Choses aimées 22-52

Quelques choses cueillies qui donnent du cœur à l’ouvrage.

///

Ce dialogue dans la série géniale Only murders in the building :

We don’t want to make a mess of this.

AH HA !, lean in for the nugget, folks. Are you ready for the nugget ? Embrace the mess. That’s where the good stuff lives.

Embrace the mess. 

///

William Faulkner : « Écrire, c’est comme craquer une allumette au cœur de la nuit en plein milieu d’un bois. Ce que vous comprenez alors, c’est combien il y a d’obscurité partout. La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mieux mesurer l’épaisseur de l’ombre »

Craquer une allumette.

///

Cheryl Strayed dans Wild : « Je savais que si je laissais la peur m’envahir, mon voyage était voué à l’échec. La peur est en grande partie due aux histoires qu’on se raconte, alors j’avais décidé de me raconter autre chose que ce qu’on répète aux femmes. J’avais décidé que je ne courais aucun danger. J’étais forte. Courageuse. Rien ne pourrait me vaincre. M’en tenir à cette histoire était une forme d’autopersuasion, mais, la plupart du temps, ça fonctionnait. Chaque fois que j’entendais un bruit d’origine inconnue ou que je sentais quelque chose d’horrible prendre forme dans mon imagination, je le repoussais. Je ne me laissais tout simplement pas impressionner. La peur engendre la peur. La puissance engendre la puissance. Alors j’avais opté pour la puissance. Et il n’a pas fallu longtemps pour que je cesse réellement d’avoir peur. »

La peur engendre la peur. La puissance engendre la puissance.

///

Bérengère Cournut, invitée de Marie Richeux dans l’émission Par les temps qui courent :

« Quand on me demande ce qu’est la poésie par exemple, je n’ai pas de définition très claire mais il me semble que c’est un positionnement. C’est toujours le pas de côté qu’on va faire sur tout type de situation, tout type de sentiment, que ce soit la tristesse ou la joie. Il suffit de faire un tout petit pas de côté pour changer l’angle de vue. Et tout de suite, ça devient un petit peu étrange et un peu plus poétique. Moins personnel aussi. C’est aussi ça pour moi l’enjeu. »

Le pas de côté. Changer l’angle de vue.

///

Mona Chollet, invitée de Sonia Devillers sur France Inter : « On donne une valeur morale à la beauté des femmes. (…) Il faut beaucoup de courage pour se débarrasser de l’envie d’être belle. » 

Se débarrasser de l’envie d’être belle.

///

Philippe Torreton, invité de Sonia Devillers sur France Inter :

« Je ne joue pas, je dis. Le texte, rien que le texte. C’est la seule façon d’échapper selon moi à la dictature de ce qu’on est, de soi-même, de son corps, de ses défauts et même de ses qualités. S’estimer vachement beau est aussi dangereux que s’estimer nul et moche. La seule façon de se débarrasser de soi, c’est de se missionner pour quelque chose d’autre. Se missionner pour un metteur en scène, c’est dangereux. Se missionner pour un texte, c’est pas dangereux. Il ne peut pas y avoir d’abus avec le texte, le texte il est là. Il a été écrit pour l’humanité, pas spécialement pour toi. En s’oubliant, en se missionnant, c’est là qu’on apparaît. Finalement on apparaît quand on cherche pas à apparaître. » 

En s’oubliant, en se missionnant, c’est là qu’on apparaît.

///

Agnès Desarthe, invitée de Cécile Coulon sur France Inter :

« Un des encombrements les plus importants quand on écrit, c’est soi. Parce qu’on n’est que soi déjà, c’est tout petit. On sait pas grand chose, on sait pas faire grand chose, on a une toute petite vie, on n’en a qu’une. Pfffou qu’est-ce qu’on va faire avec ça ? Et puis surtout on se dit : « Qu’est-ce que je vaux ? Pourquoi j’écris ? Qu’est-ce qui me prend d’être là ? Qu’est-ce qui me prend de prendre la parole ? Pourquoi moi ? Je pourrai faire mieux. Je suis paresseuse. Et ils font quoi les autres pendant ce temps-là ? Ah, ah oui, oh là là c’est mieux. » Tout ça, c’est de la perte de temps. Et parfois oui c’est triste, oui on est un peu triste parfois quand on écrit. Avec la traduction, c’est la joie du mot, c’est la jubilation de l’écriture, et il n’y a pas tout ça. Mais, mais, mais, mais. Parfois, quand on écrit, ça se passe bien. » 

Et à la question “Qu’est-ce qui est intraduisible pour vous ?”, Agnès Desarthe répond : 

« Rien ! (…) Rien, c’est la même réponse que si je vous répondais tout.(…) C’est parce que tout est intraduisible que rien n’est intraduisible. Traduire c’est voué à l’échec. Un jour on m’a demandé quel était le mot qui définissait le mieux mon activité, et j’avais dit : déception. Quand j’écris, c’est décevant. Quand je fabrique, c’est décevant. Quand je traduis, c’est décevant. La déception, c’est très au coeur de mon métier. C’est impossible ! C’est impossible de traduire. Mais c’est comme dire c’est impossible de connaître l’autre. Est-ce que c’est vraiment une raison pour rester chez soi, tout seul, à moisir ? Au contraire ! Essayons… Puisque c’est impossible. Essayons. Et essayons de toutes nos forces. On peut que aller vers le mieux, puisqu’on part battus. » 

Essayons de toutes nos forces. Puisque c’est impossible.

///

Joan Didion, dans la préface de son premier recueil d’essais Slouching Towards Bethlehem (1968), citée par Mason Currey dans sa newsletter

« Je ne sais pas ce que je pourrais vous dire de plus sur ces textes. Je pourrais vous dire que j’ai aimé en faire certains plus que d’autres, mais que tous ont été difficiles à faire et m’ont pris plus de temps qu’ils n’en valaient peut-être la peine ; qu’il y a toujours un moment dans l’écriture d’un texte où je suis assise dans une pièce littéralement tapissée de faux départs et où je n’arrive pas à mettre un mot après l’autre et où j’imagine que j’ai subi une petite attaque cardiaque, me laissant apparemment indemne mais en réalité aphasique. » 

Mettre un mot après l’autre.

///

Ce poème “Failures in Infinitives” de Bernadette Mayer  (ah tiens, il date de 1968 aussi !)

Why am I doing this ?

///

Lara Fabian, aux élèves de la Star Academy : « Il est plus l’heure de se demander si on fait bien ou si on fait mal, il est l’heure de chanter. » 

L’heure de chanter.

Le courage d’être mauvais·e

« Ça, je te l’ai dit, on met très longtemps à être connu du jour au lendemain »

Pourquoi il faut regarder la série Drôle sur Netflix ?

(Et spoiler alert, non pas parce que c’est drôle, ça l’est parfois mais c’est pas comme ça que je la définirais)

La série plonge avec passion dans une salle de comedy club, on sent presque la bière qui colle aux pieds et la sueur de celleux qui foulent la scène. On suit plusieurs comédiens de stand-up qui espèrent enfin percer, ou retrouver une gloire passée, ou bien oser pour la première fois se lancer. 

Et on s’attache tôt ou tard, même dans les pires malaises, à tous les personnages, c’est  la patte de Fanny Herrero, scénariste et showrunneuse de cette série, après l’avoir été sur Dix pour cent.  

À voir absolument. Parce que ça parle d’écriture, de création, de travail et de persévérance, des mots qu’on triture et malaxe cent fois pour espérer sortir une petite phrase qui tient la route, de l’art si délicat d’un texte qui fera mouche, des journées funambules pour gagner sa vie sans perdre les espaces-temps dédiés à ce qu’on brûle de faire, du courage d’être mauvais, longtemps, très longtemps, avant d’être bon, de ce qu’on ose dire ici et pas là, de la reconnaissance qu’on attend d’untel précisément et qui ne viendra jamais, de ce qu’on détruit autour de soi, en soi, quand on ne crée pas, des proches qui soutiennent, malgré tout, des proches qui ne comprennent pas, des proches qui empêchent, du succès perdu, de repartir de zéro chaque fois, de la douleur de croire qu’on y arrivera plus, de l’addiction au souvenir de cette fois-là où on y arrivait, et du bonheur complètement fou de surmonter les jambes en coton pour se tenir là, face à, debout.

La grâce de certains matins

Je termine le beau recueil de poèmes Et recoudre le soleil de Gaëlle Josse que l’une de vous m’a fait découvrir cette semaine, et ne résiste pas à l’envie d’en partager quelques-uns.

*

la grâce de certains matins
lorsque monte le soleil

et cette crainte de les abîmer

*

le courage qu’il faut aux fleurs
pour résister à l’hiver

la patience d’un souffle souterrain
et soudain la lumière
le lent déploiement de la vie

comme tout semble simple

*

quand il faut tout rassembler
autour de soi
le courage les vêtements le sourire
et qu’on n’est pas très sûre de vouloir sortir
dans le tranchant du jour

le corps perdu
le cœur perdu
marcher sur le fil d’un silence
guetter quelques mots de passage
prémices d’un éveil

échos d’une lampe allumée
à la fenêtre
de l’autre côté de la rue

les jours à pas comptés

*

et toujours en voyageuse
démunie
j’aborderai le monde

mes pas accordés au vent
qui se lève

Que l’envers soit aussi beau que l’endroit

affiche du documentaire le siècle des couturières

Un excellent documentaire retrace l’histoire des couturières en France (visible sur france.tv). Ginette Mouchard raconte le moment où elle entre à l’usine et découvre le travail à la chaîne :

“pour moi ça n’avait plus rien à voir avec la couture, on fabriquait, mais on ne faisait pas de couture, c’était que de l’automatisme, (…) c’était étourdissant, abrutissant. Je voyais des personnes qui étaient sur leur machine qui faisaient les mêmes mouvements.”

Martine, première d’atelier, témoigne aussi :

“ça m’intéressait pas de passer des vêtements sous la machine, moi ce que je voulais c’était un métier où il y ait de la recherche. La haute couture, c’est un peu ça. Donc je suis entrée chez Cardin. J’ai toujours pensé qu’en haute couture, il fallait que l’envers soit aussi beau que l’endroit. C’est ça, la qualité du travail.”

J’aimerais développer à partir de ces deux témoignages, en profiter pour parler de ce que j’apprends en psychologie du travail mais je me sens encore hésitante (et là tout de suite un peu feignasse j’avoue).

Dans ce documentaire, j’apprends aussi que le mot midinette désigne à l’origine ces couturières des grandes maisons de mode parisiennes qui déjeunaient (“faisaient dînette”) le midi dans les parcs publics pendant leur pause ; et j’apprends le nom d’Herminie Cadolle qui d’un geste, d’un coup de ciseau, coupa le corset en deux, au niveau du plexus solaire, et inventa ainsi le premier soutien-gorge.

Bricoler pour mieux parler

J’apprends ici qu’utiliser des outils et manier des phrases à la syntaxe complexe font appel à des structures communes dans notre cerveau, et qu’entraîner l’une de ces habiletés renforce l’autre. Quelle belle découverte ! Ou plutôt quelle joyeuse confirmation par la science d’un ressenti maintes fois éprouvé ! En faisant des phrases, en tentant d’élaborer un texte ou une pensée, l’intense bricole, le maniement sans les mains, le bruit des outils invisibles pour fabriquer quelque chose, enfin. 

D’une aube à l’autre

Trois des cinq poèmes qui composent « Monde » de Philippe Jaccottet dans Poésie 1946-1967.

Poids des pierres, des pensées
Songes et montagnes
n’ont pas même balance
Nous habitons encore un autre monde
Peut-être l’intervalle

Peu m’importe le commencement du monde
Maintenant ses feuilles bougent
maintenant c’est un arbre immense
dont je touche le bois navré
Et la lumière à travers lui
brille de larmes

Accepter ne se peut
comprendre ne se peut
on ne peut pas vouloir accepter ni comprendre
On avance peu à peu
comme un colporteur
d’une aube à l’autre

On ne peut pas. Et on écrit.

« Ecrire.
Je ne peux pas.
Personne ne peut.
Il faut le dire : on ne peut pas.
Et on écrit.
(…)

L’écriture, c’est l’inconnu. Avant d’écrire, on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité.
C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps.
(…)
Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait pas, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine.
Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait – on ne le sait qu’après – avant, c’est la question la plus dangereuse qu’on puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi. »

Marguerite Duras, Ecrire, 1993

Tu commences sans savoir

Dans un post intitulé Non-negotiable, Austin Kleon écrit : « It’s not easy to sit down every day with next-to-nothing and try to make something appear. But this portion of our day is non-negotiable. You start out not knowing and go from there. (Remember: It doesn’t have to be good, it just has to exist.)« 

Partir à l’aventure

C’est plutôt magique le commencement. Tellement magique qu’on ne sait pas très bien où ça se situe. Un voyage par exemple, à quel moment est-ce qu’il commence ? Quand on en a l’envie, quand on le rêve, quand on laisse courir ses pensées sur l’atlas ou qu’on zoome sur google maps, quand on achète un guide ou un billet, quand on fait sa valise, quand on ferme la porte de chez soi, quand on s’asseoit dans le train ou dans l’avion, ou dès qu’on marche enfin dans des rues inconnues ?

Idem pour un projet de création ou d’entreprise, c’est quand, c’est quoi, le commencement ?

Dans Comme un avion, Bruno Podalydès filme et interprète un passionné d’aéropostale qui décide d’entreprendre une petite expédition en… kayak. Première partie du film : la découverte fascinée de l’objet, sur internet puis en vrai au déballage du colis, le montage laborieux du kayak dans son salon puis sur le toit de sa maison, le soin pour dresser la liste du matériel à emporter (« oui » dit-il, « j’accorde une grande importance au matos »), le manuel des castors juniors à portée de main, l’excès de zèle pour s’équiper. C’est clairement la meilleure partie du film, avant que le kayak ne flotte sur l’eau, parce que Podalydès est un spécialiste de la préparation, du rêve à matérialiser, des panoplies du commencement. C’était pareil dans Liberté-Oléron, un autre de ses films, où le père de famille en vacances se fantasme capitaine de bateau, fait la folie d’en acheter un, on suit là aussi tous les préparatifs, le matériel, la documentation, le rêve d’enfant et les joies et déboires de l’adulte dans la réalité.

« Dans le jardin familial, j’adorais avec Denis construire des radeaux, donc on posait juste des planches dans le gazon et on y séjournait comme si on était sur le Kon-Tiki, coupés du monde, on se croyait en mer. Et mon plaisir le plus intime, c’était de me mettre sur le bord de la planche et de regarder la fin du radeau, là où on est encore sur le bois, et l’herbe c’était l’océan. Et cette espèce de frontière, l’aventure, intérieure/extérieure, jmsuisdit comment je pourrais raconter ça au cinéma : ce début de l’aventure, le voyage, être chez soi, comme on est chez soi chez Jules Verne dans le sous-marin, et en même temps dans le monde, extérieur. » (Bruno Podalydès dans cette interview ci-dessous)

J’ignore si c’est vraiment le commencement, mais j’aime ces débuts-là, ce moment où le kayak prend soudain toute la place dans notre vie, on l’apprivoise, il nous résiste, on se prépare, on s’apprête, on liste, on se procure, on accumule, tout cet avant d’aller sur l’eau.

Ce goût singulier de s’y mettre un peu, avant de s’y mettre vraiment. Le plaisir de se projeter et de soigner tous les signes de ce qui est à venir.

Je sais aussi que j’aime un peu trop ça. J’ai tendance à fixer le bord du radeau, rêver l’herbe-océan, collectionner des panoplies, ne jamais commencer vraiment.

Mon projet, mon kayak à moi, n’est pas un projet d’écriture mais ce sont les exemples tirés de l’écriture et de la création qui me parlent le plus sur ces sujets du faire et du commencement. Peut-être parce que c’est l’un des domaines où j’expérimente aussi la Résistance (Steven Pressfield, War of art), et où j’apprends, cahin-caha, à lui tenir tête.

Alors pour finir sur le commencement, voici deux ressources de ma panoplie :

Ne me dites pas que je suis fragile

1/2

J’ai revu un film qui m’avait bouleversée : Pupille. Si tu ne l’as pas vu, c’est l’histoire d’un enfant né sous X, et du parcours de son adoption.

A la veille de l’adoption, Elodie Bouchez, à qui l’on demande si ça va, répond très assurément, dans un large sourire : « très bien ! » puis ajoute : « Ça vous dérange si je m’allonge un tout petit moment par terre ? ».

Et elle s’allonge un tout petit moment par terre. « Ça va super, je me sens carrément prête, j’ai l’estomac un peu fragile en ce moment. »

Ce n’est pas l’instant le plus intense ou émouvant du film. En revanche, il est à son image, où les personnages sont beaux et forts de leur « fragilité ». Le film n’est pas une ode à la défaillance, il s’agit bien d’être solide, d’être en capacité de. Mais il dit fort aussi qu’il n’y a pas d’émotions qui t’incapaciteraient. Il fait de la vulnérabilité une évidence, quelque chose de posé dès le départ, c’est la matière avec laquelle les gens avancent, dialoguent et travaillent.

Il y a cette femme qui, c’est vrai, est prête, qui va bien, et qui ose dire – parce qu’elle traverse un truc complètement dingue et parce qu’elle sait qu’on ne la juge pas – qu’elle a besoin de s’allonger un tout petit moment par terre. Et le fait.

Et c’est merveilleusement simple et subtil.

Il n’est pas question de gens forts versus gens fragiles.

2/2

Tu l’auras compris, j’ai un peu de mal avec le concept de « fragilité ».

Dans Retour vers le futur, Marty part en vrille dès qu’on l’appelle ‘mauviette’ (« chicken » en VO). Son orgueil est touché, « nobody calls me chicken », il prend des risques inutiles pour démentir son adversaire, et ça le mène systématiquement à sa perte… jusqu’à la fin du troisième film où il sort enfin de ce cercle vicieux, sauve son futur, en ne cédant pas à l’énième provocation qui se présente.

Dans la série Lost, John Locke, lui, part en vrille avec son légendaire (oui, légendaire, il y a des GIFs) : « Don’t tell me what I can’t do ».

Mon talon d’Achille à moi, ce qui me fait partir en vrille (même si c’est sans effets spéciaux américains), c’est quand on me dit que je suis fragile. Je l’ai beaucoup entendu, et je n’ai jamais vraiment compris ce que ça voulait dire. Dans le fond, au coeur de moi, je ne me sens pas fragile, merci bien.

Alors, on peut continuer à s’époumoner comme Locke ou Marty : Don’t tell me I’m fragile, Nobody calls me fragile (tu peux remplacer fragile par le truc qui te fait toi partir en vrille). Et adhérer, dans cette lutte blessée, à une vision simpliste des gens forts versus des gens fragiles.

Ou on peut reconnaître le merveilleusement simple et subtil : se sentir prêt.e et s’allonger un tout petit moment par terre.

L’urgence de croire aux fauves

Je suis tombée sur cette critique du livre Croire aux fauves .

C’est le récit d’une anthropologue, mordue au visage par un ours en Russie en 2015.

À la lecture de l’article, j’ai ressenti l’urgence de lire ce livre. Je me suis précipitée le week-end dernier dans ma librairie, c’est assez rare que j’y entre en sachant ce que je cherche. J’ai passé la porte, parcouru du regard le présentoir des dernières parutions francophones : le livre est repéré, je l’attrape et passe en caisse. Je n’ai fait qu’un survol des autres présentoirs, quand d’ordinaire je me promène dans cette petite pièce une bonne demi-heure.

L’urgence d’avoir ce livre.

Et je l’ai commencé dès que je suis rentrée.

La même urgence en le lisant, c’est son écriture qui veut ça. Ça semble vital pour elle de nous raconter ce qui est arrivé, le face-à-face avec l’animal, les âmes mélangées, le sang mêlé, et surtout les soins subis, la convalescence imposée après la blessure. Ça semble vital, et urgent. Ça ne traîne pas, on dirait qu’elle écrit comme si elle voulait aussi vite vite témoigner ou déposer hors d’elle tout en sachant que c’est impossible. 

Ça me plaît bien jusqu’ici.

Ça fait plusieurs mois, le printemps je crois, que je n’ai pas fini un seul bouquin. Ah si une BD et un livre de dév perso à l’automne si mon souvenir est bon. Ça me manque beaucoup de ne plus lire, ou plutôt de ne plus savoir finir une lecture. Je reviens encore et toujours à ça : la question de la place qu’on fait, du temps qu’on laisse, pour qu’une histoire se fasse ou nous soit contée.

Si je n’écris pas trop longtemps ce soir, je vais pouvoir revenir au livre, lui faire une petite place avant de m’endormir, plonger dans ce récit à la fois du réel et mystique, je vais pouvoir croire aux fauves.

« Il n’a pas voulu te tuer, il a voulu te marquer. Maintenant tu es miedka, celle qui vit entre les mondes. Le mot évène miedka est employé pour désigner les personnes « marquées par l’ours », qui ont survécu à la rencontre. Ce terme renvoie à l’idée que la personne qui porte ce nom est désormais moitié humaine, moitié ours. »

Nastassja Martin, Croire aux fauves, 2019

Surprise, oui

Entretien avec le peintre Soulages sur France Culture : ces extraits retranscrits m’inspirent tellement, je les partage sans même avoir pris le temps, je vous avoue, d’écouter l’émission.

Quand on l’interroge sur sa méthode de travail, les mots sont simples, mais le mystère reste entier : « Arriver à l’atelier, et attendre d’oser.(…) »

Sur la notion de plaisir dans son travail, Pierre Soulages répond : « Je ne fonctionne pas comme ça. Surprise, oui. D’ailleurs souvent je m’aperçois que ce que je fais dépasse de beaucoup ce que j’ai voulu faire, et dans le bon sens, dans un sens que je n’aurais peut-être pas imaginé, alors c’est peut-être une satisfaction, oui. »