Entre les jours

Capture écran de Les lieux de Marguerite Duras partie II

Dans Les lieux de Marguerite Duras de Michelle Porte (1976), à partir de 49′ :

« C’est sans doute l’état que j’essaie de rejoindre quand j’écris. Un état d’écoute extrêmement intense. Les gens vous disent qu’on est là dans la concentration quand on écrit. J’ai le sentiment d’être dans l’extrême déconcentration. Il y a des choses que je ne reconnais pas dans ce que j’écris donc elles me viennent bien d’ailleurs. Je ne suis pas seule à écrire quand j’écris, mais ça je le sais. La prétention c’est de croire qu’on est seul devant sa feuille alors que tout vous arrive de tous les côtés. Evidemment les temps sont différents, ça vous arrive de plus ou moins loin. Ça vous arrive de vous, ça vous arrive d’un autre, peu importe : ça vous arrive de l’extérieur. Ce qui vous arrive dessus, dans l’écrit, c’est sans doute la masse du vécu si on peut dire tout simplement. Mais cette masse du vécu non inventorié, non rationalisé, et dans une sorte de désordre qui est tous les jours un désordre originel. On est hanté par son vécu, mais il faut le laisser faire. « 
(…)

« Elle est hantée comme un lieu hanté. C’est ça, Lol V. Stein. c’est quelqu’un qui chaque jour se souvient de tout pour la première fois, et ce « tout » se répète chaque jour, elle s’en souvient chaque jour pour la première fois, comme s’il y avait entre les jours de Lol V. Stein. des gouffres insondables d’oubli. Elle ne s’habitue pas à la mémoire, ni à l’oubli d’ailleurs. »

Choses aimées 23-10

“I wonder what is the point of saying anything at all.
However, simultaneously, this wondering is mixed with the need to say everything right now—otherwise it will be too late.”
Ithaka

the need to say everything right now
otherwise it will be too late

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“Une des choses qui nous permet d’être vivant et de survivre à ce qui nous arrive est la capacité de mettre ce qui nous arrive en récit. La souffrance et le chaos. Et ce qui nous apprend à nous mettre en récit, c’est lire. Parce que vous fonctionnez par imitation. Si vous avez les mots, beaucoup de mots, les phrases, les structures d’histoires, vous allez faire votre histoire, la compléter et l’enrichir, au fur et à mesure, de tout d’ailleurs, de vos lectures et de tout ce qui se va se passer dans l’existence. Et ça, vous l’apprenez en lisant.”
Marie Desplechin dans le podcast Bookmakers

mettre ce qui nous arrive en récit

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“Tout un livre peut provenir d’un seul mot brisé. Le mot est fermé, enveloppé, secret, enfoui : quelque chose doit apparaître de dedans — de l’intérieur du mot et pas du tout de l’intérieur de l’écrivain. Les mots en savent beaucoup plus que nous — mais il faut les prendre avec amour entre ses mains et les porter à son oreille. Les mots sont au sol, incompréhensibles et comme des noyaux. Je les ramasse, j’écoute dedans ; je les brise : apparaît une phrase, une scène, toute la construction respiratoire du livre.”
Valère Novarina, Devant la parole, Le débat avec l’espace (Éditions P.O.L, 1999) cité sur Jardin d’ombres 

les mots en savent beaucoup plus que nous

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“Une promenade sur le lac est prévue la semaine prochaine, voilà qui tombe bien. Pour écrire, nous avons besoin de matérialité, de sensations concrètes, même à avoir tendance à l’oublier, à faire comme si tout venait de soi, comme s’il fallait tout y puiser. Je sais que ces visites au lac sont rares, que c’est une chance — tout comme, pour moi, cette exploration sonore des ateliers des CAP. Tout accueil, pour l’écriture, est une chance.”
Semainier d’Anne Savelli

pour écrire, nous avons besoin de matérialité

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M’attarder parmi les dormeurs ? Si parmi les dormeurs, j’inclus les sédentaires et les flemmards, voilà une préoccupation qui me taraude beaucoup. En quittant le village, j’éprouve vivement la présence de ces deux forces contradictoires : l’envie de marcher et l’appel du foyer. Quand une partie de moi rêve d’aventure, une autre traîne les pieds.
Je crois que cette force qui retient nos envies d’aventure de la même manière que la gravité empêche une fusée de décoller porte un nom : la domestication.
(…)
ce double phénomène qui consiste d’un côté à construire son petit nid douillet, et de l’autre à s’y asservir – à en devenir, littéralement, le domestique. Combien de temps passe-t-on à entretenir nos appartements plutôt qu’à cultiver notre jardin intime ? N’y a-t-il pas, dans la frénésie que nous avons à rajeunir sans cesse nos intérieurs, comme une envie de compenser un vieillissement qui nous échappe ?Un voyage d’hiver

l’envie de marcher et l’appel du foyer

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toucher
à sa fin

vie et mort on ne voit pas bien
laquelle s’accroche à l’autre
comme un lierre

on n’a pas grand-chose à dire
là-dessus même si
on parle pour ne pas laisser
toute la place à la peur
la nuit
Poème d’Antoine Emaz

ne pas laisser toute la place à la peur
la nuit

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“La poésie, késako ?
Et si elle était un passage secret parfois raccourci, parfois détour pour apprendre à se perdre ?”
Thomas Vinau

apprendre à se perdre

La chamade des vieux rêves

Décidément, c’est ma semaine “célébrités” – et tout particulièrement célébrités aimées ! Après Arthur vendredi dernier, je croise Edouard Baer hier. Et aujourd’hui, je prends un thé glacé à côté de Michel Leclerc, co-scénariste, (notamment) de Je suis à vous tout de suite et du Nom des gens, qu’il a réalisé. Je n’ai pas pu m’empêcher, en attendant, et même pendant, mon rendez-vous, d’écouter sa conversation avec les deux personnes qu’il retrouvait. 

Pas pu résister à l’envie de noter, sur mon téléphone et dans ma tête, quelques phrases au vol : 

j’aime filmer le travail, montrer le travail, comment naissent les idées (<3)
(…)
on écrit le scénario, et forcément ça veut dire faire des choix, il y a ce qu’on va raconter, et ce qu’on ne va pas raconter
(…)
on a des personnages avec leurs qualités, et leurs défauts, je crois qu’il n’y a pas de comédie sans les défauts
(…)
on peut inventer des scènes à l’intérieur d’une histoire vraie
(…)
on peut rater

J’entends parler de documentaire, de fiction, de scénario, d’écriture, de questions et de convictions aussi. Mes oreilles en éveil, mon cœur à mille à l’heure.

C’est la chamade des vieux rêves. Écrire, co-réaliser un film. En un peu plus de vingt ans, il y a eu des idées griffonnées sur des carnets, d’autres tapées à la hâte sur des fichiers. Il y a eu un atelier scénario abandonné. Il y a eu, je l’oublie chaque fois, des candidatures réussies pour entrer à la fac dans des masters documentaire – et oui, ça existe ! Et je l’oubliais carrément jusqu’à maintenant en écrivant ces lignes, il y a eu un petit tournage grâce à une amie, des images finalement jamais montées, restées sur des cartes SD. 

Bon, ça revient régulièrement, tous les ans, de nouvelles idées, griffonnées sur de nouveaux carnets, des promesses à moi-même, un jour peut-être, et pourquoi pas cet été, oh et puis finalement.

Le rêve, pas la réalité.

Je n’ai jamais sérieusement fait quoi que ce soit de ce rêve-là, jamais poursuivi l’envie, mais je l’ai gardé toujours près de moi. Je continue de penser qu’un jour, pas peut-être, c’est sûr, j’essaierai. 

Et chose étrange : je le vois de moins en moins comme un rêve concurrent de mes autres projets – en l’occurrence mon autre projet, le principal actuellement, devenir psy du travail, j’ai de plus en plus le sentiment que ces chemins se croisent un peu plus loin, qu’il y a du lien.

En écoutant Michel L. et ses interlocutrices, le mot qui m’est venu : c’est un signe. Je ne crois pas aux signes de l’univers, non. Je crois en revanche au battement du cœur, comme signe, signal de ce qui continue de vivre en soi, des vieux rêves qui ne meurent pas. Aujourd’hui, je n’ai pas pu m’empêcher d’écouter.

L’astuce des jours perdus

Je n’arrive pas à travailler. Je m’agace. 

Je n’aime pas les rendez-vous en plein milieu dans l’agenda. Rendez-vous à 11h, la matinée est tronquée, alors que c’est mon moment préféré, et j’ai le plus grand mal à me remobiliser l’après-midi, après déjeuner. Ça sent la journée perdue.

La to-do list est pourtant bien dodue. Par quoi commencer ? Tout paraît urgent. Autant dire que rien ne l’est. Des livres sinon ? Quitte à ne pas travailler, autant bien employer mon temps. Lequel attraper ? Tous paraissent tentants. Ridicule d’être figée comme ça, comme si n’importe quel choix serait le mauvais. 

La dernière fois que je me suis sentie comme ça, c’était pendant les vacances de Noël, et j’avais trouvé un joli remède à ma léthargie, inspirée du collage au lancer de dés d’Anne-Marie Jobin

J’avais numéroté 6 tâches de travail, et 6 activités de détente.
Puis je lançais le dé, en décidant d’avance si ce serait pour le travail ou la détente.
“2” : c’est parti, je m’attèle à la tâche n°2.
Je relance le dé pour décider combien de temps j’y passerai.
“4” : c’est parti, je m’attèle à la tâche n°2 pendant 40 minutes.
Quand les 40 minutes sont écoulées, je lance le dé pour m’attribuer une activité de détente, et savoir combien de temps j’y passerai.
Rien de contractuel, hein : si finalement, dans un bon élan, je me sens de passer 120 minutes au lieu de 40 sur une tâche, let’s.

Je reconnais que c’est vraiment l’astuce ultime des jours perdus. Des jours où les désirs, la volonté, et le sens des priorités ont l’air d’avoir déménagé sans prévenir sur la planète d’à côté.
Où on veut tellement tout faire en même temps, qu’on ne peut plus rien faire.
Où on regarde médusé-e l’heure tourner, et la confiance en soi se rouler en boule sous le canapé.

Une astuce pour les jours comme ça.
Une astuce que je crie pas trop sur tous les toits.
Sauf là. Au cas où ça pourrait servir à quelqu’un d’autre que moi.
Au cas où ça pourrait me servir à moi.
Un dé pour l’indécise, lancer pour s’élancer.

Roll the dice.

P.S.: Et chouette bonus de l’astuce, il se peut que tu te surprennes à murmurer tandis que le dé roule « trois, trois, faites que ça tombe sur trois ». Bonne nouvelle ! C’est qu’au fond, tu n’as pas besoin du dé, tu sais très bien ce par quoi tu préfères commencer.

Dare-dare

Ce soir, j’ai tenté un poème fondu à partir des pages 30 et 31 du livre le plus près de moi : un bouquin de psycho du travail (what else). Je ne suis pas convaincue des arrangements que je fais. On y trouve sur ces deux pages de jolis mots pourtant : il y a coeur, voyageur, travail, plaisir, courage, habitudes, errer, parler, transformer, engourdi, samedi. J’y reviendrai sûrement.

Je réalise ce soir que les deux auteurs qu’on étudie le plus dans mon cursus adoooorent citer des écrivains. (Sur cette page 30, c’est un dialogue de Duras qui y passe). Extase suprême quand les passions comme ça s’entremêlent !

Allez, trois choses chouettes aujourd’hui :

– regarder le jardinier travailler dans la très belle cour d’honneur du lieu où je bosse en ce moment. J’aimerais pouvoir nommer les plantes, arbres et arbustes qui sont là mais à part des cerisiers pas encore en fleur, je peux juste dire que je les aime sans les connaître. Je regarde donc le jardinier, et j’admire les gestes, le soin, ce qu’il faut doser de force et de délicatesse.

– rentrer et m’attaquer dare-dare à ce document à préparer pour jeudi, dans le cadre d’un de mes cours : je n’ai même pas eu le temps de me dire fais-le, je le faisais. Plutôt rare et joyeux quand il n’y a presque aucun écart entre l’intention et l’action. Effort strictement dactylo, zéro intello, mais ouf, quand même, c’est fait, c’est propre.

– marcher 35 minutes aller, en montée, 30 minutes retour, en descente, vu qu’il n’y avait pas de métro – et tant mieux ! – , tenir ferme l’écharpe, sentir la vie dans mes jambes, longer le PL, savourer les verts, gris, roses des arbres et des fleurs – là encore oups je ne saurais rien nommer, mais ça n’empêche pas d’aimer.

D’essayer vraiment

Toute la journée, au boulot, j’ai pensé ce soir ce soir je pourrai lire, écrire, transcrire. vivement ! patience !

Me voilà rentrée et je n’ai plus envie de rien. Sauf peut-être manger des granolas. J’allume quelques lampes dans l’appart tout gris, et je m’enfouis dans le plaid et l’oubli. Alors que je veux taper sur mon clavier pour chercher un abri avec du son et des images, un film, une série, quelque chose de familier que je pourrais voir sans regarder, je sens mes mains trembler. Légèrement. Est-ce que c’est le froid ? Ou est-ce que ce sont les milliers de CTRL+C, CTRL+V, CTRL+S, clic gauche, clic droit, qui ont eu raison de mes doigts ? J’ai des centaines de lignes excel dans les yeux, elles défilent blanches, vertes, inarrêtables, infatigables, elles m’attendent, car je reviens demain.

Hébétée.
Abrutie.
Me voilà bien.

Il me faut un peu de temps, 2 décas et 3 granolas, pour me rappeler.
Ce que je voulais publier. Et comme ça tombe à pic.

Aujourd’hui, je voulais dire quelque chose de très simple. Récemment, je chouinais intérieurement à propos du cœur à l’ouvrage, chépa quoi faire, chépa quoi écrire, la newsletter, le blog, et à quoi bon après tout, et pfiou, et ça vient pas, etc.- un moment rare, car je ne suis bien sûr d’ordinaire et de la tête aux pieds, que joie, bonheur, félicité.

Et je me suis regardée, droit dans ma mauvaise foi : mais oh qu’est-ce que tu fais concrètement ? est-ce que tu essaies vraiment ? quel temps, quelle énergie, quel effort, quel soin tu y mets ?
La réponse devait se trouver à la pointe de mes souliers car c’est là que mes yeux, rendus à l’évidence, se sont baissés.
Je n’essaie pas.
Je ne m’y investis pas.
J’attends que ça me tombe dessus. La bonne idée, la bonne phrase, la cohérence, la grâce, la régularité.
Je viens, je vois que rien ne me tombe dessus, je repars.
Je n’essaie pas vraiment.
Je n’ai pas vraiment essayé.

Mon temps, mon énergie, mes efforts, j’ai choisi de les mettre ailleurs.
J’ai pensé que cet endroit devrait se faire tout seul, s’offrir à moi, clé en main, charmante demeure où poser mes fesses et manger tranquillement des granolas, où des centaines de lignes de texte défileraient inarrêtables, infatigables, sans y mettre une goutte d’ardeur, où les mots, les idées n’auraient qu’à se CTRL+C, CTRL+V depuis la source magique de ma créativité.
Fondée sur un pareil postulat, autant dire que la charmante demeure se transforme vite en maison-témoin.

Oui, la vie est super simple parfois.
Quand tu n’essaies pas, il se passe rien.

Alors ce soir, quand je me suis entendue, un biscuit craquant sous la dent, dire que je n’avais plus envie de rien, pas même d’écrire, je me suis rappelée que ça se jouait là, exactement là. C’est à ce moment précis où tu as une super excuse, la fatigue d’une journée abrutissante, et aucune obligation de le faire, qu’écrire est la seule chose à faire. Et ça ressemblerait à ça d’essayer vraiment.

Choses aimées 23-09

“non, je pense pas que j’aie des choses à dire, de belles choses qui chatouillent les beaux sentiments, des questions qui soulèvent la poussière des idées reçues, des réponses qui soulagent les angoisses des insomniaques, un message d’une quelconque sagesse à transmettre au monde (…) non, vraiment, je pense pas qu’il vaille encore la peine de tenter quoi que ce soit, tout ce que j’écris est plat, ridicule, absurde, pathétique, ordinaire, ennuyeux, je pense pas qu’il soit utile de continuer, je pense vraiment que je vais m’arrêter là”
bastramu, je pense pas #10

la peine de tenter quoi que ce soit

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“Also, on another note, I’m unsure if continuing to blog is for me anymore. I’ve put a lot of effort into this little site, and it seems to be going nowhere.
I know, I know…blogging should be for yourself first, but…BUT I just don’t know anymore. I guess it’s just one of those days where I feel like my creative pursuits are just a waste of effort, time, and energy.”
Veronique.ink

it seems to be going nowhere

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“Maybe that’s what all these divorces were about. We watch ourselves and our spouses change, and the work is to constantly recall the reasons why you did this in the first place. You mistake the person closest to you for your misery. You think, « Maybe if I excised this thing, I’d be me again. » But you’re not you anymore. You haven’t been you in a long time. And it’s not his fault. It was always going to happen. And what were you gonna do with the fact that time was gonna march on anyway? What were you gonna do with the fact that you couldn’t win this fight. That was the problem. You were not ever going to be young again. You were only at risk for not remembering that this was as good as it would get in every single moment. That you are right now as young as you will ever be again.”
Fleishmann is in trouble, épisode 8

you are right now as young as you will ever be again

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“Sometimes we are so confused and sad that all we can do is glue one thing to another. Use white glue and paper from the trash, glue paper onto paper, glue scraps and bits of fabric, have a tragic movie playing in the background, have a comforting drink nearby, let the thing you are doing be nothing, you are making nothing at all, you are just keeping your hands in motion, putting one thing down and then the next thing down and sometimes crying in between.”
Lynda Barry, citée par Austin Kleon

let the thing you are doing be nothing

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“Stop NOT writing. Just do it, badly. Just write the thing you need or want to write, that you are avoiding. That avoidance is costing you greatly, isometrically, and in general well-being. So can you find one measly hour, to write, badly?”
Anne Lamott citée par advicetowriters.com

stop NOT writing

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“whatever you think is boring or ugly in your photograph today might quite possibly be the most interesting thing about the photograph in the future.
Knowing this, I am inclined to go the other direction and do my best to imperfect my memories: leave in all the things I’m supposed to crop out. (This is why I leave in all the dumb, mundane crap I do every day in my logbook: what I have for lunch, meetings, what I watched on TV, etc.)
I try to remember that I have no idea today exactly what I’ll want to remember about today in the future.”
Austin Kleon

leave in all the dumb, mundane crap
I have no idea what I’ll want to remember

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“Un mot sur mon prochain livre, et je vais à nouveau citer Dylan : “en bonne partie, écrire des chansons consiste à les améliorer”.

C’est la même chose pour l’écriture de romans ! Je vous disais la dernière fois que le premier jet avançait bien. Avant même de l’avoir terminé, me voici parti dans la rédaction d’une nouvelle version. Ne me demandez pas quelle est ma méthode : c’est une horreur et un véritable chaos. Mais, espérons-le, il y aura bien un livre à la fin !

Certains jours, je suis satisfait de ce que j’ai écrit, d’autre fois, je suis face à la page blanche, incapable d’avancer. J’ai une image idéalisée du livre à venir, et je sais que je pourrai au mieux m’en approcher, sans jamais l’atteindre. Souvent, ce qui me touche le plus dans une œuvre, ce sont les imperfections. Je dois m’en souvenir dans mes moments de doute. Et apprendre par cœur cette phrase de Sophie Divry : “le roman trouve son épanouissement dans une certaine impureté.””
 Rien que du bruit #60 de Philippe Castelneau

écrire des chansons consiste à les améliorer

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Ça me fait grand bien de réparer (faire réparer) des choses ; ça me donne de l’espoir, alors que je me sens toute cassée à l’intérieur sans trop savoir comment repriser ça. Courir derrière les escargots. Ralentir. Respirer.
Journal de février (2) d’Amélie Charcosset

l’espoir

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“Hope will find you standing naked in the soft swathes of light that arrive through a 1am window, and it will watch your defences unfold and surrender.
(…)
Hope will propel you forward, out of the familiar space you have occupied for so long and into the great unknown. It will rest it’s hand gently on yours, and listen to the way your breathing betrays your words and reveals your heart; every exhale leaving you clean and ready to start again.”
Sarah Moses

ready to start again

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On parle aussi de pourquoi c’est difficile d’écrire (car toujours ça me revient : bon, en réalité, qu’est-ce qui est si compliqué, dans le fait d’être sur son ordinateur sur un canapé avec une tablette du chocolat pas loin à faire un truc que personne n’attend et dont personne n’a besoin, pourquoi est-ce que ça se révèle si complexe ??), et de pourquoi on le fait quand même.
(…)
Maaï m’écrit qu’elle a fini sa thèse. Je n’arrive à lui répondre qu’une longue ligne de points d’exlamation. Yeeeah. Je me dis que moi, je pourrais au moins essayer de (commencer et) finir ma newsletter (lol). Chose faite. C’est bon, un entourage qui tire vers le haut.
Journal de février (2) d’Amélie Charcosset

je me dis que moi je pourrais au moins essayer

À partir de là

J’adore cet endroit. Le matin, il est surtout peuplé de gens seuls, la plupart avec un journal, un café, de grandes pages dépliées sur le comptoir doré. Une vieille dame drapée de rides et de vêtements noirs gratte sans fin ses tickets de jeu, une femme en pantacourt parcourt le Monde des Livres, un couple, quoi, quinqua ?, lit côte à côte, deux hommes, trentaine, quarantaine, se saluent et commandent sans trop parler, les pieds repliés sous le tabouret, une vieille dame en manteau léopard étale la presse anglaise sur une table pour quatre, puis téléphone en haut parleur avec des mots comme empoisonnement et coloscopie, un vieil homme déboule avec son caddie rouge, et fait tous les efforts du monde pour se glisser, le dos courbé, entre deux tables : non non non ne bougez pas. Un groupe de jeunes filles étrangères s’extrait de la petite pièce du fond pour payer l’addition, j’imagine devant elles toute une journée d’exploration. Paris. Puis je l’aperçois, au fond à gauche, rassembler manteau et sac à dos, se diriger lui aussi vers le comptoir pour payer : le chanteur de Feu! Chatterton, Arthur. Je réprime ma joie de le voir, de le croiser, en vrai, je retiens mon sourire, et tiens fermement ma tasse de café dans laquelle je plonge mon nez, mes yeux, mon corps tout entier. Je fais comme si de rien n’était, et j’ajoute silencieusement Arthur à ma liste étonnante des « célébrités croisées ».

Puis la chaise en face de moi est occupée. L’amie A. me parle de sa semaine étrange, suspendue, de ce qu’elle attend – ce sont ses mots – depuis 15 mois, de ce qui n’arrive pas. Je suis heureuse qu’elle m’en parle, ça n’est pas toujours le cas. On a tort, pour une grossesse, de parler d’attendre un enfant. L’enfant est là. Attendre un enfant c’est autre chose. C’est ce que vit A., et beaucoup d’autres. Ce que je ne feindrai pas de comprendre tout à fait car je n’ai pas ce désir-là. Mais ça ne m’empêche pas de voir et de sentir combien ça peut être pesant, éprouvant. D’attendre un enfant.
L’amie A. m’écoute aussi, parler de mon boulot à temps partiel, du projet de stage qui se concrétise, de mes cours, des écoutes. Elle comprend l’importance de chacune de ces choses pour moi, et je me dis : quelle chance.

J’adore cet endroit. Dans ce café, ce matin, je me sens en sécurité, dans ce café, ce matin, j’aime Paris. J’oublie un moment la peur, dans la rue, de jour, de nuit. J’aimerais que ça disparaisse. J’aimerais revenir à « avant ». Avant, quand j’écrivais dans un carnet merci *lenomdemarue*, si heureuse d’y avoir emménagé. Avant les événements. Mais on ne peut pas revenir à avant. Je me manque ces temps-ci, je repense en boucle à dix ans plus tôt, aux mots que j’écrivais, et à ce que je faisais. Tout était différent. On ne se « récupère »pas, on ne se « retrouve » pas. Certaines choses nous changent définitivement. En bien aussi. Ce n’est même pas la question, en bien en mal. Il n’y a juste pas de retour à la normale car il n’y a pas de normale. Et je ne peux que regarder devant, autour de moi, et prendre la joie. La mosaïque au sol, le pain au chocolat, le Monde des livres sur un comptoir doré, Arthur dans son grand manteau, l’amitié, l’écriture, les matins, le soleil, le café. Je ne peux que créer à partir de là, maintenant, depuis cet endroit. Il n’y a pas de pèlerinage possible, pas de sauvetage. Rien à ressusciter. On ne peut que créer.

Le grand méchant « non »

Tu n’as pas besoin d’aller mal pour dire non. Tu n’as pas besoin de te justifier. Tu n’as pas besoin d’avoir des soucis. Tu n’as pas besoin d’une bonne excuse. 

Ces dernières semaines, j’ai dit non, à plusieurs sollicitations, répétées, et un peu sourdes à mon tout premier non. (Les détails sont pas hyper importants : c’est pour un groupe dans lequel je me suis pas mal investie en 2022). Donc je dis non, pour telle tâche, telle autre, telle autre et telle autre. Gros challenge pour mon muscle atrophié du “non”.

Je me sens quand même un peu obligée de dire que la rentrée est très dense pour enrober le grand méchant “non”. C’est semi-vrai. Ça resterait possible de caler ici ou là les heures pour faire ce qu’on me demande, mais l’enjeu pour moi c’est la dispersion, j’ai déjà trop de balles en l’air, besoin d’alléger, de simplifier. Je dis donc que la rentrée est drôlement chargée. Je sens qu’il me faut une excuse.

J’ai croisé une camarade, elle aussi trop sollicitée, au point d’en être dégoutée. Elle me dit, haletante et énervée : “j’en ai marre, j’ai pas que ça à faire, j’ai trois enfants, le cursus, le boulot… C’est pas ma priorité”. Je lui ai tout de suite répondu, wow wow wow, qu’elle n’avait pas besoin de se justifier, qu’elle avait le droit de ne pas avoir le temps ou l’envie, sans fournir en PJ le détail de son agenda. Car moi, je n’ai pas trois enfants ni un boulot à plein temps, et pour autant je ne veux pas investir mon énergie, mes pensées, mes soirs et matins à cet endroit, précisément, là, maintenant. J’ai le droit ? Faut-il forcément trois enfants pour dire non ?

Quelques jours plus tard, on me re-sollicite pour une autre tâche. Je dis que je ne pourrai pas. Et on me demande “ça va ? tu as des soucis ?”. Sur le fond, c’est gentil je crois. Mais je me demande : faut-il aller mal pour être dispensée, faut-il avoir des soucis pour avoir le droit dire non ? J’ai connu les années avec de très bonnes excuses, les proches malades, les deuils : le joker absolu, la garantie d’un non socialement légitime, sans négociation. Et là, ça va bien. Bon sang, ça va bien, des projets qui mettent en joie, qui mettent la barre haut parfois, et pas de drames autour. 

Pas de drames. J’ai le luxe de choisir à quoi je dédie mon temps. Je me réserve des heures concentrées, le téléphone banni, toute entière dévouée à la tâche que je mets ce jour-là en priorité. Je me réserve aussi des heures vides, des heures qui flânent, des heures rêveuses et paresseuses, et des espaces pour dire oui à ce café, ce dîner, cette balade, ce truc chouette improvisé. Je me réserve des incertitudes, de la place dans le paysage intérieur, de l’horizon devant, des moments où, qui sait, je pourrais bien avoir l’élan d’écrire ici, faire ces choses qui ne servent à rien mais qui font du bien. Pour une fois, dire non parce que ça va. Ça va bien, merci.

Le vrai début

Je n’ai pas eu envie de sortir aujourd’hui. Premier mars, j’ai le sentiment qu’une nouvelle année commence. Peut-être parce que c’est le mois de mon anniversaire, et qu’au fond j’ai toujours associé ce mois au vrai début.

Je n’ai pas eu envie de sortir car je crains le froid, le vent, je renonce au soleil sur mes joues, au plaisir de marcher dehors, les mains dans les poches, l’écharpe mal fichue, avec ou sans but. Merci le plaid gris mousseux qui recouvre mes pieds, merci la société qui me permet de reprendre des études et de payer la chaleur qui monte dans les radiateurs, merci l’eau brûlante sur mes doigts glacés après une cigarette fumée à la fenêtre, merci la machine qui lave mon linge, merci mes trois piles de livres, pour la patience et la promesse.

Le vrai début, ce serait d’écrire quand l’envie est là. Et de se forcer un peu quand l’envie est loin. Ce serait de ressortir le tapis violet, lancer une vidéo d’Adriene pour faire une vingtaine de minutes de yoga et soigner ainsi les douleurs au dos, aux genoux, la faiblesse dans les bras, les cuisses, le souffle et les mollets. Ce serait de reprendre la lecture des livres commencés en août, en décembre, en janvier.

Le vrai début, ce serait de dire merci pour les choses très simples aujourd’hui comme écrire quelques lignes, près du radiateur, les mains sur le clavier, avec ou sans but, un plaid gris mousseux sur les pieds, et devant moi trois piles de livres et un tapis violet.