C’était juste un bus mais j’ai couru pour l’attraper comme si ma vie en dépendait.
Je n’avais plus de métro, plus d’espoir dans les pieds, c’était lui qui me ramènerait au plus près.
Je le connais, il m’est arrivé de le prendre dans un sens. C’était la première fois que j’allais le prendre dans l’autre. L’itinéraire est différent, même si au moment de monter, je ne le sais pas encore.
On démarre à 2 passagers : j’ai l’impression d’être reine dans un carrosse.
Quelques minutes plus tard, on traverse des rues familières. Je souris. Des rues saturées de souvenirs : les fous rires, les larmes aussi, le trop bu, les grandes discussions, les chansons, les danses à tue-tête, le mal au ventre aussi, l’attente devant la bibliothèque, les fous rires, les fous rires à s’écrouler par terre. Je me retrouve plongée 17 ans en arrière. J’ai dû faire le compte, et le chiffre m’a fait un petit peu peur. En l’écrivant, là encore, je ne conçois rien quand j’entends : 17 ans. Des rues où je ne vais plus jamais.
On continue de rouler. Et c’est de plus en plus beau. C’est beau comme un cliché, toutes les lumières, les monuments, les reflets sur l’eau, les ponts, tout s’enchevêtre, on ne sait plus ce qui est vrai tellement c’est beau. Je regarde la ville que j’ai envie de quitter.
Je regarde et je pense, comme une vague, à tout ce qui a changé en 17 ans, tout ce qui a été perdu, écorché, aimé, rêvé, raté, exploré, conquis. Et pour la première fois, je me rends compte que je suis profondément heureuse de tout ce qui s’est passé. Tout. Même le pire. C’est affreux et merveilleux de ressentir ça. Je suis heureuse parce qu’un autre itinéraire, avec d’autres arrêts, ne m’aurait peut-être pas amenée là. Et ce là est carrément mieux que les rues d’il y a dix-sept ans.
C’était juste un bus, et il m’a déposé pas très loin de chez moi.