Parfois, très rarement à vrai dire, je regarde quelques photos du voyage et en les parcourant, je me demande quelle belle folie m’avait piquée, je me demande si je serais capable aujourd’hui des mêmes audaces, de la même naïveté, du même appétit pour les rencontres inopinées, de la même patience dans ces moments où seule l’incompréhension vous tient compagnie.
André Breton avait cette phrase : « La rue, que je croyais capable de livrer à ma vie ses surprenants détours, la rue avec ses inquiétudes et ses regards, était mon véritable élément : j’y prenais comme nulle part ailleurs le vent de l’éventuel ».
Ce vent de l’éventuel, j’y pense souvent. D’ailleurs, jusqu’à ce soir, j’avais gardé en mémoire « être ouvert au vent de l’éventuel ». Version erronée alors ? ou transformée parce que c’est comme ça que j’ai choisi de m’en souvenir, comme d’un doux conseil pour arpenter la vie.
J’ai très peu écrit pendant ce long voyage. Il reste des carnets gribouillés de prévisions de trajet, d’horaires, de durées, de noms de villes, de gares ferroviaires, routières, de calculs d’argent, de plans, de pensées fugaces, de courtes traductions. Je crois bien que je passais (au moins !) la moitié de mon temps à organiser le voyage en lui-même puisque je n’avais pas d’itinéraire établi. Il reste aussi les mails envoyés aux proches (c’est merveilleux de dire proches quand on est si loin), je profitais de ces correspondances pour écrire vraiment, créer le récit. Je sentais bien qu’il me fallait un destinataire, l’assurance d’être lue pour faire l’effort d’organiser les mots.
J’économise pour repartir, et ce prochain voyage est déjà habité par l’ancien. Tantôt, j’aimerais qu’il soit nouveau, entièrement nouveau, affranchi d’attentes et de nostalgie. Tantôt, j’aimerais revivre un peu du goût du précédent, voyager pour voyager dans le temps. Mais il n’y a pas de train pour nous ramener là d’où l’on vient.
On repart, et on emporte avec soi cette ignorance, cette curiosité, ce désir pour le monde et tous « les suprenants détours ». On reste ouvert, comme nulle part ailleurs, au vent de l’éventuel.