Choses aimées 23-04

La cueillette de la semaine 4 :

Nous avons parlé. Je lui parle de la tristesse de voir cette mémoire partir. Il comprend. Il dit qu’il faut vivre chaque jour pleinement. Il dit que l’on doit se lever le matin avec le désir du monde. Car de toutes façons à la fin les choses sont brisées, cassées, pulvérisées.
Karl Dubost sur les carnets web de la Grange

se lever le matin avec le désir du monde

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Il est clair pour moi qu’on ne pense jamais tout seul, on pense avec les autres, les morts et les vivants.
Carmen Castillo au micro de Marie Richeux sur France Culture

avec les autres, les morts et les vivants

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« Je veux écrire je veux que mon écriture n’ait pas de sens je veux que mon écriture soit stupide. Mais le langage que j’utilise n’est pas ce que je désire et fabrique. C’est ce qui m’est donné. Le langage est toujours une communauté. Le langage est ce que je sais et c’est mon cri. »
Kathy Acker, Don Quichotte, traduit par Laurence Viallet
Extrait lu sur la page d’accueil de https://chroniquesdesimposteurs.wordpress.com/

et c’est mon cri

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I have so much writing scattered across myriad notebooks, writing editors, pages, notes, old blogs, the cloud, social media apps, etc.

Do I need all of these containers? Sometimes I feel these various platforms evoke different aspects of myself, affecting my writing.

My private writing is a mish-mash of unfinished thoughts, drawings, ideas for projects, and a disregard for unpretty words or clever sentences. I write fast, unbridled. Copious tangents and rants. Deviant notions and gushing obsessions.

My public writing feels restrained, edited, light, safe, and reined in. Bland?
Veronique sur son blog

a disregard for unpretty words or clever sentences

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Keeping too many words private weighs me down, not in the sense that they are depressing, but more symbolically… and almost literally. Private words literally function like weights. They seep through the crust and stay close to my core. They ground me. They anchor me. They keep me from floating away.

Even so, I publish most things instead of keeping them private.

Because, first of all, it’s incredibly difficult to keep private things private. Even though I will of course omit personal details, something will get into the public words. It is near-impossible to keep things separated.
Ithaka O sur son blog

keep me from floating away

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L’idée c’est d’avoir un petit carnet toujours avec moi (à cet instant par exemple il touche mon coude droit), dans lequel je note toutes mes idées sous la forme j’aimerais, je pourrais.
(…)
J’aimerais, je pourrais – no pressure – juste, sonder mon coeur sur ce qu’il désire, sonder mon être sur les forces dont il dispose. Le stylo à la main, prendre la dictée de ce qu’ils ont à me dire – sans me préoccuper du comment, de si je vais le faire, ou pas.
Je prends des idées. Je prends des forces. Je prends du courage.
Christie sur son blog maviesansmoi

j’aimerais
je pourrais

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– On n’épuise pas le réel, son infinie densité, on ne l’épuise pas.
– Alors on fait quoi avec la lumière de l’écriture, on le creuse, on y revient, on le regarde sur un autre angle ?
– Déjà, on fait ce qu’on peut. Ça, c’est sûr. Je n’ai appris que ça en 25 ans d’écriture. On écrit les livres qu’on peut. Et celui-là me l’a rappelé de façon haute et claire.
Marie-Hélène Lafon au micro de Marie Richeux sur France Culture (à environ 28’)

je n’ai appris que ça

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« écrire est souvent refuser d’écrire, refuser de raconter, refuser de se plier à la grande racontade généralisée » ;
« écrire : l’art de la juxtaposition, de l’ellipse : un changement : un tournant : un ultime touillage de la marmite pour y racler le fond : une obstination »
Edith Msika

y racler le fond : une obstination

Choses aimées 23-03

La cueillette de la semaine :

Ces 2 poèmes : “La cantoche” et “Insuffisant”
de Thomas Vinau sur son blog

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A chaque fois, j’oublie.
A chaque fois, la vie me dévore et j’oublie de venir écrire. Je me fais happer par toutes les distractions que le monde m’apporte. Je fais la pieuvre, je me lance dans mille projets en même temps. Je monte des projets, j’accompagne, j’écris pour d’autres. Je fonctionne pour le collectif et j’oublie mon dedans. Je cours partout et je n’écoute pas. Je fais des tours, des ronds, des cercles qui finissent toujours pareil.
A chaque fois, je reviens ici.
(…)
A chaque fois, je me rappelle.
Qu’il y a quelque chose à l’intérieur qui ne demande qu’à être posé. Ecrit. Que tous les mots qui papillonnent dans ma tête attendent simplement d’être attrapés. Couchés sur du papier. Que c’est ce que j’aime le plus faire et que j’oublie pourtant toujours. Concentrée sur ma carrière, mes projets professionnels, je me coupe de ce qui palpite en dedans. Tout ce qui me fait créer des choses à partir du néant.
lu sur le blog murmuration

à chaque fois, j’oublie
à chaque fois, je reviens ici

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Je le dis et le re-écris tant que cela est possible pour déculpabiliser certaines thèses têtes candidates au doctorat, un sujet évolue au gré et malgré toute bonne volonté de cohérence et de ligne droite. Certaines thématiques, angles d’approches, intérêts ou hypothèses de recherche sont tels qu’ils sont à domestiquer sur la durée, comme certains chats. (…)

Faites meute avec des enfants aussi perdus que vous.

Trouvez-vous un coin où tatônner dans le noir.

Gardez en tête la Louve anglaise

qui parlait de ses chambres à soi
dont on a encore besoin au-delà des espaces dont les cloisons se multiplient autour de nos écrans.

Partez de rien, pensez la déconstruction d’un système pour la fabrique du vôtre, trouvez votre ERRANCE FERTILE.
Margot Mellet dans son journal de recherche sur blank.blue

trouvez votre errance fertile

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Instead of crowding your attention with what’s already going viral on the intertubes, focus on the weird stuff. Hunt down the idiosyncratic posts and videos that people are publishing, oftentimes to tiny and niche audiences. It’s decidedly unviral culture — but it’s more likely to plant in your mind the seed of a rare, new idea.

I love the idea of “rewilding your attention”. It puts a name on something I’ve been trying to do for a while now: To stop clicking on the stuff big-tech algorithms push at me.

The metaphor suggests precisely what to do: If you want to have wilder, curiouser thoughts, you have to avoid the industrial monocropping of big-tech feeds. You want an intellectual forest, overgrown with mushrooms and towering weeds and a massive dead log where a family of raccoons has taken up residence.
Clive Thompson

focus on the weird stuff

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(en parlant de Louis De Funès) sa manière de fonctionner, sa mauvaise voix est délicieuse, ses défauts sont délicieux. Les défauts, les défauts des hommes, c’est ce qu’il y a de plus intéressant, c’est de ça qu’il faut parler, de nos défauts. Si on met un couvercle sur nos défauts, on se voile la face. La beauté de l’âme n’est pas très intéressante à représenter, les défauts oui.
Christian Hecq dans le grand atelier sur France Inter

c’est de ça qu’il faut parler, de nos défauts

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Il décrit l’avancée de son œuvre en deux ou trois mots plats. Il fait un croquis pour montrer sur quel bonhomme il travaille, il trace une flèche et il écrit :

jeudi les cuisses et les flancs
vendredi le bras
samedi cette tête de mort qui est sur le côté

C’est un rapport d’activité, ça pourrait être chiant à mourir, mais ça m’a passionné. L’art, c’est aussi ça : abattre du boulot, méticuleusement, jour après jour.
Antonin Crenn dans son journal

l’art c’est aussi ça : abattre du boulot, méticuleusement, jour après jour

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Que la peinture comme l’écriture ne cessent d’agir sur qui nous sommes, ou pensons être. Que peinture et écriture nous modifient. Non pas une image projetée vers un avenir. Mais plutôt à la façon qu’entreprend le sculpteur, en ôtant peu à peu de la matière pour enfin distinguer la forme. Une question importante qui revient régulièrement lorsque je peins, j’écris, c’est est-ce que le tableau ou le texte n’existe pas déjà en amont. Que ces objets, buts, intentions sont là depuis toujours, et que seules la patience et la régularité dans le travail permettent peu à peu de les distinguer.
Patrick Blanchon sur peinturechamanique.blog

seules la patience et la régularité

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Il s’agira, plus exactement, de consacrer 10 minutes (ou moins, bien sûr, mais pas plus !), chaque jour, à rédiger une liste des tâches que nous aurons effectuées, tâches liées à l’écriture et/ou à toute activité rémunérée. Si l’une d’entre nous considère que marcher, nager, cuisiner fait partie de l’écriture, elle l’inscrira dans sa liste.

Chaque jour, nous nous enverrons mutuellement nos listes par mail et je propose que nous programmions ces mails pour qu’ils arrivent à 18h dans nos boîtes respectives, quel que soit le moment où nous avons effectivement écrits, afin de ne pas parasiter nos sommeils respectifs. L’idée est de réussir à écrire et envoyer quotidiennement ses dix minutes.
Anne Savelli dans son semainier du 15 janvier 2023

si l’une d’entre nous considère que marcher, nager, cuisiner fait partie de l’écriture, elle l’inscrira dans sa liste.

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L’écriture, c’est la lutte. Se battre contre ce qu’on sait déjà faire, avancer vers le bancal, le ridicule, le mal foutu, le mal écrit, le mal nommé.
Anne Savelli dans son semainier du 22 janvier 2023

se battre contre ce qu’on sait déjà faire

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Je ne prétends pas avoir de solution, ni même de réponse. Je ne prétends pas non plus savoir comment traiter ces questions dans de la fiction, ni avoir les connaissances ou les compétences pour traiter ces questions de manière efficace. En fait, je ne prétends rien du tout, si ce n’est poser des questions.
Hortense Merisier sur son blog

je ne prétends rien du tout, si ce n’est poser des questions

Choses aimées 23-02

La cueillette de la semaine 2 :

It’s really just an online diary that I sent to people. Is that a good idea? Probably not. Am I doing it anyway? Yes.
Annie Mueller sur la page À propos de sa newsletter

Am I doing it anyway ? Yes.

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Etre reconnaissante, malgré l’étonnement, aux lecteurs, mais sans y prêter trop d’importance pour ne pas souffrir de leur absence, il y a tant de choses plus graves.
Brigetoun sur son blog

être reconnaissante, sans y prêter trop d’importance

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All that matters is what lands on the page or the screen, and I don’t see that worrying about not having written yesterday is in any way a help to you writing today. It’s easily the opposite: if you build up this idea that you’re a fraud for not writing every day, I suspect it becomes harder to write any day.
(…)
Because if your failing to write every day means you’re a fraud, then be a fraud. Be very a fraud. All that matters is what ends up on the page and the screen, whatever it takes, however long it takes, whether it’s a daily effort or not.
William Gallagher sur son blog

whatever it takes, however long it takes

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I used to think that I needed a few hours to write a blog post. One day, I decided to limit myself to just one hour. I finished the post in time. Now, an hour is all I need.
(…)
The next time you think you can’t do something, give yourself permission to do it anyway.
Do it in a shorter amount of time than you think is reasonable.
Allow yourself fewer resources than you think you need.
And watch next-level magic happen.
Ozan Varol sur son blog

do it in a shorter amount of time

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Other times, I feel like I’m writing the same thing over and over again. Today, I realised that is the whole point. That is basically my life. Every week it feels like it is playing the same script over and over again while I’m desperately trying to write a new one, yet it feels like my document keeps losing its saves.
And somehow I have to find the will and courage to start all over again.
Winnie Lim sur son blog

the will and courage to start all over again

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Every action has the same value! This is something I needed to be reminded of recently, especially with my February 1st book deadline looming. The efforts that don’t really lead anywhere, that seem wasted—and this is a lot of my efforts in writing—they’re not just somewhat valuable, in their own way, I guess. They’re equally as valuable as the efforts that pay off in a more obvious or straightforward way.
Mason Currey dans sa newsletter

this is something I need to be reminded of

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Et lorsque je viens d’écrire, de retravailler mon chapitre, avec ses pleins et ses creux, avec les fécondités et les stérilités de la réécriture, je porte encore en moi la satisfaction de m’y être remise et la frustration de n’avoir pas trouvé une solution satisfaisante à tel ou tel passage. En marchant, je rumine cette frustration comme une énigme, une équation.
Christie dans son billet “ce que la marche apporte à l’écriture”

comme une énigme, une équation

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« J’ai envie de marcher par les rues. De regarder les visages. J’ai envie de m’offrir ces boots noires remarquées l’autre jour. J’ai envie de rentrer parce que j’ai une furieuse envie d’écrire mes bidules. J’ai envie de dire des sornettes. Faire la cuisine. Inviter. J’ai envie de lire. De rester informée. J’ai envie de dire oui, moi qui ai le non à la bouche. — J’ai envie j’ai envie j’ai envie… »
Anna Urli-Vernenghi  sur son blog

j’ai envie

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J’aime bien me rendre compte d’à quel point l’envie décroit avec le temps. Si je n’écris pas mon cheminement (de pensées) dans la foulée d’une sortie en forêt, je sais que ça n’aura pas lieu. Les émotions du moment s’évanouissent, les anecdotes deviennent fades, les réflexions se noircissent ou se teintent d’une sur-interprétation. Comme si elles n’étaient plus… en vie.
David Larlet sur son blog

en vie

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Des mots et des pas, voilà ce qui est important, pour ce moment, seul, dans la ville.
Karl Dubost sur son blog

des mots et des pas

Choses aimées 23-01

La cueillette des choses aimées cette semaine :

Ce poème de Thomas Vinau à lire sur son blog : Premier lundi de janvier

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Un extrait des carnets d’Ingmar Bergman, lu sur le blog nos consolations :

« Accomplir sa tâche, sans chercher à tricher, à tromper ou à se dérober. Quoi qu’il en coûte.
Faire ce à quoi on s’est engagé.
Penser à SDG et agir en conséquence.
On n’a pas besoin d’entreprendre plus que ce dont on est capable.
Apprendre à renoncer, quand le combat est vain. Reconnaître ses défaites.
Ne pas toujours être le meilleur.
Se pardonner, car personne d’autre ne le fera (ou ne se donnera la peine de le faire). »

ce dont on est capable

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Ce tweet de @bastramu : je pense que si j’écris au moins un peu le 1er janvier, il y a de fortes chances pour que j’écrive toute l’année, en tout cas j’ai bien envie d’y croire https://bastramu.wordpress.com/2023/01/01/je-pense-1/

j’ai bien envie d’y croire

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Nicola Barker, citée sur advicetowriters.com

« The work likes to be fluid. Fluidity is joyful — if you are having fun you throw things at the page willy-nilly. Having said that, I generally write something, reread it, read it again, reread, read it out loud, read, reread, congratulate myself, castigate myself. Back and forth x 1,000. Phew. The first paragraph. »

Phew. The first paragraph.

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Entretien avec l’artiste Yumna Al-Arashi sur thecreativeindependent.com
« Do you get creative blocks?

It’s weird. I never get a creative block. Everything I do is always a wormhole for another thing I’m interested in. I read so much. I consume so much literature and I do research. I spend so much time at libraries that it’s impossible that I would run out of any sort of desire to reflect on or create something from what I’m constantly reading or interested in.

I see a lot of my creative friends who are going through creative blocks, and it’s usually more from them being concerned about themselves and not their creativity, or concerned about how the world perceives them and not about actually putting out work based on what you’re doing.»

everything I do is always a wormhole for another thing I’m interested in

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Fanny Cheung à lire sur ynote.hk

« Je n’ai pas d’objectif noble, ni de message à transmettre. J’ai un besoin égoïste de collectionneuse. Peu importe le médium s’il permet de capturer au mieux ce que je sens et ce que je ressens. Je n’ai pas peur des accidents dans mon processus, ils expriment le jeu du hasard dans la vie. Les accepter transforme mon travail en pratique spirituelle. »

je n’ai pas peur des accidents

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Marina Foïs, en parlant d’Eric Lartigau, au micro de Totemic (25’15) :
« Il croit qu’il parle anglais, mais il parle pas du tout anglais et il est complètement décomplexé. Et un jour pour dire « moi, tu sais, je suis toujours un peu dans le brouillard« , il a dit « you know, I’m always on a little frog« . Ça, moi, ça me fait ma journée.”

I’m always on a little frog

Choses aimées 22-52

Quelques choses cueillies qui donnent du cœur à l’ouvrage.

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Ce dialogue dans la série géniale Only murders in the building :

We don’t want to make a mess of this.

AH HA !, lean in for the nugget, folks. Are you ready for the nugget ? Embrace the mess. That’s where the good stuff lives.

Embrace the mess. 

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William Faulkner : « Écrire, c’est comme craquer une allumette au cœur de la nuit en plein milieu d’un bois. Ce que vous comprenez alors, c’est combien il y a d’obscurité partout. La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mieux mesurer l’épaisseur de l’ombre »

Craquer une allumette.

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Cheryl Strayed dans Wild : « Je savais que si je laissais la peur m’envahir, mon voyage était voué à l’échec. La peur est en grande partie due aux histoires qu’on se raconte, alors j’avais décidé de me raconter autre chose que ce qu’on répète aux femmes. J’avais décidé que je ne courais aucun danger. J’étais forte. Courageuse. Rien ne pourrait me vaincre. M’en tenir à cette histoire était une forme d’autopersuasion, mais, la plupart du temps, ça fonctionnait. Chaque fois que j’entendais un bruit d’origine inconnue ou que je sentais quelque chose d’horrible prendre forme dans mon imagination, je le repoussais. Je ne me laissais tout simplement pas impressionner. La peur engendre la peur. La puissance engendre la puissance. Alors j’avais opté pour la puissance. Et il n’a pas fallu longtemps pour que je cesse réellement d’avoir peur. »

La peur engendre la peur. La puissance engendre la puissance.

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Bérengère Cournut, invitée de Marie Richeux dans l’émission Par les temps qui courent :

« Quand on me demande ce qu’est la poésie par exemple, je n’ai pas de définition très claire mais il me semble que c’est un positionnement. C’est toujours le pas de côté qu’on va faire sur tout type de situation, tout type de sentiment, que ce soit la tristesse ou la joie. Il suffit de faire un tout petit pas de côté pour changer l’angle de vue. Et tout de suite, ça devient un petit peu étrange et un peu plus poétique. Moins personnel aussi. C’est aussi ça pour moi l’enjeu. »

Le pas de côté. Changer l’angle de vue.

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Mona Chollet, invitée de Sonia Devillers sur France Inter : « On donne une valeur morale à la beauté des femmes. (…) Il faut beaucoup de courage pour se débarrasser de l’envie d’être belle. » 

Se débarrasser de l’envie d’être belle.

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Philippe Torreton, invité de Sonia Devillers sur France Inter :

« Je ne joue pas, je dis. Le texte, rien que le texte. C’est la seule façon d’échapper selon moi à la dictature de ce qu’on est, de soi-même, de son corps, de ses défauts et même de ses qualités. S’estimer vachement beau est aussi dangereux que s’estimer nul et moche. La seule façon de se débarrasser de soi, c’est de se missionner pour quelque chose d’autre. Se missionner pour un metteur en scène, c’est dangereux. Se missionner pour un texte, c’est pas dangereux. Il ne peut pas y avoir d’abus avec le texte, le texte il est là. Il a été écrit pour l’humanité, pas spécialement pour toi. En s’oubliant, en se missionnant, c’est là qu’on apparaît. Finalement on apparaît quand on cherche pas à apparaître. » 

En s’oubliant, en se missionnant, c’est là qu’on apparaît.

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Agnès Desarthe, invitée de Cécile Coulon sur France Inter :

« Un des encombrements les plus importants quand on écrit, c’est soi. Parce qu’on n’est que soi déjà, c’est tout petit. On sait pas grand chose, on sait pas faire grand chose, on a une toute petite vie, on n’en a qu’une. Pfffou qu’est-ce qu’on va faire avec ça ? Et puis surtout on se dit : « Qu’est-ce que je vaux ? Pourquoi j’écris ? Qu’est-ce qui me prend d’être là ? Qu’est-ce qui me prend de prendre la parole ? Pourquoi moi ? Je pourrai faire mieux. Je suis paresseuse. Et ils font quoi les autres pendant ce temps-là ? Ah, ah oui, oh là là c’est mieux. » Tout ça, c’est de la perte de temps. Et parfois oui c’est triste, oui on est un peu triste parfois quand on écrit. Avec la traduction, c’est la joie du mot, c’est la jubilation de l’écriture, et il n’y a pas tout ça. Mais, mais, mais, mais. Parfois, quand on écrit, ça se passe bien. » 

Et à la question “Qu’est-ce qui est intraduisible pour vous ?”, Agnès Desarthe répond : 

« Rien ! (…) Rien, c’est la même réponse que si je vous répondais tout.(…) C’est parce que tout est intraduisible que rien n’est intraduisible. Traduire c’est voué à l’échec. Un jour on m’a demandé quel était le mot qui définissait le mieux mon activité, et j’avais dit : déception. Quand j’écris, c’est décevant. Quand je fabrique, c’est décevant. Quand je traduis, c’est décevant. La déception, c’est très au coeur de mon métier. C’est impossible ! C’est impossible de traduire. Mais c’est comme dire c’est impossible de connaître l’autre. Est-ce que c’est vraiment une raison pour rester chez soi, tout seul, à moisir ? Au contraire ! Essayons… Puisque c’est impossible. Essayons. Et essayons de toutes nos forces. On peut que aller vers le mieux, puisqu’on part battus. » 

Essayons de toutes nos forces. Puisque c’est impossible.

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Joan Didion, dans la préface de son premier recueil d’essais Slouching Towards Bethlehem (1968), citée par Mason Currey dans sa newsletter

« Je ne sais pas ce que je pourrais vous dire de plus sur ces textes. Je pourrais vous dire que j’ai aimé en faire certains plus que d’autres, mais que tous ont été difficiles à faire et m’ont pris plus de temps qu’ils n’en valaient peut-être la peine ; qu’il y a toujours un moment dans l’écriture d’un texte où je suis assise dans une pièce littéralement tapissée de faux départs et où je n’arrive pas à mettre un mot après l’autre et où j’imagine que j’ai subi une petite attaque cardiaque, me laissant apparemment indemne mais en réalité aphasique. » 

Mettre un mot après l’autre.

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Ce poème “Failures in Infinitives” de Bernadette Mayer  (ah tiens, il date de 1968 aussi !)

Why am I doing this ?

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Lara Fabian, aux élèves de la Star Academy : « Il est plus l’heure de se demander si on fait bien ou si on fait mal, il est l’heure de chanter. » 

L’heure de chanter.

Le courage d’être mauvais·e

« Ça, je te l’ai dit, on met très longtemps à être connu du jour au lendemain »

Pourquoi il faut regarder la série Drôle sur Netflix ?

(Et spoiler alert, non pas parce que c’est drôle, ça l’est parfois mais c’est pas comme ça que je la définirais)

La série plonge avec passion dans une salle de comedy club, on sent presque la bière qui colle aux pieds et la sueur de celleux qui foulent la scène. On suit plusieurs comédiens de stand-up qui espèrent enfin percer, ou retrouver une gloire passée, ou bien oser pour la première fois se lancer. 

Et on s’attache tôt ou tard, même dans les pires malaises, à tous les personnages, c’est  la patte de Fanny Herrero, scénariste et showrunneuse de cette série, après l’avoir été sur Dix pour cent.  

À voir absolument. Parce que ça parle d’écriture, de création, de travail et de persévérance, des mots qu’on triture et malaxe cent fois pour espérer sortir une petite phrase qui tient la route, de l’art si délicat d’un texte qui fera mouche, des journées funambules pour gagner sa vie sans perdre les espaces-temps dédiés à ce qu’on brûle de faire, du courage d’être mauvais, longtemps, très longtemps, avant d’être bon, de ce qu’on ose dire ici et pas là, de la reconnaissance qu’on attend d’untel précisément et qui ne viendra jamais, de ce qu’on détruit autour de soi, en soi, quand on ne crée pas, des proches qui soutiennent, malgré tout, des proches qui ne comprennent pas, des proches qui empêchent, du succès perdu, de repartir de zéro chaque fois, de la douleur de croire qu’on y arrivera plus, de l’addiction au souvenir de cette fois-là où on y arrivait, et du bonheur complètement fou de surmonter les jambes en coton pour se tenir là, face à, debout.

La grâce de certains matins

Je termine le beau recueil de poèmes Et recoudre le soleil de Gaëlle Josse que l’une de vous m’a fait découvrir cette semaine, et ne résiste pas à l’envie d’en partager quelques-uns.

*

la grâce de certains matins
lorsque monte le soleil

et cette crainte de les abîmer

*

le courage qu’il faut aux fleurs
pour résister à l’hiver

la patience d’un souffle souterrain
et soudain la lumière
le lent déploiement de la vie

comme tout semble simple

*

quand il faut tout rassembler
autour de soi
le courage les vêtements le sourire
et qu’on n’est pas très sûre de vouloir sortir
dans le tranchant du jour

le corps perdu
le cœur perdu
marcher sur le fil d’un silence
guetter quelques mots de passage
prémices d’un éveil

échos d’une lampe allumée
à la fenêtre
de l’autre côté de la rue

les jours à pas comptés

*

et toujours en voyageuse
démunie
j’aborderai le monde

mes pas accordés au vent
qui se lève

Que l’envers soit aussi beau que l’endroit

affiche du documentaire le siècle des couturières

Un excellent documentaire retrace l’histoire des couturières en France (visible sur france.tv). Ginette Mouchard raconte le moment où elle entre à l’usine et découvre le travail à la chaîne :

“pour moi ça n’avait plus rien à voir avec la couture, on fabriquait, mais on ne faisait pas de couture, c’était que de l’automatisme, (…) c’était étourdissant, abrutissant. Je voyais des personnes qui étaient sur leur machine qui faisaient les mêmes mouvements.”

Martine, première d’atelier, témoigne aussi :

“ça m’intéressait pas de passer des vêtements sous la machine, moi ce que je voulais c’était un métier où il y ait de la recherche. La haute couture, c’est un peu ça. Donc je suis entrée chez Cardin. J’ai toujours pensé qu’en haute couture, il fallait que l’envers soit aussi beau que l’endroit. C’est ça, la qualité du travail.”

J’aimerais développer à partir de ces deux témoignages, en profiter pour parler de ce que j’apprends en psychologie du travail mais je me sens encore hésitante (et là tout de suite un peu feignasse j’avoue).

Dans ce documentaire, j’apprends aussi que le mot midinette désigne à l’origine ces couturières des grandes maisons de mode parisiennes qui déjeunaient (“faisaient dînette”) le midi dans les parcs publics pendant leur pause ; et j’apprends le nom d’Herminie Cadolle qui d’un geste, d’un coup de ciseau, coupa le corset en deux, au niveau du plexus solaire, et inventa ainsi le premier soutien-gorge.

Bricoler pour mieux parler

J’apprends ici qu’utiliser des outils et manier des phrases à la syntaxe complexe font appel à des structures communes dans notre cerveau, et qu’entraîner l’une de ces habiletés renforce l’autre. Quelle belle découverte ! Ou plutôt quelle joyeuse confirmation par la science d’un ressenti maintes fois éprouvé ! En faisant des phrases, en tentant d’élaborer un texte ou une pensée, l’intense bricole, le maniement sans les mains, le bruit des outils invisibles pour fabriquer quelque chose, enfin. 

D’une aube à l’autre

Trois des cinq poèmes qui composent « Monde » de Philippe Jaccottet dans Poésie 1946-1967.

Poids des pierres, des pensées
Songes et montagnes
n’ont pas même balance
Nous habitons encore un autre monde
Peut-être l’intervalle

Peu m’importe le commencement du monde
Maintenant ses feuilles bougent
maintenant c’est un arbre immense
dont je touche le bois navré
Et la lumière à travers lui
brille de larmes

Accepter ne se peut
comprendre ne se peut
on ne peut pas vouloir accepter ni comprendre
On avance peu à peu
comme un colporteur
d’une aube à l’autre