Blog

Aujourd’hui en toc

Aujourd’hui l’intervenante témoigne de son parcours, de sa pratique en tant que salariée, de l’ouverture de son cabinet, des embûches, des écueils, de sa posture, du péril des mots en toc, des marges de manœuvre, des pieds dans la porte pour agir malgré, pour remettre en mouvement la pensée. J’écoute, j’admire, je m’interroge. Je la vois solide, calme et passionnée, humble et assurée en assumant tous ses doutes, et j’ajoute dans mes pas cet horizon-là.

Aujourd’hui un moment où j’ai regardé l’heure

18h26, le soleil s’étale sur les toits de Paris, je branche mes écouteurs, lance une réunion sur Jitsi et souris de voir une personne déjà connectée, marchant dans la pièce sans me voir, son cadre est penché si bien que j’incline ma tête et la redresse, plusieurs fois, comme si je pouvais d’un geste magique déplacer l’objet. J’agite les bras, enfin on se voit. 19h55, je débranche mes écouteurs, je n’ai pas vu le temps passer, ni la lune immense s’élancer.

Aujourd’hui fallait pas que

Aujourd’hui fallait pas que j’achète de livres, j’en ai vingt cent non lus qui s’entassent sur la table de chevet, la commode et la bibliothèque. J’avais dit la veille : un défi d’un mois sans acheter de livres ? bonne idée tiens. Aujourd’hui je fonce à la librairie et demande l’ouvrage recherché. La libraire s’accroupit pour l’attraper, aïe, oula, attention je descends. Je ris avec elle, ça me fait pareil. Elle ajoute c’est l’âge ça, je perds toute mon élasticité. Je réponds Ah moi, ça a toujours été comme ça, je crois que l’élasticité, je l’avais pas dans le package initial. Elle rit avec moi On peut pas tout avoir hein. Elle demande mon nom, puis dans un grand sourire me dit Avec vos points fidélité, ça vous fera 1,75 €, le livre en coûte 17. J’ai pas d’élasticité, mais de la chance, ça oui.

Aujourd’hui une belle image

Je me lèverai à 7 heures précises comme prévu, je boirai mon café en regardant le vent souffler sur mes bambous, en écoutant le monde se découper en petites phrases dans ma radio, je tartinerai de confiture une tranche de pain complet sans y penser, je ferai vingt minutes de yoga pour sentir mon corps, vivant, exister, je prendrai une douche et mon élan, j’irai travailler en bibliothèque, m’entourer de livres et de gens concentrés, il me rejoindra à l’heure du déjeuner, on se posera des questions qui n’intéressent que nous, on n’aura pas envie de se quitter, on s’enlacera et on sentira nos corps, vivants, exister. Je sentirai son corps, vivant, exister. C’est avec cette image, impossible, que je m’endors ce soir.

Aujourd’hui petite satisfaction personnelle

Aujourd’hui, nous sommes déjà demain. J’avais deux jours de retard sur les réels que je rattrape ce mercredi (16 mars). Petite satisfaction personnelle, je n’en profite pas pour abandonner, me dire que c’est la preuve, une fois de plus que, je prends plutôt plaisir à chercher quelques lignes, même laborieusement, pour jouer le jeu, et je n’y mets que peu d’enjeu : ça n’a pas besoin d’être utile ou beau, juste vrai. Ou presque.

Aujourd’hui moment de solitude

Aujourd’hui je n’ai vu personne, et personne ne m’a vue. Je devais travailler et au lieu de ça, j’ai lu, sans pouvoir m’arrêter. Envoûtée par ce livre atroce et magnifique, My Absolute Darling, lourd dans mon cœur et dans mes mains. Je déjeune devant The bookshop sur Arte, un film un peu raté mais pas complètement, qui se termine ainsi : “Comme elle avait raison de dire que personne ne se sent jamais seul dans une librairie.”

Choses qu’on choisit d’écouter

Il y a un peu plus de dix ans, je m’étais inscrite à un atelier d’écriture de scénario dans la ville d’à côté. J’avais l’idée d’un film en particulier, dont j’ai déjà parlé ici. Assez vite, j’ai cessé de venir en atelier. Je ne voulais pas me frotter à la transformation, à la déformation de mon idée, et j’étais très intimidée par les autres participant·e·s. J’ai retrouvé récemment cet email de celui qui animait l’atelier et s’inquiétait de ne plus me voir le samedi matin.

Ne te décourage pas. Tu tiens une bonne histoire.
Je n’avais aucun souvenir de ces mots-là. Ce qui est sûr, c’est qu’à l’époque je ne les ai pas écoutés. Le monde du cinéma comme on le sait ne s’en est jamais relevé.

Avance rapide : dimanche avant-dernier, je papote avec l’amie A. qui pour la énième fois m’encourage à écrire, à reprendre Du cœur à l’ouvrage, affiche un enthousiasme intact quelles que soient la nouvelle idée que je lui soumets et les toutes sortes d’excuses que j’ai pour ne pas m’y mettre.

Ces voix chaleureuses qui sèment en toi l’audace de créer, de ressusciter de vieux rêves, de persévérer, elles existent, elles sont là, précieuses et comme il est facile de les ignorer.

Comme il est tentant d’écouter plutôt toutes les autres voix, dans tes souvenirs ou dans ta tête, qui peut-être te répètent à quoi bon, combien tes désirs sont insignifiants, irréalistes et combien tu es trop ou pas assez pour les réaliser.

J’ai l’impression que l’une des meilleures manières de laisser les voix chaleureuses parler plus fort et plus nombreuses que les voix qui freinent des quatre fers, c’est d’oser partager tes projets, ces débuts d’envie sans forme, sans clarté, fragiles et bancals. La voix haute pour te donner l’occasion d’entendre en retour ces voix amies. Les entendre, puis choisir de les écouter.

Aujourd’hui il a dit

Aujourd’hui il a dit des mots comme ça va, fini de dîner, contrat, je ne sais pas, analphabète, consulat, week-end, Okinawa, télétravail, 15 minutes à vélo, première semaine de mai, à bientôt. J’ai dit des mots comme rien de spécialexamens, résultats, fière de moi, appartement, Paris, je ne sais pas, mois d’août, c’est chouette, première semaine de mai alors, aller manger, je t’embrasse. Huit ans et 13000 km nous séparent. Comme c’est bon de l’entendre. On a dit des mots mais je ne suis pas sûre qu’on se soit parlé.

Aujourd’hui facile facile

Aujourd’hui ce serait facile d’ignorer le réveil, de serrer les paupières et la couette. Facile facile oui mais je ne me pose pas la question. Je suis debout dans ma cuisine et j’attrape ce café. Une heure plus tard, je suis dans cette petite salle pleine à craquer, à faire courir le stylo plume sur mon carnet ligné, en laissant des blancs quand c’est allé trop vite, quand je ne sais pas épeler. Déjà vécu cent fois depuis deux ans : ce sentiment délicieux d’être à la fois perdue et au bon endroit.

La grâce de certains matins

Je termine le beau recueil de poèmes Et recoudre le soleil de Gaëlle Josse que l’une de vous m’a fait découvrir cette semaine, et ne résiste pas à l’envie d’en partager quelques-uns.

*

la grâce de certains matins
lorsque monte le soleil

et cette crainte de les abîmer

*

le courage qu’il faut aux fleurs
pour résister à l’hiver

la patience d’un souffle souterrain
et soudain la lumière
le lent déploiement de la vie

comme tout semble simple

*

quand il faut tout rassembler
autour de soi
le courage les vêtements le sourire
et qu’on n’est pas très sûre de vouloir sortir
dans le tranchant du jour

le corps perdu
le cœur perdu
marcher sur le fil d’un silence
guetter quelques mots de passage
prémices d’un éveil

échos d’une lampe allumée
à la fenêtre
de l’autre côté de la rue

les jours à pas comptés

*

et toujours en voyageuse
démunie
j’aborderai le monde

mes pas accordés au vent
qui se lève

Que l’envers soit aussi beau que l’endroit

affiche du documentaire le siècle des couturières

Un excellent documentaire retrace l’histoire des couturières en France (visible sur france.tv). Ginette Mouchard raconte le moment où elle entre à l’usine et découvre le travail à la chaîne :

“pour moi ça n’avait plus rien à voir avec la couture, on fabriquait, mais on ne faisait pas de couture, c’était que de l’automatisme, (…) c’était étourdissant, abrutissant. Je voyais des personnes qui étaient sur leur machine qui faisaient les mêmes mouvements.”

Martine, première d’atelier, témoigne aussi :

“ça m’intéressait pas de passer des vêtements sous la machine, moi ce que je voulais c’était un métier où il y ait de la recherche. La haute couture, c’est un peu ça. Donc je suis entrée chez Cardin. J’ai toujours pensé qu’en haute couture, il fallait que l’envers soit aussi beau que l’endroit. C’est ça, la qualité du travail.”

J’aimerais développer à partir de ces deux témoignages, en profiter pour parler de ce que j’apprends en psychologie du travail mais je me sens encore hésitante (et là tout de suite un peu feignasse j’avoue).

Dans ce documentaire, j’apprends aussi que le mot midinette désigne à l’origine ces couturières des grandes maisons de mode parisiennes qui déjeunaient (“faisaient dînette”) le midi dans les parcs publics pendant leur pause ; et j’apprends le nom d’Herminie Cadolle qui d’un geste, d’un coup de ciseau, coupa le corset en deux, au niveau du plexus solaire, et inventa ainsi le premier soutien-gorge.

Pourquoi je ne suis pas une « maker »

Je lis cet article passionnant, qui date un peu mais m’avait échappé : Why I am not a maker de Debbie Chachra, dont je te livre quelques extraits (traduits sauvagement dans l’internet) :

“Une identité construite autour de la fabrication d’objets – être un « maker » – imprègne la culture technologique. Il existe une idée très répandue selon laquelle « les personnes qui fabriquent des objets sont tout simplement différentes [comprendre : meilleures] que celles qui ne le font pas ».”

“Lorsque de nouveaux produits sont fabriqués, nous entendons parler d’innovations technologiques passionnantes, qui sont largement considérées comme valant la peine de payer (plus). En revanche, la politique et le discours public concernant les soins – outre l’éducation, les soins de santé viennent immédiatement à l’esprit – consistent rarement à payer plus pour faire mieux, mais plutôt à trouver des moyens de réduire les coûts.”

“Je veux que nous reconnaissions le travail des éducateurs, de ceux qui analysent, caractérisent et critiquent, de tous ceux qui réparent les choses, de toutes les autres personnes qui font un travail précieux avec et pour les autres – par-dessus tout, les soignants – dont le travail ne consiste pas en quelque chose que vous pouvez mettre dans une boîte et vendre.”

Bricoler pour mieux parler

J’apprends ici qu’utiliser des outils et manier des phrases à la syntaxe complexe font appel à des structures communes dans notre cerveau, et qu’entraîner l’une de ces habiletés renforce l’autre. Quelle belle découverte ! Ou plutôt quelle joyeuse confirmation par la science d’un ressenti maintes fois éprouvé ! En faisant des phrases, en tentant d’élaborer un texte ou une pensée, l’intense bricole, le maniement sans les mains, le bruit des outils invisibles pour fabriquer quelque chose, enfin.