En 2011, j’avais une idée de film. Je vous la fais courte : c’était l’histoire d’un vieux monsieur à Brest, veuf et un chouïa déprimé, qui ne sait pas nager. Il se rend pourtant chaque jour à la piscine municipale et grimpe jusqu’au plus haut plongeoir. Il est chaque jour rattrapé par le maître-nageur tantôt excédé tantôt pris de pitié. Ce n’est pas qu’il veut mourir, c’est qu’il veut plonger. Il voit régulièrement son fils et sa fille mais la communication est difficile, le lien distendu. A la télé, un jour, il découvre les plongeurs de falaises d’Acapulco et c’est décidé : direction le Mexique. Tout le monde essaie de l’en empêcher mais il plie bagage et le voilà traversant fièrement l’Atlantique. Je ne me souviens plus trop de ce qui se passe là-bas, mais il rencontre une dame qui cultive plein de grosses fleurs dans son jardin et qui lui offre la chaleur et l’espoir qui lui manquaient. Dans ma tête, c’était moins niais mais j’essaie de faire vite.
Pour ce film, dont je n’ai finalement jamais écrit une ligne, je savais qui devait jouer mon vieux monsieur : Jean Rochefort. C’était lui, je le voyais, il n’y avait pas d’alternative possible. Il me fallait son élégance, et son comique malgré lui, sa douce folie.
Ce film, j’y songeais beaucoup. J’en parlais autour de moi, si bien que quand quelqu’un voyait Jean Rochefort à la télé ou au cinéma, puis quand il est mort, on me disait, on m’a dit tiens, j’ai pensé à toi.
Mais ce film, c’est resté une idée. Une idée sans travail, une idée délaissée.
Dans une émission radio, Christine Angot (dont je n’ai encore rien lu) parle de l’écriture, de son travail d’écriture. Elle en parle durement, paraît très énervée, et bizarrement c’est passionnant à écouter : « Toutes ces pages que j’écris les premiers mois, c’est une espèce de destruction de toutes les idées qui viennent. Qui sont toutes mauvaises. Une idée est toujours mauvaise. Toujours. Le principe de l’idée, c’est qu’elle est mauvaise. Donc : il faut les supprimer au fur et à mesure.«
Je ne sais pas si une idée est toujours mauvaise, mais il s’agit bien, oui, de détruire les idées. Parce qu’une idée est toujours facile, toujours trop belle pour être vraie. On peut penser qu’elle brillera plus longtemps si on la met à l’abri de la lumière du jour. On la laisse dans un écrin, et on n’en fait rien.
J’essaie de ne plus trop aimer mes idées, parce que c’est tentant de les sacraliser, on finit par avoir cette peur absurde de les « gâcher » en essayant d’en faire quelque chose dans la réalité.
J’essaie d’apprendre à jouer avec mes idées. Choisir lesquelles sont pour moi, lesquelles seront pour d’autres (oui, parce qu’une idée qu’on a n’est pas toujours pour soi, qu’est-ce que c’est fourbe ces bêtes-là). Développer le goût de faire, de fabriquer. Se laisser suprendre par ce qui survient quand on plonge sans savoir nager, par ce qui surgit quand on lâche l’idée.