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La pratique des herbes fraîches

Dimanche, matin sous un ciel bleu, chanceux. Semaine ravagée d’effroi, de ruines. Et au milieu des voix du réel, celle de François-Régis Gaudry maintenant à la radio. Au début, c’est incongru, presque indécent, tant de légèreté, ce ton à côté. Avec son invité, il parle de vingt gousses d’ail ; il parle de la pratique des herbes fraîches. Je souris avec ces mots qui touchent ma peau. J’ai besoin d’écouter ça aussi. J’ai besoin ce matin de lire cette autrice sur sa résidence d’écriture, j’ai besoin de regarder ces photos d’arbres et ces illustrations de la famille souris, j’ai besoin de découvrir un poème et un deuxième, j’ai besoin de voir par la fenêtre ce vieil homme s’allonger, une main sous sa tête baignée de soleil pour une sieste, j’ai besoin d’écouter des gens débattre encore de cuisine et de pièces de théâtre. J’ai besoin de la pratique des herbes fraîches. Non pas ignorer le monde, mais continuer de le créer.

Mercred’incipit – Vraiment peindre

« Catherine Grenier : Commençons au tout début. Quel est le premier dessin que vous ayez fait dont vous vous souvenez?

Gérard Garouste : Le premier dessin dont je suis fier, c’est un avion dessiné en perspective. À l’école, j’ai eu des handicaps : je suis dyslexique et ça m’a toujours posé des problèmes vis-à-vis de mes études. Faire une addition, une division, m’angoissait terriblement. Mes parents s’inquiétaient de mon niveau d’intelligence, mais les maîtresses d’école leur disaient : « Non, je vous assure, il est intelligent, mais il est toujours dans la lune. » La seule chose qui me faisait exister par rapport à la maîtresse et à mes copains, c’était le dessin. Tous les enfants dessinent, mais je dessinais plus qu’eux, parce que pour moi c’était une question de survie. Le dessin me permettait d’avoir une identité. Eux, ils avaient des bonnes notes ; moi, j’existais par la qualité de mes dessins, donc je faisais plus d’efforts. Je ne crois pas du tout au don, c’est plutôt comme quelqu’un qui se noie et qui bouge les bras pour flotter. Pour moi, le dessin c’était ça et c’est le début de tout, car toute ma vie est basée là-dessus. »

Vraiment peindre, Gérard Garouste avec Catherine Grenier, Editions du Seuil, 2021

Incipit d’une lecture en cours, sur une idée de la Bibliothèque Roz

Mercred’incipit – Penser/Classer

La bibliothèque Roz propose de citer les premières phrases de sa lecture en cours. J’adore l’idée de son mercred’incipit, et voilà une douce façon de revenir par ici. C’est parti, même si on est déjà jeudi et que le livre est maintenant fini !

Penser classer de Perec

« Notes sur ce que je cherche

Si je tente de définir ce que j’ai cherché à faire depuis que j’ai commencé à écrire, la première idée qui me vient à l’esprit est que je n’ai jamais écrit deux livres semblables, que je n’ai jamais eu envie de répéter dans un livre une formule, un système ou une manière élaborés dans un livre précédent.

Cette versatilité systématique a plusieurs fois dérouté certains critiques soucieux de retrouver d’un livre à l’autre la « patte » de l’écrivain ; et sans doute a-t-elle aussi décontenancé quelques-uns de mes lecteurs. Elle m’a valu la réputation d’être une sorte d’ordinateur, une machine à produire des textes. Pour ma part, je me comparerais plutôt à un paysan qui cultiverait plusieurs champs ; dans l’un il ferait des betteraves, dans un autre de la luzerne, dans un troisième du mais, etc. De la même manière, les livres que j’ai écrits se rattachent à quatre champs différents, quatre modes d’interrogation qui posent peut-être en fin de compte la même question, mais la posent selon des perspectives particulières correspondant chaque fois pour moi à un autre type de travail littéraire. »

Penser/Classer de Georges Perec, 1985, 2003