Ça va très vite, ça se fait si facilement… la peur te prend la main et te ramène à bon port, dans des endroits que tu connais bien, ton fauteuil, ta couette, les tâches annexes, l’oubli de soi, le divertissement. Ces lieux où tu ne vis pas ta vie, où demain devient le royaume sans fin de tes promesses.
Peu importe le projet, peu importe où tu en es, c’est très facile de laisser cette peur l’emporter. Et elle prend tous les visages, perfide, rusée, elle te convainc par tous les moyens que cette petite aventure sur les flots, c’est franchement pas une bonne idée. Ton bateau ? Ce n’est qu’une coquille de noix, de qui se moque-t-on. Il fait beau ? Ça ne va pas durer, tempêtes à venir, noyade assurée.
Chez moi du moins, ça va très vite, ça glisse. Je n’y prends pas garde et me voilà, en contrebas, coincée dans le sentiment d’être coincée. Avec l’impression (un exemple au hasard) qu’écrire trois lignes demande l’énergie d’un triathlon.
On attend d’être sauvé.e, d’être touché.e par la grâce de l’inspiration, de la force ou de la motivation. On se demande pourquoi aujourd’hui tout est si laborieux. Et pendant qu’on se pose ce genre de questions, on laisse la peur à la barre, et oh tiens, nous revoilà au port qu’on avait pourtant si joyeusement quitté.
Ça va vraiment très vite. Et ça vient à tout moment. J’insiste : peu importe où tu en es. On n’en est jamais débarrassé.
Il n’y a pas, je le répète, je me le répète, d’amarres larguées une fois pour toutes. Il n’y a pas d’avant/après le courage de commencer, d’avant/après l’élan de faire. Il n’y a pas de mers lointaines, d’eaux hors-la-loi, de nombre de jours dépassé où la peur ne nous trouvera pas.
J’ai entendu mille fois « ce qui est fait n’est plus à faire ». Ça marchait très bien pour les devoirs enfant, ça marche aussi, plus tard, pour la paperasse, les corvées. Allez, allez, ce qui est fait n’est plus à faire, je visualisais des affaires (littéralement) qu’on fait valser derrière soi les unes après les autres. Ça sentait quand même la grosse arnaque vu que les devoirs ça revenait tout le temps, et plus tard la paperasse aussi.
Puis un jour, j’ai lu un livre magnifique (La fin du courage de Cynthia Fleury) qui m’annonce de but en blanc que « tout ce qui est fait reste à faire ».
OK… C’était comme d’apprendre que le père Noël n’existe pas.
Et en même temps que la sidération : le soulagement. On me disait enfin la vérité. On allait pouvoir avancer sur des bases saines.
Oui, tout ce qui est fait reste à faire.
Le courage est pour toujours à renouveler. Il n’est jamais chose faite, jamais derrière soi.
Le choix est chaque jour à réaffirmer.
Le port pour toujours à quitter.
Ça pourrait sembler décourageant, ça ne l’est pas. Le découragement s’installe quand on s’obstine à croire que ça devrait être facile, que parce qu’on l’a fait une fois, on n’aura plus à le faire. Qu’on saura le refaire sans résistance. Qu’un courage, un dépassement prédit mille courages, mille dépassements.
Non, on repart chaque jour à l’aventure. Et les vents sont tantôt favorables, tantôt contraires.
C’est sans fin le commencement.