Tu plaisantes ? C’est sans doute la toute première question qu’on me posera si je gagne aujourd’hui. 13 millions, moi qui ne joue jamais, sauf un astro poissons une fois par an. Qu’est-ce que tu comptes en faire ? sera sans doute la deuxième. J’y ai pensé d’un trait avec des euros casino dans les yeux. Très vite défilent trains, cargos, houle et roulis, paysages, et tracent un immense sourire sur mon visage. Pas très original. Heureusement que je n’ai pas gagné, je n’aurai pas à me soucier de l’originalité des toutes premières réponses à donner.
Étiquette : 366 réels à prise rapide
Les 366 réels à prise rapide sont un exercice de style proposé par Cécile Bonifas et Sébastien Onze dans 120 défis d’écriture pour écrire sa vie. Écrire chaque jour, sur le vif, moins de 100 mots à partir d’une proposition donnée pour chaque date du calendrier. La liste des propositions est facile à trouver (tapez « 366 réels à prise rapide » sur votre minitel). Toutes commencent par « aujourd’hui ». Je me suis lancée dans cet exercice le 28 février 2022, voici mes « aujourd’hui » du plus récent au plus ancien. Dites-moi si tu vous y jouez aussi – j’adorerais vous lire.
Fragment d’aujourd’hui raconté en poésie
Inquiète
Pas en paix, pas en place
Cherche réconfort, sas et vestibule,
Où patienter, m’impatienter, m’attendrir
Toujours un hier, un demain
Hante, tourmente, ravit l’aujourd’hui
La belle inquiétude, entre les songes et le qui-vive
La belle inquiétude, absente et attentive
Prête à tout moment
Jamais disponible pour autant
La belle inquiétude réclame des mots et du silence
De place et du temps
Car n’est-ce pas là que tout commence ?
Aujourd’hui IL FAUT
Temps merveilleux, idéal pour buller au bord de l’eau, quelque part en France où sentir des pins ou du chèvrefeuille, déjeuner d’une tomate basilic, se laisser bercer par les heures et le vent. Mais il faut travailler, rester à Paris, devant l’écran, ouvrir le livre et continuer, envier le soleil par la fenêtre, repousser les douces rêveries, la tentation de prendre un sac à dos et un aller simple vers un ailleurs au goût d’été. IL FAUT l’écrire en grand car en petit, aujourd’hui, ça ne marche pas.
Aujourd’hui comment lui dire ?
Assise à mon secrétaire d’enfance, blanc écaillé par le temps, le même sous-main aux fleurs roses, au dehors les oiseaux en fête, le même tilleul flamboyant, majestueux s’approche de la fenêtre, au loin tondeuse dans un jardin, chien qui aboie. Le soleil perce. Quelques parfums transportent des années en arrière, mais il n’y a qu’ici, maintenant. Je ne peux pas réellement être autre part qu’ici, maintenant. Et pourtant. Comment lui dire, à cette petite fille, que tout sans cesse disparaîtra, et que tout sans cesse reviendra ? Un jour d’avril, avec au dehors les oiseaux en fête.
Aujourd’hui table de
Sur mon secrétaire, se bousculent péniblement l’ordinateur, la trousse remplie de piles et de monnaie, le livre à lire, la tasse à ras bord de tisane, les trente carnets à trier, les feuilles en vrac – gribouillages téléphoniques, objectifs “du jour”, notes de réunion, horaires de train. Je rêve d’un bureau immense, grande table de travail, où m’étaler, où à la fois laisser vivre et ordonner le bordel. Depuis mon secrétaire, j’entends l’eau et les pales du lave-vaisselle tourner, tempêter. Je rêve de murs, de pièces, de limites et de frontières, d’un espace pour chaque fonction. Quand j’ai du mal à m’y mettre, je rêve de choses très matérielles comme solutions toutes faites à ma procrastination.
Aujourd’hui ça change tout le temps
Dans le miroir des toilettes du bâtiment, pas trop mal aujourd’hui. Dans celui de l’ascenseur en rentrant chez moi, quelle horreur. À la pause, je parle, parle, parle, on ne peut plus m’arrêter. Quelques jours plus tôt, je me demandais si j’avais quelque chose à dire à quelqu’un. Dans mes écouteurs, Chan chan surgit, avec l’envie de pleurer aux premières notes. Quelques minutes plus tard, sur le même morceau, l’envie de danser, je souris et remue mes hanches sur le siège du bus. Je lis d’affilée plusieurs articles d’un blog aimé, je n’avais jamais remarqué combien nos territoires sont proches. Il suffisait de regarder.
Aujourd’hui action éclair
Après l’obsession des images, l’obsession de la page d’accueil. Trouver une mise en page, trouver des mots. Aujourd’hui, un sur deux. Un carrousel enfin pour arrêter de tourner en rond. Reste à dire ce qu’on trouvera ici, donner envie aux passants d’entrer et de s’y promener. Je vois l’erreur et je la fais quand même. Du temps passé sur tout ce qu’il y a autour, au lieu de faire ce qu’il y a au cœur. Au diable le SEO, les réseaux sociaux, les menus, les footers et les plugins. Pensée éclair : je dois faire les bonnes actions, celles qui comptent vraiment, écrire et cueillir. Cohérence zéro : je re-perds une heure à comparer trois outils de newsletter.
Aujourd’hui une personne nerveuse
Hier me hante, je suis rentrée le cœur serré, sans trop savoir pourquoi. La météo du jour aggrave mon cas, il fait si beau, si chaud, il faudrait sortir, profiter, et quelque chose me retient là, me tient mauvaise compagnie. Quand je décide enfin qu’aujourd’hui ne sert à rien, qu’il n’y a rien à cocher, que j’ai le droit, ça va un peu mieux. Je m’offre une série policière danoise, puis le film Deux moi, je laisse le soleil tourner de l’autre côté, aujourd’hui je laisse hier passer.
Aujourd’hui j’éviterai de dire que
Aujourd’hui, intervention sur les urgences psychiatriques, comment repérer, orienter, et dans des institutions malmenées, quelles marges, quel rayon d’action. Café sous le soleil avec deux camarades juste après, vices et vertus du travail associatif, névrotique psychotique état-limite et toi où tu te situes, je dis que j’écris, je n’aurais pas dû, ce n’est pas le bon endroit, le bon moment, les bonnes personnes à cet instant. Goûter en famille pour rencontrer le nouveau-né. Beau l’enfant, beaux les papiers-peints, beaucoup de monde, de mots, de blagues et de photos. Mon neveu, si grand maintenant, soudain m’étreint, et je me rappelle alors que je suis quelqu’un pour quelqu’un.
Aujourd’hui un air en tête
Aujourd’hui, j’ai vu trop tard le message vocal de l’amie M. Je la rappelle, elle voulait que je l’accompagne au cabinet infirmier car elle appréhendait, puis qu’on aille déjeuner. Une part de moi n’a pas très envie c’est vrai, et c’est trop tard, le rendez-vous est dans 10 minutes. Elle me dit non, t’inquiète, c’est pas la peine, ça va. Après avoir raccroché, je sais que je dois quand même y aller. J’envoie un texto, je pars, je te retrouve à la sortie. C’était le bon choix, j’arrive pile quand elle sort du cabinet, et on va déjeuner en terrasse, un air d’été, parler psy, politique, parentalité, vacances et bons petits plats. Le merlu patate et chou brille au soleil, comme notre amitié.
Aujourd’hui super-héros
Aujourd’hui, les tout derniers. J’en vois le bout, je fais les dernières images, et je sens déjà que ça va me manquer, cette bonne excuse pour ne pas faire le reste – écrire, étudier, postuler pour un stage, ranger. Pourtant pas des tâches de super-héros. Ce soir, en cours, on parle du langage, oral, intérieur et écrit. Passion, j’ai mal aux poignets dans mes notes agitées. On parle aussi du pouvoir des images pour dire les émotions. Ces derniers mois, j’étais en lutte entre ce que j’ai appris en formation de coaching et ce que j’apprends en psychologie. Ici, aujourd’hui, ça se réconcilie.
Aujourd’hui toucher
Aujourd’hui, l’obsession avale ma journée. Les heures se perdent dans ma petite fabrique pour les images du site, plus rien n’existe, je veux finir, je dépouille gallica, je vais de plus en plus vite mais pas assez, je m’amuse et m’impatiente. Aujourd’hui, 45 visuels réalisés. Combien encore à faire ? Pendant ce temps-là, je n’écris pas. De fil en aiguille en cours ce soir, on en vient à évoquer le très beau film Her. Je pense à ce qui prend forme, ce qui prend de la place sans qu’on puisse le toucher.
Aujourd’hui le bien le mal
Aujourd’hui, l’obsession commence : je veux des images. Des images qui me parlent, qui me plaisent, qui donnent envie. Des images pour illustrer chacun des contenus sur le site. J’entre dans la spirale canva, je laisse mon goût guider mes choix. Au début, je ne sais pas. Et à force de dire oui, non, bien, berk, surtout pas, pourquoi pas, ça s’affine : je veux grosso modo d’un côté des images d’archives et de l’autre des textures. Et pour les petits contenus, choses cueillies, je veux du prêt-à-l’emploi, facile à répliquer, avec des bouts de papier, des bords pas nets, du déchiré. Pendant ce temps-là, je n’écris pas.
Aujourd’hui ce qu’il en restera dans un an
J’écris enfin un texte, newsletter, puis un autre, billet de blog. Fabuleuse satisfaction une fois que c’est écrit, et beaucoup moins de heurts à l’écriture, je sens l’effet des réels. Dans ma joie, j’en délaisse celui du jour. Je marche heureuse vers Oberkampf où je retrouve A. et E. – E. que je n’ai pas vue depuis sept ans. On papote comme si on s’était vues trois mois plus tôt, mystère des choses qui restent, résistent au temps. Je marche vers chez moi. Aujourd’hui, multiples retrouvailles.