Je cherche

brouillard campagne

Je cherche où écrire. Je me demande s’il faut arrêter la newsletter, et laisser les gens venir quand ils veulent sur mon blog. S’y promener ou juste jeter un oeil furtif, sélectif, voir si leur temps peut s’y arrêter. Mais peut-être que personne ne viendra et qu’être lue exige de « m’adresser à ». Ecrire spécifiquement ce texte que j’enverrai par mailchimp et qui atterrira chez quelqu’un. Dire salut, dire à bientôt. Ce luxe d’être invitée ainsi dans une boîte aux lettres, d’avoir une adresse ! Et même s’il n’y a pas d’attente, même si tout le monde oublie, même si chacun peut cliquer sur « se désabonner », le doute immense, idiot, ne pas savoir ce qui mérite d’être envoyé, passer des heures à chercher une idée comme on passe un temps fou devant le présentoir de cartes postales, qu’on fait tourner d’un coup sec, dans la chaleur dégoulinante, avant de passer un temps fou, tout aussi idiot, à concocter maladroitement, sur ses genoux dans un hall de gare, une trentaine de mots au verso de chaque carte. Le plus important, c’est de poster la carte n’est-ce pas. Dire salut, dire à bientôt.

Je cherche quoi écrire. Ma vie me semble trop obsessionnelle, trop monomaniaque en ce moment pour être racontée sans lasser. Je voudrais y ajouter l’odeur des pins et du savon, des voyages en train, des soleils dans les branches, des créations, des choses apprises qui valent d’être dites. Comment raconter les heures échevelées de fichiers, d’articles, de bouquins ? Ces heures tantôt affreuses tantôt heureuses ? D’autres y arrivent bien.

Je cherche comment écrire. Je crains ma mélancolie, je crains de peser, de poser des mots lourds, des phrases qui peinent, qui traînent, qui figent les maux au lieu de les penser-panser. Je n’aime pas ça chez moi, et je crois que le problème est là. Si j’acceptais complètement cette mélancolie dans mon écriture, si j’embrassais pleinement ce trait, peut-être que j’arriverai à écrire ce qui touche, à faire vivre les mots, les mettre en mouvement, ce truc qu’on appelle l’émotion. Je repense à ce passage de Currey sur Beckett :

« Durant une promenade nocturne près du port de Dublin, il se retrouva au bout d’une jetée, pris dans une tempête hivernale. Entre les hurlements du vent et les bouillonnements de la mer, il s’ aperçut soudain que « la noirceur qu’il s’était efforcé de dompter » dans sa vie – et dans son écriture qui, jusqu’alors, avait échoué à répondre à ses aspirations et à trouver un public – devait être, en définitive, la source de sa veine créatrice. « Je serai toujours déprimé, conclut-il, mais ce qui me console, c’est de comprendre que je peux désormais accepter cette part d’obscurité comme la dominante de ma personnalité. Et en l’acceptant, je la ferai travailler pour moi. » (Beckett, dans Tics et tocs des grands génies de Mason Currey)

Sans toutefois me sentir « toujours déprimée », j’ai senti en lisant cela qu’il y avait là quelque chose pour moi, quelque chose d’important.

Je ne cherche pas à qui écrire. Cette question finalement ne vient pas. J’écris. Je sais que peu de personnes me lisent, je sais que quelques personnes me lisent, je sais que chacun-e me lit avec ses yeux, avec son avant, son après. Qu’on se ressemble un peu, et pas tant. Qu’on se retrouve sans se trouver, sans avoir besoin de se trouver dans les mêmes espaces-temps. Il y a les mots écrits et les mots lus, ce qu’il voulaient dire, ce qu’ils peuvent dire. Et ils revivent chaque fois, différemment.

Je ne cherche pas pourquoi j’écris.
Je cherche plus souvent pourquoi je n’écris pas.

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