C’est plutôt magique le commencement. Tellement magique qu’on ne sait pas très bien où ça se situe. Un voyage par exemple, à quel moment est-ce qu’il commence ? Quand on en a l’envie, quand on le rêve, quand on laisse courir ses pensées sur l’atlas ou qu’on zoome sur google maps, quand on achète un guide ou un billet, quand on fait sa valise, quand on ferme la porte de chez soi, quand on s’asseoit dans le train ou dans l’avion, ou dès qu’on marche enfin dans des rues inconnues ?
Idem pour un projet de création ou d’entreprise, c’est quand, c’est quoi, le commencement ?
Dans Comme un avion, Bruno Podalydès filme et interprète un passionné d’aéropostale qui décide d’entreprendre une petite expédition en… kayak. Première partie du film : la découverte fascinée de l’objet, sur internet puis en vrai au déballage du colis, le montage laborieux du kayak dans son salon puis sur le toit de sa maison, le soin pour dresser la liste du matériel à emporter (« oui » dit-il, « j’accorde une grande importance au matos »), le manuel des castors juniors à portée de main, l’excès de zèle pour s’équiper. C’est clairement la meilleure partie du film, avant que le kayak ne flotte sur l’eau, parce que Podalydès est un spécialiste de la préparation, du rêve à matérialiser, des panoplies du commencement. C’était pareil dans Liberté-Oléron, un autre de ses films, où le père de famille en vacances se fantasme capitaine de bateau, fait la folie d’en acheter un, on suit là aussi tous les préparatifs, le matériel, la documentation, le rêve d’enfant et les joies et déboires de l’adulte dans la réalité.
« Dans le jardin familial, j’adorais avec Denis construire des radeaux, donc on posait juste des planches dans le gazon et on y séjournait comme si on était sur le Kon-Tiki, coupés du monde, on se croyait en mer. Et mon plaisir le plus intime, c’était de me mettre sur le bord de la planche et de regarder la fin du radeau, là où on est encore sur le bois, et l’herbe c’était l’océan. Et cette espèce de frontière, l’aventure, intérieure/extérieure, jmsuisdit comment je pourrais raconter ça au cinéma : ce début de l’aventure, le voyage, être chez soi, comme on est chez soi chez Jules Verne dans le sous-marin, et en même temps dans le monde, extérieur. » (Bruno Podalydès dans cette interview ci-dessous)
J’ignore si c’est vraiment le commencement, mais j’aime ces débuts-là, ce moment où le kayak prend soudain toute la place dans notre vie, on l’apprivoise, il nous résiste, on se prépare, on s’apprête, on liste, on se procure, on accumule, tout cet avant d’aller sur l’eau.
Ce goût singulier de s’y mettre un peu, avant de s’y mettre vraiment. Le plaisir de se projeter et de soigner tous les signes de ce qui est à venir.
Je sais aussi que j’aime un peu trop ça. J’ai tendance à fixer le bord du radeau, rêver l’herbe-océan, collectionner des panoplies, ne jamais commencer vraiment.
Mon projet, mon kayak à moi, n’est pas un projet d’écriture mais ce sont les exemples tirés de l’écriture et de la création qui me parlent le plus sur ces sujets du faire et du commencement. Peut-être parce que c’est l’un des domaines où j’expérimente aussi la Résistance (Steven Pressfield, War of art), et où j’apprends, cahin-caha, à lui tenir tête.
Alors pour finir sur le commencement, voici deux ressources de ma panoplie :