Merci les pages du matin

Truth be told, il y a quelques jours, ça n’allait pas très fort. J’étais dans un creux poisseux. Un camion-benne de tristesse. 

Incapable de décider si je dois oui ou non partir cette semaine. Vers un lieu associé à beaucoup de joie, de rires et d’amour, et aussi parfois, ces dernières années, de malaise et d’amertume. Je lutte maintenant pour m’y sentir (chez) moi. Et j’y reviens, sans cesse, malgré tout. J’ai du travail, et peu d’espoir de réussir à le faire une fois là-bas. J’hésite.

Je t’épargne la bouillasse de mes tergiversations. Peu importe finalement. 

J’en parle dans mes pages du matin. 

Premier jour : j’essaie vaguement de déceler ce qui me freine et ce qui me peine. J’y consacre à peine 6 lignes. Et j’étouffe bien vite. J’écris Allez, quelle que soit la décision, tout ira bien. J’essaie de prendre the high road, la grand-route, la tête haute. Je parle d’amour. Et je zappe, zou. 

Le camion-benne bat son plein. 

Deuxième jour: j’explore un peu plus. Je me pose des questions. Qu’est-ce qui a changé ? …. Quoi d’autre ? … Je chouine. J’étale ma plainte, mes doléances. Je réclame justice, réparation. Je me donne de l’espace. Je ne cherche pas l’attitude la plus noble. J’écris des pffff, des points d’exclamation. 

Je déverse mon camion-benne. 

J’écris.

Et les mots viennent enfin me souffler l’important : quand je suis là-bas, mes idées, mes envies meurent (…) Reste connectée à toi, tes idées, tes envies. Faire ton travail. Vivre ta vie. Ne pas te noyer, fuir dans le passé. Faire ma vie et ne pas prendre ce village pour alibi. Poursuivre les envies, les choyer. Le village reprendra sa place. Juste. Il faut que ce lieu – et sa compagnie – reprennent une juste place. Une place dans ma vie. Et non pas à la place de ma vie. 

Je sens mon corps inquiet se rassembler. Se raffermir. Et toute la tristesse se transformer. Non pas disparaître. Se transformer. En clarté.

Je sens mon regard se déplacer. Le problème se renverser. Je vois mieux l’enjeu. 

Je décide que les conditions, les bonnes raisons, pour y aller, tout de suite, ne sont pas réunies.

Je remets au premier plan de mes journées des choses qui comptent pour moi, qui m’aident à faire ma vie.

Je n’exclus pas d’y aller dans les prochains jours. Pour l’heure, je suis là. 

Et je chuchote merci, les pages du matin. Car sans les mots, sans les pages, je n’aurais peut-être jamais senti-compris. “Une place dans ma vie. Et non pas à la place de ma vie”.

Carnet libre

Faisons comme si je n’avais pas délaissé le blog depuis le mois de mars. Faisons comme si. Merci d’être là et de supporter les hauts, les bas, les parfois là, souvent pas.

Parmi les joies simples des dernières semaines, il y a mon nouveau carnet.

J’ai suivi un atelier « Carnet d’idées » qui préconise notamment de n’utiliser qu’un seul carnet. Un carnet unique, où tout se suit dans l’ordre chronologique. Même si les « entrées » n’ont rien à voir les unes avec les autres. On enchaîne, on juxtapose, on avance, on laisse venir, on titre, on date, on contextualise, et on fera si on peut un index. Et on a un objet qu’on va pouvoir feuilleter, re-feuilleter, annoter, explorer. Où on va pouvoir puiser.

Disposant alors de 4 ou 5 carnets actifs entamés, j’ai trouvé le concept très très pertinent. Les jours suivants, j’ai programmé un détour chez Rougier & Plé, et pris mon temps devant l’immense rayon des carnets de dessin. Passé le moment où je me suis sentie noyée devant tous les choix possibles, prête à boire la tasse de mon indécision, j’ai tranché pour le carnet…parfait.

Noir, simple, à la couverture pas lisse, épais, capable de tenir presque à plat une fois ouvert, des pages consistantes, un peu granuleuses, avec un dos me permettant d’y écrire mois-année-mois-année dessus quand il sera terminé. Sans lignes, comme l’atelier le recommande, pour garder plus de liberté sur la page. Une révolution pour moi qui ne jure depuis des années que par des carnets lignés. Et sans numéros de page, je réalise soudain, feignasseforever, que ce n’est quand même pas très compliqué de les ajouter manuellement au fur et à mesure.

J’en ai acheté deux, et je les ai glissés, très fière de moi – il m’en faut peu -, dans mon gros sac à dos ce jour-là. Le lendemain, j’ai commencé ce carnet baptisé « Carnet libre ». Tandis que je traçais en première page de grosses lettres au bic et stabilo, je sentais un large sourire se dessiner sur mon visage. Une petite voix jugeait : qu’est-ce que c’est laid, et ça sert à rien…franchement, Claire, les adultes ne font pas ça. Une autre petite voix s’extasiait. J’avais à nouveau 7 ou 8 ans, tenant mon premier journal à cadenas entre mes mains. J’ai refermé le Carnet libre après avoir écrit quelques lignes, et je l’ai serré contre moi, contre ma joue, comme un cadeau de Noël inespéré. J’avais à nouveau 7 ou 8 ans.

Depuis j’y note un peu tout, des bouts de journal – sans renoncer à mon journal tapé sur ordi -, des bouts de conversation, des citations, des inspirations, des étonnements, des to-do, mon best-of du mois, des pensées furtives, des listes de « j’aimerais », des plaisirs et des chagrins, tout ce qui veut exister.

D’avoir un espace, précis, où recueillir et récolter… eh bah…ça fait du bien !

Un lieu à la lisière du dehors et du dedans, plus tout à fait à l’intérieur de moi, pas tout à fait encore à l’extérieur. Au seuil de soi, au bord du monde.

Ajustements : au début, j’ai pensé que j’y ferai mes pages du matin, mais j’ai senti dès le premier essai que ça n’était pas le bon endroit. Pour les PM, je prends soit mon ordi soit un autre cahier, ligné cette fois. Et bien sûr, pour mes gros « projets » ou « activités », j’ai d’autres carnets : un carnet pour mon stage, un carnet pour les écoutes, et des carnets pour mes cours. Le carnet unique c’est pour…tout le reste ! Un beau vrac organisé. Comme le dit l’atelier, « creative chaos in chronological order ».

Voilà. J’ai un nouveau carnet. Il m’a procuré une joie simple et immense à la fois. Des retrouvailles avec ce plaisir oublié, cette légèreté solennelle du carnet à soi, de la vie joueuse, curieuse.

Quelques jours plus tard, je terminais enfin Libérez votre créativité de Julia Cameron (va savoir pourquoi, le livre m’était tombé des mains il y a quelques années, versus Big Magic que j’ai déjà relu 2 fois). J’y lis ce passage :

« La meilleure façon d’amener notre enfant artiste au travail, c’est de considérer le travail comme un jeu. La peinture, c’est un truc génial. C’est amusant d’avoir soixante crayons taillés. De nombreux écrivains n’utilisent pas l’ordinateur parce qu’ils préfèrent entendre le cliquetis réconfortant, sympathique, de la puissante machine à écrire qui avance, tel un poney au trot. Pour bien travailler, de nombreux artistes ont résolu leur espace de travail en le concevant comme un espace de jeu : des murals de dinosaures, des jouets de bazar, de minuscules miniatures de lumières de Noël, des monstres en papier mâché, des cristaux suspendus, des brins de feuille, un aquarium… »

Le même sourire, la même joie simple m’est remontée au visage en lisant ces mots : « c’est amusant d’avoir soixante crayons taillés ». Oui ! Puis en lisant « tel un poney au trot ». Oui !

Je me suis rappelée le plaisir quelques fois d’écrire avec la vieille machine à écrire à sortir délicatement de sa belle sacoche grise argentée. J’ai téléchargé une application sur mon ordi, « Loud Typer », qui imite le bruit d’une machine à écrire. Je ne l’active pas tout le temps. Mais quand je l’active, je me délecte du son affolé des barres à caractère dès que je tape au clavier, et de la petite cloche du retour chariot dès que je tape sur ENTER.

J’ai un nouveau carnet. Je suis curieuse de tout ce qu’il y aura dedans. J’ai à nouveau 7 ou 8 ans. Je m’amuse bien. Et les adultes ne font pas ça.

P.S. : Quelques heures plus tard, je re-découvrais ce générateur de mots aléatoires. Et voici le tout premier binôme de mots qu’il m’a proposé :