de Kleon (il occupe sans le savoir toutes mes pensées de fin d’année), et je vais chercher dans ma bibliothèque ses 3 livres. Un chapitre s’intitule “Éloignez-vous de l’écran” : “Observez une personne devant son ordinateur, elle est immobile, elle ne bouge pas. (…) rester assis toute la journée devant un ordinateur peut nous tuer et asphyxier ce que nous faisons”. Je n’ai presque pas marché depuis mon test positif, je suis peu sortie, et je sais que ça n’est pas bon. On écrit presque immobile, mais pour écrire, il faut bouger.
Aujourd’hui une phrase que j’ai dite
30 décembre 2022 – sur le vif
Aujourd’hui youpi ! J’ai enfin écrit une newsletter, un billet de blog et publié une cueillette de choses aimées. Après des mois d’absence et de silence, écrire est laborieux. Les idées qu’on pensait nettes atterrissent toutes ratatinées, mal ficelées sur le “papier”, la mélancolie déborde de partout quand on voudrait pourtant passer une onde enjouée, joyeuse, habitée et l’inquiétude surgit de ne plus jamais y arriver. Dans ma newsletter, une phrase que j’ai dite : “je préfère essayer, risquer de faire un truc nul plutôt que rien du tout.”. Je le pensais vraiment, et j’espère m’en souvenir dans les prochains jours.
Aujourd’hui bras
28 décembre 2022 – sur le vif
Aujourd’hui, il suffirait de tendre les bras, et de taper sur ce clavier. Il suffirait d’essayer. Les idées sont là, ça marine depuis quelques semaines. Ça marine et ça stagne, je me couche en pensant à ce que je rêve d’écrire le lendemain, et chaque lendemain, je n’écris rien. Nous sommes en pleine “dead week” (l’expression est parfaite, relayée par Austin Kleon qui a lu Helena Fitzgerald), le temps s’écoule différemment. Se sentir bonne à rien, et désireuse de tout. La VMC fait un bruit d’enfer, comme une tempête en mer. Il suffirait de tendre les bras, et de plonger.
Aujourd’hui le prix à payer
30 novembre 2022 – sur le tard
Le divan est plutôt une banquette, d’un rouge profond, avec un coussin pour la tête, et une serviette pour les pieds chaussés. Je m’y installe et je ne sais par quel procédé je choisis ce sujet plutôt qu’un autre pour commencer, quand deux ou trois autres me trottaient encore dans la tête une seconde plus tôt quand j’étais debout juste avant de m’allonger. Je dis quelque chose. Je choisis de dire quelque chose. Je dis aussi que je n’ai rien à dire en société. La voix qui reste là, qui ne part pas, m’invite à distinguer : n’avoir rien à dire et ne pas avoir envie de parler. J’entends et je crois que ça me laisse un peu bouche bée. Je dis des choses encore. C’est l’heure. Je sors le chèque de mon porte-monnaie, lui tends et me voilà déjà dans l’escalier, la rue, le métro. De nouveau debout. Adossée aux portes du wagon, quelques morceaux obsessionnels dans les écouteurs, je laisse résoner cette histoire de rien à dire et pas envie de parler. Ça me travaille mais je n’y comprends rien. Aujourd’hui, le prix à payer, c’est aussi ça.
Aujourd’hui rues
29 novembre 2022 – sur le tard
Le bus est en service partiel, on nous débarque à Arts et Métiers. Je cherche avec mes kilos de livres et d’ordi sur le dos une alternative, en bus de préférence. Ces derniers mois, j’ai le temps, le luxe, des trajets longs et lents qui m’offrent le spectacle des rues et des ciels de Paris plutôt qu’une suite précipitée de tunnels et de quais. J’approche d’un autre arrêt : zut, aucun bus ne fait la traversée vers l’autre rive, une manifestation. Tiens, je m’en souviens maintenant, celle des psychiatres hospitaliers. Je ne râlerai pas tant je me réjouis qu’ils occupent la rue et leur souhaite d’être entendus. Je me résous à prendre la ligne 4, que j’évite d’ordinaire soigneusement, et descends au carrefour d’Odéon. Des souvenirs d’une autre époque et l’odeur des crêpes me saisissent en haut de l’escalier. Arrêt : click and collect de Gibert. Arrêt : impression de 13 articles, 200 pages environ. Terminus : le bâtiment de toutes mes soirées, ma quasi deuxième maison cette année. Au milieu, les rues et les ciels de Paris, à pied. Je m’aperçois que je ne le fais presque plus, marcher et les aimer autrement que par une fenêtre vitrée. Merci aujourd’hui pour ces rues, plaisirs imprévus.
Aujourd’hui détails au plafond
28 novembre 2022 – sur le vif
Rendez-vous dans l’affreux bar aux fauteuils en cuir rouge et aux murs miroirs. J’arrive peu préparée, je me dis que si ça doit se faire, ça se fera. Lâcher la bonne élève toujours prête, rêvant d’être parfaite, me fait du bien. Je réponds comme ça vient, je n’ai pas prévu de questions, j’écoute, je parle. Je cherche quand même mon désir au milieu de tout ça. Comment faire pour “y tenir”, quand on décide de “lâcher” ? Je ne connais pas cet endroit funambule, où l’on peut s’engager, désirer quelque chose ardemment, sans pour autant chuter dans des abysses de pression, d’anticipation, de crispation. Aujourd’hui, j’écoute, je parle, je cherche mes réponses en levant les yeux, comme on cherche vainement des détails au plafond.
Aujourd’hui armé comme le béton
27 novembre 2022 – sur le tard
Je marche à ses côtés, dans les pentes du petit parc. Armé de patience et d’un parapluie qui n’aura pas servi, il se prête au jeu d’un cache-cache réclamé par M. et C. que nous gardons ce week-end. Je sais qu’il souffre un peu, son genou le blesse, le ralentit. J’ajuste mes pas. Nous faisons mine de chercher, ici et là, derrière cet arbuste, ce muret, cette allée, lentement. Je prends le temps d’aimer ce moment, et surtout d’être éblouie par ce ginkgo éclatant, radieux soleil dans l’automne gris et froid comme le béton.
Aujourd’hui une bonne chose de faite
26 novembre 2022 – sur le vif
Avant-hier, on sollicite mon avis sur un rapport, j’émets quelques réserves sur la façon dont une page est tournée, on m’invite à rédiger une alternative. Craignant de repousser, de buter, je m’y mets, une fois n’est pas coutume, de suite et ponds la page au plus vite, dans l’heure qui suit la réunion. Aah. Une bonne chose de faite. Hier, on me remercie, pour la tournure plus habile, bien reformulée. Ooh. Une chose bonne de faite. Aujourd’hui, un autre on me dit que l’argumentaire ne tient pas. Aïe. Une bonne chose de faite à refaire.
Aujourd’hui tête pleine de
25 novembre 2022 – sur le vif
Aujourd’hui, tête pleine d’idées sans mots. Je voudrais écrire et surtout publier, revenir habiter ce lieu, je regrette tout ce que je n’ai pas noté ces derniers mois. Il faut tout noter tout le temps, faire des réserves, ne pas croire qu’on se souviendra. Des idées il y en a, la tête oui pleine de ça, mais les mots me glissent des doigts. J’ai peur de ne plus savoir, de ne plus savoir aimer les je-ne-sais-pas.
Aujourd’hui j’étais un animal quand
24 novembre 2022 – sur le vif
Je décide d’écrire à nouveau, chaque jour. D’essayer du moins. Par où commencer quand on a si longtemps arrêté. Le temps, le vide, créent un trop-plein d’attentes et d’exigences. Il faudrait, pour un retour, créer quelque chose d’éclatant, se distinguer. Leçon supplémentaire pour l’avenir : le régulier dégonfle cet orgueil, donne au réel plus de palettes pour exister, du bon, du moins bon, du très mauvais, la douceur de faire avec les jours sans. J’étais un animal tapi, craintif du jeu et du dehors, je sors aujourd’hui voir si l’hiver peut devenir printemps.
Aujourd’hui séduction de
23 novembre 2022 – sur le vif
Aujourd’hui, je prépare à la dernière minute une interview, je prépare trop tard, et quand même je prépare un peu trop. Je ne veux pas d’un truc très édité, très pensé car si c’est joli dans l’idée, je trouve ça moins intéressant à lire ou écouter : on risque de se laisser un peu séduire par soi-même, au détriment de l’écoute de l’autre et de ce qui est présent. Je ne veux pas non plus d’un truc sans queue ni tête, sans cadre, sans intention, sans respect pour celui ou celle qui se prête au jeu. Mystère des choses qu’on évite et dans lesquelles on s’entête : je fais les deux. Quelque chose de trop pensé, qui ne laisse pas place à l’imprévu, à la pensée qui se construit à deux, aux silences, au spontané. Et quelque chose d’en même temps trop décousu, on ne sait pas où ça va, d’où ça part, pas de fil. Mystère des choses (impar)faites : je trouve malgré tout ce moment très réussi. J’ai adoré et me réjouis de bientôt recommencer.
Aujourd’hui un projet
19 mai 2022 – sur le tard
Aujourd’hui je m’y tiens. Un projet, un seul : étudier. Je m’y remets sans mal, et à peine le choix fait, la passion revient. Je laisse les bribes d’écriture de côté. Je laisse les autres projets en sourdine exister. Sous les arbres, je vois soudain comme ces projets sont familiers. En psychologie, comme en écriture, tout devient matière, à sentir, penser, travailler. En psychologie, comme en écriture, cette même question comme une rengaine : qu’est-ce qu’on en fait ? Créer du possible, de nos impossibles, de nos silences, de nos impasses, de nos inachevés.
Aujourd’hui la sécurité c’est
16 mai 2022 – sur le vif
Aujourd’hui la sécurité c’est tenir fermement mes clés en arrivant dans le local poubelles, prête à les planter dans l’œil de tout individu malfaisant qui surgirait. Personne n’a surgi, j’ai continué de serrer mes clés en remontant.
Aujourd’hui la sécurité c’est employer des mots plutôt délicats et littéraires pour masquer le fait que j’ignore à peu près tout du sujet dont on parle dans cette réunion. Personne n’a remarqué, j’ai continué de sourire en écoutant.
Aujourd’hui la sécurité c’est être désignée personne de confiance par celui qui va subir une petite intervention, et par ce signe-là, se sentir aimée. Personne de confiance, j’ai continué d’y penser toute la journée.
Aujourd’hui un mot en anglais
15 mai 2022 – sur le vif
D’un coup la lumière est tombée, suivie de quelques gouttes. Franches, nettes, menaçantes. Le tonnerre n’a pas tardé, suivi de grands éclairs, juste au-dessus de nos têtes. L’orage en ville vu d’un fauteuil, d’une fenêtre. À la fascination se mêlent un frisson ancestral, une peur lointaine, animale, ce sentiment d’être une bête. Minuscule, vulnérable, à l’affût du fracas, car on ne sait pas de quoi la terre est capable. Me vient ce mot en anglais, puisque le réel en réclame un : awe, sentiment d’admiration mêlé de crainte, terreur, émerveillement. Je jette un œil sur wikipédia. La page est illustrée d’un orage.
Aujourd’hui enfant
14 mai 2022 – sur le vif
Ça va durer combien de temps ?
La jalousie, les comparaisons,
Les alibis, les excuses en carton ?
Quand vas-tu arrêter de faire l’enfant ?
Jamais si c’est grâce à ça aussi que durent les rires, les rêves, le beau, le bon
Aujourd’hui la toute première question qu’on va vous poser
13 mai 2022 – sur le vif
Tu plaisantes ? C’est sans doute la toute première question qu’on me posera si je gagne aujourd’hui. 13 millions, moi qui ne joue jamais, sauf un astro poissons une fois par an. Qu’est-ce que tu comptes en faire ? sera sans doute la deuxième. J’y ai pensé d’un trait avec des euros casino dans les yeux. Très vite défilent trains, cargos, houle et roulis, paysages, et tracent un immense sourire sur mon visage. Pas très original. Heureusement que je n’ai pas gagné, je n’aurai pas à me soucier de l’originalité des toutes premières réponses à donner.
Fragment d’aujourd’hui raconté en poésie
12 mai 2022 – sur le vif
Inquiète
Pas en paix, pas en place
Cherche réconfort, sas et vestibule,
Où patienter, m’impatienter, m’attendrir
Toujours un hier, un demain
Hante, tourmente, ravit l’aujourd’hui
La belle inquiétude, entre les songes et le qui-vive
La belle inquiétude, absente et attentive
Prête à tout moment
Jamais disponible pour autant
La belle inquiétude réclame des mots et du silence
De place et du temps
Car n’est-ce pas là que tout commence ?
Aujourd’hui IL FAUT
11 mai 2022 – sur le vif
Temps merveilleux, idéal pour buller au bord de l’eau, quelque part en France où sentir des pins ou du chèvrefeuille, déjeuner d’une tomate basilic, se laisser bercer par les heures et le vent. Mais il faut travailler, rester à Paris, devant l’écran, ouvrir le livre et continuer, envier le soleil par la fenêtre, repousser les douces rêveries, la tentation de prendre un sac à dos et un aller simple vers un ailleurs au goût d’été. IL FAUT l’écrire en grand car en petit, aujourd’hui, ça ne marche pas.
Aujourd’hui comment lui dire ?
29 avril 2022 – sur le vif
Assise à mon secrétaire d’enfance, blanc écaillé par le temps, le même sous-main aux fleurs roses, au dehors les oiseaux en fête, le même tilleul flamboyant, majestueux s’approche de la fenêtre, au loin tondeuse dans un jardin, chien qui aboie. Le soleil perce. Quelques parfums transportent des années en arrière, mais il n’y a qu’ici, maintenant. Je ne peux pas réellement être autre part qu’ici, maintenant. Et pourtant. Comment lui dire, à cette petite fille, que tout sans cesse disparaîtra, et que tout sans cesse reviendra ? Un jour d’avril, avec au dehors les oiseaux en fête.
Aujourd’hui table de
26 avril 2022 – sur le vif
Sur mon secrétaire, se bousculent péniblement l’ordinateur, la trousse remplie de piles et de monnaie, le livre à lire, la tasse à ras bord de tisane, les trente carnets à trier, les feuilles en vrac – gribouillages téléphoniques, objectifs “du jour”, notes de réunion, horaires de train. Je rêve d’un bureau immense, grande table de travail, où m’étaler, où à la fois laisser vivre et ordonner le bordel. Depuis mon secrétaire, j’entends l’eau et les pales du lave-vaisselle tourner, tempêter. Je rêve de murs, de pièces, de limites et de frontières, d’un espace pour chaque fonction. Quand j’ai du mal à m’y mettre, je rêve de choses très matérielles comme solutions toutes faites à ma procrastination.
Aujourd’hui ça change tout le temps
29 mars – sur le tard
Dans le miroir des toilettes du bâtiment, pas trop mal aujourd’hui. Dans celui de l’ascenseur en rentrant chez moi, quelle horreur. À la pause, je parle, parle, parle, on ne peut plus m’arrêter. Quelques jours plus tôt, je me demandais si j’avais quelque chose à dire à quelqu’un. Dans mes écouteurs, Chan chan surgit, avec l’envie de pleurer aux premières notes. Quelques minutes plus tard, sur le même morceau, l’envie de danser, je souris et remue mes hanches sur le siège du bus. Je lis d’affilée plusieurs articles d’un blog aimé, je n’avais jamais remarqué combien nos territoires sont proches. Il suffisait de regarder.
Aujourd’hui action éclair
28 mars – sur le tard
Après l’obsession des images, l’obsession de la page d’accueil. Trouver une mise en page, trouver des mots. Aujourd’hui, un sur deux. Un carrousel enfin pour arrêter de tourner en rond. Reste à dire ce qu’on trouvera ici, donner envie aux passants d’entrer et de s’y promener. Je vois l’erreur et je la fais quand même. Du temps passé sur tout ce qu’il y a autour, au lieu de faire ce qu’il y a au cœur. Au diable le SEO, les réseaux sociaux, les menus, les footers et les plugins. Pensée éclair : je dois faire les bonnes actions, celles qui comptent vraiment, écrire et cueillir. Cohérence zéro : je re-perds une heure à comparer trois outils de newsletter.
Aujourd’hui une personne nerveuse
27 mars – sur le tard
Hier me hante, je suis rentrée le cœur serré, sans trop savoir pourquoi. La météo du jour aggrave mon cas, il fait si beau, si chaud, il faudrait sortir, profiter, et quelque chose me retient là, me tient mauvaise compagnie. Quand je décide enfin qu’aujourd’hui ne sert à rien, qu’il n’y a rien à cocher, que j’ai le droit, ça va un peu mieux. Je m’offre une série policière danoise, puis le film Deux moi, je laisse le soleil tourner de l’autre côté, aujourd’hui je laisse hier passer.
Aujourd’hui j’éviterai de dire que
26 mars – sur le tard
Aujourd’hui, intervention sur les urgences psychiatriques, comment repérer, orienter, et dans des institutions malmenées, quelles marges, quel rayon d’action. Café sous le soleil avec deux camarades juste après, vices et vertus du travail associatif, névrotique psychotique état-limite et toi où tu te situes, je dis que j’écris, je n’aurais pas dû, ce n’est pas le bon endroit, le bon moment, les bonnes personnes à cet instant. Goûter en famille pour rencontrer le nouveau-né. Beau l’enfant, beaux les papiers-peints, beaucoup de monde, de mots, de blagues et de photos. Mon neveu, si grand maintenant, soudain m’étreint, et je me rappelle alors que je suis quelqu’un pour quelqu’un.
Aujourd’hui un air en tête
25 mars – sur le tard
Aujourd’hui, j’ai vu trop tard le message vocal de l’amie M. Je la rappelle, elle voulait que je l’accompagne au cabinet infirmier car elle appréhendait, puis qu’on aille déjeuner. Une part de moi n’a pas très envie c’est vrai, et c’est trop tard, le rendez-vous est dans 10 minutes. Elle me dit non, t’inquiète, c’est pas la peine, ça va. Après avoir raccroché, je sais que je dois quand même y aller. J’envoie un texto, je pars, je te retrouve à la sortie. C’était le bon choix, j’arrive pile quand elle sort du cabinet, et on va déjeuner en terrasse, un air d’été, parler psy, politique, parentalité, vacances et bons petits plats. Le merlu patate et chou brille au soleil, comme notre amitié.
Aujourd’hui super-héros
24 mars – sur le tard
Aujourd’hui, les tout derniers. J’en vois le bout, je fais les dernières images, et je sens déjà que ça va me manquer, cette bonne excuse pour ne pas faire le reste – écrire, étudier, postuler pour un stage, ranger. Pourtant pas des tâches de super-héros. Ce soir, en cours, on parle du langage, oral, intérieur et écrit. Passion, j’ai mal aux poignets dans mes notes agitées. On parle aussi du pouvoir des images pour dire les émotions. Ces derniers mois, j’étais en lutte entre ce que j’ai appris en formation de coaching et ce que j’apprends en psychologie. Ici, aujourd’hui, ça se réconcilie.
Aujourd’hui toucher
23 mars – sur le tard
Aujourd’hui, l’obsession avale ma journée. Les heures se perdent dans ma petite fabrique pour les images du site, plus rien n’existe, je veux finir, je dépouille gallica, je vais de plus en plus vite mais pas assez, je m’amuse et m’impatiente. Aujourd’hui, 45 visuels réalisés. Combien encore à faire ? Pendant ce temps-là, je n’écris pas. De fil en aiguille en cours ce soir, on en vient à évoquer le très beau film Her. Je pense à ce qui prend forme, ce qui prend de la place sans qu’on puisse le toucher.
Aujourd’hui le bien le mal
22 mars – sur le tard
Aujourd’hui, l’obsession commence : je veux des images. Des images qui me parlent, qui me plaisent, qui donnent envie. Des images pour illustrer chacun des contenus sur le site. J’entre dans la spirale canva, je laisse mon goût guider mes choix. Au début, je ne sais pas. Et à force de dire oui, non, bien, berk, surtout pas, pourquoi pas, ça s’affine : je veux grosso modo d’un côté des images d’archives et de l’autre des textures. Et pour les petits contenus, choses cueillies, je veux du prêt-à-l’emploi, facile à répliquer, avec des bouts de papier, des bords pas nets, du déchiré. Pendant ce temps-là, je n’écris pas.
Aujourd’hui ce qu’il en restera dans un an
21 mars – sur le tard
J’écris enfin un texte, newsletter, puis un autre, billet de blog. Fabuleuse satisfaction une fois que c’est écrit, et beaucoup moins de heurts à l’écriture, je sens l’effet des réels. Dans ma joie, j’en délaisse celui du jour. Je marche heureuse vers Oberkampf où je retrouve A. et E. – E. que je n’ai pas vue depuis sept ans. On papote comme si on s’était vues trois mois plus tôt, mystère des choses qui restent, résistent au temps. Je marche vers chez moi. Aujourd’hui, multiples retrouvailles.
Aujourd’hui au pied du lit
20 mars – sur le vif
Aujourd’hui, besoin de faire le ménage. Ce gros mouton de poussière qui squatte sous la pile de livres au pied du lit. Et ces toiles d’araignée que je tisse sur la toile. Page d’accueil, page à propos, et je m’emmêle les pinceaux avec la page de la newsletter, le post épinglé, la section about, et l’about de mon profil. Où dire quoi, et je me répète ici et là aussi, ça radote et ça veut plus rien dire, j’ai des nœuds plein les doigts, tout ça pour écrire que j’écris pour écrire. En comparaison, ce petit mouton de poussière peut bien bêler tant qu’il veut, ce n’est pas ça qui m’empêchera de dormir.
Aujourd’hui en toc
19 mars – sur le tard
Aujourd’hui l’intervenante témoigne de son parcours, de sa pratique en tant que salariée, de l’ouverture de son cabinet, des embûches, des écueils, de sa posture, du péril des mots en toc, des marges de manœuvre, des pieds dans la porte pour agir malgré, pour remettre en mouvement la pensée. J’écoute, j’admire, je m’interroge. Je la vois solide, calme et passionnée, humble et assurée en assumant tous ses doutes, et j’ajoute dans mes pas cet horizon-là.
Aujourd’hui un moment où j’ai regardé l’heure
18 mars – sur le tard
18h26, le soleil s’étale sur les toits de Paris, je branche mes écouteurs, lance une réunion sur Jitsi et souris de voir une personne déjà connectée, marchant dans la pièce sans me voir, son cadre est penché si bien que j’incline ma tête et la redresse, plusieurs fois, comme si je pouvais d’un geste magique déplacer l’objet. J’agite les bras, enfin on se voit. 19h55, je débranche mes écouteurs, je n’ai pas vu le temps passer, ni la lune immense s’élancer.
Aujourd’hui fallait pas que
17 mars – sur le tard
Aujourd’hui fallait pas que j’achète de livres, j’en ai vingt cent non lus qui s’entassent sur la table de chevet, la commode et la bibliothèque. J’avais dit la veille : un défi d’un mois sans acheter de livres ? bonne idée tiens. Aujourd’hui je fonce à la librairie et demande l’ouvrage recherché. La libraire s’accroupit pour l’attraper, aïe, oula, attention je descends. Je ris avec elle, ça me fait pareil. Elle ajoute c’est l’âge ça, je perds toute mon élasticité. Je réponds Ah moi, ça a toujours été comme ça, je crois que l’élasticité, je l’avais pas dans le package initial. Elle rit avec moi On peut pas tout avoir hein. Elle demande mon nom, puis dans un grand sourire me dit Avec vos points fidélité, ça vous fera 1,75 €, le livre en coûte 17. J’ai pas d’élasticité, mais de la chance, ça oui.
Aujourd’hui une belle image
16 mars – sur le vif
Je me lèverai à 7 heures précises comme prévu, je boirai mon café en regardant le vent souffler sur mes bambous, en écoutant le monde se découper en petites phrases dans ma radio, je tartinerai de confiture une tranche de pain complet sans y penser, je ferai vingt minutes de yoga pour sentir mon corps, vivant, exister, je prendrai une douche et mon élan, j’irai travailler en bibliothèque, m’entourer de livres et de gens concentrés, il me rejoindra à l’heure du déjeuner, on se posera des questions qui n’intéressent que nous, on n’aura pas envie de se quitter, on s’enlacera et on sentira nos corps, vivants, exister. Je sentirai son corps, vivant, exister. C’est avec cette image, impossible, que je m’endors ce soir.
Aujourd’hui petite satisfaction personnelle
15 mars – sur le tard
Aujourd’hui, nous sommes déjà demain. J’avais deux jours de retard sur les réels que je rattrape ce mercredi (16 mars). Petite satisfaction personnelle, je n’en profite pas pour abandonner, me dire que c’est la preuve, une fois de plus que, je prends plutôt plaisir à chercher quelques lignes, même laborieusement, pour jouer le jeu, et je n’y mets que peu d’enjeu : ça n’a pas besoin d’être utile ou beau, juste vrai. Ou presque.
Aujourd’hui moment de solitude
14 mars – sur le tard
Aujourd’hui je n’ai vu personne, et personne ne m’a vue. Je devais travailler et au lieu de ça, j’ai lu, sans pouvoir m’arrêter. Envoûtée par ce livre atroce et magnifique, My Absolute Darling, lourd dans mon cœur et dans mes mains. Je déjeune devant The bookshop sur Arte, un film un peu raté mais pas complètement, qui se termine ainsi : “Comme elle avait raison de dire que personne ne se sent jamais seul dans une librairie.”
Aujourd’hui il a dit
13 mars – sur le tard
Aujourd’hui il a dit des mots comme ça va, fini de dîner, contrat, je ne sais pas, analphabète, consulat, week-end, Okinawa, télétravail, 15 minutes à vélo, première semaine de mai, à bientôt. J’ai dit des mots comme rien de spécial, examens, résultats, fière de moi, appartement, Paris, je ne sais pas, mois d’août, c’est chouette, première semaine de mai alors, aller manger, je t’embrasse. Huit ans et 13000 km nous séparent. Comme c’est bon de l’entendre. On a dit des mots mais je ne suis pas sûre qu’on se soit parlé.
Aujourd’hui facile facile
12 mars – sur le vif
Aujourd’hui ce serait facile d’ignorer le réveil, de serrer les paupières et la couette. Facile facile oui mais je ne me pose pas la question. Je suis debout dans ma cuisine et j’attrape ce café. Une heure plus tard, je suis dans cette petite salle pleine à craquer, à faire courir le stylo plume sur mon carnet ligné, en laissant des blancs quand c’est allé trop vite, quand je ne sais pas épeler. Déjà vécu cent fois depuis deux ans : ce sentiment délicieux d’être à la fois perdue et au bon endroit.
Aujourd’hui blanc
11 mars – sur le vif
Blanc du chou-fleur que je nappe de béchamel, blanc de la couette en coton que j’étends, et je retrouve un peu dans ces odeurs les dimanches d’enfant. En français, smell et feel ne se disent pas autrement.
Aujourd’hui sentiment de déjà vécu
10 mars – sur le vif
Ces journées à moitié, au seuil de, ces journées à la peine, à peine vécues me désolent et je jure qu’on ne m’y reprendra plus. Demain, ce sera très différent.
Ces journées à moitié, au seuil de, ces journées à la peine, à peine vécues, me désolent et je jure qu’on ne m’y reprendra plus. Demain, ce…
…sentiment de déjà-vu, mais où je ne sais plus.
Ces journées à moitié, au seuil de, ces journées à la peine, à peine vécues me désolent et je jure qu’on ne m’y reprendra plus.
Aujourd’hui debout dans
9 mars – sur le vif
Rendez-vous à 9h15 aujourd’hui. 9h09, je m’assois. J’avais oublié les murs de couleur vive, l’écran qui projette en mute des vidéos sous-titrées, et le silence des corps en attente de. Debout dans l’agence, celui à l’entrée, calme et solide depuis ses deux mètres et ses épaules carrées, qui vient voir celui assis à mes côtés Monsieur, c’est annulé le rendez-vous là, vous pouvez y aller. Vous travaillez vous ? Bah voilà, si vous travaillez, vous avez pas besoin de venir. Allez. Debout dans l’agence, celui d’un côté du comptoir qui dit J’ai fait le test pour faire la formation et j’ai eu 8/20. Debout dans l’agence, celle de l’autre côté du comptoir qui lui montre quelques minutes plus tard Là vous avez une offre de technicien frigoriste. Debout dans l’agence, celle qui arrive et lance mon nom. 9h39, Je suis vraiment désolée du retard, l’alerte n’a pas fonctionné, ah j’adore ma vie, suivez-moi.
Aujourd’hui féminité
8 mars – sur le vif
Aujourd’hui, je me prépare deux fois : la première pour travailler chez moi, douche, un haut, un bas, piochés sans vraiment regarder, du moment que c’est assez souple pour supporter mes gesticulations interminables sur ma chaise ; la seconde pour aller en cours, je change de haut, de bas, brosse mes cheveux, j’applique minutieusement crème, fond de teint, poudre, couleurs sur les paupières, la bouche et mascara, je suspends à chaque oreille une boucle, place une bague à mon doigt. S’apprêter, un peu mais pas trop, s’aimer, un peu mais pas trop, l’exercice funambule de ma féminité.
Aujourd’hui leçon à apprendre par cœur
7 mars – sur le vif
Étendre le linge en chantant O sole mio, de plus en plus fort, de plus en plus grand. Se souvenir du bonheur de Marius et Jeannette et le laisser remplir mon appartement. Chercher O sole mio et Guédiguian, et retomber – oh ! – sur ce même auteur découvert quelques jours plus tôt. Il a donc un autre blog, “en jachère mais se réveillera un jour” dit-il. Faire revenir du riz, des oeufs, des poivrons et la chaleur des rêves d’enfant. Leçon à apprendre par cœur : prendre soin, toujours, de ces soleils-là.
Aujourd’hui il faudrait réparer
6 mars – sur le vif
Aujourd’hui, j’écoute d’une oreille distraite le podcast “à quoi servent les ruines ?” et je me demande, parmi tout ce qu’on a rêvé ou bâti, ce qu’il faudrait réparer, transformer ou bien tout simplement oublier.
Aujourd’hui pensée parasite
5 mars – sur le vif
Je charge sur le site d’anciens contenus, je les relis et les relie entre eux. Au début, jaillit la joie de les retrouver, la fierté même parfois. Puis, une petite pensée familière s’invite, et traîne avec elle son cortège de pensées parasites. Ça ne sert à rien, personne n’a besoin de lire ça. Tu ne seras jamais capable de t’y remettre, d’écrire autant, aussi régulièrement. Et tu ne sais même pas ce que tu veux faire, de quoi tu veux parler. Tiens, précisément, de cela. Finalement, il n’y a que des échos.
Aujourd’hui oreilles
4 mars – sur le vif
Dans mes oreilles aujourd’hui, la voix comme une amie de Flavia Coelho au micro de Boomerang, les crissements de sa guitare quand elle reprend “La vie ne vaut rien”, et ce son délicieux quand elle entonne ravis, ravis de donner leur avis sur la vie.
Dans mes oreilles aujourd’hui, les mots de Joseph Pontus lus par carnetdemarseille.com :Tirer tracter trier porter soulever peser ranger / (…) / Et l’usine /Quand tu en sors /Tu ne sais pas si tu rejoins le vrai monde ou si tu le quittes
Dans mes oreilles aujourd’hui, la délégation ukrainienne défile aux Jeux Paralympiques d’hiver, par la radio, les échos du stade, l’orchestre de la cérémonie, et le silence j’imagine aussi.
Fragment d’aujourd’hui raconté en statistique
3 mars – sur le vif
Aujourd’hui, Georges Perec est mort depuis 40 ans. Dans un entretien publié par Le Nouvel Observateur le 15 décembre 1965, il dit “essayer de comprendre comment le monde nous parle”. Dans un texte confié au Figaro en 1978, il dit : “je crois plutôt trouver — et prouver — mon mouvement en marchant”, il dit aussi : “je me comparerais plutôt à un paysan qui cultiverait plusieurs champs ; dans l’un il ferait des betteraves, dans un autre de la luzerne, dans un, troisième du maïs, etc. “. Mots lus aimés de Georges Perec : 100%.
Aujourd’hui difficile de
2 mars – sur le vif
Aujourd’hui difficile de. Aujourd’hui difficile de parler. Aujourd’hui difficile de parler de moi. Aujourd’hui difficile de parler de moi, quand on me lance “et toi, comment ça va ?”. Aujourd’hui difficile de parler de moi quand on me lance “et toi comment ça va ?”, j’aimerais mieux continuer d’écouter, d’interroger, de m’étonner, de rire avec, de tête-hocher, de sourcil-froncer, d’yeux-écarquiller, d’arpenter ces ailleurs familiers, de vivre dans les plis de ce qu’on me dit.
Aujourd’hui un compliment
1 mars – sur le vif
Aujourd’hui un compliment. C’est l’anniversaire d’A. que je connais depuis bientôt vingt ans. A., merveilleusement sensible au monde et aux gens. Je ne sais pas dire autrement, cette fois-ci. Chaque année, pour chaque personne, creuser dans les mots des manières de dire merci d’être toi, merci d’être ici. Et envoyer. Créer un petit paysage de ce qu’on voit. Un compliment, délicatement fabriqué avec des bouts d’avant, des bouts de l’autre, des bouts de soi, comme une cabane à habiter les jours de pluie, les jours sans voix.
Aujourd’hui froid
28 février – sur le vif
Aujourd’hui froid. Clope du café, clope du réveil, clope à répétition pour repousser le moment de démarrer la journée. Clope prise dans l’interstice de la baie vitrée, le froid du jour se pose sur mes doigts et me donne envie, encore plus, de recroqueviller tout mon corps chez moi. Le soleil droit ne suffit pas à effacer le froid, le soleil ne suffit pas. Froid des échanges whatsapp, froid des échanges mail, froid des absences de réponse, froid des réponses sans courtoisie. Cherche chaleur. Froid au dedans des sentiments. Froid des fantômes du temps.
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